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29/03/2023 | FRANCE | N°21/01005

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 29 mars 2023, 21/01005


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 MARS 2023



N° RG 21/01005

N° Portalis DBV3-V-B7F-UNLX



AFFAIRE :



[R] [P]



C/



Association ASSOCIATION DE PREVENTION SPECIALISEE DENYSE EMERY (APSDE)









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : A

D

N° RG : F18/02950



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mounir BOURHABA



Me Jean-Michel DUDEFFANT



Copie numérique adressée à :



Pôle Emploi







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 MARS 2023

N° RG 21/01005

N° Portalis DBV3-V-B7F-UNLX

AFFAIRE :

[R] [P]

C/

Association ASSOCIATION DE PREVENTION SPECIALISEE DENYSE EMERY (APSDE)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : AD

N° RG : F18/02950

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mounir BOURHABA

Me Jean-Michel DUDEFFANT

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [R] [P]

né le 12 novembre 1978 à [Localité 4]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Mounir BOURHABA, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2580

APPELANT

****************

Association ASSOCIATION DE PREVENTION SPECIALISEE DENYSE EMERY (APSDE)

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Jean-Michel DUDEFFANT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0549

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [P] a été engagé en qualité de moniteur-éducateur, par contrat de travail à durée indéterminée à temps plein, à compter du 24 février 2014, par l'association de prévention des Grésillons.

Au dernier état de la relation contractuelle, il occupait le poste d'éducateur spécialisé et était affecté sur le secteur des Agnettes à [Localité 5].

Cette association, spécialisée dans la prévention et l'éducation en direction des jeunes, applique la convention collective nationale de travail des établissements et services pour personnes inadaptées et handicapées du 15 mars 1966. Son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés.

Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle de 2 345 euros.

Il a fait l'objet d'un arrêt de travail du 27 février 2017 au 13 mars 2017 puis du 18 avril 2017 au 14 mai 2017.

Par lettre du 19 juin 2017, le salarié a fait l'objet d'un avertissement en raison de son comportement, le 18 mai 2017, à l'égard de M. [T], chef de service, sanction contestée par lettre du 24 juin 2017.

Par courriel du 26 juin 2017, l'employeur a sollicité des salariés qu'ils renseignent de manière satisfaisante leurs feuilles de route.

Le salarié a été en arrêt de travail pour maladie du 7 septembre au 22 septembre 2017.

Par lettre du 15 septembre 2017, l'employeur a informé le salarié que ses versements relatifs à son arrêt de travail pour maladie seraient suspendus à compter du 14 septembre 2017 compte tenu des conclusions du médecin-contrôleur.

Par lettre du 5 octobre 2017, le salarié a fait l'objet d'un avertissement en raison de ses manquements contractuels, sanction contestée par lettre du 19 octobre 2017.

Par lettre du 9 octobre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 20 octobre 2017.

Le 13 octobre 2017, l'employeur a informé oralement le salarié de sa dispense d'activité.

Le salarié a été placé en arrêt de travail pour maladie du 16 au 29 octobre 2017.

Par lettre du 20 octobre 2017, l'employeur a informé le salarié de sa dispense d'activité rémunérée jusqu'à la décision à intervenir.

Il a été licencié par lettre du 14 novembre 2017 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :

« Vous avez été embauché au sein de notre association, à compter du 24 février 2014 en qualité de Moniteur Éducateur avec pour périmètre d'intervention spécifique le quartier des Agnettes à [Localité 5].

Comme le rappelle l'article 3 de votre contrat de travail, votre fonction impliquait un engagement de votre part à appliquer les méthodologies spécifiques de la prévention spécialisée, dont le travail de rue et la présence sociale.

En effet, bien que le travail de rue en prévention spécialisée s'exerce bien souvent seul sur le terrain, il doit nécessairement être étayé en permanence à partir d'une réflexion, d'une pensée professionnelle nourrie par des éléments issus de la pratique, notamment :

Observations sur la respiration humaine du secteur

Points précis sur les accompagnements éventuels et observations sur ces accompagnements faisant état d'avancées, de difficultés, de remises en cause.

Réflexions et pistes de travail pour la suite des cheminements imaginés avec les jeunes suivis.

Il est dès lors évident que le rendu compte du travail réalisé doit être quantifié et faire état des variations du travail (travail de rue, réunions, accompagnements...), ce qui est indispensable pour permettre à l'association d'apprécier la valeur du travail réalisé par chaque professionnel dans sa diversité d'exercice, et dans la diversité du public ciblé (adolescents, jeunes adultes), mais aussi à partir des réflexions professionnelles qui doivent permettre la projection.

L'éducateur doit nécessairement avoir une vision réflexive permanente de sa position éducative pour pouvoir amener le jeune à construire sa propre projection en tant que sujet.

Aussi, les tensions constatées au sein de votre équipe ont contraint notre Présidente à décider de suspendre les réunions hebdomadaires et de mettre en place à compter du 24 mars 2017 une feuille de route quotidienne qu'il vous a été demandé, comme à chacun de vos collègues éducateurs, de renseigner précisément pour faire état du travail effectué.

Cet outil, est essentiel pour permettre à l'association d'apprécier le contenu réel de l'activité de chacun et permettre par la suite, après compilation, un travail collectif pour l'élaboration d'une pensée professionnelle.

C'est ce que nous avons expressément rappelé, ainsi qu'à l'ensemble des membres de votre équipe, ayant constaté que certaines feuilles de route étaient renseignées de façon extrêmement succinctes, les rendant de fait inexploitables.

Par courriel du 26 juin 2017, nous vous avons donc mis en demeure de : « Veiller à renseigner les feuilles de route de manière quantitative, qualitative, d'y ajouter à votre convenance tout apport de réflexion, constatation et tous autres éléments permettant d'alimenter notre réflexion collective. Nous vous informons que dès la rentrée nous exploiterons les feuilles de route, nous permettant ainsi de dresser un bilan de l'action sur le territoire Centre... ».

Or, lorsque nous avons effectivement procédé à la compilation de l'ensemble de vos feuilles de route, force a été pour nous de constater que vous n'aviez absolument pas tenu compte de notre rappel à l'ordre.

Cette attitude manifestait une totale négligence de votre part que nous ne pouvions pas tolérer, et nous avons donc dû vous notifier un avertissement par lettre en date du 5 octobre 2017.

Par ailleurs, en vue de la réunion thématique prévue le 10 octobre 2017, qui devait être consacrée à un bilan de l'été 2017, il vous avait également été demandé, ainsi qu'à l'ensemble des éducateurs de votre équipe, de rédiger un bilan complet de votre activité au cours de la période d'été sur votre secteur d'intervention.

Or, lorsque nous avons pu enfin prendre connaissance de votre bilan, que vous avez remis à votre Chef de Service à la limite du délai qui vous avait été imparti, nous n'avons pu que constater son caractère particulièrement lacunaire et le fait qu'il était en définitive vide de tout réel contenu professionnel.

Nous n'y avons trouvé aucun élément quantifié et très peu d'observations et réflexions en lien avec la pratique éducative pouvant nourrir la réflexion sur votre posture professionnelle d'éducateur de rue.

Concrètement, votre bilan ne traduit aucune réalité quant au travail de terrain que vous avez pour mission d'effectuer.

Nous avons fait ce constat alors même que l'association a déjà été interpellée par nos partenaires (Ville et Services Municipaux) qui s'interrogent sur la lisibilité de l'action des éducateurs et leur présence réelle effective sur votre territoire d'intervention, à savoir, les Agnettes.

De même, plusieurs jeunes qui se sont présentés au siège de l'association et nous ont confié que depuis juin 2017 [ils ne vous voyaient] plus sur le secteur.

Tout cela nous confirme qu'effectivement vous ne remplissez plus vos fonctions d'éducateur sur le terrain, et tout au plus vous vous contentez manifestement d'exécuter que très incomplètement les missions qui vous ont été confiées, et ce de façon délibérée.

Pour toute explication, vous nous avez indiqué lors de l'entretien préalable que les écrits, feuilles de route et bilans, établis par vos collègues ne seraient pas mieux que les vôtres et vous vous êtes permis, encore une fois, d'accuser votre hiérarchie d'incompétence, réitérant ainsi les propos que vous avez déjà tenus à plusieurs reprises par écrit, comme oralement, devant vos collègues selon lesquels les cadres de l'Association seraient des menteurs et commettraient eux-mêmes des fautes lourdes.

A cet égard, nous vous rappelons que nous avons été contraints de sanctionner par un avertissement en date du 19 juin 2017, votre comportement irrespectueux et intrusif à l'égard du travail des cadres.

En revanche, vous vous êtes montré incapable de justifier votre absence sur le terrain et plus généralement d'une réelle activité sur votre secteur.

Ainsi, nous sommes au regret de devoir vous notifier, par la présente, votre licenciement pour cause

réelle et sérieuse. (') ».

Le 19 juin 2018, l'association de prévention des Grésillons est devenue l'association de Prévention spécialisée Denyse Emery (APSDE).

Le 7 novembre 2018, M. [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester le bien-fondé de son licenciement et d'obtenir le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 12 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section activités diverses) a :

- dit que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts afférente,

- dit que M. [P] n'apporte pas la preuve que l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery aurait violé l'article L. 1222-1 du code du travail et le déboute de sa demande de dommages et intérêts afférente,

- dit que l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery était en droit de ne pas verser un complément de salaire pour la période comprise entre le 14 et le 22 septembre 2017 et le déboute de sa demande de rappel de salaire afférente,

- mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de M. [P],

- dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Par déclaration adressée au greffe le 1er avril 2021, M. [P] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 3 janvier 2023.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [P] demande à la cour de :

- le dire et le juger recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

statuant à nouveau,

- dire et juger que la rupture de son contrat de travail s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

à titre principal,

- condamner l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery à lui verser les sommes suivantes :

. 14 070 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (6 mois),

. 14 070 euros à titre d'indemnité pour violation de l'article L. 1222-1 du code du travail,

. 687 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 14 au 22 septembre 2017,

. 68 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

. 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

à titre subsidiaire,

- condamner l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery à lui verser les sommes suivantes :

. 9 380 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (4 mois),

. 14 070 euros à titre d'indemnité pour violation de l'article L. 1222-1 du code du travail,

. 687 euros à titre de rappel de salaire sur la période du 14 au 22 septembre 2017,

. 68 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférents,

. 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en tout état de cause,

- condamner l'association APG (sic) aux intérêts légaux depuis la saisine du conseil de prud'hommes.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 14 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery (l'APSDE) demande à la cour de :

- dire et juger M. [P] est mal fondé en son appel,

- débouter en conséquence M. [P] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. dit que le licenciement de M. [P] repose sur une cause réelle et sérieuse et a débouté M. [P] de sa demande de dommages et intérêts afférente,

. dit que M. [P] n'apporte pas la preuve qu'elle aurait violé l'article L. 1222-1 du code du travail et l'a débouté de sa demande de dommages et intérêts afférente,

. dit qu'elle était en droit de ne pas verser un complément de salaire pour la période comprise entre le 14 et le 22 septembre 2017 et a débouté M. [P] de sa demande de rappel de salaire afférente et de congés payés incidents,

. débouté M. [P] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] à lui verser la somme de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner enfin, M. [P] aux entiers dépens.

MOTIFS

Sur le licenciement

Sur la réalité des griefs

Il résulte de l'article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Le motif inhérent à la personne du salarié doit reposer sur des faits objectifs, matériellement vérifiables et qui lui sont imputables.

L'article L. 1235-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Les mêmes faits ne peuvent justifier successivement deux mesures disciplinaires.

L'employeur qui, ayant connaissance de faits commis par le salarié considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction.

En l'espèce, il est reproché au salarié de ne pas avoir rédigé ses feuilles de route quotidiennes et son bilan complet d'activité au cours de la période d'été sur son secteur d'intervention conformément aux consignes et de ne pas avoir assuré l'action de l'association sur son secteur d'intervention.

S'agissant des feuilles de route et du bilan complet d'activité de l'été, le salarié fait valoir que ces griefs ont déjà été sanctionnés par son avertissement du 5 octobre 2017 de sorte qu'en application de la règle « non bis in idem », ils ne peuvent justifier son licenciement du 14 novembre 2017.

L'employeur réplique que l'avertissement susvisé a sanctionné le non-respect des consignes relatives aux feuilles de route et la lettre de licenciement, celui relatif au bilan d'activité de l'été.

La lettre d'avertissement du 5 octobre 2017 est rédigée comme suit : « Par mail en date du 26 juin 2017, nous vous informions qu'après examen attentif de la feuille de route que vous aviez à remplir quotidiennement, nous avions constaté que les éléments portés étaient insuffisants et ne nous permettaient pas d'évaluer le travail. Aussi, nous vous avions demandé, par ce mail du 26 juin de « veiller à renseigner la feuille de route de manière quantitative, qualitative, d'y ajouter à votre convenance tout apport de réflexions, constatations et tout autres éléments permettant d'alimenter notre réflexion collective. Nous vous informons que dès la rentrée, nous exploiterons les feuilles de route, nous permettant ainsi de dresser un bilan de l'action sur le territoire du centre ».

Dans le cadre du bilan d'été nous avons constaté à nouveau la faiblesse des éléments consignés, ce qui indique que vous n'avez pas tenu compte de notre demande, ce qui est aujourd'hui dommageable pour l'association puisque nous n'avons pas suffisamment de travail à examiner et à mettre en avant.

Nous considérons que cette non observation de la consigne relève d'une totale négligence de votre part et pour ce motif, nous vous notifions par le présent courrier un avertissement qui sera versé à votre dossier ».

Les termes employés dans l'avertissement du 5 octobre 2017 démontrent que l'employeur a sanctionné la rédaction non conforme aux consignes non seulement des feuilles de route mais également du bilan de l'activité de la période d'été, sollicité pour la réunion institutionnelle du 10 octobre 2017.

Ainsi, en application du principe de « non bis in idem », ce grief, déjà sanctionné, ne peut justifier le licenciement du salarié et ne sera pas retenu.

S'agissant de l'absence physique et du défaut de travail sur le terrain, l'employeur fait état de reproches de la commune et de ses services ainsi que de plaintes de jeunes depuis juin 2017.

Il verse ainsi aux débats :

. la lettre de convocation du 11 septembre 2017 dans laquelle il indique au salarié que dans le cadre du bilan d'été qui sera évoqué lors de la réunion institutionnelle du 10 octobre 2017, il a examiné ses feuilles de route de l'été et s'interroge sur le travail réalisé par le salarié. Il ajoute que le 8 septembre 2017 après-midi, des jeunes du quartier des Agnettes sont venus interpeller l'association quant à l'absence des éducateurs sur ce secteur depuis un temps significatif.

. la lettre de contestation de l'avertissement du 19 octobre 2017 dans laquelle le salarié indique (sic) qu'« il était logique que ces jeunes viennent nous interpeller au siège car c'est moi qui les aient orienter vers vous. Ces jeunes étaient accompagnés par ma collègue [X] [V] qui suite à sa démissions contrainte, ces jeunes se sont sentie délaissés. Les arrêts de travail pour maladie des uns et les prises de congés des autres collègues de l'équipe ont fortement impactés notre présence sur le territoire et les jeunes accompagnés. Il apparaît évident que notre présence et donc notre travail sur ce territoire fut diminué et ressenti comme tel. Mais vous ne pouvez pas me sanctionné pour avoir été absent pour cause de maladie et de congé, ni de devoir assumer les absences et les démissions de mes deux autres collègues ».

. la lettre de M. [K], directeur général des affaires sociales de la ville de [Localité 5], adressée à la présidente de l'association le 5 octobre 2017 et reçue le 6 octobre 2017 suivant laquelle il se plaint en ces termes : « je vous interpelle aujourd'hui pour vous faire part de mon inquiétude au regard de la défection notable des éducateurs du quartier des Agnettes dans ce processus de travail et de leur absence récurrente sur le terrain ces derniers mois. Ceci est très préoccupant tant au regard des difficultés et tensions existantes sur ce quartier qu'au niveau de la dynamique de travail engagée avec les différents acteurs ».

Le salarié réplique que l'employeur avait connaissance de ces faits avant l'entretien du 25 septembre 2017 qui a donné lieu à l'avertissement du 5 octobre 2017, et qu'il a choisi de ne pas les sanctionner.

Ainsi, selon lui, l'employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire lors de l'avertissement du 5 octobre 2017.

Pour autant, il n'est pas discuté que l'employeur a reçu le 6 octobre 2017 la lettre de M. [K] précitée, soit après l'envoi de l'avertissement du 5 octobre 2017, de sorte qu'il ne disposait pas de l'ensemble des informations caractérisant selon lui les faits reprochés au salarié lors de l'envoi de l'avertissement précité.

Il en découle ainsi qu'il n'avait pas épuisé son pouvoir disciplinaire.

Toutefois, les éléments communiqués par l'employeur sont insuffisants à caractériser un manquement du salarié dès lors que le salarié n'est pas précisément visé par les « jeunes » et le représentant de la ville de [Localité 5] et que le salarié démontre que l'association était confrontée à l'absence d'éducateurs en arrêt de travail pour maladie et en congés.

A titre d'exemple, il est démontré que Mme [X] [V] a démissionné le 3 mai 2017 .

L'employeur n'apporte à cet égard aucun élément justifiant des effectifs affectés sur le secteur des Agnettes pendant cette période.

Par ailleurs, le salarié verse aux débats les attestations de MM [G], [Z] et [U] témoignant de façon concordante de sa présence sur le terrain en juin et juillet 2017.

Par conséquent, le grief n'est pas caractérisé.

En synthèse de ce qui précède, aucun manquement du salarié n'est établi, rendant ainsi son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Infirmant le jugement, la cour dit le licenciement du salarié dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié sollicite l'inapplication du barème prévu à l'article L.1235-3 du code du travail dès lors qu'il est contraire à l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT et à l'article 24 de la charte sociale européenne et que son préjudice financier, issu de sa perte d'emploi à 40 ans, ne peut être réparé par le montant prévu par ce barème.

L'employeur conteste la réalité du préjudice subi par le salarié.

***

Les dispositions des articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi et assurent le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur.

Elles sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT) (Soc., 11 mai 2022, pourvoi n° 21-14.490, FP-B+R).

Par ailleurs, les dispositions de la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

En l'espèce, en application du barème fixé à l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, le salarié qui justifie de 3 années d'ancienneté, a droit à une indemnité brute comprise entre 3 mois et 4 mois.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié (3 ans), de son niveau de rémunération (2 345 euros), de son âge lors de la rupture (39 ans) et de l'absence de justificatif relatif à sa situation professionnelle ultérieure, il conviendra d'évaluer le préjudice résultant de la perte de son emploi à la somme de 7 500 euros, au paiement de laquelle, infirmant le jugement, l'association sera condamnée.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur la demande de dommages-intérêts au titre de l'exécution du contrat de travail

Le salarié soutient que l'employeur a manqué à son obligation générale d'exécution de bonne foi du contrat de travail et plus spécifiquement à son obligation de sécurité, ce que conteste l'employeur.

Il sollicite à cet égard des dommages-intérêts et un rappel de salaire relatif à un arrêt de travail pour maladie.

***

L'article L. 1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité qui n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l'employeur pouvant s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, le salarié se prévaut d'une dégradation de ses conditions de travail et de sa santé mentale ainsi que d'une atteinte à sa dignité.

S'agissant de la dégradation de ses conditions de travail, le salarié excipe d'actes de pressions de la direction envers des personnes ciblées, du comportement du personnel encadrant et d'une organisation du travail défaillante. Il établit que :

. par lettre du 22 mars 2017 adressée à Mme [N], présidente de l'association, six salariés (dont M. [P]) se sont plaints du comportement de M. [T], chef de service, lors de la réunion de régulation du 21 mars 2017,

. à l'ordre du jour de la réunion du 15 mai 2017 entre les délégués du personnel et la direction était inscrite l'alerte suivante : "Depuis que nous alertons, une collègue a fait un abandon de poste et une autre a démissionné. Nous vous alertons à nouveau sur l'état physique et moral, en lien avec les conditions d'exercice de leurs missions, des éducateurs et salariés de l'association",

. par lettre du 18 mai 2017, il a alerté la directrice sur le comportement agressif de M. [T], le 17 mai 2017, à l'égard de M. [Y] avec qui il était en entretien et à son égard, lorsqu'il est intervenu. Il ajoute que M. [A], directeur, lui a reproché d'être intervenu lors de l'entretien entre MM [Y] et [T], le directeur prenant toujours le parti de M. [T],

. par lettre du 16 octobre 2017, quatre salariés ont alerté la présidente du conseil départemental des Hauts-de-Seine, des dysfonctionnements institutionnels et demandé à la rencontrer.

Il démontre également que les 20 février 2017 et 15 mai 2017, les délégués du personnel ont informé la direction de la souffrance au travail de plusieurs salariés, que le 6 juin 2017, l'union syndicale départementale de la santé et de l'action sociale CGT92 a alerté la présidente et le directeur de l'association des difficultés rencontrées par les éducateurs au sein de l'association et a organisé un rassemblement devant le conseil départemental le 20 octobre 2017 pour dénoncer les conditions de travail au sein de l'association.

Il verse aussi aux débats une demande d'intervention auprès de l'inspection du travail de la part de quatre salariés le 28 avril 2017, une alerte de M. [I], délégué du personnel, auprès de la présidente de l'association le 19 mai 2017, l'attestation de Mme [V] qui fait état du changement de comportement de la direction lié à la dénonciation des manquements de l'association à la réglementation et des pressions et sanctions qui en ont résulté et la lettre de démission de cette dernière du 3 mai 2017 qui mentionne l'environnement anxiogène de travail.

En réponse à ces éléments, l'employeur démontre que l'incident du 17 mai 2017 a fait l'objet d'une plainte de la part de M. [T] qui relate une autre version des faits, tout comme Mme [U], chef de service, qui indique avoir assisté aux faits et que le 29 août 2017, Mme [E], déléguée du personnel, a informé la direction lors d'une réunion des délégués du personnel de son inquiétude "de constater que des documents produits nomment collectivement "tous les salariés" dans le conflit qui oppose la direction et certains salariés".

Toutefois, l'employeur ne justifie d'aucune mesure telle qu'un audit, une enquête interne ou une médiation, visant à constater les conditions de travail dénoncées par les salariés et à prendre les éventuelles mesures nécessaires à garantir leur santé et leur sécurité.

Le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité est ainsi établi.

S'agissant de l'atteinte à sa dignité, le salarié fait état de la contre-visite médicale organisée le 14 septembre 2017, qui a conduit à une absence d'indemnisation de son arrêt de travail pour maladie à compter de cette date, et de sa dispense d'activité notifiée oralement, le 13 octobre 2017, sur son lieu de travail.

En application de l'article L. 1226-1 du code du travail, l'employeur dispose de la faculté de faire effectuer une contre-visite médicale au salarié en arrêt de travail pour maladie afin de s'assurer de l'état de santé du salarié.

Aussi, l'absence du salarié de son domicile lors de la contre-visite peut entraîner, selon la volonté de l'employeur, la perte du droit à indemnisation complémentaire.

Au cas présent, il ressort des éléments versés aux débats que :

. le salarié a été en arrêt de travail pour maladie du 7 septembre au 22 septembre 2017,

. le 14 septembre 2017 à 14h30, un médecin-contrôleur a effectué une contre-visite médicale et a conclu comme suit « adresse incomplète : absence du code d'accès à la résidence, absence de réponse au téléphone »,

. par lettre du 15 septembre 2017, l'employeur a informé le salarié que ses versements relatifs à son arrêt maladie seraient suspendus à compter du 14 septembre 2017 compte tenu des conclusions du médecin-contrôleur.

Le salarié ne démontre pas sa présence à son domicile lors du contrôle précité ni qu'il ait répondu à l'appel du médecin-contrôleur, de sorte qu'il n'apporte aucun élément permettant de remettre en cause les conclusions du médecin-contrôleur et la retenue sur salaire afférente.

En tout état de cause, ces éléments ne permettent pas de caractériser une atteinte à la dignité du salarié.

Quant à la notification orale de sa dispense d'activité le 13 octobre 2017, le fait pour le salarié de n'en avoir été informé qu'une fois arrivé sur son lieu de travail n'est pas constitutif d'une humiliation d'autant que ce dernier ne fait pas état d'une annonce devant témoins.

En outre, les propos prêtés à l'employeur lors de cette notification ne résulte que des seules affirmations du salarié.

Par conséquent, l'atteinte à la dignité du salarié n'est pas démontrée.

Enfin, s'agissant de la dégradation de l'état de santé, le salarié se prévaut de ses différents arrêts de travail et de l'attestation de son médecin traitant.

La dégradation de l'état de santé du salarié est dès lors établie.

Cette dégradation de l'état de santé du salarié présente un lien avec la dégradation ' qui lui est contemporaine ' de ses conditions de travail et le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

Le préjudice moral qui en résulté sera réparé par l'allocation de la somme de 1 000 euros à titre de dommages-intérêts.

Infirmant le jugement, il sera alloué au salarié la somme ainsi arrêtée à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Quant au complément de salaire concernant l'arrêt de travail pour maladie du 14 au 22 septembre 2017, le jugement sera confirmé, par motifs adoptés, en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande.

Sur les intérêts

Les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel, le jugement étant infirmé de ce chef, et ne saurait bénéficier d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge du salarié les frais par lui exposés non compris dans les dépens, qu'il conviendra de fixer à la somme de 1 800 euros, au paiement de laquelle l'employeur sera condamné.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il dit que l'Association de Prévention spécialisée Denyse Emery était en droit de ne pas verser un complément de salaire pour la période comprise entre le 14 et le 22 septembre 2017, en ce qu'il déboute M. [P] de sa demande de rappel de salaire afférente et en ce qu'il dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile à l'égard de l'association de Prévention spécialisée Denyse Emery,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le licenciement de M. [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE l'association de Prévention spécialisée Denyse Emery à payer à M. [P] les sommes suivantes :

. 7 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

. ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE l'association de Prévention spécialisée Denyse Emery à payer à M. [P] la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE l'association de Prévention spécialisée Denyse Emery aux dépens de première instance et d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01005
Date de la décision : 29/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-29;21.01005 ?
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