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22/03/2023 | FRANCE | N°21/03848

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 22 mars 2023, 21/03848


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 MARS 2023



N° RG 21/03848



N° Portalis DBV3-V-B7F-U5LN



AFFAIRE :



[L] [V]



C/



S.A.S. SCHWARZKOPF





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Jacques BELLICHACH



la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'app...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 MARS 2023

N° RG 21/03848

N° Portalis DBV3-V-B7F-U5LN

AFFAIRE :

[L] [V]

C/

S.A.S. SCHWARZKOPF

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG :

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jacques BELLICHACH

la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [L] [V]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Jacques BELLICHACH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0334

Représentant : Me Julia ZEIN de l'AARPI ALEPH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P08

APPELANT

****************

S.A.S. SCHWARZKOPF

N° SIRET : 326 280 096

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Florence BACQUET de la SCP FLICHY GRANGÉ AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] [V] a été embauché, à compter du 4 avril 2005, selon contrat de travail à durée indéterminée en qualité de responsable de zone (statut de cadre) par la société SCHWARZKOPF, employant habituellement au moins onze salariés.

Par avenant ultérieur, une convention de forfait annuel en jours a été introduite dans le contrat de travail.

À compter du 1er décembre 2013, M. [V] a occupé les fonctions de 'directeur du réseau direct'.

Par lettre du 19 octobre 2018, la société SCHWARZKOPF a convoqué M. [V] à un entretien préalable à un éventuel licenciement, avec mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 31 octobre 2018, la société SCHWARZKOPF a notifié à M. [V] son licenciement pour faute grave tirée d'une fraude en matière d'usage de chèques-cadeaux destinés aux clients de l'entreprise et de remboursement de frais professionnels.

Au moment de la rupture du contrat de travail, la rémunération moyenne mensuelle de M. [V] s'élevait à 9 657,10 euros brut.

Le 7 mai 2019, M. [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt pour contester le bien-fondé de son licenciement ainsi que la convention de forfait annuel en jours et demander la condamnation de la société SCHWARZKOPF à lui payer notamment des indemnités de rupture et un rappel de salaire pour heures supplémentaires.

Par jugement du 28 octobre 2021, le conseil de prud'hommes (section encadrement) a :

- dit que le licenciement de M. [V] repose sur une faute grave ;

- dit que la convention de forfait annuel en jours est valable ;

- débouté M. [V] de l'ensemble de ses demandes ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné M. [V] aux dépens.

Le 25 décembre 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions du 14 septembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [V] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué et, statuant à nouveau, de :

- dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- dire que la convention de forfait annuel en jours incluse dans son contrat de travail n'est pas valable ;

- condamner la société SCHWARZKOPF à lui payer les sommes suivantes :

* 40 946,30 euros à titre d'indemnité de licenciement ;

* 3 096,70 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire et 309,70 euros au titre des congés payés afférents ;

* 28 971,40 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 897,10 euros au titre des congés payés afférents ;

* 111 057,10 euros à titre de d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 145 828 euros à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 14 583 euros au titre des congés payés afférents ;

* 57 942,80 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

* 57 942,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire ;

* 57 942,80 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 28 971,40 euros à titre de dommages-intérêts pour atteinte à la réputation professionnelle et personnelle ;

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- ordonner à la société SCHWARZKOPF de lui remettre un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation pour Pôle emploi et un certificat de travail conformes, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte ;

- dire que les intérêts légaux courent à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et ordonner la capitalisation ;

- condamner la société SCHWARZKOPF aux dépens.

Aux termes de ses conclusions du 18 novembre 2022, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société SCHWARZKOPF demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement attaqué et débouter M. [V] de l'ensemble de ses demandes ;

- à titre subsidiaire, dire le licenciement de M. [V] fondé sur une cause réelle et sérieuse et limiter les condamnations prononcées à son encontre aux sommes suivantes :

* 2 939,40 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire et 293,90 euros brut au titre des congés payés afférents ;

* 28 971,30 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

* 2 289,22 euros brut à titre de rappel pour heures supplémentaires et 228,92 euros brut au titre des congés payés afférents ou plus subsidiairement 7 883,04 euros bruts et 788,30 euros  brut à ces mêmes titres ;

- en tout état de cause :

* dire que les condamnations prononcées à son encontre sont allouées à M. [V] avant précompte des éventuelles cotisations et contributions sociales applicables ;

* condamner M. [V] à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 17 janvier 2023.

SUR CE :

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :

Considérant que la lettre de licenciement pour faute grave notifiée à M. [V], qui fixe les limites du litige, est ainsi rédigée :'(...) nous avons récemment découvert que vous avez abusé de cette confiance en détournant pour votre propre profit des chèques cadeaux destinés à vos clients, des chèques Kadéos, dont vous vous êtes servi pour payer des frais professionnels que vous vous faisiez rembourser.

En effet, notre attention a été attirée sur une facture qui faisait partie des frais qui vous ont été remboursés au titre de votre note de frais de septembre 2018, à savoir une facture de maroquinier, type de frais atypique mais qui a été mis en lien avec la décision qui avait été prise de rembourser l'achat d'une sacoche, dans la limite de 80 €, aux membres de la force de vente. Il a alors été constaté que vous aviez réglé la facture correspondante par chèques cadeaux pour une valeur de 140 €.

Ainsi alertés sur ce paiement par chèque cadeaux, nous avons examiné les factures jointes à votre note de frais de septembre, puis, au vu des nouvelles anomalies apparues, l'ensemble de vos notes de frais 2018. Nous avons ainsi découvert qu'à 15 occasions, en 2018, vous aviez réglé des dépenses professionnelles au moyen de chèques cadeaux, et que vous vous êtes ainsi fait rembourser ces dépenses indûment, pour un montant de 2 480 €.

Nous avons procédé à un examen sur l'ensemble de l'année 2017 et avons fait le même constat, pour un total de frais remboursés indûment de 1 400 €, puis de même pour 2016 pour 1 960 €. Le total des frais payés en chèques cadeaux détournés que nous avons identifiés est de 5 840 €.

L'argument évoqué lors de l'entretien préalable suivant lequel il s'agirait de chèques cadeaux attribués par le comité d'entreprise ou qui proviendraient d'une autre entreprise que Schwarzkopf est démenti par le fait que les numéros des chèques cadeaux utilisés les rattachent à des commandes passées par la société Schwarzkopf, ce qui ne laisse aucun doute sur le détournement de ces moyens de paiement à votre profit.

Ne serait-ce que pour 2018, il a en effet été constaté que les factures payées en chèques cadeaux l'ont été :

- à hauteur d'un montant de 1 250 €, avec des chèques cadeaux issus des 6 des 8 chéquiers de 25 titres de 10 € qui ont été livrés par la société Edenred, prestataire des chèques cadeaux, le 7 août 2018, avec mention comme bénéficiaire, d'un de nos clients grands comptes, la société SCHWARZKOPF Diagonal. Il s'agit de 7 factures dont les dates, émetteurs et montants réglés en chèques cadeaux sont les suivants :

* 2 octobre 2018, au Mercure Futuroscope, 210 €,

* 13 septembre 2018, au Novotel [Localité 11] Halles, 250 €,

* 10 septembre 2018, au Novotel Gare de Lyon, 220 €,

* 8 septembre 2018, chez Stratus, 140 € (il s'agit de la sacoche dont vous avez demandé un remboursement pour 80 €),

* 5 septembre 2018, au Mercure [Localité 6], 180 €,

* 29 août 2018, à l'Ibis [Localité 11] BB, 120 €,

* 29 août 2018, au Novotel [Localité 13] Centre Gare, 130 €,

- à hauteur d'un montant de 440 €, avec des chèques cadeaux issus des 3 des 9 chéquiers de 28 ou 27 titres de 10 € (pour un total de 2 500 €) qui ont été livrés par la société SCHWARZKOPF Edenred, le 12 avril 2018, avec mention de votre nom en tant que bénéficiaire. Il s'agit de factures dont les dates, émetteurs et montants réglés en chèques cadeaux sont les suivants :

* 8 août 2018, au Novotel [Localité 7] Centre, 170 €,

* 5 juillet 2018, au Novotel [Localité 12], 50 €,

* 4 juillet 2018, au Novotel [Localité 9], 220 €,

- à hauteur d'un montant total de 180 €, avec des chèques cadeaux issus de 2 des 8 chéquiers de 10 titres de 10 €, qui ont été livrés par la société SCHWARZKOPF Edenred, le 1er mars 2018, sans mention de bénéficiaire. Il s'agit de factures dont les dates, émetteurs et montants réglés en chèques cadeaux sont les suivants :

* 5 juillet 2018, au Novotel [Localité 12], 20 €,

* 13 juin 2018, au Mercure [Localité 5] Château Chartrons, 160 €,

- à hauteur d'un montant total de 150 €, avec des chèques cadeaux issus de carnet de 20 titres de 50 €, qui ont été livrés par la société SCHWARZKOPF Edenred, le 1er mars 2018, avec mention de votre nom en tant que bénéficiaire. Il s'agit de la facture dont la date, l'émetteur et le montant réglé en chèques cadeaux sont les suivants :

* 24 avril 2018, au Novotel [Localité 8] Confluence, 150 €,

- à hauteur d'un montant total de 320 €, avec des chèques cadeaux issus des 80 titres de 10 €, qui ont été livrés, en vrac, par la société SCHWARZKOPF Edenred, le 5 mars 2018, sans mention de bénéficiaire. Il s'agit de factures dont les dates, émetteurs et montants réglés en chèques cadeaux sont les suivants :

* 27 mars 2018, au Mercure [Localité 10] Centre, 150 €,

* 20 mars 2018, à l'Ibis [Localité 11] BB, 170 €,

- à hauteur d'un montant total de 140 €, avec un des chéquiers cadeaux issus d'un des 63 chéquiers de 28 ou 27 titres de 10 € (pour un total de 10 000 €) qui ont été livrés par la société SCHWARZKOPF Edenred le 12 décembre 2016 avec mention de Mme [T] comme bénéficiaire. Il s'agit de la facture du 22 janvier 2018, du Mercure [Localité 11] Gare de Lyon.

Il faut préciser que vous avez utilisé en 2017 des chèques cadeaux issus de quatre autres de ces carnets pour payer, pour un montant de 580 € des frais professionnels dont vous obteniez le remboursement.

Les détournements réalisés sont incontestables. Il s'agit de fautes d'une extrême gravité. La situation est d'autant plus grave qu'en votre qualité de Directeur du Réseau Direct responsable d'équipes travaillant sur le terrain, vous êtes le seul cadre du comité de direction à avoir des relations constantes avec les collaborateurs itinérants qui vous rapportent. Votre comportement fait donc nécessairement référence.

Même si cela ne change rien à notre position sur la qualification des faits nous obligeant à rompre votre contrat pour faute grave, nous sommes certains que les détournements cités plus haut ne constituent qu'une part de ceux que vous avez réalisés. Vous nous avez d'ailleurs vous-même dit, lors de la remise de votre convocation à entretien préalable, avant de vous raviser dans les jours suivants, que vous n'aviez ces pratiques que depuis trois ans et évaluiez entre 10 000 et 15 000 € les sommes détournées.

Or nous n'avons pas pu, en l'état actuel des choses, examiner dans le détail les notes de frais des années précédentes et les rapprocher des livraisons de chèques cadeaux de l'époque mais il est avéré que vous avez utilisé des chèques cadeaux pour régler des frais professionnels que vous vous faisiez rembourser depuis au moins 2011.

De plus, le fait que vous disposiez de chéquiers cadeaux destinés aux clients pour régler vos frais professionnels laisse penser que vous les utilisiez aussi, de manière « plus naturelle », pour régler des dépenses personnelles, ce qu'est susceptible d'établir la poursuite des investigations.

Les montants détournés ne peuvent donc être évalués aujourd'hui et nous nous réservons de vous en demander complet remboursement dès que l'évaluation aura pu en être faite (...)' ;

Considérant que M. [V] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que :

-la société SCHWARZKOPF ne démontre pas que les frais professionnels litigieux ont été payés par lui au moyen de chèques-cadeaux destinés à des clients ;

- en tout état de cause, aucune règle ne définissait l'usage des chèques-cadeaux en question, certains lui étant même remis à titre de paiement de primes, et leur traçage par la société Endered, fabricante des chèques, était défaillant ;

-la société SCHWARZKOPF ne démontre pas avoir découvert les faits en cause le 8 septembre 2018 et avait commandé un audit sur l'usage de ces chèques en novembre 2017 ;

- le réel motif de son licenciement est d'ordre économique ;

Qu'il demande en conséquence la condamnation de la société SCHWARZKOPF à lui payer des indemnités de rupture, un rappel de salaire sur la période de mise à pied à titre conservatoire et les congés payés afférents ainsi qu'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que la société SCHWARZKOPF soutient, à titre principal, que le licenciement repose sur une faute grave et qu'il convient de débouter M. [V] de ses demandes, aux motifs qu'il est établi que M. [V] a détourné à son profit des chèques-cadeaux destinés à ses clients en les utilisant de surcroît pour régler des frais professionnels dont il a sollicité le remboursement détournant ainsi en réalité deux fois les sommes, qu'elle n'en a eu connaissance qu'à la suite d'une demande de remboursement de frais du 8 septembre 2018 et d'investigations subséquentes et qu'aucun licenciement économique déguisé n'est établi ; qu'à titre subsidiaire, elle soutient que les faits reprochés constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement, ce qui entraîne le débouté de la demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Considérant que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise; que la charge de la preuve de cette faute incombe à l'employeur qui l'invoque ;

Qu'en l'espèce, il ressort des débats et des pièces versées que la société SCHWARZKOPF ne démontre pas que les frais professionnels, dont M. [V] a obtenu le remboursement, ont été payés par le biais de chèques-cadeaux commandés auprès de la société Endered et destinés à des clients de l'entreprise ;

Qu'en effet, en premier lieu, comme le soutient justement M. [V], les factures des frais professionnels en question, essentiellement pour des chambres d'hôtel, indiquent que le prix a été payé par 'chèque compliment Accor', ou 'chèque compliment' ou 'chèque vacances', sans contenir d'autres indications permettant d'identifier le moyen de paiement utilisé par le salarié, ce qui ne démontre pas l'usage par l'appelant des chèques-cadeaux litigieux ;

Qu'en deuxième lieu, le 'tableau de synthèse' versé par la société SCHWARZKOPF (pièce n°9) pour établir, selon elle, l'usage par M. [V] des chèques-cadeaux litigieux pour chacun des paiements de frais en cause, outre qu'il est illisible pour être écrit avec des caractères de moins d'un millimètre, ne constitue que la compilation de recherches effectuées par la société Endered, (fabricante de ces outils de paiement) sur l'utilisation de ces chèques-cadeaux, sans toutefois être assorti d'aucune garantie de fiabilité quant à son auteur et à son contenu et sans être accompagné, en tout état de cause, de la moindre copie des chèques-cadeaux en cause avec leur numéro d'identification, ou d'autres pièces justificatives permettant de prouver l'usage de chacun des chèques-cadeaux par M. [V] ;

Qu'enfin, les attestations de dirigeants de la société SCHWARZKOPF mentionnant que M. [V] aurait avoué les faits reprochés lors d'un entretien du 19 octobre 2018 sont insuffisantes à suppléer à la carence de preuves objectives ;

Qu'il résulte de ce qui précède que la réalité de la fraude reprochée à M. [V] n'est pas établie, contrairement ce qu'ont estimé les premiers juges et que le licenciement est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

Qu'en conséquence, il y a lieu d'allouer à M. [V] les sommes suivantes :

- 28 971,40 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 897,10 euros brut au titre des congés payés afférents ;

- 2 939,40 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire et 293,94 euros brut au titre des congés payés afférents, eu égard aux bulletins de salaire mentionnant un tel montant de retenue sur salaire à ce titre ;

- 40 946,30 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

Qu'en outre, M. [V] est fondé, eu égard à son ancienneté de treize années complètes, à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant compris entre 3 et 11,5 mois de salaire brut en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (né en 1980), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (embauche au début de l'année 2019), il y a lieu d'allouer une somme de 55 000 euros brut à ce titre ;

Que le jugement sera infirmé sur ces différents points ;

Sur la convention de forfait annuel en jours et le rappel d'heures supplémentaires :

Considérant qu'en l'espèce, il ressort des débats que la société SCHWARZKOPF ne verse aucun élément établissant qu'elle a organisé une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail en application des dispositions de l'article L. 3121-46 du code du travail et L. 3121-65 du même code dans leurs versions applicables au litige ; que la convention de forfait annuel en jours appliquée à M. [V] lui est donc inopposable, ce qui entraîne l'application de la durée légale du travail à la relation contractuelle ;

Que, sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires, qui porte sur les années 2016 à 2018, il y a lieu de rappeler qu'en application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant ;

Qu'en l'espèce, au soutien de sa demande, M. [V] verse aux débats des décomptes journaliers de ses horaires de travail uniquement pour les périodes de mai à juillet 2018, de mai à juillet 2017 et de mai à juillet 2016 ;

Qu'il s'ensuit que M. [V] ne présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies que pour ces trois périodes, ce qui conduit au débouté du surplus des demandes pour les autres périodes ;

Que relativement à ces trois périodes, la société SCHWARZKOPF ne présente pas d'élément sur les heures de travail accomplies par l'appelant ;

Que dans ces conditions, il y a lieu de retenir l'existence d'heures supplémentaires accomplies par le salarié sur ces trois périodes ;

Qu'eu égard aux pièces versées, aux erreurs contenues dans les décomptes, à des courriels versés par le salarié, contenant des échanges non-professionnels voire humoristiques, qui montrent qu'un certain nombre d'heures de travail revendiquées n'était pas rendu nécessaire pour l'accomplissement de ses tâches, il sera alloué à M. [V] une somme de 5 882,36 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires, outre 588,23 euros brut au titre des congés payés afférents ;

Que le jugement sera donc infirmé sur ces chefs ;

Sur l'indemnité pour travail dissimulé :

Considérant qu'aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail, 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ';

Qu'en l'espèce, M. [V] n'établit en rien le caractère intentionnel du défaut de mention sur les bulletins de salaire des heures supplémentaires mentionnées ci-dessus ; que le débouté de la demande d'indemnité pour travail dissimulé sera donc confirmé ;

Sur les demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral, pour licenciement brutal et vexatoire, pour atteinte à la réputation professionnelle et personnelle :

Considérant en l'espèce que, en tout état de cause, que M. [V] ne justifie d'aucun préjudice pour chacune de ces demandes indemnitaires ; qu'il y a donc lieu de confirmer les déboutés de ces demandes ;

Sur la remise de documents sociaux sous astreinte :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'ordonner à la société SCHWARZKOPF de remettre à M. [V] un bulletin de salaire récapitulatif, une attestation pour Pôle emploi et un certificat de travail conformes au présent arrêt ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Que par ailleurs, il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte à ce titre, une telle mesure n'étant pas nécessaire ; que le jugement sera confirmé sur ce point ;

Sur les intérêts légaux et la capitalisation :

Considérant qu'il y lieu de rappeler que les sommes allouées à M. [V] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne la créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Que la capitalisation des intérêts sera en outre ordonnée dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Que le jugement attaqué sera infirmé sur ces points ;

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail :

Considérant qu'en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société SCHWARZKOPF aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [V] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; que la société SCHWARZKOPF sera condamnée à payer à M. [V] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur l'indemnité pour travail dissimulé, les demandes de dommages-intérêts pour licenciement brutal et vexatoire, pour atteinte à la réputation professionnelle et personnelle, pour préjudice moral et sur l'astreinte,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de M. [L] [V] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Dit que la convention de forfait annuel en jours incluse dans le contrat de travail de M. [L] [V] ne lui est pas opposable,

Condamne la société SCHWARZKOPF à payer à M. [L] [V] les sommes suivantes :

- 28 971,40 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 2 897,10 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 2 939,40 euros brut à titre de rappel de salaire sur la mise à pied à titre conservatoire et 293,94 euros brut au titre des congés payés afférents,

- 40 946,30 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 55 000 euros brut à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 5 882,36 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 588,23 euros brut au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les sommes allouées à M. [L] [V] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du présent arrêt en ce qui concerne la créance d'indemnité pour licenciement sans cause et sérieuse,

Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne le remboursement par la société SCHWARZKOPF aux organismes concernés, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [V] du jour de son licenciement au jour de l'arrêt et ce dans la limite de six mois d'indemnités,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société SCHWARZKOPF à payer à M. [L] [V] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en première instance et en appel,

Condamne la société SCHWARZKOPF aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03848
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.03848 ?
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