COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
PAR DÉFAUT
DU 29 MARS 2023
N° RG 21/00987
N° Portalis DBV3-V-B7F-UNGX
AFFAIRE :
[V] [W] divorcée [C]
C/
Société BTSG prise en la personne de Maître [Z] [A]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 février 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : AD
N° RG : F19/01630
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Delphine ZOUGHEBI
Me Hélène ELISIAN
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [V] [W] divorcée [C]
née le 6 décembre 1972 au [Localité 7]
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Delphine ZOUGHEBI de l'AARPI MHISSEN & ZOUGHEBI ASSOCIEES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0445
APPELANTE
****************
Société BTSG prise en la personne de Maître [Z] [A] ès qualités de mandataire liquidateur de l'Association de Formation des Professionnels de Santé (AFPS)
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 5]
Représentant : Me Hélène ELISIAN de la SELEURL ELISIAN AVOCAT, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: G0277
Association AGS CGEA IDF OUEST
[Adresse 1]
[Localité 6]
Non représentée
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 27 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme [W] a été engagée en qualité de formatrice par contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel, à compter du 7 décembre 2015, par l'Association de Formation des Professionnels de Santé (l'AFPS).
Cette association a pour activité principale de dispenser des formations à l'égard des professionnels de santé. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de moins de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des organismes de formation.
Le 26 juillet 2016, une altercation a eu lieu entre la salariée et l'assistante de direction de l'AFPS.
Le 13 septembre 2016, la salariée a fait l'objet d'un rappel à l'ordre au sujet de faits du 26 juillet 2016.
En raison de plusieurs signalements, l'Inspection du travail s'est rendue dans les locaux de l'AFPS les 7 et 10 février 2017, et l'ARS les 23 et 24 février 2017.
Le 4 mai 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.
Par lettre du 19 mai 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 6 juin 2017.
Elle a été licenciée par lettre du 12 juin 2017 pour cause réelle et sérieuse pour les griefs suivants :
. une absence injustifiée le 15 mai 2017,
. son agressivité envers une collègue, Mme [T], le 22 mai 2017,
. sa persistance à ne pas émarger la feuille de présence à chaque prise de poste et à chaque fin de journée en dépit d'instructions claires et répétées
. son absence de consultation son planning de travail et les contenus de formations dont elle a la charge,
. la reprogrammation de deux examens, le 19 avril 2017, en raison de ses manquements,
. le discrédit porté le 15 mai 2017 à l'AFPS et la tenue de propos mensongers.
La salariée a été dispensée d'effectuer son préavis.
Une ordonnance de radiation a été prononcée le 24 avril 2018 pour défaut de diligences des parties et l'affaire a été réinscrite au rôle le 22 février 2019.
Par jugement du 15 novembre 2019, le tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de l'AFPS.
Par jugement du 24 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a prononcé la liquidation judiciaire de l'AFPS, désigné M. [A] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par jugement du 19 février 2021, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section activités diverses) a :
- dit et jugé irrecevable la demande au titre du harcèlement moral, de l'obligation de sécurité de résultat et de l'absence de visite médicale d'embauche,
- dit et jugé le licenciement prononcé par l'association de formation des professionnels de santé, à l'encontre de Mme [W], épouse [C], fondé sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté, en l'état, Mme [W], épouse [C] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté l'association de formation des professionnels de santé de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
- laissé à Mme [W], épouse [C] la charge des entiers dépens,
- dit et jugé n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration adressée au greffe le 31 mars 2021, Mme [W] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 13 décembre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [W] demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé irrecevables les demandes au titre du harcèlement moral, de l'obligation de sécurité de résultat et de l'absence de visite médicale d'embauche,
- dire le jugement nul en ce qu'il ne contient pas de motivation s'agissant de la contestation du licenciement,
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé le licenciement prononcé à son encontre fondé sur une cause réelle et sérieuse,
statuant à nouveau,
- la dire recevable et bien fondée en ses demandes,
- fixer au passif de l'association l'AFPS les sommes suivantes :
. 6 000 euros au titre du harcèlement moral,
. 3 000 euros au titre de la violation de son obligation de sécurité de résultat,
. 2 000 euros au titre de l'absence de visite médicale d'embauche,
à titre principal,
- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,
- fixer au passif de l'association l'AFPS la somme de 12 019,50 euros au titre de l'indemnité pour licenciement abusif,
à titre subsidiaire,
- dire et juger que le licenciement est nul,
par conséquent,
- fixer au passif de l'association l'AFPS la somme de 12 019,50 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul,
a titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que le licenciement est abusif,
par conséquent,
- fixer au passif de l'association l'AFPS la somme de 12 019,50 euros au titre de l'indemnité pour licenciement abusif,
en tout état de cause,
- fixer au passif de l'association l'AFPS la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens,
- déclarer l'AGS CGEA IDF tenue à garantie pour ces sommes, en l'absence de fonds disponibles,
- dire que les sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes,
- ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner l'AFPS aux entiers dépens,
- prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 7 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la SCP BTSG prise en la personne de M. [A] en qualité de mandataire liquidateur de l'AFPS demande à la cour de :
in limine litis,
- confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Nanterre du 19 février 2021 (RG 19/01630) en ce qu'elle a dit et jugé irrecevable la demande au titre du harcèlement moral, de l'obligation de sécurité et de l'absence de visite médicale d'embauche,
- infirmer la décision du conseil de prud'hommes de Nanterre du 19 février 2021 (RG 19/01630) en ce qu'elle a dit et jugé recevable la demande au titre de la nullité du licenciement en conséquence et statuant de nouveau dire et juger irrecevable la demande au titre de la nullité du licenciement,
- débouter Mme [W] de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 19 février 2021,
au fond,
- confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Nanterre du 19 février 2021 (RG 19/01630) en ce qu'elle a débouté Mme [W] de l'intégralité de ses demandes,
en tout état de cause,
- condamner Mme [W] à verser la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'AGS CGEA Île-de-France Ouest, régulièrement convoquée par acte d'huissier et à laquelle la déclaration d'appel et les conclusions d'appelant ont été signifiées le 21 mai 2021, n'a pas constitué avocat.
MOTIFS
Sur la demande de nullité du jugement
La salariée reproche aux premiers juges de ne pas avoir motivé la décision qui les a conduit à estimer son licenciement justifié par une cause réelle et sérieuse, au contraire de l'employeur, pris en la personne de M. [A], qui soutient pour sa part que le jugement critiqué est suffisamment motivé et procède d'un raisonnement juridique abouti. Le liquidateur ajoute que la salariée ne critique la motivation du jugement que pour ce qui concerne le licenciement et non pour l'intégralité du jugement ; que cette sélection ne peut que conduire la cour à rejeter la demande.
***
Il ressort de l'article 455 alinéa 1 du code de procédure civile que le jugement doit être motivé.
L'article 458 prévoit que ce qui est prescrit par les articles (') 455 (alinéa 1er) doit être observé à peine de nullité.
En l'espèce, il ressort de la lecture du jugement que les premiers juges ont motivé leur décision, ce qui, même si la motivation se réduit à l'examen de trois des griefs et même s'il ressort de cette motivation qu'ils n'en ont retenu que deux, répond à l'exigence de motivation de l'article 455.
Il conviendra donc de rejeter la demande de la salariée.
Sur la recevabilité des demandes nouvelles formées en première instance
Le liquidateur expose que les demandes initialement formées par la salariée dans sa requête introductive d'instance du 4 mai 2017 ont été modifiées par des conclusions du 16 novembre 2017, certaines de ces modifications étant irrecevables comme nouvelles, telles que les demandes de dommages-intérêts pour harcèlement moral, manquement à l'obligation de sécurité, et absence de visite médicale, et celles au titre de la nullité du licenciement.
En réplique, la salariée se fonde sur l'article 70 du code de procédure civile et soutient que ses nouvelles demandes se rattachent aux demandes introductives par un lien suffisant. Elle ajoute qu'entre le moment où elle a déposé sa requête et celui où elle a présenté de nouvelles demandes, elle a fait l'objet d'un licenciement ce qui se présente comme un fait nouveau.
***
L'article 4 du code de procédure civile énonce que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties. Ces prétentions sont fixées par l'acte introductif d'instance et par les conclusions en défense. Toutefois l'objet du litige peut être modifié par des demandes incidentes lorsque celles-ci se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
L'article 70 prévoit que les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
En l'espèce, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre, le 4 mai 2017, d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur. Elle présentait alors les demandes chiffrées suivantes :
. des dommages-intérêts pour rupture abusive : 9 000 euros,
. une indemnité compensatrice de préavis : 3 000 euros,
. une « indemnité de rupture L. 4121 code du T » : 1 500 euros,
. une demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile : 800 euros.
La salariée motivait sommairement ainsi sa requête : « Je suis salariée de l'association AFPS depuis le 7/12/2015. Suite à une voie de fait de l'assistante de direction je ne me sens plus en sécurité et me heurte au laxisme de mon employeur. De plus je n'ai pas fait l'objet depuis mon embauche d'aucune visite médicale. Je demande donc la rupture de mon contrat de travail aux torts de mon employeur ».
Dans ses conclusions communiquées le 16 novembre 2017 en vue de l'audience devant le bureau de jugement du 15 mars 2018, la salariée demandait :
« Dire et juger que :
. l'attitude de l'association AFPS, constitutive de manquements de son obligation de moyens de sécurité à l'égard de la salariée.
. le non présentation à la visite médicale est illicite.
. que le harcèlement moral à l'encontre de la salariée est constitué.
. le licenciement de [la salariée] dénué de motif réel et sérieux.
Et ainsi recevoir [la salariée] : en ses demandes.
Condamner l'association AFPS à verser à [la salariée] :
. 9000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif.
. 3000 euros au titre des articles L. 4121-1 et 2 du code du travail
. 3000 euros au titre de l'article L.1152-1 et L.1152-4 du code du travail.
. 2000 euros au titre de l'article R4624-10 du code du travail
. 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
. entiers dépens et frais d'exécution du jugement à intervenir
Ces sommes porteront intérêt légal.
Entiers dépens et frais d'exécution du jugement à intervenir »
Par la suite, la salariée a formé devant les premiers juges une demande de dommages-intérêts à hauteur de 12 019,54 euros pour nullité du licenciement ainsi que cela ressort du jugement critiqué.
La demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral est une demande additionnelle. A ce titre, elle doit se rattacher aux prétentions initiales par un lien suffisant. Dans la mesure où, d'une part, la salariée avait, dès l'origine, formé une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur, ce qui suppose qu'elle avait des griefs à faire valoir à son encontre, et, d'autre part, elle invoque au soutien de sa demande de résiliation un harcèlement moral, la demande de dommages-intérêts qui en découle se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant.
La demande de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et celle au titre de l'absence de visite médicale se rattachent quant à elles aux prétentions originaires par un lien suffisant dès lors que la salariée visait bien, dès sa requête introductive, l'article L. 4121-1 du code du travail et dès lors que dans l'exposé sommaire de ses moyens, elle visait aussi la visite médicale d'embauche.
S'agissant enfin, de la demande de nullité du licenciement: la salariée sollicite la nullité du licenciement expliquant que ce licenciement est en réalité une mesure de rétorsion au fait qu'elle avait saisi le conseil de prud'hommes et donc, une mesure attentatoire à son droit fondamental d'agir en justice. Le licenciement prononcé peu de temps après l'introduction de l'instance, qui se présente donc comme un fait nouveau, a eu pour effet l'élargissement de l'objet du litige dans sa nature. Dans ces conditions, la demande de nullité se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant. C'est d'ailleurs même précisément parce que la salariée a saisi le conseil de prud'hommes avant son licenciement qu'elle peut, par une prétention nouvelle qui se rattache aux prétentions originaires par un lien suffisant, invoquer le fait que ce licenciement est nul pour la raison qu'elle invoque et qu'il conviendra le cas échéant d'examiner au fond.
Compte tenu de ce qui précède, il convient :
. d'infirmer le jugement en ce qu'il a déclaré irrecevables comme ne se rattachant pas aux prétentions originaires par un lien suffisant les demandes de dommages-intérêts fondées sur le harcèlement moral, l'obligation de sécurité et sur l'absence de visite médicale d'embauche. Statuant à nouveau, ces demandes seront déclarées recevables,
. de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré recevable la demande de nullité du licenciement et la demande indemnitaire subséquente.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre du harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 dans sa version applicable à l'espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, la salariée soumet à la cour les éléments suivants :
. le fait que l'employeur n'a pas mis en place de mesures de prévention de sa santé après l'agression physique qu'elle a subie de la part d'une collègue de travail, Mme [Y],
. le fait que l'employeur n'a pas pris en compte sa version des faits et l'a même mise en garde,
. le fait que l'intervention de la psychologue a été tardive et que ses conclusions ne sont pas connues,
. sa mise à l'écart,
. le fait qu'en dépit de l'agression qu'elle a subie, l'AFPS a toujours refusé de lui remettre les clés de l'association.
Il n'est pas discuté qu'une violente dispute s'est produite le 26 juillet 2016 entre la salariée et Mme [Y], assistante de direction au sein de l'AFPS. Les faits ont été rapportés par la salariée à la directrice de l'association, qui était alors en congés, par courriel du même jour.
Le lendemain 27 juillet, par courriel, la directrice a demandé à Mme [Y] de lui décrire sa version des faits ; ce que cette dernière faisait le jour même. La direction a en outre été destinataire des versions de deux salariées présentes lors des faits : Mmes [E] et [J]. L'employeur a au surplus organisé des entretiens avec les deux salariées impliquées dans la dispute le 8 août 2016 pour recueillir oralement leur version des faits.
Aucun des deux témoignages de Mmes [E] et [J] n'a permis de déterminer ce qui s'est exactement produit. En particulier, aucun des deux témoignages n'a pu confirmer que la salariée a bien été « attrapée à la gorge » par Mme [Y].
En revanche, le témoignage de Mme [E] de même que la version des deux intéressées ont été suffisants pour permettre à l'employeur d'identifier l'origine du litige, lequel est lié à la remise de clés d'accès aux locaux pédagogiques. Ils ont aussi été suffisants pour renseigner la direction sur le caractère violent de la dispute litigieuse et pour lui imposer de prendre des mesures.
A cet égard, il ressort des éléments du dossier que l'employeur a pris deux séries de mesures : des mesures répressives et des mesures préventives.
L'employeur a sanctionné les deux salariées par lettres du 13 septembre 2016 : Mme [W] par un rappel à l'ordre et Mme [Y] par une mise à pied disciplinaire d'un jour.
Au titre des mesures préventives, l'employeur a décidé, courant octobre 2016, de faire intervenir un médiateur externe « pour réinstaurer une communication à l'intérieur de l'entreprise ». Cependant, c'est à raison que la salariée expose que l'intervention de la psychologue a été tardive. En effet, Mme [G], psychologue en santé au travail, a été amenée à programmer des entretiens avec les salariés de l'association courant mars 2017. Si effectivement, l'intervention de la psychologue a été initialement convenue pour janvier 2017 mais a dû être reportée, la psychologue ayant fait l'objet d'un arrêt de travail, il demeure qu'en programmant l'intervention au mois de janvier 2017 alors que la dispute a eu lieu en juillet 2016, l'employeur a tardé dans la mise en 'uvre d'une mesure pourtant décidée en octobre 2016. L'intervention de la psychologue du travail s'est prolongée tout au long de l'année 2017 mais ses conclusions ne sont pas connues de la cour.
En outre, il ressort des explications tant de la salariée que de Mme [Y] que leur dispute a pour origine une question de clés. Il importe à cet égard de préciser que les formations avaient lieu au [Adresse 3] tandis que les locaux administratifs étaient localisés au 3 de cette rue. La salariée ne disposant pas des clés du 7, elle devait se rendre au 3 pour solliciter les clés sauf à attendre ses collègues intervenant au 7 pour pouvoir entrer dans les lieux. Le fait, pour l'employeur, de ne pas avoir mis à disposition permanente de la salariée les clés du 7 présentait une difficulté. Cette difficulté s'est nécessairement accrue après le 26 juillet 2016 dès lors que la remise des clés n'était toujours pas organisée par l'employeur.
D'ailleurs, à l'occasion d'une inspection de l'agence régionale de santé (ARS) conduite les 23 et 24 février 2017, les inspecteurs ont relevé : « La localisation des bureaux du personnel administratif et de la direction dans un autre bâtiment que les bureaux des formateurs et les locaux pédagogiques a été signalée à plusieurs reprises par les personnes interrogées comme étant source de conflit (') ».
Même si, comme le fait observer le liquidateur, les faits ne se sont pas reproduits par la suite, il demeure que la salariée ne s'est pas, après le 26 juillet 2016, vue remettre de clés pour ouvrir le 7 sans avoir à attendre ses collègues qui, eux, détenaient une clé.
Enfin, il ressort de l'attestation de Mme [I] ' une collègue formatrice ' que « Nous avons eu à plusieurs reprises des consignes de [la directrice de l'association] qui nous formulait de ne pas coopérer avec [la salariée] car elle mettait en péril l'AFPS et le poste de Mme [Y]. J'ai assisté à deux entretiens avec [la salariée] et [la directrice de l'association]. Lors de ces entretiens, [la directrice de l'association] a évoqué de [la salariée] que celle-ci était malhonnête et qu'elle soutenait Mme [Y] qui ne va pas bien (') Depuis ce jour, plus aucune personne ne disait bonjour à [la salariée] excepté les formateurs (') ». Cette attestation, dont la régularité n'est pas discutée, est suffisamment précise et circonstanciée pour lui conférer le crédit que lui dénie le mandataire liquidateur. Elle établit la réalité d'une mise à l'écart de la salariée et se trouve corroborée par l'attestation de Mme [P], une autre collègue, qui témoigne, de façon tout aussi circonstanciée, que la directrice de l'association se montrait distante et peu chaleureuse envers la salariée depuis septembre 2016. Le fait que Mmes [I], [P] et la salariée aient écrit de concert à l'ARS et à l'inspection du travail ou que ces deux salariées aient par la suite été elles aussi licenciées ne discrédite pas leurs témoignages précis, d'autant que les alertes qu'elles ont adressées à l'ARS n'étaient pas dénuées de fondement puisque celle-ci relevait de très nombreux dysfonctionnements et concluait que les difficultés rencontrées par l'AFPS « sont (') à l'origine des récents départs de formatrices, départs qui ont placé la structure dans une situation de crise importante (') ».
En définitive, la salarié établit :
. avoir fait l'objet d'un rappel à l'ordre relativement à l'altercation avec Mme [Y],
. le caractère tardif de l'intervention de la psychologue et le fait que ses conclusions ne sont pas connues,
. sa mise à l'écart,
. le fait que l'AFPS ne lui a pas remis les clés lui permettant d'accéder aux salles de cours.
Ces faits, pris dans leur ensemble, font présumer un harcèlement moral susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de la salariée ou de compromettre son avenir professionnel.
Il revient dès lors à l'employeur d'établir que ses agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs qui y sont étrangers.
La sanction prise à l'encontre de la salariée, de même que celle prise à l'encontre de Mme [Y], marquent par elles-mêmes la volonté de l'employeur d'appliquer aux salariées des sanctions différentes en fonction du degré de leur responsabilité dans la dispute du 26 juillet 2016. Elles sont adaptées aux éléments dont l'employeur disposait alors. Par là, le liquidateur établit que la décision de l'employeur de sanctionner la salariée est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral.
En revanche, le caractère tardif de l'intervention de la psychologue, la mise à l'écart de la salariée et l'absence de remise des clés d'accès aux salles de cours à la salariée ne s'expliquent pas par des raisons objectives étrangères à tout harcèlement.
Le harcèlement moral est donc établi et il conviendra, par voie d'infirmation, de fixer au passif de l'association la somme de 2 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Sur la demande de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité
La salariée analyse l'obligation de sécurité de l'employeur en une obligation de résultat. Elle lui reproche de n'avoir pas réagi après l'agression dont elle a été victime de la part de Mme [Y].
En réplique, le liquidateur conteste tout manquement et expose que l'AFPS a agi immédiatement en prenant les mesures qui s'imposent pour éviter que la situation ne se reproduise et en réintégrant le dialogue au sein de ses équipes via une psychologue en santé au travail issue de la médecine du travail.
***
En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité qui n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l'employeur pouvant s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
En l'espèce, ainsi qu'il a été rappelé plus haut, une violente dispute s'est produite le 26 juillet 2016 entre la salariée et Mme [Y], assistante de direction au sein de l'AFPS à propos d'un remise de clés d'accès aux salles de cours. Les mesures répressives prises par l'employeur étaient adaptées aux faits dont il avait connaissance. En revanche, les mesures préventives prises par l'employeur étaient inadaptées car :
. tardives s'agissant de l'intervention d'un médiateur externe « pour réinstaurer une communication à l'intérieur de l'entreprise » ;
. inexistantes s'agissant de la remise des clés d'accès au bâtiment où avaient lieu les cours, étant rappelé que l'employeur justifie l'absence de remise des clés à la salariée par le fait que les clés n'étaient confiées qu'aux formatrices à temps plein alors que cette justification a été jugée par la cour comme ne caractérisant pas un motif objectif étranger à tout harcèlement moral.
Le fait de n'avoir pas remédié à la situation qui contraignait la salariée à se présenter dans les locaux administratifs soit pour y récupérer la clé du 7 et donc, d'être confrontée à Mme [Y], soit d'attendre ses collègues pour qu'ils lui donnent accès aux salles de cours, associé au caractère tardif de la mise en 'uvre de l'intervention de la psychologue du travail ' tout au moins entre le mois d'octobre 2016 et le mois de janvier 2017 ' caractérisent le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
Ce manquement a causé à la salariée un préjudice qui sera réparé par une indemnité de 1 000 euros, somme qui, infirmant le jugement, sera fixée au passif de l'AFPS.
Sur la demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche
L'article R. 4624-10 du code du travail, dans sa version applicable au présent litige s'agissant d'une embauche du 7 décembre 2015, prescrit que le salarié bénéficie d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.
Il n'est en l'espèce pas discuté que l'examen médical prévu à l'article R. 4624-10 n'a pas été organisé. Toutefois, la salariée n'établit la réalité d'aucun préjudice découlant de ce manquement.
Il convient en conséquence, ajoutant au jugement, de débouter la salariée de sa demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche.
Sur la demande de résiliation
La salariée invoque de graves manquements caractérisés par son harcèlement moral et par le non-respect, par l'employeur, de son obligation de sécurité. L'employeur conteste les manquements qui lui sont reprochés.
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Lorsque le salarié demande la résiliation du contrat de travail, il doit apporter la démonstration de manquements de l'employeur à l'exécution de ses obligations contractuelles et que ces manquements présentent une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail.
Si les manquements sont établis et présentent un degré de gravité suffisant, la résiliation est alors prononcée aux torts de l'employeur et produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ou d'un licenciement nul. La résiliation produit effet au jour où le juge la prononce si à cette date, le salarié est toujours au service de son employeur (et en cas d'arrêt confirmatif, à la date du jugement de première instance).
Si en revanche le salarié a été licencié à la date du prononcé de la résiliation, alors c'est à la date d'envoi de la notification du licenciement qu'est fixée la prise d'effet de la résiliation judiciaire.
Si les manquements invoqués par le salarié ne sont pas établis ou ne présentent pas un caractère de gravité suffisant, alors le juge doit débouter le salarié de sa demande.
En l'espèce, la salariée se plaint :
. de l'agression physique dont elle a fait l'objet le 26 juillet 2016,
. de l'absence de mise en place par l'employeur des mesures nécessaires à la préservation de sa santé,
. de la sanction dont elle a fait l'objet traduisant l'idée selon laquelle sa version des faits n'a jamais été prise en compte,
. du caractère tardif des mesures préventives prises par l'employeur,
. de sa mise à l'écart par l'employeur,
. de l'annulation de cours à la dernière minute.
Ainsi qu'il a été jugé, l'employeur a effectivement manqué à son obligation de sécurité entre le mois d'octobre 2016 et le mois de janvier 2017. La cour a au surplus retenu que la salariée avait fait l'objet d'un harcèlement moral.
Les deux manquements de l'employeur relevés ci-dessus, présentaient à eux seuls, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres, un degré de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
La résiliation judiciaire sera en conséquence prononcée aux torts de l'employeur. Fondée sur des faits de harcèlement moral, elle produira les effets d'un licenciement nul à la date de notification du licenciement du 12 juin 2017.
En application de l'article L. 1235-3-1, dans sa version en vigueur du 10 août 2016 au 24 septembre 2017, applicable au litige, la salariée peut prétendre au bénéfice d'une indemnité pour licenciement nul et par conséquent, à une indemnité représentant l'équivalent d'au moins 6 mois de salaire.
Compte tenu de son ancienneté (un an et demi), de son niveau de rémunération (la salariée percevant une rémunération de base de 1729 euros bruts par mois), de son âge lors de la rupture (44 ans), le préjudice qui résulte, pour la salariée de la rupture injiustifiée de son contrat de travail sera intégralement réparé par une indemnité de 10 374 euros.
Par voie d'infirmation du jugement, il conviendra de fixer cette somme au passif de l'AFPS.
Sur les intérêts
La procédure de redressement judiciaire puis de liquidation judiciaire de l'AFPS a eu pour effet d'arrêter le cour des intérêts de telle sorte que les demandes de la salariée visant à assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, et à ordonner la capitalisation des intérêts ne peuvent être accueillies. La salariée en sera donc déboutée.
Sur la garantie de l'AGS
Le présent arrêt sera déclaré opposable à l'AGS CGEA Île-de-France Ouest dans la limite de sa garantie et il sera dit que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la liquidation judiciaire de l'AFPS et leur emploi en frais de justice privilégiés sera ordonné.
Il conviendra de dire n'y avoir lieu de mettre à la charge de l'AFPS une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt réputé condradictoire, la cour :
CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il déclare recevable la demande de nullité du licenciement et la demande indemnitaire subséquente, et en ce qu'il déboute l'Association de formation des professionnels de santé de sa demande d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
INFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DÉCLARE recevables les demandes de dommages-intérêts fondées sur le harcèlement moral l'obligation de sécurité et sur l'absence de visite médicale d'embauche,
DÉBOUTE Mme [W] de sa demande de dommages-intérêts pour absence de visite médicale d'embauche,
PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail et fixe la date de cette résiliation au 12 juin 2017,
DIT que la résiliation judiciaire produit les effets d'un licenciement nul,
FIXE la créance de Mme [W] au passif de l'AFPS aux sommes suivantes :
- 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral,
- 1 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,
- 10 374 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul,
DÉCLARE le présent arrêt opposable à AGS dans la limite de sa garantie et dit que cet organisme ne devra faire l'avance de la somme représentant les créances garanties que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à son paiement,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
DIT n'y avoir lieu de mettre à la charge de l'AFPS une indemnité sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,
MET les dépens à la charge de la liquidation judiciaire de l'AFPS et ordonne leur emploi en frais de justice privilégiés,
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président