COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 29 MARS 2023
N° RG 21/00952
N° Portalis DBV3-V-B7F-UM4G
AFFAIRE :
[Z] [U]
C/
Société CARREFOUR HYPERMARCHES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 5 novembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de VERSAILLES
Section : C
N° RG : F 18/00600
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Fadila BARKAT
Me Mathilde ROY-MASUREL
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [U]
né le 20 avril 1959 à Algérie
de nationalité française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Fadila BARKAT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 463
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2020/014848 du 09/03/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)
APPELANT
****************
Société CARREFOUR HYPERMARCHÉS
N° SIRET : 451 321 335
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Mathilde ROY-MASUREL de la SELARL RMBF, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1407 -
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
M. [U] a été engagé en qualité d'équipier de vente, par contrat de professionnalisation à durée déterminée du 8 février 2016 au 7 août 2016, par la société Carrefour Hypermarchés, prise en son établissement secondaire de [Localité 5].
Cette société est spécialisée dans le secteur d'activité des hypermarchés. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale du commerce de détail et gros à prédominance alimentaire.
Le 22 juillet 2016, le salarié a déclaré avoir été victime d'un accident du travail dans la matinée.
Par lettre recommandée du même jour, la société Carrefour Hypermarchés a indiqué au salarié lui confirmer que son contrat de professionnalisation à durée déterminée ne serait pas renouvelé et se terminerait le 7 août 2016.
Le 24 septembre 2018, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles afin de requalifier son contrat de professionnalisation en contrat de travail à durée indéterminée, dire son licenciement nul et obtenir le paiement de plusieurs rappels de salaire et de diverses sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 5 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Versailles (section commerce) a :
- dit que la demande de prescription des demandes de M. [U] est mal fondée,
- dit que la demande de requalifier le contrat de professionnalisation en contrat de travail à durée indéterminée est mal fondée,
- dit que la demande de nullité de la rupture du contrat de M. [U] est mal fondée,
en conséquence,
- déboute M. [U] de l'intégralité de ses demandes,
- laisse les dépens à la charge respective des parties,
- rejette les demandes plus amples ou contraires des parties.
Par déclaration adressée au greffe le 25 mars 2021, M. [U] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 13 décembre 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles société M. [U] demande à la cour de :
- le recevoir en son appel,
- infirmer le jugement querellé en toutes ses dispositions critiquées,
statuant à nouveau,
- requalifier son contrat de professionnalisation en contrat de travail à durée indéterminée,
- prononcer la nullité du licenciement intervenu,
- fixer la date du licenciement au 24 septembre 2018, date de l'introduction de l'action par le salarié,
en conséquence,
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à lui verser les sommes suivantes :
. 534,81 euros sur la période allant du 28 juillet au 15 octobre 2016,
. 35 881,53 euros au titre du rappel de salaire pour la période allant du 16 octobre 2016 au 24 septembre 2018 (23 mois et une semaine),
. 1 500 euros à titre d'indemnité de requalification,
. 6 000 euros à titre d'indemnité pour manquement à l'obligation de formation,
. 36 959,98 euros à titre d'indemnité de licenciement,
. 3 000 euros à titre d'indemnité spéciale de licenciement,
. 1 539, 98 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
à titre subsidiaire,
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de réparation de son préjudice moral,
dans tous les cas,
- condamner la société Carrefour Hypermarchés à payer 3 500 euros sur le fondement combiné des dispositions de l'article 700 alinéa 2 du code de procédure civile à Me Fadila Barkat,
- condamner l'employeur à tous les dépens de première instance et d'appel.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Carrefour Hypermarchés demande à la cour de :
- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Versailles en ce qu'il a débouté M. [U] de l'intégralité de ses demandes,
statuant à nouveau,
- débouter M. [U] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [U] à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la requalification du contrat de professionnalisation en contrat de travail à durée indéterminée
Le salarié soutient que le conseil de prud'hommes a inversé la charge de la preuve du respect par l'employeur de ses obligations de formation dans le cadre d'un contrat de professionnalisation, que le conseil de prud'hommes a notamment constaté que le nombre d'heures théoriques n'a pas été rempli mais il a pourtant retenu le respect par l'employeur de son obligation, sans pourtant faire la preuve de l'existence d'un livret de suivi, qui n'a jamais été renseigné. Il ajoute qu'aucun tuteur ne lui a été désigné avant quatre mois de présence sur le site, alors que la formation n'est que de six mois, et qu'il n'a bénéficié d'aucune évaluation en fin de cycle.
L'employeur, qui n'invoque plus la prescription de l'action, observe que le salarié n'a pas choisi la procédure accélérée de requalification du contrat en contrat à durée indéterminée, qu'il n'existe ici aucun motif de requalification du contrat de professionalisation en contrat à durée indéterminée, et aucun manquement avéré de l'employeur dans l'exécution du contrat de professionnalisation. Il ajoute que le nombre d'heures de formation correspond à celles auxquelles le salarié a daigné se présenter, qu'il n'a pas adhéré au programme mais qu'il a bien bénéficié du nombre d'heures prévues au contrat.
**
L'article L.6325-2 du code du travail dispose que: « Le contrat de professionnalisation associe des enseignements généraux, professionnels et technologiques dispensés dans des organismes publics ou privés de formation ou, lorsqu'elle dispose d'un service de formation, par l'entreprise, et l'acquisition d'un savoir-faire par l'exercice en entreprise d'une ou plusieurs activités professionnelles en relation avec les qualifications recherchées. »
Aux termes de l'article L.6325-11 du code du travail : « L'action de professionnalisation d'un contrat de professionnalisation à durée déterminée ou qui se situe au début d'un contrat de professionnalisation à durée indéterminée est d'une durée minimale comprise entre six et douze mois. Elle peut être allongée jusqu'à vingt-quatre mois pour les personnes mentionnées à l'article L. 6325-1-1. »
L'article L.6325-13 du code du travail dispose : « Dans le cadre du contrat de professionnalisation à durée déterminée ou d'actions de professionnalisation engagées dans le cadre de contrats à durée indéterminée, les actions d'évaluation et d'accompagnement ainsi que les enseignements généraux, professionnels et technologiques sont mis en 'uvre par un organisme de formation ou, lorsqu'elle dispose d'un service de formation, par l'entreprise elle-même.
Ils sont d'une durée minimale comprise entre 15 %, sans être inférieure à cent cinquante heures, et 25 % de la durée totale du contrat.Le contrat de professionnalisation peut se définir comme un contrat de travail de type particulier conclu entre un employeur et un salarié. Déposé auprès de l'autorité administrative, il permet l'acquisition, dans le cadre de la formation en alternance, d'une qualification professionnelle reconnue par l'État et/ou la branche professionnelle.
Ce contrat est mis en 'uvre sur la base des principes suivants :
- Une personnalisation des parcours de formation, en fonction des connaissances et des expériences de chacun des bénéficiaires,
- Une alternance alliant des séquences de formation professionnelle, dans ou hors de l'entreprise, et l'exercice d'une ou plusieurs activités professionnelles, en lien avec la ou les qualification(s) recherchée(s),
- Une certification des connaissances, des compétences et des aptitudes professionnelles acquises. »
L'obligation de formation par l'employeur qui recrute dans le cadre d'un contrat de professionnalisation est donc essentielle et même impérative et, contrairement à ce que soutient l'employeur, il ne fait plus de doute en jurisprudence que son non-respect entraîne à la demande du salarié la requalification en contrat à durée indéterminée (Soc., 18 novembre 1992, Bull n° 560; Soc., 28 novembre 2006, Bull n°358, Soc., 23 octobre 2013, pourvoi n° 12-20.760)
Au cas présent, la qualification visée par le contrat de professionnalisation conclu entre le salarié et la société Carrefour est le certificat de qualification professionnel 'employé de commerce de niveau 2". Le contrat précise un volume horaire de 187 heures d'actions d'évaluation, d'accompagnement et d'enseignements dont 182 heures d'enseignements généraux, professionnels et technologiques , désigne le centre de formation et compétences CF&C comme organisme de formation principal, et M. [C], conseiller de vente, comme étant le tuteur dans l'établissement.
Le passeport de formation édité au 6 mars 2019, produit par l'employeur (pièce 2) récapitule les journées de formations prévues, pour 168 heures, entre le 8 février 2016 et le 19 juillet 2016, les fiches de présence émargées par le salarié indiquant qu'il a été présent lors de ces 23 formations représentant 168 heures (pièce 16), et non 147 heures comme l'a retenu le conseil de prud'hommes et comme le soutient le salarié, qui produit un listing incomplet des feuilles de présence (feuille des 9 et 10 février et celle du 19 mai non produites par le salarié mais versées par l'employeur). Il en résulte que le salarié a bien bénéficié des formations mises en oeuvre dans le cadre du contrat de professionnalisation, selon le plan de formation proposé par l'employeur, pour une durée supérieure au minimum légal de 150 heures invoqué par le salarié.
La différence de 19 heures existant entre le nombre d'heures de formation effectivement suivies par le salarié auprès du CF&C, et les 187 heures 'd'actions d'évaluation, d'accompagnement et d'enseignements' prévues au contrat ne saurait, à elle seule, permettre de retenir que l'employeur a manqué à son obligation de formation, alors, d'une part, qu'il ressort du protocole de formation établi dans le cadre de la formation interne (pièce 2 du salarié) que 'la formation se déroule du 8 février 2016 au 7 août 2016", et prévoit que 'la durée totale de l'action au titre de la formation est de 14h en interne', et, d'autre part, que le salarié a été en arrêt de travail à compter du 22 juillet 2016 jusqu'au 9 septembre 2016, de sorte que la formation s'est nécessairement interrompue de façon prématurée et qu'il n'a pu se présenter aux épreuves prévues au terme du contrat.
Ce faisant, l'employeur n'a pu mettre en oeuvre l'achèvement du processus de formation du salarié, notamment dans le cadre des 14 heures de formation interne précitées, étant ici précisé que le protocole indique que 'l'entreprise s'engage à ce que le formateur interne ne soit pas le salarié désigné pour occuper la fonction de tuteur auprès du bénéficiaire de la formation', et que le thème de cette formation interne est 'les basiques du métier d'employé de commerce'.
L'employeur établit en outre que sur les 15 contrats de professionnalisation du 8 février 2016, il y a eu six sorties avant la fin du contrat, neuf contrats terminés, et quatre contrats prolongés en contrat à durée indéterminée, soit 44,4 % des contrats de professionnalisation ayant été au terme.
En conséquence, la formation au métier d'employé de commerce prévue dans le contrat de professionnalisation a bien été assurée par l'employeur, qui n'a pas manqué à son obligation à l'égard du salarié, lequel a reçu la formation lui permettant d'acquérir la qualification recherchée dans le cadre de ce contrat de professionnalisation.
Par ailleurs, l'article D. 6325-7 du code du travail prévoit que 'Les missions du tuteur sont les suivantes :
1° Accueillir, aider, informer et guider les bénéficiaires du contrat de professionnalisation ;
2° Organiser avec les salariés intéressés l'activité de ces bénéficiaires dans l'entreprise et contribuer à l'acquisition des savoir-faire professionnels ;
3° Veiller au respect de l'emploi du temps du bénéficiaire ;
4° Assurer la liaison avec l'organisme ou le service chargé des actions d'évaluation, de formation et d'accompagnement des bénéficiaires à l'extérieur de l'entreprise ;
5° Participer à l'évaluation du suivi de la formation.»
Il résulte de la lettre de la Direccte du 20 septembre 2016 adressée au salarié (pièce 6 du salarié), que M. [I], référent formation, a remis lors de l'accueil des salariés en contrat de professionnalisation leur livret de suivi, et que M. [C], tuteur du salarié, a précisé à l'inspecteur du travail que M. [U] ne lui avait pas remis son livret lors de leur première rencontre. Il en résulte que l'employeur établit d'une part la remise du livret de suivi, et, d'autre part, que celui-ci n'a pu être rempli faute d'être présenté par le salarié à son tuteur.
En tout état de cause la tardiveté de la rencontre entre le tuteur et le salarié comme l'éventuel défaut de remise ou de remplissage du livret de suivi ne sont pas de nature à entraîner la requalification.
La méconnaissance par l' employeur de son obligation de formation n'étant en conséquence pas établie, le jugement sera confirmé de ce chef ainsi, par des motifs pertinents que la cour adopte, qu'en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes de nullité du licenciement et demandes indemnitaires afférentes.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
Conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, le salarié, bien que succombant en appel, ne sera pas condamné à verser une certaine somme au titre des frais exposés par l'intimée qui ne sont pas compris dans les dépens, en raison des situations économiques respectives des parties.
PAR CES MOTIFS:
La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE M. [U] aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président