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02/03/2023 | FRANCE | N°20/00703

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 02 mars 2023, 20/00703


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 02 MARS 2023



N° RG 20/00703 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-TZPP



AFFAIRE :



[O] [N]



C/



S.A. CITELUM



Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/03702















Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sophie ROUVERET



Me Catherine LE MANCHEC





le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 02 MARS 2023

N° RG 20/00703 -

N° Portalis DBV3-V-B7E-TZPP

AFFAIRE :

[O] [N]

C/

S.A. CITELUM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/03702

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sophie ROUVERET

Me Catherine LE MANCHEC

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [O] [N]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Sophie ROUVERET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0754, substitué par Me Frédéric GERVAIS, avocat au barreau de PARIS, veestiaire E2137

APPELANT

****************

S.A. CITELUM

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Catherine LE MANCHEC de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0438, substitué par Me Zoé RIVAL, avocat au barreau de PARIS, vestiaire P438

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier en pré-affectation lors des débats : [H] [S],

La société Citelum ' dont le siège social se situe à [Localité 7], dans les Hauts-de-Seine ' est une filiale de la société EDF, spécialisée dans les travaux d'installation électrique sur la voie publique. Elle emploie plus de dix salariés.

La convention collective applicable est celle des cadres des travaux publics du 20 novembre 2015.

M. [O] [N], né le 1er août 1978, a été embauché par la société Citelum par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 8 juillet 2015 en qualité de directeur de projet.

Par courrier du 8 février 2017, M. [N] a démissionné dans les termes suivants :

« Depuis désormais plus d'un an et demi que j'ai rejoint Citelum j'ai été lésé sur mon poste, mes fonctions, mes missions, la nature des dossiers que je traite et les ressources dont je devais disposer. Et je constate que l'entreprise n'a strictement rien fait pour régler cette situation malgré les dizaines d'alarmes que j'ai sonnées auprès de l'ensemble de ma hiérarchie, des ressources humaines.

Je rappelle que j'étais en poste et que l'entreprise Citelum par le biais du directeur du Développement M. [J] [B] m'a débauché sur la base entre autre d'un projet d'entreprise lié au développement de Citelum sur les grands projets européens et en particulier les marchés de partenariat. De sorte que mon départ était fondé sur des engagements précis de projets et d'équipe pour répondre à ces ambitions de développement.

Aussi l'organigramme de l'équipe développement Europe a été décimé juste avant et après mon arrivée chez Citelum : l'organigramme qui m'avait été présenté lors de mes entretiens comptait 4 chefs de projets, 2 concepteurs lumières, des ingénieurs d'études et des infographistes, sur lesquels j'allais pouvoir m'appuyer pour répondre aux dossiers complexes. Trois mois après avoir signé ma promesse d'embauche, lors de mon premier jour à Citelum, j'apprends qu'une partie de l'équipe est en train d'être licenciée ou a remis sa démission.

Quant à la dimension européenne, elle a été arrêtée nette, après trois mois au sein de Citelum, vous annoncez que le développement en Europe est stoppé ce qui va à l'encontre même de mon embauche.

J'ai donc rejoint Citelum en tant que Directeur de Projets sur les grands projets complexes et à forts enjeux que Citelum devait adresser en Europe, eu égard à mon expertise technique, juridique et financière sur ces dossiers et ma dimension internationale.

Depuis plus d'un an et demi que j'ai rejoint Citelum les projets qui m'ont été confiés sont des dossiers d'éclairage public des plus basics [sic]: des budgets de 10 Millions d'euros maximum, aucun dossier européen, aucun dossier Smart City.

Et les choses n'ont cessé de se dégrader au fil des mois : les dossiers de la [Localité 8] et de [Localité 5] que je traite actuellement en sont les exemples les plus criants : je dois désormais traiter des dossiers de travaux ou des dossiers où nous (ne) faisons que la conception, c'est à dire du fonds de commerce qui devrait être géré par les régions et non pas par la cellule développement dont je fais partie et qui était destinée à traiter les grands projets.

Depuis un an et demi que j'ai rejoint Citelum, j'ai traité 8 dossiers basiques dans notre métier, et pour lesquels il n'y avait même plus les ressources fondamentales pour y répondre : j'ai ainsi assuré personnellement les rôles de chef de projet, d'ingénieur d'études pour les chiffrages - alors que c'est un métier que je ne maitrisais pas et que j'ai dû mettre en pratique sur le tas -, d'assistante (saisie du dossier de candidature...) et même de coursier !

Malgré toutes ces actions qui m'ont rabaissé, j'ai courbé l'échine en espérant que les choses allaient évoluer. Et j'ai remporté à bout de bras 4 projets sur 5.

Depuis janvier 2016, je dois également te reporter directement et non plus à [G] [J] [B], sans qu'aucun organigramme officiel n'ait été diffusé, ce qui ajoute de la confusion à la situation déjà bien trouble.

Depuis 20 mois que j'ai rejoint Citelum, je demande que mon poste corresponde à ce pourquoi j'ai été embauché mais dans les faits tous les dossiers qui m'ont été confiés sont allés dans le sens contraire de cette demande, force (est) de constater qu'il me reste que la démission comme solution.

Par la présente, et pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, je vous présente ma démission du poste dont l'intitulé de poste est Directeur Projets. ».

Par requête reçue au greffe le 14 décembre 2017, M. [N] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir sa démission requalifiée en prise d'acte et de se voir allouer diverses sommes indemnitaires.

Par jugement rendu le 23 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

- dit qu'en l'espèce la prise d'acte de M. [N] s'analyse en (une) démission,

- débouté M. [N] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Citelum de sa demande 'reconventionnelle' au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [N] aux éventuels dépens.

M. [N] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 6 mars 2020.

Par dernières conclusions (n°3) notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, M. [N] demande à la cour de :

- déclarer M. [O] [N] recevable et bien fondé en son appel,

Y faisant droit et statuant à nouveau,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 23 janvier 2020,

- requalifier sa démission en prise d'acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

- constater le manquement de la société Citelum à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail,

En conséquence,

- condamner la société Citelum à verser à M. [N] les sommes suivantes :

. indemnité conventionnelle de licenciement : 29 072,88 euros,

. indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 41 532 euros,

. dommages et intérêts pour exécution de mauvaise foi : 14 000 euros,

. article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,

Avec intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil,

- ordonner à la société Citelum de remettre à M. [N] des documents de fin de contrat conformes au jugement à intervenir sous astreinte de 200 euros par jour de retard,

- condamner la société Citelum aux entiers dépens y compris les éventuels frais d'exécution.

Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 2 septembre 2022, la société Citelum demande à la cour de :

- juger que M. [N] procède par pures affirmations non étayées qui ne peuvent qu'être écartées,

- juger que la société démontre que le contrat de travail de M. [N] a été exécuté loyalement,

- juger que le contrat de travail de M. [N] a pris fin par démission intervenue le 8 février 2017,

- juger que M. [N] ne caractérise aucun préjudice,

- rejeter l'intégralité des demandes, fins et prétentions formulées par M. [N],

En conséquence :

- confirmer en tous points le jugement du 23 janvier 2020,

- condamner 'reconventionnellement' M. [N] au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens éventuels.

Par ordonnance rendue le 7 décembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 6 janvier 2023.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des partis pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L'ARRET

Sur la demande de requalification de la démission en prise d'acte de rupture du contrat de travail

M. [N] soutient que les missions qui lui ont été confiées ne correspondent pas au poste pour lequel il a été recruté et demande la requalification de sa démission en rupture du contrat de travail ayant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Citelum réplique que M. [N] procède par affirmations sans produire la moindre pièce pour étayer ses dires et que les manquements qu'il invoque, un an et 6 mois après son embauche, ne sont pas fondés et ne sont pas d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

En vertu des dispositions de l'article L. 1231-1 du code du travail, le contrat de travail peut être rompu à l'initiative de l'employeur ou du salarié.

Le salarié peut mettre fin au contrat de travail unilatéralement en raison de faits imputables à l'employeur. Cette prise d'acte de la rupture produit les effets soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués sont établis et s'ils sont suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite du contrat, soit d'une démission dans le cas contraire.

Lorsque le salarié motive sa démission par des manquements de l'employeur, la rupture s'analyse en une prise d'acte dans les mêmes conditions.

C'est au salarié de rapporter la preuve de ces manquements et de leur gravité. S'il subsiste un doute sur la réalité des faits invoqués à l'appui de la prise d'acte, celle-ci doit produire les effets d'une démission.

En l'espèce, il n'est pas discuté que la démission est équivoque en ce qu'elle est motivée par des manquements imputés à l'employeur.

1 - sur le périmètre du poste de M. [N]

M. [N] fait valoir qu'il n'a pas répondu à une annonce pour être recruté et que les échanges intervenus entre les parties avant son engagement importent peu puisqu'il a été embauché, aux termes de son contrat de travail, en qualité de directeur de projet, cadre niveau 4, rattaché à la direction développement Europe ; que l'équipe qui serait mise à sa disposition lui avait été présentée durant son processus de recrutement et comportait neuf personnes ; qu'il lui avait été précisé qu'il serait amené à travailler en France sur des projets complexes ou Premium, tels que les contrats de partenariat public privé (PPP), mais qu'il contribuerait avant tout au développement de Citelum sur l'Europe et qu'il serait amené à travailler en Grande Bretagne, en Pologne et en Belgique, ce qui était attractif et constituait des éléments essentiels de son consentement.

La société Citelum répond qu'elle n'a pas débauché M. [N] en lui faisant de fausses promesses sur le contenu du poste puisque c'est M. [N] qui a candidaté par l'intermédiaire de cabinets de recrutement pour rejoindre ses effectifs, tant en février 2013 pour un poste de directeur commercial France, qu'en 2015 pour un poste de 'project manager Europe' ; qu'une promesse d'embauche sur un poste de 'senior project manager' lui a été adressée en 2015 mais que M. [N] ayant insisté pour la modification de l'intitulé du poste et pour un salaire revu à la hausse, un poste de 'project director' lui a été proposé ; qu'aucune dimension européenne de ses fonctions n'était envisagée initialement, soulignant que la société ne pouvait s'engager sur des projets au moment de l'embauche, avant que les appels d'offres de marchés publics ne soient publiés.

Elle soutient que le rattachement à la direction Europe n'impliquait pas que tous les projets conduits devaient nécessairement être de dimension européenne, puisque plusieurs directions sont rattachées à la direction Europe, notamment la direction France et que la direction développement Europe n'exclut pas le périmètre France.

Il ressort des pièces versées au débat que la candidature de M. [N] à un poste de directeur développement grands comptes ou directeur commercial France au sein de la société Citelum n'a pas été retenue en février 2013 au motif que 'il s'agit plutôt d'un profil 'développement / marketing' que commerce' et que 'ce profil est plutôt adapté chez nous à une fonction Chef de projet (++) voire Responsable Cellule Projets' (courriel du 18 février 2013 - pièce 1 de l'intimée), la candidature présentant cependant 'de réels intérêts susceptibles de nous intéresser sur des fonctions de type Chef de Projet Senior' (courriel du 11 juin 2013 - pièce 3 de l'intimée).

Le 24 avril 2015, le curriculum vitae de M. [N] a été transmis à un cabinet de recrutement par M. [P], de la RH de Citelum, avec une fiche de poste de 'chef de projet' (pièce 15 de l'intimée).

La candidature de M. [N] a été présentée par le cabinet de recrutement Eurosélection pour le poste de 'project manager Europe', selon le compte-rendu d'entretien du 27 avril 2015 (pièce 4 de l'intimée).

Le 27 mai 2015, la société Citelum a présenté une première promesse d'embauche à M. [N] pour un poste de Senior Project Manager, statut cadre B3 avec un salaire fixe de 85 000 euros sur 13 mois et un variable de 15 % (pièce 5 de l'intimée).

En réponse, par courriel adressé à M. [T], directeur délégué Stratégie & Marketing de la société Citelum, M. [N] a souhaité savoir si :

"- au niveau de l'intitulé du poste, nous pourrions indiquer "Director Project Manager" comme vous me l'avez présenté lors de notre dernier entretien,

- au niveau du statut, serait-il possible d'être positionné au niveau B4, niveau que j'occupais chez Bouygues et dans ma nouvelle entreprise (...)" (pièce 32 de l'appelant).

La société Citelum a en conséquence formulé une nouvelle proposition d'embauche le même jour, 27 mai 2015, pour un poste de Project Director, statut cadre B4 avec un salaire fixe de 87 000 euros sur 13 mois et un variable de 15 % (pièce 2 de l'appelant).

Le contrat de travail a été signé pour un emploi de Project Director, "rattaché hiérarchiquement au Directeur Développement Europe", statut cadre de niveau B4, mentionnant que "les attributions du salarié pourront faire l'objet d'évolutions rendues nécessaires par le développement de l'entreprise ou son organisation, dans le respect de la qualification du salarié. Dans ce cas, elles seront notifiées au salarié, soit par notes de service, courriers ou lettres de missions." (pièce 3 de l'appelant).

Dans une information Flash du 13 juillet 2015, la société Citelum a fait part de nomination de M. [N] qui "rejoint la direction Europe de Citelum à compter du 15 juillet 2015 en qualité de Project director" (pièce 8 de l'intimée).

Il ressort de l'organigramme de la société Citelum qu'il existait, sous la hiérarchie de M. [M], directeur général, notamment une direction Asie/Pacifique, une direction Amériques et une direction Europe, laquelle était dirigée par M. [D] [T] et comportait des services France, Italie, Espagne, Danemark, République tchèque, Maroc et "développement Europe GB, Pologne, Belgique" (pièce 22 de l'intimée).

M. [N] ayant été rattaché au directeur développement Europe, il avait donc vocation à traiter, comme il le soutient, des contrats s'exécutant en Grande Bretagne, en Pologne et en Belgique et non uniquement en France. Il s'est d'ailleurs vu confier la direction d'un projet complexe et significatif concernant le Kent, en Grande-Bretagne, dès la publication de l'appel d'offres le 19 août 2015, ainsi que le relate M. [T] dans son attestation (pièce 18 de l'intimée) et M. [J] [B] dans son courriel du 9 décembre 2016 (pièce 36 de l'appelant).

Le supérieur hiérarchique direct N+1 de M. [N] était, lors de l'entretien professionnel du 12 janvier 2016, M. [G] [J] [B], directeur développement Europe et lors de l'entretien professionnel du 11 janvier 2017, M. [I] [R], directeur Europe (pièces 37 de l'appelant et 19 de l'intimée).

Dans un courriel adressé le 9 décembre 2016, M. [J] [B] a écrit à M. [N] "Je te confirme en effet que nous t'avions recruté en juillet 2015 en tant que directeur de projet au sein de la direction du développement Europe pour piloter des grands projets complexes à fort enjeu pour Citelum."

La vocation à traiter des grands projets "Premium" ressort également de la présentation "Commerce Europe - Réunion [O] [N] - 15 juillet 2015" produite en pièce 39 par l'appelant et des objectifs de son entretien d'évaluation du 11 janvier 2017, sans qu'il en résulte pour autant qu'il ne devait traiter que ce type de projets.

Il est ainsi établi que le poste pour lequel M. [N] a été recruté devait l'amener à conduire notamment des grands projets complexes, en France mais également dans des pays européens (Grande-Bretagne, Pologne et Belgique).

2 - sur l'exécution du contrat de travail

M. [N] fait valoir que la société Citelum ne lui a pas confié de projets conformes à ce qui avait été convenu lors de son recrutement et qu'il a été amené à réaliser des tâches et missions qui ne correspondaient pas à son poste, ce dont l'entreprise avait conscience.

Il précise qu'il n'a jamais occupé les fonctions de directeur de projet au sein du département développement Europe et n'a pas été affecté à la réalisation de projets Premium mais a réalisé des tâches incombant normalement à des assistantes administratives (remplir des documents administratifs pour répondre à des appels d'offre), à des chefs de projets juniors ou à des ingénieurs d'études ; que son équipe a été dissoute. Il relate que courant octobre 2015 le directeur du développement auquel il était rattaché a été écarté et qu'il traitait directement avec le directeur Europe ; que le directeur général a annoncé la suspension du développement Europe sur les pays correspondant à son embauche ; qu'il a alerté la société sur l'absence de respect des engagements contractuels à son égard et n'a plus travaillé que sur des projets non Premium, les projets plus importants Renault et [Localité 6] étant confiés à des personnes non expérimentées.

Il souligne enfin que le poste de directeur commercial indoor ne lui a pas été proposé par la société et que c'est faute de poste conforme qu'il a démissionné.

Il fait valoir que le fait de ne pas avoir respecté dès l'origine les dispositions de son contrat de travail s'assimile à une modification unilatérale de celui-ci, ce manquement étant suffisamment grave pour justifier la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Citelum soutient que les missions confiées à M. [N] étaient conformes au poste pour lequel il a été embauché, impliquant une simple coordination d'équipes ; que des projets importants en France lui ont été confiés, l'évolution vers des projets européens n'étant qu'un espoir du salarié et non une promesse non tenue par la société. Elle souligne que le développement de l'entreprise n'a pas été celui escompté, dans des délais aussi rapides, ce qui s'explique par la nature de son activité entièrement dépendante des appels d'offres publiés par les autorités publiques, sur lesquels elle n'avait aucune maîtrise.

Elle fait valoir que M. [N] n'est pas resté sans activité et qu'elle a satisfait à son obligation de lui fournir du travail ; que, compte tenu du souhait exprimé par le salarié, elle lui a proposé un autre poste, stratégique pour l'entreprise, de développement de l'activité indoor France, qu'il a déclinée, préférant démissionner.

Il ressort de l'entretien annuel qui s'est déroulé le 12 janvier 2016 que si le responsable de M. [N] indiquait que l'intégration de ce dernier donnait pleine satisfaction, il faisait part d'un "espoir que [O] puisse s'épanouir en 2016 sur des projets de tailles et d'enjeux plus significatifs". De son côté, le salarié mentionnait : "Toutefois, j'ai été embauché pour être directeur projet Europe et je me retrouve depuis 6 mois à être chef de projet France ; le contrat n'est pas respecté. Espoir de pouvoir évoluer dans mes fonctions rapidement." (pièce 17 de l'appelant).

La "2016 Roadmap" de la société Citelum mentionne (en anglais) que les priorités portent sur certaines zones géographiques (France, Italie, Espagne, Brésil, Danemark, Chili) et qu'au contraire, pour réduire les coûts, une accélération de la réorientation géographique aura lieu avec quelques renonciations notamment sur tout le développement dans les nouveaux pays européens (Pologne, Royaume Uni, Belgique) (pièce 43 de l'appelant). Ce recentrage géographique ressort également du rapport d'activité 2016 de la société Citelum (pièce 42 de l'appelant).

Lors de l'entretien annuel qui s'est déroulé le 11 janvier 2017, au titre des événements importants ayant influé sur les conditions d'exercice de l'emploi pendant la période écoulée, il était noté "pas autant de projets premium qu'attendus / projets de tailles unitaires réduits" et concernant l'adaptabilité que "A su s'adapter à un contenu de poste différent de l'attendu" (pièce 19 de l'intimé).

En réponse au courrier de démission de M. [N], M. [I] [R] lui a écrit :

"J'ai bien pris note de votre volonté de démissionner de notre société, exprimée dans votre courrier du 08/02/2017.

J'ai été surpris que celle-ci intervienne au moment où nous vous proposions un poste de développement de l'activité indoor en France, poste pour lequel vous aviez manifesté un fort intérêt lors de notre entretien annuel de fin d'année. Vous avez rencontré dans cette perspective d'évolution notre directrice générale France pour un entretien qui s'était pourtant révélé, d'après vous, très intéressant.

Par ailleurs, je me permets de réagir sur certains points de votre courrier dont les termes sont à mon sens exagérés et inappropriés :

- le développement de l'entreprise n'a pas été celui escompté lors de votre recrutement, ce qui s'est traduit par une absence de grands projets à vous confier : le manque de dynamisme du marché et les difficultés qu'a traversées l'entreprise sont des éléments par nature difficiles à prévoir,

- comme dans beaucoup d'entreprises de petite taille comme la nôtre, chacun doit parfois de manière très ponctuelle réaliser certaines tâches qui demandent moins de qualifications que d'autres. Cela nous semble faire partie intégrante de la vie en entreprise,

- nous avons pris soin de vous confier certains projets d'importance majeure pour notre société, tel que celui sur les CNPE pour lequel vous traitez directement avec notre CEO,

- enfin, nous avons écouté vos demandes et dès que des opportunités nouvelles ont été créées dans l'entreprise, nous vous les avons proposées afin de répondre à votre souhait d'évolution, comme en témoigne l'opportunité que vous déclinez aujourd'hui." (pièce 5 de l'appelant).

M. [J] [B], qui fait toujours partie de la société Citelum, a relaté dans son courriel du 9 décembre 2016 que M. [N] avait travaillé avec lui à son arrivée sur l'important partenariat public privé pour l'éclairage du Kent au Royaume-Uni mais que la direction générale de Citelum avait décidé de ne pas donner suite à ce projet ; qu'il avait proposé que M. [N] prenne en charge le pilotage de l'important CREM lancé par le Grand [Localité 6], qui était complexe et important, mais qu'il n'a pas été positionné sur ce projet par la direction et qu'il a été contraint de lui confier un CREM plus traditionnel. Il relate que son propre poste a été supprimé et repris par M. [R] et conclut qu'il n'a pu qu'assister à la situation décrite par M. [N] : "contenu de tes missions dégradé, taille de dossiers très réduite, composition de l'équipe réduite t'obligeant de prendre en charge des missions dépassant le rôle de chef de projet..." (pièces 36 et 46 de l'appelant).

M. [T] relate, s'agissant du projet du Kent, que la direction générale de Citelum a décidé le 29 septembre 2015 de ne pas poursuivre l'instruction du dossier, au terme de l'étude des pièces de l'appel d'offres et de la recherche infructueuse de partenaires locaux, considérant que les conditions d'un possible succès n'étaient pas réunies (pièce 18 de l'intimée). Il ajoute que M. [N] n'était pas le seul collaborateur expérimenté au sein de l'entreprise pouvant prendre en charge les dossiers Renault et [Localité 6], que les salariés auxquels ces dossiers ont été confiés étaient compétents et que les deux contrats ont d'ailleurs été confiés à Citelum.

Il apparaît ainsi que des projets européens situés dans la zone géographique où M. [N] intervenait ont été abandonnés, six mois après l'embauche de ce dernier, l'entreprise ayant fait le choix, qui relève de son pouvoir de direction, de réduire certains coûts et de privilégier d'autres pays.

Par ailleurs, si M. [N] n'a pas été positionné sur tous les grands projets espérés, il n'en résulte pas un manquement de la part de l'employeur dès lors que la preuve n'est pas rapportée que les projets en cause (Renault et [Localité 6]) ont été confiés à des salariés moins qualifiés que M. [N] pour les traiter et que la société Citelum a continué à fournir du travail à M. [N], notamment un important projet sur les CNPE.

Par ailleurs, dans le compte-rendu de l'entretien annuel du 11 janvier 2017, il a été inscrit que M. [N] avait le projet professionnel d'exercer "dès que possible" les fonctions de développeur indoor France, son responsable estimant qu'il s'agissait d'une "belle opportunité pour [O] qui a démontré ses capacités commerciales, a déjà des expériences avec le monde industriel et tertiaire".

Par courrier du 23 février 2017, M. [R] a indiqué à M. [N] qu'une nouvelle opportunité lui a été proposée et qu'il l'a déclinée.

M. [N] a répondu le 10 mai 2017 : "J'ai en effet eu un entretien avec la directrice générale France au cours duquel elle a eu la franchise de m'informer qu'elle n'avait pas de mission à me proposer correspondant à l'emploi pour lequel j'avais été recruté et que le dossier Renault risquait de rester un dossier exceptionnel. C'est précisément suite à cet entretien que je n'ai pas eu d'autre choix que de vous présenter ma démission." (pièce 6 de l'appelant).

Mme [X] [E], alors directrice France de la société Citelum, a attesté que : "J'ai reçu [O] [N] pour un entretien dans le but de lui présenter et proposer un poste que j'ouvrais et plaçais sous ma responsabilité : directeur commercial indoor France. L'échange que nous avons eu a mis en évidence qu'il s'agissait d'un poste de développement stratégique pour la diversification des activités de Citelum France où il aurait eu à faire émerger de gros projets (critère qui était important pour lui). Cependant, cela aurait pris probablement quelques mois pour les concrétiser. Il m'a dit réfléchir à ma proposition mais ne m'a fait aucun retour sur cette dernière puis a acté très rapidement de sa démission de Citelum." (pièce 23 de l'intimée).

Un nouveau poste correspondant aux attentes de M. [N], même si les perspectives de résultat étaient différées, lui a ainsi été proposé par la société Citelum.

Il ne résulte pas de l'ensemble de ces éléments que la société Citelum a apporté unilatéralement une modification importante au contrat de travail de M. [N] et qu'elle a commis un manquement grave rendant impossible la poursuite du contrat.

En conséquence, la demande de M. [N] tendant à voir requalifier sa démission en prise d'acte de la rupture du contrat de travail, produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sera rejetée, ainsi que toutes ses demandes indemnitaires, par confirmation de la décision entreprise.

Sur le manquement de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que 'le contrat de travail est exécuté de bonne foi.'

L'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur constitue une faute de sa part ouvrant un droit à réparation pour le salarié qui en subit un préjudice.

En l'espèce, il ne ressort pas des éléments susvisés que la société Citelum, qui a fait des choix contraints par le marché et l'attribution d'appels d'offres, a exécuté de manière déloyale le contrat de travail.

La décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de dommages et intérêts formée par M. [N].

Sur les demandes accessoires

Il n'a pas lieu de statuer sur la demande de remise de documents de fin de contrat.

La décison de première instance sera confirmée sur les dépens et les frais irrépétibles.

M. [N] sera condamné aux dépens d'appel et à payer la somme de 1 500 euros à la société Citelum sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sa demande formée du même chef sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 janvier 2020 par le conseil des prud'hommes de Nanterre,

Y ajoutant,

Condamne M. [O] [N] aux dépens d'appel,

Condamne M. [O] [N] à payer à la société Citelum une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [O] [N] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme [H] [S], greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier en pré-affectation, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00703
Date de la décision : 02/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-02;20.00703 ?
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