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22/03/2023 | FRANCE | N°21/02762

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 22 mars 2023, 21/02762


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 MARS 2023



N° RG 21/02762



N° Portalis DBV3-V-B7F-UXWV



AFFAIRE :



[L] [S]



C/



S.A. SOCIETE GENERALE



...





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Août 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Chambre :

N° Section : E>
N° RG : F21/00177



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Claire RICARD



Me Christophe DEBRAY







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 MARS 2023

N° RG 21/02762

N° Portalis DBV3-V-B7F-UXWV

AFFAIRE :

[L] [S]

C/

S.A. SOCIETE GENERALE

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Août 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CERGY PONTOISE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F21/00177

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Claire RICARD

Me Christophe DEBRAY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [L] [S]

né le 11 Octobre 1960 à [Localité 7] (35)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 4]

Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

Représentant : Me Philippe TREHOREL de la SELARL JTBB AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0254

APPELANT

****************

S.A. SOCIETE GENERALE

N° SIRET : 552 12 0 2 22

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Représentant : Me Joel GRANGE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

S.A.S. LYXOR ASSET MANAGEMENT

N° SIRET : 418 86 2 2 15

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Représentant : Me Joel GRANGE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Février 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

M. [L] [S] a été engagé par la Société Générale suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1986.

Le 26 avril 2000, M. [S] a été promu aux fonctions de gérant 'hedge fund' à la direction de la gestion alternative et a intégré la Société Générale Asset Management, filiale de la Société Générale à compter du 1er mai 2000. Il a été détaché à compter du 1er mai 2000 auprès de la Société Générale Cowen Asset Management, à New York, pour exercer les fonctions de gérant 'hedge fund', responsable de l'activité fonds de 'hedge fund'.

A compter du 1er novembre 2004, M. [S] a été détaché auprès de la Société Générale Asset Management Alternative Investments pour exercer les fonctions d'adjoint du directeur de la gestion alternative 'hedge fund'.

A compter du 10 avril 2009 et du départ de M. [R] [Z], M. [S] a assuré les fonctions de directeur de la gestion alternative 'hedge fund'.

A compter du 1er septembre 2009, l'activité de la Société Générale Asset Management Alternative Investments a été transférée à la société Lyxor Asset Management, autre société du groupe Société Générale. Le contrat de travail de M. [S] a été automatiquement transféré à la société Lyxor Asset Management en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des sociétés financières.

Par lettre du 5 mars 2010, M. [S] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 18 mars 2010.

Par lettre du 23 mars 2010, l'employeur a licencié le salarié pour cause réelle et sérieuse.

Le 17 février 2011, M. [S] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre. Le 19 mars 2021, le dossier a été transféré au conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise. Il a sollicité la condamnation solidaire de la Société Générale et de la société Lyxor Asset Management à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, un rappel de rémunération variable au titre de l'exercice 2009, outre un complément d'indemnité de licenciement conventionnelle.

Par arrêt du 7 avril 2016, la cour d'appel de Paris a confirmé les jugements du tribunal de commerce de Paris du 18 septembre 2014 et du 19 février 2015, qui ont retenu l'absence d'une société de fait créée entre M. [S] et la Société Générale Asset Management Alternative Investments et rejeté la demande d'indemnisation de M. [S] au titre du préjudice financier subi du fait qu'il a été privé de son droit de souscrire aux parts B de 2008 jusqu'à mars 2010.

Par arrêt du 30 mai 2018, la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par M. [S].

Par jugement en date du 26 août 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, le conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise a mis hors de cause la Société Générale, débouté M. [S] de l'ensemble de ses demandes, débouté la Société Générale et Lyxor Asset Management de leur demande respective formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile et mis les éventuels dépens de l'instance à la charge de M. [S].

Le 20 septembre 2021, M. [S] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 13 janvier 2023, M. [S] demande à la cour de :

- maintenir en la cause la Société Générale en sa qualité de co-employeur,

- rejeter des débats la pièce produite par la Société Générale et la société Lyxor Asset Management portant sur des informations relatives à ses positions bancaires en sa qualité de client de la banque, pièce portant le numéro 21 en première instance,

- condamner solidairement la Société Générale et la société Lyxor Asset Management à lui payer les sommes suivantes :

* 4 000 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice moral, professionnel et de carrière,

* 3 000 000 euros à titre de rémunération variable de l'exercice 2009 incluant les congés payés,

* 3 771 343,75 euros à titre de complément d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- ordonner à la Société Générale et à la société Lyxor Asset Management la remise des bulletins de paie et documents de fin de contrat conformes aux condamnations prononcées sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- rejeter toutes les demandes contenues dans les conclusions de la Société Générale et la société Lyxor Asset Management, y compris portant sur sa condamnation à payer à chacune des intimées la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la Société Générale et la société Lyxor Asset Management à lui payer la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner solidairement la Société Générale et la société Lyxor Asset Management à lui verser les intérêts au taux légal depuis l'introduction de la demande en ce qui concerne les créances salariales et le complément d'indemnité conventionnelle de licenciement; depuis la condamnation à intervenir en ce qui concerne les dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en réparation du préjudice moral, professionnel et de carrière,

- condamner la Société Générale et la société Lyxor Asset Management aux dépens de première instance et d'appel, y compris les frais éventuels d'exécution.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 30 janvier 2023, la Société Générale et la société Lyxor Asset Management demandent à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de mettre hors de cause la Société Générale, de débouter M. [S] de l'ensemble de ses demandes et de le condamner à leur verser la somme de 10 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens. A titre subsidiaire, elles sollicitent la limitation du montant de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse à 75 000 euros bruts et le rejet du surplus des demandes de M. [S].

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 31 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur le co-emploi

Le salarié soutient que la Société Générale a toujours été son employeur en fait ou en droit. Il indique qu'en réalité, un même contrat de travail s'est poursuivi d'une société à l'autre, avec maintien de l'ancienneté, le pouvoir d'autorité et de décision étant dévolu à la Société Générale. Il fait valoir que son affectation a toujours été décidée par la Société Générale pour des raisons stratégiques et/ou politiques tenant au fait que le groupe avait décidé de loger les activités de gestion alternative dans des filiales spécifiques. Il conclut qu'il a toujours eu deux employeurs et s'est toujours trouvé dans un lien de subordination avec la Société Générale. Il précise que l'immixtion de la Société Générale est établie quand elle a voulu reprendre son contrat de travail.

Les sociétés intimées font valoir que le salarié ne démontre pas l'existence d'un lien de subordination qui l'unirait à la Société Générale alors que la charge de la preuve repose sur lui, qu'aucune des trois conditions cumulatives requises pour caractériser le lien de subordination n'est remplie. Elles relèvent qu'il est paradoxal que le salarié affirme que la Société Générale était son co-employeur alors qu'il a refusé en 2009 le transfert de son contrat de travail au sein de la Société Générale. Elles ajoutent que le salarié ne démontre pas que les relations existant entre la Société Générale et la société Lyxor dépassent les sujétions inhérentes au groupe et caractérisent une immixtion permanente dans la gestion économique et sociale de la société Lyxor, conduisant à la perte totale d'autonomie d'action de cette dernière.

Une société faisant partie d'un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l'égard du personnel employé par une autre, hors l'existence d'un lien de subordination, que s'il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d'intérêts, d'activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette dernière.

En l'espèce, M. [S] était salarié de la Société Générale du 1er septembre 1986 jusqu'au 30 avril 2000.

Il est devenu salarié de Société Générale Asset Management, filiale de la société Générale depuis le 1er mai 2000, détaché au sein d'une filiale à New York puis détaché à compter du 1er novembre 2004 au sein de la filiale Société Générale Asset Management Alternative Investments.

A compter du 1er septembre 2009, son contrat de travail a été automatiquement transféré à la société Lyxor Asset Management, autre filiale de la Société Générale.

M. [S] ne démontre pas qu'il se trouvait sous lien de subordination de la société mère Société Générale depuis le 1er mai 2000 alors qu'il était salarié de la filiale Société Générale Asset Management puis de la filiale Lyxor Asset Management, les conditions cumulatives pour caractériser le lien de subordination : pouvoir de direction, de contrôle et de sanction n'étant pas réunies.

En outre, aucune confusion d'intérêts, d'activités et de direction n'est caractérisée entre la société Lyxor Asset Management et la Société Générale.

Le simple fait que M. [S] ait fait l'objet de plusieurs mutations et de deux détachements au sein de filiales du groupe Société Générale est insuffisant à démontrer une situation de co-emploi, de même que la reprise de son ancienneté depuis son embauche par la Société Générale lors de ses mutations successives.

L'existence d'un logo commun à certaines filiales ne permet pas davantage de caractériser une situation de co-emploi, la société Lyxor Asset Management ayant d'ailleurs un logo distinct.

Enfin, M. [S] invoque une demande de visa renseignée au nom de la Société Générale comme employeur, mais cette mention s'analyse comme une erreur matérielle alors que l'adresse renseignée est bien celle de la filiale Société Générale Asset Management et que le courrier d'accompagnement de la demande de visa est bien au nom de la filiale.

Au surplus, M. [S] a refusé la signature d'une convention tripartite prévoyant le transfert de son contrat de travail de Lyxor vers la Société Générale qui lui était proposée en septembre 2009.

Par conséquent, la demande formée par M. [S] de voir maintenir en la cause la Société Générale en sa qualité de co-employeur doit être rejetée. La Société Générale sera mise hors de cause.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de rejet de pièce

Le salarié sollicite le rejet de la pièce produite par les sociétés intimées portant sur des informations relatives à ses positions bancaires en sa qualité de client de la banque. Il fait valoir que cette production constitue une violation du secret professionnel en application des articles L.511-33 et L.571-4 du code monétaire et financier, le groupe ne détenant pas cette pièce en qualité d'employeur mais en qualité de banque d'affaires et de détail.

Les sociétés intimées font valoir que le secret bancaire est inopposable lorsque l'action est dirigée contre la banque elle-même par le bénéficiaire du secret et que la pièce est produite au soutien de leurs intérêts dans le cadre du procès prud'hommal.

En application des dispositions de l'article L.511-33 du code monétaire et financier, la communication par le banquier de pièces couvertes par le secret bancaire est possible si le contradicteur est le bénéficiaire du secret et si la communication est justifiée par le but recherché et est proportionnée à la défense des intérêts de la banque.

En l'espèce, la pièce litigieuse relative aux positions ouvertes par M. [S] en sa qualité de client de la banque, est produite par la banque Lyxor au soutien de la défense de ses intérêts dans le cadre d'un procès prud'hommal intenté contre elle par M. [S], bénéficiaire du secret invoqué. Il n'y a donc pas lieu de l'écarter des débats, sa production étant proportionnée au but recherché et à la défense des intérêts de la banque.

La pièce étant versée aux débats et soumise aux observations des parties, la cour en apprécie la valeur probante.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

« Comme vous le savez, le rapprochement des activités AI et HDG de SGAM d'une part, et Lyxor d'autre part, est intervenu dans le cadre d'un apport partiel d'actifs effectif à compter du 1er septembre 2009. A cette date, votre contrat de travail avec SGAM, de même que celui des salariés SGAM concernés, a été transféré de plein droit au sein de Lyxor.

La mise en 'uvre de ce rapprochement qui visait à renforcer notre positionnement sur le marché, exigeait de la part de tous nos collaborateurs, en particulier de nos cadres, une mobilisation à la mesure de l'événement.

Or, tel n'a pas été le cas vous concernant.

En effet, loin de répondre à nos attentes, vous n'avez eu de cesse de discuter les contours de ce projet et avez rejeté la réorganisation qui s'en est logiquement suivie. Considérant que les fonctions de responsable de la multigestion alternative de Lyxor devaient indiscutablement vous revenir, vous avez immédiatement refusé le poste d'adjoint du Responsable de la multigestion alternative qui vous était attribué.

N'ayant pas obtenu le poste que vous souhaitez, vous avez dès lors adopté une attitude d'opposition systématique à notre égard, multipliant les sujets de conflit.

En dépit de votre posture de refus, systématique avec pour objectif manifeste de provoquer une rupture accompagnée de prétentions financières exorbitantes, nous nous sommes efforcés de répondre à vos interrogations pendant plusieurs mois.

Nous déplorons donc qu'en dépit de nos différents entretiens et courriers, vous n'ayez pas souhaité modifier votre position.

Nous vous rappelons qu'afin de prendre en compte votre premier refus, nous avons eu le souci de créer pour vous, en novembre dernier, un poste de Managing Director ' Multigestion Alternative ' Responsable Legacy, tenant compte de compétences et de vos connaissances des dossiers.

Malgré l'intérêt de ce poste et l'importance des tâches qui lui sont inhérentes, vous en avez ouvertement contesté le bien-fondé et avez justifié d'arguments divers et variés pour finalement opposer un refus catégorique. Nous constatons aujourd'hui que vous ne les assumez purement et simplement pas, ce qui contraint d'autres collaborateurs à mener les processus de liquidation des fonds en vos lieux et place. Vous n'êtes pourtant pas sans savoir que cette situation a eu pour conséquence d'augmenter sensiblement leur charge de travail.

Votre manque d'implication est tel qu'il déstabilise les autres collaborateurs qui s'interrogent sur la nature de vos fonctions. En outre, certains ont eu à se plaindre de la gêne occasionnée par vos multiples conversations téléphoniques personnelles particulièrement bruyantes.

Nous ne pouvons que regretter la situation de blocage qui découle de votre comportement, pourtant peu en phase avec le niveau de responsabilité que vous revendiquez. De tels agissements de la part d'un cadre ayant votre ancienneté constituent une résistance caractérisée aux évolutions stratégiques décidés par notre Groupe et sont susceptibles à terme de compromettre la bonne marche de la Société dont vous ne partagez manifestement plus ni les orientations ni la volonté de développement.

Eu égard aux motifs susvisés, constitutifs d'une cause réelle et sérieuse, nous n'avons d'autre alternative que de procéder à votre licenciement ».

Le salarié réfute l'existence d'un motif réel et sérieux de licenciement. Il soutient qu'il n'a cessé de faire preuve d'implication malgré sa rétrogradation progressive puis sa mise à l'écart. Il rappelle son parcours exceptionnel au sein du groupe et relève qu'en réalité son licenciement est imputable d'une part, à l'abandon des parts B attribuées aux responsables et à la réorganisation ayant conduit à l'absorption de la gestion alternative par la société Lyxor et d'autre part, aux critiques qu'il a émises lors de la fusion alors qu'il ne faisait que manifester son désaccord dans le cadre de son droit à la liberté d'expression.

Les sociétés intimées considèrent que le licenciement du salarié est parfaitement fondé, qu'en réalité ce dernier était insatisfait du poste qui lui était réservé au sein de la société Lyxor et a désapprouvé la réorganisation. Elles font valoir qu'il s'agissait d'un simple changement des conditions de travail ne nécessitant pas son accord préalable, qu'il a également refusé d'occuper le poste qui lui a été offert, comme alternative, dans le cadre de la nouvelle organisation. Elles soulignent que le salarié s'est lui-même exclu en refusant les tâches qui lui étaient confiées et en refusant les solutions alternatives proposées.

Sur le bien fondé du licenciement, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

La lettre de licenciement reproche, en substance, au salarié : le refus d'un poste d'adjoint du responsable de la multigestion alternative, puis d'un poste de 'managing director' - multigestion alternative - responsable Legacy dans le cadre de la nouvelle organisation et un manque d'implication et une situation de blocage face aux orientations décidées pour la société.

S'agissant de la liberté d'expression, il ne ressort pas de la lettre de licenciement qu'il soit reproché au salarié de s'être exprimé sur le projet de réorganisation, mais d'avoir refusé le poste d'adjoint au directeur puis le poste de 'managing director' qui lui étaient offerts dans le cadre de la nouvelle organisation et de ne plus avoir rempli les missions qui lui incombaient en vertu de son contrat de travail.

S'agissant des parts B, il est jugé ci-après que celles-ci ne constituaient pas un élément de rémunération, que les salariés qui avaient bénéficié de ces parts B n'avaient pas un droit acquis à en bénéficier et que l'employeur pouvait interrompre la souscription de parts B à tout moment. Ainsi, aucun lien n'est établi entre l'interruption de l'attribution de parts B et le licenciement du salarié, contrairement à ses allégations.

S'agissant du motif du licenciement, celui-ci est fondé sur un motif personnel, et non sur un motif économique déguisé comme invoqué par M. [S], aucun licenciement économique n'étant intervenu au sein de la société Lyxor Asset Management et M. [S] ayant refusé que son contrat de travail soit transféré à la Société Générale au sein de laquelle un plan de sauvegarde de l'emploi a été mis en oeuvre à la fin de l'année 2009, M. [S] ayant d'ailleurs admis l'absence de motif économique dans son écrit à M. [H] le 22 juin 2009 'je considère que les causes de mon départ ne sont pas assimilables aux motifs économiques à l'origine de ce plan social et j'attends une solution adaptée à ma situation particulière'.

Or, il ressort des écritures mêmes du salarié que ce dernier reconnaît avoir exprimé son désaccord quant à la nouvelle organisation mise en place dans le cadre de l'absorption des activités de la Société Générale Asset Management Alternative Investments par la société Lyxor Asset Management.

Son contrat de travail a bien été transféré de plein droit le 1er septembre 2009 en application des dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail à la société Lyxor Asset Management, dispositions qui étaient applicables à la réorganisation en cause.

Il a été offert au salarié dans la nouvelle organisation, en premier lieu : le poste d'adjoint du responsable de la multigestion alternative, en second lieu : le poste de 'managing director' - multigestion alternative - responsable Legacy.

S'agissant du poste d'adjoint, en raison d'une activité 'hedge fund' qui existait au sein de la société Lyxor Asset Management et qui était plus importante que celle de la société Générale Asset Management Alternative Investments, le poste de M. [S] était en doublon avec celui de M. [J] qui était responsable de la multigestion alternative au sein de la société Lyxor Asset management depuis janvier 2007. L'offre du poste d'adjoint au responsable de la multigestion alternative s'analyse en une modification des conditions de travail du salarié et ne s'analyse pas en rétrogradation contrairement aux allégations du salarié, la cour constatant que M. [S] avait exercé principalement les fonctions d'adjoint au directeur de la gestion alternative 'hedge fund' avant d'excercer seulement durant quelques mois du 10 avril 2009, date du départ de M. [R] [Z], au 31 août 2009, les fonctions de directeur de la gestion alternative 'hedge fund', et la nouvelle entité ayant une plus grande importance en terme d'actifs gérés. En outre, M. [J] et M. [S] exerçaient leurs activités en parallèle, dans des entités juridiques distinctes du groupe Société Générale, sans lien hiérarchique entre eux. Il s'en déduit que le refus du salarié d'exercer ce poste n'était pas fondé.

S'agissant du poste de 'managing director', cette offre a été faite en novembre 2009 à M. [S] suite à son refus du poste d'adjoint. M. [S] avait ainsi pour mission de superviser les opérations liées à la gestion extinctive des fonds en liquidation et de s'assurer que les mesures opérationnelles et juridiques seraient mises en oeuvre. Ce poste ne requérait pas davantage l'accord du salarié, s'analysant en une modification des conditions de travail du salarié, en lien avec son expérience et ses compétences.

La mise à l'écart invoquée par M. [S] n'est pas caractérisée alors que deux propositions de poste lui ont été faites en lien avec son expérience et ses compétences.

Il est, en revanche, établi que le salarié a fait preuve d'opposition systématique et a réduit son implication dans les fonctions qui lui incombaient, refusant la nouvelle organisation puis de mener à bien les processus de liquidation des fonds qui lui étaient confiés, comme il l'a expressément écrit dans sa lettre du 2 décembre 2009 adressée à son employeur 'le poste que vous décrivez est d'un niveau encore inférieur à celui d'adjoint du responsable de la multigestion alternative'.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, le licenciement de M. [S] est fondé sur une cause réelle et sérieuse de licenciement, ce dernier ayant refusé un poste d'adjoint sans que son accord ne soit requis, puis ayant refusé de s'impliquer dans les tâches qui lui incombaient en qualité de 'managing director' dans la nouvelle organisation et ce, alors qu'il avait un niveau de responsabilité et d'expertise important.

M. [S] sera, par conséquent, débouté de sa demande en contestation du licenciement et de ses demandes consécutives en indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et remise de documents sous astreinte.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur la rémunération variable de l'exercice 2009 et le complément d'indemnité conventionnelle de licenciement

Le salarié indique qu'il a dû renoncer progressivement à sa rémunération variable habituelle pour y substituer des plus-values obtenues dans le cadre de l'attribution de 'parts B'. Il fait valoir que la cour de cassation n'a pas considéré qu'il s'agissait d'un partage de bénéfice dans une société de fait, qu'il s'agit donc d'un complément de rémunération, rattaché au contrat de travail. Il ajoute qu'il a été privé de sa rémunération variable à la suite de la suppression des 'parts B' au 1er trimestre 2008, aucun bonus ne lui ayant été attribué en dépit des actions menées très profitables pour le groupe. Il soutient avoir fait l'objet d'une discrimination injustifiée par rapport à des managers exerçant des responsabilités similaires aux siennes dans le groupe.

Les sociétés intimées exposent que c'est en qualité d'investisseur que le salarié a perçu des gains au titre des parts B, que ces gains ne peuvent pas être assimilés à une rémunération complémentaire. Elles indiquent que le salarié a accepté un nouveau poste au sein de la Société Générale Asset Management pour gérer des fonds alternatifs et qu'à cette occasion, il a bénéficié de la faculté de souscrire des parts B, que les règles étaient différentes de celles en banque d'affaire, et que les parts B ne se sont pas substituées aux bonus touchés précédemment en banque d'affaires.

Les salaires sont fixés librement dans la limite du respect notamment des minima légaux et conventionnels et du principe à travail égal, salaire égal.

En application des dispositions de l'article L. 1134-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe de l'égalité de traitement, de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une inégalité de traitement. Au vu de ces éléments, il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

En l'espèce, le salarié travaillait initialement en banque d'affaires au sein de la Société Générale et bénéficiait d'une part fixe et d'une part variable de rémunération, laquelle n'était ni contractuelle, ni conventionnelle.

A compter du 1er mai 2000, il a accepté un poste dans la gestion de fonds alternatifs et a rejoint une filiale la Société Générale Asset Management.

Il a été immédiatement détaché auprès de la Société Générale Cowen Asset Management. Son contrat de travail prévoyait une rémunération de référence fixe, outre une rémunération d'expatriation.

A compter du 1er novembre 2004, le salarié a été détaché auprès de la Société Générale Asset Management Alternative Investments en qualité d'adjoint du directeur de la gestion alternative 'hedge fund'. Son contrat de travail prévoyait une rémunération annuelle fixe.

A compter du 10 avril 2009, à la suite du départ de M. [R] [Z], le salarié a exercé les fonctions de directeur de la gestion alternative 'hedge fund'.

Il se déduit ainsi des conditions contractuelles du salarié que depuis le 1er mai 2000, date de sa prise de fonction dans la gestion de fonds alternatifs, son contrat de travail ne prévoyait pas de part variable de rémunération.

Le salarié a bénéficié, toutefois, de la faculté de souscrire, à des conditions préférentielles, à des parts B dites de 'carried interest' des fonds dont la Société Générale Asset Management Alternative Investments était chargée de la gestion.

Cette faculté de souscription de parts B n'a pas été prévue par le contrat de travail du salarié.

Il ressort, en outre, des stipulations dans les prospectus des fonds que la souscription de parts B pouvait être supprimée discrétionnairement à tout moment.

Il s'en déduit que le salarié n'avait pas de droit acquis à souscrire dans les fonds, la souscription de parts B pouvait être interrompue à tout moment. Ainsi, la souscription de parts B a été interrompue pour tous les collaborateurs du groupe à la fin de l'année 2007.

Par conséquent, les revenus et plus-values nés de ces parts de 'carried interest' n'étaient pas des éléments de la rémunération du salarié versés par son employeur en contrepartie de sa prestation de travail.

Ces éléments ne se sont pas substitués aux bonus qu'il a pu percevoir en qualité de salarié de la Société Générale dans un autre domaine de la banque et dans d'autres fonctions.

Le salarié invoque une inégalité de traitement par rapport à d'autres managers du groupe Société Générale. Cependant, le salarié se contente de produire une sommation de communiquer les bonus versés aux salariés exerçant dans le groupe Société Générale des fonctions équivalentes, un article de Libération sur les bonus versés en 2007 et en 2008 à une douzaine de salariés d'une salle de marché de la Société Générale, un article de Libération sur l'annonce des bonus dans une salle de marché de la Société Générale, un article du Monde au sujet du versement au titre de l'année 2010 de bonus aux traders de la Société Générale. Or, ces employés de salle de marché ou ces traders n'avaient pas le même employeur que M. [S] qui était salarié de la Société Générale Asset Management. Ils exerçaient un métier d'employé de salle de marché ou de trader différent de celui de M. [S] de gérant de fonds alternatifs et n'étaient donc pas placés dans une situation comparable à celle de M. [S].

Par conséquent, le salarié ne présente pas d'éléments de faits laissant supposer l'existence d'une inégalité de traitement.

M. [S] doit donc être débouté de sa demande en paiement d'une rémunération variable de l'exercice 2009 incluant les congés payés, en l'absence de rémunération variable due au titre de l'exercice 2009 et en l'absence d'inégalité de traitement ainsi que de sa demande consécutive en complément d'indemnité conventionnelle de licenciement.

Le jugement attaqué sera confirmé sur ces points.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [S] succombant à la présente instance, en supportera les dépens d'appel. Il devra également régler une somme de 1 000 euros à la société Lyxor Asset Management et à la Société Générale chacunes au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Et y ajoutant :

Condamne M. [L] [S] aux dépens d'appel,

Condamne M. [L] [S] à payer à la société Lyxor Asset Management la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [L] [S] à payer à la Société Générale la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02762
Date de la décision : 22/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-22;21.02762 ?
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