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15/02/2023 | FRANCE | N°21/03446

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 15 février 2023, 21/03446


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 FEVRIER 2023



N° RG 21/03446



N° Portalis DBV3-V-B7F-U3FT



AFFAIRE :



[M] [L]



C/



S.A. POMONA





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 19/0

0027



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Laurence CIER



Me William TROUVE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versai...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 FEVRIER 2023

N° RG 21/03446

N° Portalis DBV3-V-B7F-U3FT

AFFAIRE :

[M] [L]

C/

S.A. POMONA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Octobre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : F 19/00027

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Laurence CIER

Me William TROUVE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [M] [L]

née le 26 Mai 1975 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurence CIER, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1613 subtitué par Me Mandy COUZINIE, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

S.A. POMONA

N° SIRET : 552 044 992

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me William TROUVE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0138

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [M] [L] a été engagée par la société Pomona suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2016 en qualité de chef de secteur, niveau 4, échelon 1, avec le statut d'employée.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de commerces de gros.

Le 19 septembre 2017, Mme [L] a été placée en arrêt de travail, renouvelé.

Par lettre du 22 septembre 2017, la salariée a fait l'objet d'un avertissement.

Dans le cadre des visites médicales de reprise du 7 et du 18 décembre 2018, la salariée a fait l'objet de l'avis d'inaptitude suivant du médecin du travail : 'l'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi au sein du groupe Pomona'.

Par lettre du 21 décembre 2018, Mme [L] a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 3 janvier 2019.

Le 31 décembre 2018, Mme [L] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail et de la condamnation de la société Pomona au paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité, pour licenciement 'abusif' et de diverses indemnités et sommes liées à l'exécution et à la rupture du contrat de travail.

Par lettre du 8 janvier 2019, l'employeur a licencié la salariée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par jugement en date du 6 octobre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :

- dit que le licenciement de Mme [L] était pour cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Pomona à verser à Mme [L] les sommes suivantes :

* 8 781 euros bruts au titre de la clause de non-concurrence,

* 878 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que les créances salariales produiraient intérêts au taux légal à compter du 9 janvier 2019,

- dit que les intérêts échus seraient capitalisés,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- débouté Mme [L] du reste de ses demandes,

- débouté la société Pomona de ses demandes,

- laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Le 22 novembre 2021, Mme [L] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 2 janvier 2023, Mme [L] demande à la cour de :

- débouter la société de son appel incident,

- par conséquent, confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Pomona à lui verser les sommes suivantes :

* 8 781 euros au titre de la clause de non-concurrence,

* 878 euros au titre des congés payés y afférents,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- pour le surplus, infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tant au titre de l'exécution que de la rupture de son contrat de travail, dit son licenciement pour inaptitude fondé, laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens,

- statuant à nouveau:

- annuler l'avertissement notifié par courrier daté du 22 septembre 2017,

- prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusif de la société Pomona, juger qu'elle produira les effets d'un licenciement nul,

- à titre subsidiaire, juger son licenciement nul à titre principal et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire,

- en tout état de cause, condamner la société Pomona à lui payer les sommes suivantes :

* 4 878,38 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 487,83euros bruts au titre des congés payés afférents, sauf à parfaire,

* 437,06 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement,

* 20 000 euros au titre du licenciement nul, subsidiairement, abusif,

* 15 000 euros à titre des dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et exécution déloyale du contrat de travail,

- ordonner l'intérêt légal à compter de l'introduction de la demande et sur l'ensemble des demandes avec capitalisation par application des articles 1153 et 1154 du code du travail,

- condamner la société Pomona au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Pomona aux entiers dépens.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 4 janvier 2023, la société Pomona demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [L] de sa demande d'annulation de l'avertissement en date du 22 septembre 2017, de sa demande de résiliation du contrat de travail, de sa demande tendant à voir la résiliation judiciaire produire les effets d'un licenciement nul, de sa demande tendant à juger le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement du

8 janvier 2019 nul à titre principal et sans cause réelle et sérieuse à titre subsidiaire, de ses demandes tendant à voir condamner la société Pomona à lui régler une somme de 4 878,38 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 487, 83 euros bruts au titre des congés payés y afférents, une somme de 437,06 euros à titre de solde d'indemnité légale de licenciement, une somme de 20 000 euros au titre du licenciement nul à titre principal et abusif à titre subsidiaire, une somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité de résultat et exécution déloyale du contrat de travail,

- faisant droit à l'appel incident de la société Pomona, infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamnée à verser à Mme [L] une somme de 8 781 euros bruts au titre de la clause de non-concurrence, une somme de 878 euros bruts au titre des congés payés y afférents, une somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- statuant à nouveau, dire et juger que la demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence est irrecevable et à tout le moins prescrite, débouter Mme [L] de ses demandes à ce titre.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 3 janvier 2023.

Lors de l'audience de plaidoirie, l'ordonnance de clôture a été révoquée par mention au dossier.

La clôture a été ordonnée par le magistrat par mention au dossier avant la tenue des débats.

MOTIVATION

Sur la recevabilité de la demande additionnelle au titre de la clause de non-concurrence

L'employeur soulève l'irrecevabilité de la demande au titre de la clause de non-concurrence formée à titre additionnel postérieurement à la requête.

La salariée fait valoir que la demande a la nature compensatrice d'un salaire et qu'elle est la conséquence de la rupture du contrat de travail, bénéficiant ainsi d'un lien suffisant avec la requête initiale en contestation de la rupture du contrat de travail.

Aux termes de l'article 70 du code de procédure civile, les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.

Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout.

En l'espèce, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes en demande de résiliation de son contrat de travail avant même d'être licenciée.

La demande additionnelle formée au titre d'une clause de non-concurrence se rattache par un lien suffisant à la demande originaire en rupture du contrat de travail et en paiement des demandes subséquentes à la rupture, le moyen d'irrecevabilité soulevé par l'employeur doit donc être rejeté.

Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande au titre de la clause de non-concurrence

L'employeur soulève l'irrecevabilité de la demande sur le fondement de l'article L. 1471-1 du code du travail en l'absence de contestation du solde de tout compte dans les délais, la demande étant postérieure de plus de deux ans au licenciement.

La salariée fait valoir que l'indemnité ne fait pas partie du solde de tout compte et qu'elle a introduit son action dans les délais légaux, interrompant le délai de prescription.

Le solde de tout compte ne fait pas état de la clause de non concurrence, mentionnant une somme globale, de sorte que son effet libératoire doit être écarté ainsi que le moyen tiré de la prescription basée sur l'absence de contestation de ce solde de tout compte.

Le délai de prescription annale n'est pas applicable à l'action en résiliation judiciaire du contrat de travail dans la mesure où aucune notification de la rupture n'est intervenue.

L'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre que lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent aux mêmes fins.

Cependant, cet effet relatif de l'interruption de la prescription est écarté lorsque deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent vers un seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la première.

En l'espèce, l'action en règlement de l'indemnité de non-concurrence tend à obtenir le règlement des conséquences de la rupture du contrat de travail, de même que l'action en résiliation judiciaire.

Par conséquent, la prescription ayant été interrompue par l'introduction de la requête par Mme [L] le 31 décembre 2018, le moyen tiré de la prescription doit être écarté.

Sur la demande en paiement de l'indemnité de non-concurrence

La salariée sollicite la confirmation du jugement qui a retenu que l'employeur n'avait pas levé la clause de non-concurrence, ni réglé le montant de la contrepartie et l'a condamné au règlement de cette somme à hauteur de 30 % de sa rémunération moyenne mensuelle sur douze mois.

L'employeur ne conclut pas sur le fond de la demande.

Le contrat de travail de la salariée prévoit en son article XI une clause de non concurrence, avec paiement en contrepartie d'une indemnité de 30 % de la rémunération moyenne mensuelle pendant toute la durée d'interdiction de concurrence qui est d'un an.

L'employeur n'ayant pas levé l'obligation de non-concurrence, il était tenu de régler la contrepartie de la clause de non-concurrence à la salariée lors de la rupture du contrat de travail. Par conséquent, la société Pomona doit être condamnée à régler 30 % de 2 439,19 € X 12 mois, soit la somme de 8 781 euros à Mme [L], outre 878 euros au titre des congés payés afférents. Le jugement attaqué sera confirmé sur ce point.

Sur la notification de l'avertissement

Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail, lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié.

Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise.

Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié.

La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé.

En l'espèce, l'employeur a convoqué le 10 juillet 2017 la salariée à entretien préalable à sanction, puis en raison du non-retrait du courrier recommandé, l'a convoquée le 24 août 2017. Un second entretien a été programmé le 29 août 2017.

Il s'en déduit que l'entretien a été reporté en raison de l'empêchement de la salariée, le délai d'un mois pour notifier la sanction court donc à compter de la nouvelle date de report de l'entretien fixée le 24 août 2017.

L'employeur devait notifier sa décision d'avertissement dans le délai d'un mois expirant à vingt-quatre heures le jour du mois suivant qui porte le même quantième que le jour fixé pour l'entretien, soit avant le 24 septembre 2017 avant minuit. Ce jour étant un dimanche, le délai était prorogé au 25 septembre 2017.

Or, la salariée indique avoir reçu notification de l'avertissement le 25 septembre 2017, soit dans le délai légal. La demande d'annulation de l'avertissement pour notification tardive sera donc rejetée. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le bien fondé de l'avertissement

La salariée fait valoir que l'employeur verse des pièces sans explication ne permettant pas de justifier l'avertissement, l'insuffisance professionnelle étant invoquée avec mauvaise foi, les chiffres produits étant contestables.

L'employeur indique que l'avertissement est fondé et justifié par différentes pièces, la salariée ayant connu une régression de son chiffre d'affaires par rapport à la période précédente, tandis que son successeur a connu une progression.

En application de l'article L.1333-1 du code du travail, le salarié peut demander au juge l'annulation d'une sanction disciplinaire prise à son encontre par son employeur ; le juge forme sa conviction au vu des éléments apportés par les deux parties ; toutefois, l'employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre cette sanction qui sera annulée si elle est irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée.

En l'espèce, l'avertissement du 22 septembre 2017 reproche à la salariée des résultats en régression en cumul à fin juillet 2017, liés à un manque d'activité sur le terrain, un nombre de visites par jour inférieur au reste de l'équipe et la perte de clients, l'absence de développement des gammes stratégiques, des problèmes d'organisation et de plan de visite, un manque d'implication sur les gammes de produits prioritaires, l'absence de mise à jour des tarifs régionaux, le non-respect des règles de sécurité et de sécurisation des biens mis à disposition par l'entreprise, une absence de travail en équipe, outre un vol du fait de sa négligence.

L'employeur produit des échanges de courriels démontrant des difficultés rencontrées par la salariée, outre des résultats de chiffre d'affaires cumulés pour l'année 2016 et l'année précédente.

La salariée conteste les mauvais résultats qui lui sont imputés et produit l'attestation d'une cliente montrant que le vol d'espèces qui lui est reproché dans l'avertissement s'est déroulé lors d'une très courte visite.

Il ressort cependant du dossier que la salariée s'est vue dérober 500 euros en espèces laissés à l'intérieur de son véhicule pendant une visite à une cliente, faisant preuve d'imprudence. L'analyse du chiffre d'affaires cumulé par rapport à l'année précédente confirme la diminution du chiffre d'affaires cumulé à fin juillet 2016 de - 6% par rapport à l'année précédente.

Ces faits sont suffisamment étayés par les pièces produites aux débats de sorte que l'avertissement était justifié. La demande d'annulation de l'avertissement sera donc rejetée.

Sur la demande de résiliation judiciaire et ses conséquences

La salariée indique que son employeur a commis plusieurs manquements d'une gravité telle qu'ils empêchaient la poursuite de la relation de travail. Elle fait état de graves faits de harcèlement moral. Elle conclut que ses conditions de travail ont dégradé sa santé et provoqué un syndrome anxio-dépressif lié au travail.

L'employeur conteste les manquements invoqués à son encontre, et a fortiori leur gravité. L'employeur souligne que le médecin traitant ne pouvait établir de lien entre l'état de santé de sa patiente et son activité professionnelle.

Lorsqu'un salarié demande la résiliation judiciaire en raison de faits qu'il reproche à l'employeur tout en continuant à être à son service et qu'il est licencié ultérieurement, il convient d'abord de rechercher si la demande de résiliation judiciaire était fondée et si oui, de fixer la date de la rupture à la date du licenciement.

Un salarié est fondé à poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations.

Il appartient au juge de rechercher s'il existe à la charge de l'employeur des manquements d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail afin de prononcer cette résiliation, lesquels s'apprécient à la date à laquelle il se prononce.

La salariée invoque les manquements suivants de l'employeur:

- un manque d'organisation à l'origine d'une dégradation de ses conditions de travail,

- le recouvrement de sommes d'argent chez les clients sans mesure de sécurité,

- un avertissement notifié tardivement et injustifié.

S'agissant du manque d'organisation et de la dégradation des conditions de travail, la salariée invoque des dysfonctionnements dans la chaîne logistique à l'origine de retards de livraison et d'insatisfaction de clients. Elle produit quatre courriels de clients envoyés entre mai et septembre 2017 déplorant des retards de livraison de plusieurs heures. Elle verse aux débats une lettre de Mme [R], de septembre 2017, mentionnant des prestations en détérioration de façon significative. Elle produit, également, l'attestation de Mme [O], du 1er juillet 2018, déplorant que la salariée a été dans l'obligation de se déplacer un vendredi matin vers 5h30 du matin afin de satisfaire une livraison.

L'employeur indique que les problèmes de livraison restent rares et ne sont pas spécifiques au secteur de la salariée, que les dépannages relèvent de la seule initiative des commerciaux et ne leur sont pas imposés, que du 1er mars 2016 à début septembre 2017, la salariée a effectué 25 dépannages seulement. L'employeur relève que la salariée a effectué de nombreux trajets avec son véhicule de fonction pendant son arrêt maladie.

Il s'en déduit que des difficultés liées à des retards de livraison ont affecté certains clients, ce manquement est établi.

S'agissant du recouvrement de sommes d'argent chez les clients sans mesure de sécurité, la salariée produit quatre courriels du 7 décembre 2016 au 6 septembre 2017 lui donnant l'instruction de récupérer des chèques chez des clients et invoque les faits du 18 mai 2017 où elle a été victime d'un vol dans son véhicule d'une somme de 500 euros en espèces recouvrés par la salariée pour le compte de la société. Ce manquement est avéré.

S'agissant de l'avertissement du 22 septembre 2017, il n'a pas été notifié tardivement et il était justifié. Ce manquement n'est donc pas matériellement établi.

La salariée produit un certificat médical du docteur [P], généraliste, du 1er août 2018 et une lettre du docteur [E], psychiatre, du 18 octobre 2018 concluant à un état anxio-dépressif réactionnel, la cour appréciant la valeur probante de ces deux éléments médicaux après discussion contradictoire des parties.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la salariée présente des faits y compris la dégradation de son état de santé qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer un harcèlement moral.

L'employeur indique que les problèmes de livraison ne sont pas spécifiques au secteur commercial de la salariée et demeurent peu nombreux, ces agissements ne portent en effet pas atteinte aux conditions de travail de la salariée.

L'employeur ajoute que les recouvrements ponctuels ne concernent principalement que des chèques et que le risque reste limité, de sorte que ces agissements ne portent pas atteinte aux conditions de travail de la salariée.

Ainsi, les problèmes de livraison et les contingences de recouvrement étant étrangers à tout harcèlement, la salariée n'a donc pas subi de faits de harcèlement moral.

En outre, les manquements établis à l'encontre de l'employeur n'étaient pas suffisamment graves, pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

La salariée doit donc être déboutée de sa demande en résiliation du contrat de travail et de ses demandes consécutives en dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement pour licenciement abusif, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité légale de licenciement. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

La salariée fait valoir que son licenciement est nul compte tenu des graves faits de harcèlement moral de la part de l'employeur.

L'employeur ne conclut pas sur ce point.

En l'absence de faits de harcèlement moral subis par Mme [L] comme statué ci-avant, il y a lieu de la débouter de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement nul, sur ce fondement.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

Mme [L] a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement en ces termes :

«Vous occupez le poste de Chef de secteur au sein de notre succursale Passion Froid Nord depuis le 1er mars 2016.

Vous êtes en arrêt de travail depuis le 18 septembre 2017. À l'issue de celui-ci, vous avez été reçue par le Médecin du travail, Docteur [F], dans le cadre d'une visite médicale de reprise le 07 décembre 2018, puis à nouveau le 18 décembre 2018.

Vous avez finalement été déclaré inapte à votre poste de Chef de secteur par le Médecin du travail en date du 18 décembre 2018.

La conclusion de cet examen était la suivante : « L'état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi au sein du groupe POMONA (Art. L4624-4 du CT). »

Nous avons donc été contraints d'envisager votre licenciement, et nous vous avons convoquée par courrier daté du 21 décembre 2018 à un entretien préalable prévu le 03 janvier 2019.

Lors de cet entretien, vous étiez assistée par [U] [E], Représentante du Personnel. Nous avons refait le point sur votre situation et avons acté qu'aucun reclassement n'était possible.

Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour impossibilité de reclassement.[...]».

La salariée soutient que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dans la mesure où l'employeur a manqué à son obligation de sécurité. Elle conclut que son inaptitude est d'origine professionnelle au regard du lien direct entre les manquements de l'employeur au cours de l'exécution du contrat de travail et la dégradation de sa santé.

La société fait valoir qu'il n'existe pas de manquements graves.

L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en application de l'article L. 4121-1 du code du travail qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs.

Est dépourvu de cause réelle et sérieuse le licenciement pour inaptitude lorsqu'il est démontré que l'inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.

En l'espèce, les manquements établis à l'encontre de l'employeur : des problèmes de livraison, des sollicitations dans le cadre du recouvrement ne constituent pas des manquements à son obligation de sécurité envers la salariée.

Au surplus, le lien de causalité entre les manquements de l'employeur et la dégradation de l'état de santé de la salariée n'est pas caractérisé, les constatations médicales des deux médecins ne suffisant pas à établir ce lien.

Par conséquent, la salariée sera déboutée de sa demande en contestation du licenciement et de ses demandes subséquentes : dommages et intérêts pour licenciement nul, subsidiairement, abusif, indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents, indemnité légale de licenciement. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité et l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée fait valoir que compte tenu des manquements graves de l'employeur et de sa mauvaise foi caractérisée, ce dernier a fait preuve de déloyauté dans l'exécution du contrat de travail.

L'employeur conclut à l'absence de manquements graves.

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

En l'espèce, il est jugé ci-avant que les manquements établis à l'encontre de l'employeur ne constituent pas un manquement à son obligation de sécurité envers la salariée et que le lien de causalité entre les manquements de l'employeur et la dégradation de l'état de santé de la salariée n'est pas caractérisé. En outre, la déloyauté dans l'exécution du contrat de travail de la part de l'employeur n'est pas démontrée.

La salariée sera donc déboutée de sa demande de dommages et intérêts sur ces fondements. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts échus sur une année entière sera ordonnée.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ces points.

Sur les autres demandes

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a statué sur les frais irrépétibles, infirmé sur les dépens.

La société Pomona succombant partiellement à la présente instance, en supportera les dépens de première instance et d'appel. Elle devra également régler une somme de 3 000 euros à Mme [L] en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a statué sur les dépens,

Statuant à nouveau sur le chef infirmé et y ajoutant :

Rejette le moyen d'irrecevabilité et le moyen tiré de la prescription soulevés par la société Pomona au titre de la clause de non-concurrence,

Déboute Mme [M] [L] de sa demande d'annulation de l'avertissement,

Condamne la société Pomona aux dépens de première instance et d'appel,

Condamne la société Pomona à payer à Mme [M] [L] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03446
Date de la décision : 15/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-15;21.03446 ?
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