COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88H
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 MARS 2023
N° RG 20/00657 - N° Portalis DBV3-V-B7E-TZJN
AFFAIRE :
CPAM DU VAL D'OISE
C/
[R] [M]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Janvier 2020 par le Pole social du TJ de PONTOISE
N° RG : 19/00054
Copies exécutoires délivrées à :
CPAM DU VAL D'OISE
SCP CHERRIER BODINEAU
Copies certifiées conformes délivrées à :
CPAM DU VAL D'OISE
[R] [M]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE NEUF MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CPAM DU VAL D'OISE
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Mme [Z] [K] (Représentant légal) en vertu d'un pouvoir général
APPELANTE
****************
Monsieur [R] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
comparant en personne, assisté de Me Nicolas BODINEAU de la SCP CHERRIER BODINEAU, avocat au barreau de ROUEN, vestiaire : 82
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Janvier 2023, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,
EXPOSÉ DU LITIGE
À la suite d'un contrôle de son activité pour la période du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018, opéré par la caisse primaire d'assurance maladie du Val d'Oise (la caisse), M. [R] [M], masseur-kinésithérapeute exerçant dans le Val d'Oise, s'est vu notifier le 28 mars 2018, un constat d'anomalies de facturations du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018 au regard de la Nomenclature générale des actes professionnels (NGAP) qui faisait également état d'une somme due s'élevant à 54 635,82 euros. Le courrier invitait M. [M] à présenter ses observations.
Le 28 mars 2018, la caisse a reçu M. [M] en entretien et lui a présenté les anomalies relevées, puis lui a adressé le 9 avril 2018, un compte-rendu d'entretien.
Le 30 avril 2018, M. [M] a présenté ses observations à la suite desquelles la caisse a réévalué le montant qui lui était réclamé à 51 003,02 euros.
Le 31 octobre 2018, la caisse a adressé à M. [M] une notification d'un indu de 51 003,02 euros au visa de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale.
Par courrier du 21 novembre 2018, M. [M] a contesté le bien-fondé de l'indu devant la commission de recours amiable.
Suite au rejet implicite de ladite commission, M. [M] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise, par requête en date du 7 janvier 2019.
Par jugement contradictoire en date du 31 janvier 2020 (RG n° 19/00054), le pôle social du tribunal judiciaire de Pontoise, retenant que la caisse n'avait pas respecté le délai prévu à l'article D 315-3 du code de la sécurité sociale et avait utilisé la méthode de l'échantillonnage et de l'extrapolation sans avoir recueilli l'accord préalable du professionnel de santé, a :
- déclaré M. [M] recevable en son recours et le dit bien fondé ;
- constaté l'irrégularité des opérations de contrôle ;
- annulé la notification d'indu faite à M. [M] par la caisse par courrier daté du 31 octobre 2018 ;
- débouté la caisse de l'ensemble de ses demandes ;
- condamné la caisse aux dépens.
Par déclaration du 3 mars 2020, la caisse a interjeté appel et les parties ont été convoquées à l'audience du 10 janvier 2023.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la cour :
- d'infirmer le jugement susvisé en toutes ses dispositions
- de dire et juger que la caisse, dans sa notification d'indu au cotisant a parfaitement respecté les dispositions des articles L. 133-4 et R. 133-9 du code de la sécurité sociale, et de déclarer régulière la notification d'indu ;
- de confirmer la décision de la commission de recours amiable en ce qu'elle a maintenu la créance d'un montant de 51 003,02 euros, pour des actes et majorations non réalisées et/ou non justifiées au regard de la NGAP.
Ce faisant,
- de débouter le cotisant de l'ensemble de ses demandes ;
- d'accueillir la demande reconventionnelle de la caisse ;
- de condamner le cotisant à rembourser à la caisse la somme de 51 003,02 euros dont il reste redevable ;
- de dire que M. [M] sera tenu au paiement des éventuels frais de signification de la décision à intervenir ;
- de délivrer à la concluante la grosse du jugement qui sera rendu.
La caisse fait notamment valoir la régularité de la procédure et ajoute que M. [M] disposait de tous les éléments nécessaires pour connaître les raisons justifiant la demande de la caisse. Elle soutient que le contrôle de l'activité de M. [M] s'est effectué sur la totalité des actes mandatés du 1er juin 2017 au 21 novembre 2017 pour 174 patients, ce qui correspond à des actes effectués du 10 juillet 2015 au 15 novembre 2017, et que les anomalies constatées sur cette période ont permis l'extrapolation de l'étude.
Par conclusions écrites, déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [M] demande à la cour :
- de confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions ;
- de constater l'irrégularité des opérations de contrôle ;
- d'annuler la notification d'indu ;
- de débouter la caisse de l'ensemble de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, d'expurger de la réclamation les actes compris entre le 22 mai 2015 et le 8 décembre 2017.
M. [M] soulève le non-respect de la procédure contradictoire en l'absence d'information préalable au contrôle, de notification de la charte du professionnel de santé contrôlé, d'offre de la possibilité d'être entendu sur le contrôle avant notification, de notification de la possibilité de se faire assister et d'offre de consultation du dossier. Il conteste également la régularité de la méthode de contrôle par échantillonnage ainsi que le délai de prescription triennale.
En application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, M. [M] sollicite l'octroi à son profit de la somme de 3 000 euros. La caisse ne réclame rien sur ce fondement.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la régularité de la procédure
Il ressort des articles L. 133-4 et suivants et L. 315-1 et suivants du code de la sécurité sociale, que les caisses peuvent réaliser deux types de contrôle :
- un contrôle administratif qui consiste à examiner la régularité des règles de tarification, de distribution ou de facturation des actes et prestations ;
- un contrôle médical effectué par le service du contrôle médical qui porte sur tous les éléments d'ordre médical qui commandent l'attribution et le service de l'ensemble des prestations de l'assurance maladie, maternité et invalidité.
En l'espèce, les différents courriers adressés à M. [M], et notamment la notification de créance du 31 octobre 2018, émanent tous de la Direction de la régulation et des relations avec les professionnels de santé - service contrôle et lutte contre la fraude.
Il n'apparaît pas que le service du contrôle médical soit intervenu dans cette procédure.
Il n'y a donc pas lieu de faire application de la procédure prévue par les articles L. 315-1 et suivants, R. 315-1 et suivants et D. 315-1 et suivants du code de la sécurité sociale.
Les moyens tirés d'une violation de ces dispositions sont donc inopérants. Le contrôle litigieux étant un contrôle administratif portant sur la facturation et la tarification des actes, seules sont applicables les dispositions de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale.
Aux termes de l'article R. 133-9-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable au litige,
'I.-La notification de payer prévue à l'article L. 133-4 est envoyée par le directeur de l'organisme d'assurance maladie au professionnel ou à l'établissement par tout moyen permettant de rapporter la preuve de sa date de réception.
Cette lettre précise la cause, la nature et le montant des sommes réclamées et la date du ou des versements indus donnant lieu à recouvrement. Elle mentionne l'existence d'un délai de deux mois à partir de sa réception imparti au débiteur pour s'acquitter des sommes réclamées ainsi que les voies et délais de recours. Dans le même délai, l'intéressé peut présenter des observations écrites à l'organisme d'assurance maladie. [...]'
La caisse a procédé à cette notification de créance le 31 octobre 2018 que M. [M] a contestée devant la commission de recours amiable, respectant ainsi la procédure prévue par le code de la sécurité sociale.
M. [M] reproche à la caisse de n'avoir versé aucun élément susceptible de justifier la réalité d'une suspicion de fraude ayant motivé le contrôle à l'époque.
Mais la caisse est en droit de procéder au contrôle des prestations qu'elle finance sans avoir besoin d'un soupçon de fraude, la fraude éventuelle n'apparaissant qu'à l'issue du contrôle.
La procédure est donc régulière.
Le jugement entrepris sera donc infirmé, sauf en ce qu'il a déclaré recevable le recours formé par M. [M].
Sur l'application de la méthode d'échantillonnage
Aux termes de l'article R. 243-59-2 du code de la sécurité sociale, les agents chargés du contrôle peuvent proposer à la personne contrôlée d'utiliser les méthodes de vérification par échantillonnage et extrapolation définies par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale.
Ce texte, qui ne concerne que les contrôles effectués en application de l'article L. 243-7 du code de la sécurité sociale, ne s'applique pas aux indus réclamés par les caisses, en cas d'inobservation des règles de tarification et de facturation, sur le fondement de l'article L. 133-4.
Au demeurant, dans son courrier du 9 avril 2018, la caisse relève différentes anomalies :
- des erreurs de cotation et de non-respect de la NGAP dans la cotation d'actes en AMS 9.5 pour de la rééducation de la déambulation du sujet âgé ;
- l'utilisation de prescriptions médicales périmées ou l'utilisation de deux prescriptions médicales pour des soins identiques, pour les mêmes assurés par deux professionnels du cabinet qui ont facturé les mêmes actes sur une même période ;
- une hyperactivité, six jours sur sept, toute l'année, M. [M] reconnaissant facturer le samedi, en compensation d'actes réalisés à un autre moment par elle-même ou un confrère ;
- la facturation d'actes fictifs, aucun soin n'étant réalisé le samedi ni sur les trois premières semaines d'août, soit la facturation n'est pas faite par celui qui a réalisé les soins ;
- la facturation décalée d'actes par rapport à leur réalisation.
Il résulte de l'annexe du courrier du 31 octobre 2018 que la caisse a vérifié l'ensemble des actes mandatés du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018 concernant plusieurs patients sur de nombreuses pages de tableaux. Il n'y a donc pas eu échantillonnage.
Sur la prescription
M. [M] demande que soient expurgés de la réclamation les actes compris entre le 22 mai 2015 et le 2 novembre 2015, la réclamation ayant été reçue le 3 novembre 2018.
Aux termes de l'article L. 133-4 du code de la sécurité sociale susvisé, l'action en recouvrement, qui se prescrit par trois ans, sauf en cas de fraude, à compter de la date de paiement de la somme indue, s'ouvre par l'envoi au professionnel ou à l'établissement d'une notification de payer le montant réclamé ou de produire, le cas échéant, leurs observations.
Il ressort de ce texte que ce sont les dates de mandatement ou règlement des actes qui doivent être prises en compte et non la date de réalisation de l'acte par le professionnel de santé, la caisse ayant d'ailleurs reproché à M. [M] de décaler la facturation des actes par rapport à leur réalisation.
En l'espèce, les tableaux joints au constat d'anomalies et à la notification d'indu font état de règlements du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018.
Ce même texte prévoit que la prescription est interrompue par 'l'envoi au professionnel ou à l'établissement d'une notification de payer le montant réclamé ou de produire, le cas échéant, leurs observations.'
Cet envoi correspond au courrier du 28 mars 2018 en constat d'anomalie adressé par la caisse, visant un indu et invitant le professionnel de santé à faire valoir ses observations.
Seuls les actes réglés antérieurement au 28 mars 2015 seraient donc prescrits.
La caisse n'a pas communiqué l'avis de réception du courrier du 28 mars 2018 mais l'existence de l'envoi de la demande d'observations à cette date n'est pas contestée.
Quand bien même, il conviendrait de se placer à la date à laquelle M. [M] a accusé réception de cette notification, soit le 30 avril 2018, ainsi qu'il ressort de son courrier d'observations, aucune prescription n'est encourue dès lors que les premiers paiements sont intervenus à compter du 9 juin 2015.
La demande tendant à la prescription d'une partie de la demande de la caisse sera ainsi rejetée.
Sur la période de contrôle
M. [M] demande que soient expurgés de la réclamation les actes antérieurs au 2 novembre 2015 et postérieurs au 8 décembre 2017, le service médical ayant opéré un contrôle sur la période du 22 mai 2015 au 8 décembre 2017, alors que la caisse a cru devoir étendre cette période jusqu'au 17 janvier 2018, postérieurement aux opérations de contrôle.
Cependant, dès son courrier du 28 mars 2018, la caisse a précisé à M. [M] qu'elle avait contrôlé la période de remboursement du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018. Cette période est reprise dans la notification de créance du 31 octobre 2018.
Aucune purge n'est donc à prévoir sur la période considérée.
Sur le fond du contrôle
M. [M] demande à la cour de prendre connaissance de sa lettre dans laquelle il a formulé ses observations le 28 avril 2018.
Néanmoins, ce courrier est antérieur à la notification de créance du 31 octobre 2018 qui a déjà pris en compte les observations de M. [M] pour diminuer la créance réclamée de 54 635,82 euros à 51 003,02 euros.
M. [M] ne fait aucune observation concrète sur les annexes de la notification de créance du fait des anomalies constatées par la caisse le 31 octobre 2018.
Dès lors, il convient de considérer que l'indu dont le recouvrement est poursuivi par la caisse est justifié tant dans son principe que dans son montant.
En conséquence, M. [M] sera condamné à payer à la caisse la somme de 51 003,02 euros.
Sur les dépens et les demandes accessoires
M. [M], qui succombe à l'instance, est condamné aux dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019.
Il sera corrélativement débouté de sa demande fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Enfin, la cour n'a pas à statuer sur la délivrance par le greffe du présent arrêt qui dépend d'un mode d'exécution postérieur à cette décision prévu par l'article R. 142-10-7 du code de la sécurité sociale et l'article 465 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a déclaré recevable le recours formé par M. [R] [M] ;
Statuant à nouveau sur les points réformés et y ajoutant,
Dit que la procédure d'indu diligentée par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise à l'encontre de M. [R] [M] est régulière ;
Dit que les indus réclamés par la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise sur la période du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018 ne sont pas couverts par la prescription ;
En conséquence, rejette la fin de non-recevoir tirée de la prescription ;
Condamne M. [R] [M] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-d'Oise la somme de 51 003,02 euros au titre de l'indu réclamé pour la période du 9 juin 2015 au 9 janvier 2018 ;
Condamne M. [R] [M] aux dépens éventuellement exposés depuis le 1er janvier 2019 ;
Déboute M. [R] [M] de sa demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente, et par Madame Méganne MOIRE, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, La PRESIDENTE,