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01/03/2023 | FRANCE | N°21/03044

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 01 mars 2023, 21/03044


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 01 MARS 2023



N° RG 21/03044



N° Portalis DBV3-V-B7F-UZFQ



AFFAIRE :



[D] [O] [X] [K]



C/



S.A.R.L. HOTEL GRIL DE [Localité 4]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambre :

Section : C

N° RG : F19/00344



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Maude BECKERS



Me Florence FROMENT MEURICE de la SELAS KARMAN ASSOCIES





le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 MARS 2023

N° RG 21/03044

N° Portalis DBV3-V-B7F-UZFQ

AFFAIRE :

[D] [O] [X] [K]

C/

S.A.R.L. HOTEL GRIL DE [Localité 4]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 16 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F19/00344

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Maude BECKERS

Me Florence FROMENT MEURICE de la SELAS KARMAN ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE UN MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [D] [O] [X] [K]

né le 28 Octobre 1970 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par : Me Maude BECKERS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de SEINE-SAINT-DENIS, vestiaire : 141

APPELANT

****************

S.A.R.L. HOTEL GRIL DE [Localité 4]

N° SIRET : 320 585 151

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par : Me Florence FROMENT MEURICE de la SELAS KARMAN ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R245

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

M. [D] [O] [K] a été engagé par la société Hôtel Grill Campanile de [Localité 4] suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 18 mai 2014 en qualité d'employé polyvalent d'hôtellerie de nuit, niveau 2, échelon 1, avec le statut d'employé.

Il travaillait 169 heures par mois de nuit de 22h45 à 6h45 ou 7h45 à temps plein, soit cinq nuits par semaine.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale des hôtels, cafés et restaurants.

Le 18 décembre 2015, M. [K] s'est blessé à l'épaule droite après avoir porté des casiers de bières.

M. [K] a fait l'objet de deux avertissements les 29 janvier 2017 et 30 juillet 2018.

Dans son avis du 17 février 2017, le médecin du travail a rendu l'avis d'aptitude avec réserve suivant : 'apte avec propositions d'aménagement du poste :

1. Contre-indication médicale au port répétitif de charges de plus de 10 kilogrammes pendant trois mois

2. Proposition d'aménagement technique et/ou organisationnel du poste :

Fournir un diable pour le rangement des livraisons, des gants de manutention et des chaussures de sécurité adaptées.

Etude du poste de travail à organiser afin d'évaluer la charge physique du poste.

A revoir après cette étude'.

Après étude de poste, dans son avis du 8 juin 2017, le médecin du travail a rendu l'avis d'aptitude avec réserve suivant :

'1. Contre-indication médicale au port répétitif de charges de plus de 15 kilogrammes.

2. Proposition d'aménagement technique et/ou organisationnel du poste : recommandations techniques et organisationnelles à appliquer selon les conclusions de l'étude ergonomique effectuée le 17 mai 2017, avec en priorité formation PRAP et chariot à fond mobile et étudier la possibilité d'alternance des plannings avec l'autre veilleur'.

Par lettre du 26 novembre 2018, le salarié a été mis à pied à titre conservatoire et convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 4 décembre 2018.

Par lettre du 12 décembre 2018, l'employeur a licencié le salarié pour faute.

Le 10 décembre 2019, M. [K] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye afin d'obtenir la condamnation de la société Hôtel Grill de [Localité 4] au paiement de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral qu'il estime avoir subi, pour violation de l'obligation de prévention du harcèlement moral, pour exécution déloyale du contrat de travail, pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité, pour avertissement injustifié, pour mise à pied injustifiée, pour licenciement nul et réparation intégrale du préjudice, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement en date du 16 septembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a dit et jugé que le licenciement de M. [K] était fondé sur une cause réelle et sérieuse, débouté M. [K] de l'intégralité de ses demandes, débouté la société Hôtel Grill de [Localité 4] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et laissé les éventuels dépens à la charge de M. [K].

Le 15 octobre 2021, M. [K] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 12 janvier 2022, M. [K] demande à la cour de :

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de toutes ses demandes,

- statuant à nouveau :

- condamner la société Hôtel Grill de [Localité 4] à lui payer les sommes suivantes:

* à titre principal, 55 895,28 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, à titre subsidiaire, 55 895,28 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

* 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité,

* 1 500 euros à titre de dommages et intérêts pour sanction injustifiée (annulation de l'avertissement du 30 juillet 2018),

* à titre principal, 50 000 euros au titre du licenciement nul, à titre subsidiaire, 11 659,68 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la remise, sous astreinte de 50 euros par jour et par document, que la cour se réservera le droit de liquider, d'une attestation Pôle emploi, des bulletins de paie, d'un certificat de travail conformes au jugement,

- assortir les condamnations des intérêts légaux avec capitalisation,

- débouter la société Hôtel Grill de [Localité 4] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Hôtel Grill de [Localité 4] aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 11 avril 2022, la société Hôtel Grill de [Localité 4] demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, en conséquence, de débouter M. [K] de l'intégralité de ses demandes et de le condamner à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 10 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur l'avertissement du 30 juillet 2018

Le salarié sollicite l'annulation de l'avertissement ainsi que le paiement de la somme de 1 500 euros à titre de dommages et intérêts, faisant valoir qu'il n'aurait pas dû être sanctionné pour ces faits puisque l'employeur n'adaptait pas son poste de travail à ses contraintes physiques.

L'employeur indique que le poste de travail a été adapté et que le médecin du travail n'a pas formulé de contre-indication pour l'activité de nettoyage ni pour le port de charge inférieur à 15 kilogrammes, qu'ainsi l'avertissement est fondé au vu du refus du salarié d'accomplir nombre de ses fonctions.

En application de l'article L. 1333-1 du code du travail, le salarié peut demander au juge l'annulation d'une sanction disciplinaire prise à son encontre par son employeur ; le juge forme sa conviction au vu des éléments apportés par les deux parties ; toutefois, l'employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre cette sanction qui sera annulée si elle est irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée.

L'employeur doit procéder aux aménagements de poste préconisés par le médecin du travail.

En l'espèce, l'avertissement du 30 juillet 2018 reproche au salarié :

- depuis avril 2018 de refuser de ranger les commandes et de nettoyer les sols, de ne pas effectuer d'autres taches lui incombant (remplissage de la bible hygiène, nettoyage des vestiaires),

- de ne pas s'être présenté à un rendez-vous à la médecine du travail le 16 juillet 2018 à 10h10.

A compter du 8 juin 2017, le médecin du travail avait émis un avis d'aptitude avec réserve contre-indiquant le port de charges de plus de 15 kilogrammes et avait préconisé une formation en prévention des risques et un chariot à fond mobile ainsi que la possibilité d'alternance des plannings avec l'autre veilleur.

Le salarié produit des extraits de vidéos montrant la réception de fûts de bière d'un poids supérieur aux 15 kilogrammes retenus par la médecine du travail.

L'employeur indique avoir procédé aux aménagements du poste préconisé, mais ne justifie que de la remise des équipements individuels au salarié le 24 avril 2017. Il ne démontre pas avoir organisé une formation sur les risques, avoir mis à disposition du salarié un chariot à fond mobile et avoir étudié la possibilité d'alternance des plannings avec l'autre veilleur, le salarié seul la nuit ayant été mis en situation de façon répétée de recevoir les commandes, comprenant des charges supérieures à 15 kilogrammes, limite de port de charge préconisée par le médecin du travail, notamment des fûts de bières.

En outre, le salarié était convoqué à un rendez-vous à la médecine du travail le 16 juillet 2018 à 10h10 alors que son service de nuit se terminait vers 7h45, soit plus de deux heures après, alors que des rendez-vous plus tôt étaient possibles.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, l'avertissement n'était pas justifié alors que l'employeur ne respectait pas les préconisations du médecin du travail et que le salarié n'aurait pas dû être sanctionné pour les faits les plus sérieux invoqués dans l'avertissement relatifs aux commandes et à la médecine du travail. L'avertissement sera, par conséquent, annulé.

Il sera alloué à M. [K] une somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral au titre de l'avertissement injustifié.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié invoque les faits suivants:

le non-respect des préconisations du médecin du travail,

des entretiens disciplinaires injustifiés,

des entretiens organisés à des heures auxquelles il ne pouvait se rendre,

des sanctions injustifiées,

un licenciement injustifié.

S'agissant du non-respect des préconisations du médecin du travail 1), le salarié indique que l'employeur ne lui a remis que le 24 avril 2017 les équipements individuels (diable, chaussures de sécurité et gants) préconisés dans l'avis du médecin du travail du 17 février 2017 et n'a jamais appliqué les recommandations formulées par l'ergonome puis reprises par le médecin du travail le 8 juin 2017 à l'issue de l'étude de poste du 17 mai 2017, en n'organisant pas de formation de prévention aux risques, en ne lui mettant pas à disposition un chariot à fond mobile et en ne veillant pas au respect des ports de charge. Au regard des développements qui précèdent, ce fait est matériellement établi.

S'agissant des entretiens disciplinaires injustifiés 2), le salarié fait valoir qu'il a été convoqué à six reprises à entretien disciplinaire et produit les convocations correspondantes aux dates des 25 janvier 2017, 6 novembre 2017, 3 juillet 2018, 12 juillet 2018, 17 juillet 2018 et 4 décembre 2018. Il ajoute que seulement deux de ces entretiens ont donné lieu à sanction, l'avertissement du 30 juillet 2018 et son licenciement, que la multiplication des convocations n'était pas justifiée. Au vu des pièces, l'entretien du 25 janvier 2017 a également donné lieu à avertissement le 29 janvier 2017. L'entretien du 12 juillet 2018 a été organisé suite au refus du salarié de se rendre à l'entretien du 3 juillet 2018 et l'entretien du 17 juillet 2018 a été fixé suite au refus du salarié de se rendre au deuxième entretien le 12 juillet 2018. Il s'en déduit que ces entretiens disciplinaires se sont inscrits dans le cadre du pouvoir disciplinaire de l'employeur, qu'une part de leur répétition est imputable au salarié et que ces entretiens ont donné lieu à sanction de la part de l'employeur à trois reprises, qu'il n'y a donc pas eu répétition d'entretiens disciplinaires injustifiés. Ce fait n'est donc pas matériellement avéré.

S'agissant des horaires des entretiens 3), le salarié déplore des rendez-vous fixés à la médecine du travail entre 8h30 et 10h10 et des convocations à entretien préalable entre 7h45 et 8h alors qu'il finissait son service de nuit à 7h45 en général. Hormis l'horaire de 10h10, les autres horaires s'inscrivaient dans la suite du service du salarié et au plus tôt des horaires compatibles avec les emplois du temps du médecin du travail et du personnel de direction de l'employeur. Il est établi que le salarié a été convoqué à la médecine du travail le 16 juillet 2018 à 10h10, horaire peu compatible avec l'emploi du temps du salarié.

S'agissant des sanctions injustifiées 4), le salarié dénonce les deux avertissements reçus comme étant injustifiés. L'employeur ne produit pas de pièces au soutien de l'avertissement du 29 janvier 2017 pour non-port de l'uniforme, l'avertissement du 30 juillet 2018 était injustifié, il s'en déduit que le salarié a fait l'objet de deux avertissements injustifiés.

S'agissant du licenciement 5), ce dernier est jugé nul ci-après. Ce fait est donc matériellement établi.

Ainsi, le salarié présente des faits de non-respect des préconisations du médecin du travail, de convocation à un horaire impossible à respecter, de deux avertissements injustifiés et d'un licenciement nul, qui pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'un harcèlement.

L'employeur fait valoir qu'il n'a pas de compétence pour adapter le poste de travail du salarié et qu'il n'est pas censé être destinataire de ce genre d'informations qui sont protégées par le secret médical. Il relève que le médecin du travail n'a fait que reprendre les déclarations du salarié, que le dossier médical confidentiel ne lui a pas été transmis par le médecin du travail car il était couvert par le secret médical.

Cependant, l'employeur était tenu de mettre en oeuvre les préconisations du médecin du travail dans le cadre de l'avis d'aptitude avec réserve avant et après étude de poste.

Par conséquent, l'employeur ne rapporte pas la preuve que ses décisions ont été prises pour des raisons étrangères à tout harcèlement.

Il s'en déduit que le salarié a subi des faits de harcèlement moral de la part de son employeur, l'employeur ayant tardé plus de deux mois à lui remettre des équipements individuels, puis lui ayant imposé de manière répétée, au mépris des prescriptions du médecin du travail, d'effectuer des tâches de manutention lourdes contraires au respect des ports de charge lors des livraisons tôt le matin, en le convoquant à la médecine du travail à un horaire peu compatible avec l'organisation du travail du salarié, en lui délivrant deux avertissements injustifiés.

Le salarié invoque une dégradation de son état de santé. Il produit un compte-rendu d'IRM du 11 avril 2017 concluant à des troubles de la statique rachidienne avec inversion de courbure du rachis cervical et cyphose cervicale, à une discopathie cervicale étagée avec protusion disco-ostéophytique plus marquée en C4/C5 en paramédiant droit, un compte-rendu de scanner cervico-dorsal du 25 avril 2017 arrivant aux mêmes conclusions avec identification d'une hernie discale postérieure para-médiane et postéro latérale droite possiblement conflictuelle avec la racine C5 droite. Il verse également aux débats plusieurs prescriptions de semelles orthopédiques, de

rééducation kinésithérapique, de port d'un collier cervical et de traitements médicamenteux ainsi que des certificats de soins effectués chez un kinésithérapeute à hauteur de 20 séances à compter du 22 janvier 2019.

Le lien de causalité entre l'état de santé du salarié qui s'est dégradé et le harcèlement moral subi est démontré.

Il sera alloué à M. [K] une somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice constitué par une dégradation de son état de santé, résultant des faits de harcèlement moral subis.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ce point.

Sur l'obligation de prévention et de sécurité

Le salarié soutient que son employeur n'a pas mis en oeuvre les préconisations du médecin du travail en ne lui mettant pas à disposition les équipements individuels mentionnés puis en ne prenant aucune mesure pour prévenir les faits de harcèlement moral.

L'employeur fait valoir que toutes les préconisations ont été suivies d'effet et qu'après étude de poste, le salarié était apte à effectuer l'intégralité de ses missions puisque les colis les plus lourds étaient d'un poids inférieur aux recommandations, que les colis les plus lourds n'étaient pas soulevés en hauteur mais disposés en bas grâce au diable. Elle relève que le salarié n'a pas été assez diligent pour se rendre aux rendez-vous fixés avec la médecine du travail.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l'espèce, l'employeur a manqué à son obligation de prévention du harcèlement moral en ne mettant pas en oeuvre en temps utile les préconisations du médecin du travail. En outre, il ne justifie pas de procédures particulières en matière de prévention.

Le salarié a subi un préjudice moral distinct du préjudice résultant des faits de harcèlement moral, qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 2 000 euros.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

Le salarié soutient que son licenciement est nul et réclame des dommages et intérêts à ce titre aux motifs que :

- cette décision trouve sa cause dans le harcèlement moral subi,

- cette décision est fondée sur son état de santé et est donc discriminatoire.

L'employeur conclut au débouté de demandes.

Aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail : aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.

Aux termes de l'article L.1152-3 du code du travail, toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.

Aux termes de l'article L. 1132-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une

période de formation en entreprise, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet

d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L. 3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français.

En l'espèce, la lettre de licenciement reproche notamment au salarié son comportement lors de la réception des commandes.

Le passage litigieux de la lettre de licenciement est rédigé comme suit :

'Vous refusez également de ranger les livraisons reçues sur l'établissement malgré mes multiples observations verbales, à titre d'exemples en date des 25 octobre 2018, 14 novembre 2018 et 20 novembre 2018. Pourtant, le poids des colis est inférieur à 15kg et donc conforme aux préconisations du médecin du travail, de plus des mesures vous permettant de faciliter cette mission avaient été mises en place par mes soins après avis auprès d'un Ergonome. Ne comprenant par les raisons pour lesquelles vous ne rangez pas les livraisons, j'ai sollicité plusieurs rendez-vous auprès de la médecine du travail auxquels vous ne vous êtes pas rendu, dont celui du 6 novembre 2018, le dernier en date facturé à hauteur de 80 euros.

Votre comportement est inacceptable et est susceptible de causer des risques sanitaires graves. En effet, les livraisons reçues contiennent notamment une grande partie de nos produits destinés au service au restaurant de notre clientèle qui doivent être réfrigérés dès réception. Les livraisons non rangées par vous sont jetées lorsqu'elles sont découvertes par vos collègues ou moi-même ce qui entraîne une perte financière pour l'établissement et un surcroît d'activité pour vos collègues de travail, exemple le 25 octobre 2018.

[...]

Il est rappelé que votre comportement a déjà fait l'objet de multiples rappels oraux mais également écrits.

[']'.

Il s'en déduit que le licenciement est notamment fondé sur le comportement du salarié résultant du harcèlement moral qu'il a subi, ses refus de réceptionner et ranger les livraisons reçues s'expliquant par l'absence de mise en oeuvre par l'employeur des préconisations de la médecine du travail.

En outre, la lettre rappelle les deux avertissements écrits injustifiés.

Par conséquent, le licenciement trouve sa cause dans le harcèlement subi, il est donc frappé de nullité, sans qu'il soit nécessaire d'examiner le moyen lié à la discrimination en raison de l'état de santé.

Aux termes de l'article L. 1235-3-1 2° du code du travail, l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

En l'espèce, le salarié a subi des faits de harcèlement moral. L'article L. 1235-3 du code du travail n'est donc pas applicable. Le salarié qui ne demande pas sa réintégration, était âgé de 48 ans et avait une ancienneté de quatre ans. Il lui sera donc alloué une indemnité de 15 000 euros pour licenciement nul.

Il convient d'ordonner la remise par l'employeur à M. [K] d'une attestation Pôle emploi, de bulletins de paie et d'un certificat de travail conformes à la décision, sans qu'il soit nécessaire d'ordonner une astreinte.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ces points, sauf en ce qu'il a débouté M. [K] de sa demande d'astreinte.

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société Hôtel Grill de [Localité 4] aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées au salarié du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de trois mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts échus depuis une année entière sera ordonnée.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société Hôtel Grill de [Localité 4] succombant à la présente instance, prendra à sa charge les dépens de première instance et d'appel. Elle devra également régler une somme de 3 000 euros à M. [K] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a débouté M. [D] [K] de sa demande d'astreinte,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant :

Condamne la société Hôtel Grill de [Localité 4] à payer à M. [D] [K] les sommes suivantes :

1 000 euros pour avertissement injustifié,

8 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

2 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de prévention et de sécurité,

15 000 euros pour licenciement nul,

Dit que les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Ordonne la remise par la société Hôtel Grill de [Localité 4] à M. [D] [K] d'une attestation Pôle emploi, de bulletins de paie et d'un certificat de travail conformes à la décision,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,

Ordonne le remboursement par la société Hôtell Grill de [Localité 4] à l'organisme Pôle Emploi concerné des indemnités de chômage versées à M. [D] [K] dans la limite de trois mois d'indemnités,

Condamne la société Hôtel Grill de [Localité 4] aux dépens,

Condamne la société Hôtel Grill de [Localité 4] à payer à M. [D] [K] la somme de

3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Isabelle FIORE, Greffier en auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03044
Date de la décision : 01/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-01;21.03044 ?
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