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15/02/2023 | FRANCE | N°21/00408

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 15 février 2023, 21/00408


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 FÉVRIER 2023



N° RG 21/00408

N° Portalis DBV3-V-B7F-UJSZ



AFFAIRE :



[N] [R]



C/



Société [K]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F 19/01412<

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Sophie MISIRACA



Me Catheline MODAT



Me Sophie CORMARY











le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cou...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 FÉVRIER 2023

N° RG 21/00408

N° Portalis DBV3-V-B7F-UJSZ

AFFAIRE :

[N] [R]

C/

Société [K]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 décembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° Section : E

N° RG : F 19/01412

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Sophie MISIRACA

Me Catheline MODAT

Me Sophie CORMARY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [N] [R]

née le 4 octobre 1982 à [Localité 5] (Ile Maurice)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Sophie MISIRACA, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2347

APPELANTE

****************

Société [K] prise en la personne de Me [I] [F], liquidateur judiciaire de la société Initiatives Santé

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Catheline MODAT de l'AARPI Studio Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115

Société AJRS prise en la personne de Me Thibault Martinat, administrateur judiciaire de la société Initiatives Santé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Catheline MODAT de l'AARPI Studio Avocats, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115

Association UNEDIC, délegation AGS CGEA IDFO

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Sophie CORMARY de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98, substitué à l'audience par Me Catherine BAUDAT, avocat au barreau de Versailles

INTIMÉES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [R] a été engagée en qualité de rédacteur en chef adjoint, statut journaliste, par contrat de travail à durée déterminée, à compter du 10 décembre 2013, puis par contrat à durée indéterminée, en qualité de secrétaire de direction, statut journaliste, à compter du 5 mai 2014, par la société Initiatives Santé.

Cette société, spécialisée dans la presse du secteur médical, appliquait la convention collective nationale des journalistes, et son effectif était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés.

Selon avenant au contrat de travail en date du 1er juillet 2014, la salariée est nommée aux fonctions de rédactrice en chef adjointe de la publication 'l'infirmière magazine', statut 'journaliste' coefficient 185.

En avril 2018, la société John Libbey Eurotext a acquis la société Initiatives Santé.

Le 23 juillet 2018, la salariée et son employeur ont signé un avenant au contrat de travail portant sur les fonctions de rédactrice en chef de la publication 'l'infirmière magazine' et Webmaster éditorial d'espaceinfirmier.fr, statut 'journaliste' coefficient 185.

Par jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 8 août 2018, la société Initiatives Santé a été placée en redressement judiciaire.

Par lettre du 29 octobre 2018, la salariée a pris l'initiative de la rupture de son contrat de travail dans le cadre de la clause de cession prévue à l'article L. 7112-5 du code du travail, dans les termes suivants:

« Je (') prends acte de la modification de la structure du capital social de la société Initiatives Santé.

Je vous informe par la présente de ma volonté de quitter l'entreprise en faisant valoir les droits que me reconnaît l'article L.7112-5 du code du travail dans le cadre de l'exercice de la clause de cession.

Je vous prie de noter que mon préavis, d'une durée d'un mois, prendra fin à compter d'un mois à réception de ce présent courrier »

Par lettre du 16 novembre 2018, la société Initiatives Santé a informé la salariée qu'elle s'opposait à la mise en 'uvre de la clause de cession considérant que la salariée avait renoncé à son droit par la signature, le 8 août 2018, de l'avenant au contrat de travail.

La salariée, maintenant sa position, a cessé de venir travailler au sein de la société après le 30 novembre 2018. Le 1er février 2019, l'employeur a établi le solde de tout compte en retenant une démission de la salariée.

Le 27 avril 2019, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourtaux fins d'obtenir la remise par l'employeur d'une attestation Pôle emploi mentionnant la clause de cession des journalistes, et le paiement d'une indemnité légale de licenciement et de rappels de salaire (août à novembre 2018), ainsi que de diverses autres sommes de nature indemnitaire. Cette affaire a été enregistrée sous le n° RG 19/00647.

Par jugement du 31 juillet 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a prononcé la résolution du plan de redressement et placé la société Initiatives Santé en liquidation judiciaire, Me [K] étant désigné en qualité de liquidateur.

Le conseil de prud'hommes a ouvert un nouveau dossier sous le n° RG 19/01412 pour convoquer les parties devant le Bureau de jugement, en raison de la liquidation judiciaire de la société.

Par jugement du 6 novembre 2019, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté un plan de cession des actifs de la société Initiatives Santé à la société Health Initiative.

Par jugement du 17 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section encadrement) a :

- dit que Mme [R] n'était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes,

- fixé au passif de la société Initiatives Santé les sommes suivantes :

. 1 116,34 euros à titre de rappel de salaire,

. 93,02 euros au titre du reliquat de 13ème mois incident (sic),

. 111,63 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire,

. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à Me [K], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Initiatives Santé, de lui remettre les bulletins de paye et une attestation Pôle emploi conformes au présent jugement,

- débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Initiatives Santé de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civil,

- déclaré le jugement opposable à l'Unedic, délégation régionale AGS-CGEA IDF Ouest, qui sera tenue à garantie dans les limites des articles L.3253-6 et suivants et D. 3253-6 du code du travail,

- dit que les dépens de l'instance seront inscrits au passif de la société Initiatives Santé.

Par déclaration adressée au greffe le 5 février 2021, Mme [R] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 11 octobre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 septembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [R] demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel,

- dire la société de Keating, en la personne de Me [K], recevable mais mal fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'elle n'était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes,

- fixer au passif de la société Initiatives Santé la créance de l'indemnité de licenciement de l'article L.7112-3 du code du travail à hauteur de 17 916,65 euros,

- condamner la société Initiatives Santé à lui payer 2 000 euros à titre d'indemnité de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner à Me [K] ès qualités de liquidateur de la société Initiatives Santé et à la société AJRS en la personne de Me [G] ès qualités d'administrateur judiciaire de la société Initiatives Santé de lui remettre une attestation d'employeur destinée à Pôle emploi mentionnant le 30 novembre 2018 à titre de date de sortie de l'entreprise, et « autre motif » comme motif de rupture, « clause de cession du journaliste ' article L.7112-5 1° du code du travail », sous astreinte de 50 euros par jour, passés 8 jours de la signification de l'arrêt à intervenir,

- déclarer l'arrêt à intervenir opposable à l'Unedic, par délégation de l'AGS CGEA IDF Ouest, qui sera tenue à garantie dans les limites des articles L.3253-6 et suivants, et D.3253-5 du code du travail,

- dire que les dépens seront inscrits au passif de la société Initiatives Santé.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la Selarl de Keating, prise en la personne de M. [F], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Initiative Santé, demande à la cour de :

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 17 décembre 2020, en ce qu'il a : . jugé que Mme [R] n'était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes, . rejeté les demandes subséquentes de Madame [R],

- infirmer le jugement en ce qu'il a fixé au passif de la société Initiatives Santé les sommes suivantes:

. 1 116,34 euros à titre de rappel de salaire août ' novembre 2018,

. 111,63 euros de congés payés afférents,

. 93,02 euros à titre de 13ème mois incident,

. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

y ajoutant,

- mettre hors de cause la société AJRS

- condamner Mme [R] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [R] aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 août 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société AJRS, prise en la personne de M. [G], en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Initiative santé, demande à la cour de :

à titre principal,

- la mettre hors de cause de la présente instance et action,

à titre subsidiaire,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 17 décembre 2020, en ce qu'il a :

. jugé que Mme [R] n'était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes,

. rejeté les demandes subséquentes de Mme [R],

- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Initiatives Santé au règlement des sommes suivantes :

. 1 116,34 euros à titre de rappel de salaire août ' novembre 2018,

. 111,63 euros de congés payés afférents,

. 93,02 euros à titre de 13ème mois incident,

. 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

en tout état de cause,

- condamner Mme [R] au paiement de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [R] aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 6 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles l'association Unedic, délégation AGS CGEA Île-de-France Ouest, demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes en ce qu'il a débouté Mme [R] de sa demande d'indemnité légale,

subsidiairement,

- juger que Mme [R] ayant manifesté seule sa volonté de rompre son contrat de travail durant la période d'observation, l'AGS est bien fondé à contester sa garantie au titre de indemnités de rupture et autres dommages-intérêts fixés au passif de la société Initiatives Santé,

- en conséquence, mettre hors de cause l'AGS CGEA Ile de France Ouest,

en tout état de cause,

- mettre hors de cause l'AGS s'agissant des frais irrépétibles de la procédure,

- juger que la demande qui tend à assortir les intérêts au taux légal ne saurait prospérer postérieurement à l'ouverture de la procédure collective en vertu des dispositions de l'article L. 622-28 du code du commerce,

- fixer l'éventuelle créance allouée au salarié au passif de la société,

- juger que le CGEA, en sa qualité de représentant de l'AGS, ne devra procéder à l'avance des créances visées aux articles L. 3253-6, L. 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15, L. 3253-19 à 21 et L. 3253-17 du code du travail,

- juger que l'obligation du CGEA de faire l'avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s'exécuter que sur présentation d'un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l'absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.

MOTIFS

Sur la demande de mise hors de cause de la société AJRS

La société AJRS sollicite à juste titre sa mise hors de cause, sa mission ayant pris fin le 6 mars 2020, à l'issue de l'exécution du plan de cession prononcé le 6 novembre 2019 par le tribunal de commerce de Nanterre.

En application des articles L. 622-11 et L. 641-10 du code de commerce, il convient donc d'y faire droit ainsi qu'il sera dit au dispositif.

Sur la mise en oeuvre de la clause de cession prévue par l'article L. 7112-5 du code du travail

La salariée expose que l'avenant à son contrat de travail ne portait que sur les conditions d'exécution du contrat de travail, qu'il ne constituait pas une promotion mais la régularisation d'une situation antérieure, ainsi que le démontre l'OURS, la société était déjà dans une situation financière difficile. Elle ajoute que l'objet de l'avenant n'était nullement pour la salariée d'accepter de contractualiser avec le nouvel actionnaire, auquel le paiement, peu de temps après, de la clause de cession à un autre journaliste n'a pas plu, alors qu'il s'agit d'un droit emblématique des journalistes depuis 1935, qui fait l'objet de peu de contestations, la jurisprudence n'étant de ce fait pas abondante et le liquidateur n'invoquant aucune décision énonçant qu'un avenant signé postérieurement à une cession rend inapplicable la clause de cession prévue par l'article L. 7112-5 du code du travail.

Le liquidateur rappelle que la salariée a signé un avenant à son contrat de travail le 23 juillet 2018, soit trois mois après la cession d'Initiatives Santé à la société John Libbey Eurotext, l'avenant étant d'ailleurs signé par le nouveau président de la société Initiatives Santé. Il fait valoir qu'en signant cet avenant, qui portait expressément sur son avenir au sein de la société Initiatives Santé, la salariée a incontestablement donné son accord sur la poursuite de son contrat de travail par la société John Libbey Eurotext, le repreneur. Il invoque un arrêt de la cour d'appel de Paris qui a précisé que le salarié qui signe un contrat de travail postérieurement à la cession et avec le nouveau propriétaire de son ancien employeur confirme son accord au transfert de son contrat de travail, et ce faisant, ne peut se prévaloir de la clause de cession des journalistes (CA Paris, Pôle 6, ch 7, 5 juillet 2012 ' n°10/00055).

L'AGS fait valoir les mêmes moyens que le liquidateur. Subsidiairement, elle expose que sa garantie ne peut pas être mise en oeuvre, s'agissant d'une rupture intervenue à l'initiative de la salariée par lettre du 29 octobre 2018 durant la période d'observation ordonnée par le tribunal de commerce, et, en tout état de cause, que sa garantie, qui ne peut être que subsidiaire, est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié à l'un des trois plafonds définis à l'article D. 3253-5 du code du travail.

**

Selon l'article L.7112-5 du code du travail, 'Si la rupture du contrat de travail survient à l'initiative du journaliste professionnel, les dispositions des articles L. 7112-3 et L. 7112-4 sont applicables, lorsque cette rupture est motivée par l'une des circonstances suivantes :

1° Cession du journal ou du périodique ;

2° Cessation de la publication du journal ou périodique pour quelque cause que ce soit ;

3° Changement notable dans le caractère ou l'orientation du journal ou périodique si ce changement crée, pour le salarié, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d'une manière générale, à ses intérêts moraux. Dans ces cas, le salarié qui rompt le contrat n'est pas tenu d'observer la durée du préavis prévue à l'article L. 7112-2.'

Il résulte de l'article L. 7112-5 précité qu'en cas de rupture du contrat de travail à l'initiative du journaliste professionnel, celui-ci a droit à l'indemnité de rupture prévue par les articles L. 7112-3 et L. 7112-4 du code du travail lorsque la rupture est motivée par la cession du journal ou du périodique.

La possibilité de se prévaloir de ce que l'on désigne par « clause de cession » et par « clause de conscience » pour prétendre à une indemnité quand on a pris l'initiative de la rupture n'est offerte qu'à un journaliste professionnel, tel que le définit l'article L 761-2 devenu L. 7111-3 du même code, lequel dispose :

« Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

Le correspondant, qu'il travaille sur le territoire français ou à l'étranger, est un journaliste professionnel s'il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa. »exerçant l'activité de journaliste chez l'entreprise de presse qui l'emploie.

La résiliation du contrat de travail motivée par la cession du journal ou du périodique, prévue par l'article L. 761-7 1° du code du travail (devenu L. L.7112-5), n'intervient qu'à la condition que l'intention du salarié de mettre fin pour cette raison à la relation de travail soit claire et non équivoque. (Soc., 15 mars 2006, pourvoi n° 03-45.875, Bull. 2006, V, n°112).

Si cette rupture prend la forme d'une démission, les juges du fond apprécient souverainement la sincérité de sa motivation.

La demande du journaliste à bénéficier de la clause de cession n'est enfermée dans aucun délai (Soc., 15 novembre 1989, pourvoi n°86-42.742, Bull. 1989, V, n° 666). Ainsi, 'ni la connaissance par le journaliste de la cession, fût-elle ancienne, du journal, ni l'application par les employeurs successifs de l'article L 122-12 du Code du travail dont les dispositions s'imposent aux parties, ne peuvent, à elles seules, priver le journaliste du droit qu'il tient des dispositions de l'article L 761-7 du Code du travail' (arrêt précité), un délai de six mois entre la cession du journal et la résiliation étant à ce titre admis par la jurisprudence (cf. Soc., 10 mars 1998, pourvoi n° 95-43.795, Bull. 1998, V, n° 130).

Il suffit donc, pour que les dispositions de l'article L.7112-5 puissent être invoquées, que la résiliation du contrat de travail ait été motivée par l'une des circonstances qu'il énumère (Soc., 30 novembre 2004, pourvoi n° 02-42.437, Bull., 2004, V, n° 314 ; Soc., 14 décembre 2022, pourvoi n° 21-17.994, diffusé)

En l'espèce, d'abord, il n'est pas contesté que Mme [R] exerçait une activité de journaliste au sein de la société Initiatives Santé et pouvait solliciter la mise en oeuvre de la clause de cession.

Ensuite, il ressort des pièces produites que la société Initiatives Santé a été acquise par un autre éditeur, la société John Libey Eurotext, en avril 2018. Suite à cette acquisition, un nouveau président a été désigné à la tête de la société Initiatives Santé, en la personne de M. [H], signataire de l'avenant au contrat de travail de la salariée en date du 23 juillet 2018, par lequel les parties ont convenu que :

'A partir du 20/08/2018, vous exercerez vos fonctions en qualité de rédactrice en chef de la publication 'l'infirmière libérale magazine' et webmaster éditorial d'espaceinfirmier.fr, statut 'journaliste', coefficient 185. (...)'

Il ressort de la lettre que la salariée a par la suite adressée à l'employeur, le 29 octobre 2018, que la résiliation du contrat de travail dont elle a pris l'initiative a été motivée par la 'modification de la structure du capital social de la société Initiatives Santé', dont il n'est pas contesté qu'il constitue le premier des motifs énoncés par l'article L. 7112-5 précité.

Sur ce point, il n'est pas davantage contesté que la salariée a eu connaissance de la modification de la structure du capital social de la société Initiatives Santé par le courriel de M. [H] du 25 avril 2018 adressé à tous les collaborateurs de l'entreprise.

Peu important la signature, quelques semaines auparavant, d'un avenant au contrat de travail conclu entre la salariée et le nouveau président portant sur de nouvelles fonctions, il résulte de ces constatations que, de façon claire et non équivoque, Mme [R] a sans ambiguïté, souhaité mettre fin le 29 octobre 2018 au contrat de travail en raison de la cession du journal, prévue par les dispositions précitées.

La salariée, qui établit ainsi un lien de causalité entre sa décision et la cession de l'entreprise intervenue six mois auparavant, soit dans un délai assez proche l'une de l'autre, sans qu'un manque de sincérité de l'intéressée ne soit établi par le liquidateur, pouvait valablement se prévaloir de la clause de cession et réclamer l'indemnité de licenciement à laquelle elle ouvre droit.

Par conséquent, il convient d'infirmer le jugement qui a analysé cette rupture en une démission, et retenu que Mme [R] n'était pas en droit de faire valoir la clause de cession des journalistes et l'a débouté de ses demandes afférentes.

Sur l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3 du code du travail

L'article L. 7112-3 du code du travail, applicable à l'article L. 7112-5 précité, précise que « Si l'employeur est à l'initiative de la rupture, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d'année de collaboration, des derniers appointements. Le maximum des mensualités est fixé à quinze. »

La cour ayant retenu que la rupture a été donnée par la salariée en application de la clause de cession, elle est bien fondée à obtenir le paiement de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3 précité, calculée sur les bases, non critiquées par les intimés, d'une ancienneté de 5 ans et d'un salaire mensuel brut de référence de 3 307,69 euros.

Conformément aux dispositions de l'article 44 de la Convention collective nationale des

journalistes, il convient de fixer le montant de l'indemnité de licenciement due à la salariée à la somme de 17.916,65 euros bruts [(3 307,69 euros + 3 307,69 euros / 12) x 5].

Il convient dès lors d'ordonner à Me [K] ès qualités de liquidateur de la société Initiatives Santé de remettre à la salariée une attestation d'employeur destinée à Pôle emploi mentionnant le 30 novembre 2018 à titre de date de sortie de l'entreprise, et « autre motif » comme motif de rupture, « clause de cession du journaliste ' article L.7112-5 1° du code du travail », sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

Sur la garantie de l'AGS

L'article L. 3253-8 du Code du travail prévoit que :

« L'assurance mentionnée à l'article L. 3253-6 couvre :

1° Les sommes dues aux salariés à la date du jugement d'ouverture de toute procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, ainsi que les contributions dues par l'employeur dans le cadre du contrat de sécurisation professionnelle ;

2° Les créances résultant de la rupture des contrats de travail intervenant :

a) Pendant la période d'observation ;

b) Dans le mois suivant le jugement qui arrête le plan de sauvegarde, de redressement ou de cession ;

c) Dans les quinze jours, ou vingt et un jours lorsqu'un plan de sauvegarde de l'emploi est élaboré, suivant le jugement de liquidation ; (...)'

Les créances résultant de la rupture du contrat de travail visées par l'article L.3253-8 2° du code du travail, s'entendent d'une rupture à l'initiative de l'administrateur judiciaire ou du mandataire liquidateur (Soc., 20 décembre 2017, n°16-19.517, publié, s'agissant d'une prise d'acte par le salarié après l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire pendant la période d'observation).

En effet, l'objet de la garantie prévue au 2° de l'article L. 3253-8 du code du travail est l'avance par l'AGS des créances résultant des ruptures des contrats de travail qui interviennent pour les besoins de la poursuite de l'activité de l'entreprise, du maintien de l'emploi et de l'apurement du passif (Soc., 10 juillet 2019, n°19-40.019, publié)

Il en résulte qu'à l'égard des salariés qui ne bénéficient pas d'une protection particulière contre les licenciements, les créances résultant de la rupture des contrats de travail ne sont garanties par l' AGS qu'à la condition que cette rupture intervienne, en cas de liquidation judiciaire, à l'initiative du liquidateur judiciaire dans les quinze jours suivant le jugement de liquidation ou pendant le maintien provisoire de l'activité autorisé par le jugement de liquidation. (Soc., 15 juin 2022, pourvoi n° 21-11.167)

Au cas présent, la rupture est intervenue le 29 octobre 2018, soit plus d'un mois après le jugement du 8 août 2018 prononçant l'ouverture de la procédure de redressement de la société, à l'initiative de la salariée et non du liquidateur dans le délai de quinze jours du jugement de liquidation. Dès lors, la rupture n'étant pas intervenue dans l'une des trois cas prévus à l'article L. 3253-8 2° précité, la créance de la salariée résultant de cette rupture, due au titre de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3, n'est pas garantie par l'AGS.

Et cette créance, qui ne s'analyse pas en une somme due à la salariée à la date du jugement d'ouverture de la procédure de redressement, puisqu'elle n'était pas née à cette date mais seulement à la date du 29 octobre 2018, ne bénéficie pas de la garantie prévue par l'article L. 3253-8 1° précité.

En conséquence, l'AGS ne doit pas garantie de la créance de la salariée au titre de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3 du code du travail.

Sur les rappels de salaire

La salariée sollicite un rappel de salaire au motif que l'accord de maintien de l'emploi qui avait conduit à une réduction de rémunération devait être suspendu.

En réplique, le liquidateur objecte que l'ouverture de la procédure collective ne peut avoir eu pour conséquence la suspension de l'accord du 16 décembre 2016 qui prévoyait la suspension de l'accord en cas d'aggravation significative de la situation économique de l'entreprise, car à la suite de l'interrogation des salariés, et pour lever toute incompréhension, les parties ont réaffirmé leur volonté de maintenir l'application de l'accord pendant la période de redressement judiciaire, considérant que l'objectif de cette procédure est justement de prendre les mesures pour redresser la situation financière de l'entreprise.

**

En application de l'article 2 de l'accord du 16 octobre 2016, il n'est pas contesté que le salaire mensuel brut de Mme [R] a été diminué de 10% en 2017 puis de 9% à compter de janvier 2018 : son salaire mensuel brut est passé de 3 000 euros à 2 700 euros en 2017 puis à 2 730 euros à compter du 1er janvier 2018, et enfin, de 3 307,69 euros à 3 010 euros à compter d'août 2018.

L'article 7.7. de cet accord collectif conclu pour une durée de 2 ans (janvier 2017-décembre 2018) prévoyait qu' « en cas d'aggravation significative de la situation économique, se traduisant par une mise en redressement ou liquidation judiciaire, l'accord sera (') suspendu.»

Or, le redressement judiciaire de la société ayant été prononcé par jugement du tribunal de commerce du 8 août 2018, l'accord précité devait donc être suspendu, de sorte que la société n'était pas fondée à continuer à verser à Mme [R] un salaire diminué de 9%, l'avenant à cet accord, mentionné en pièce 4 du liquidateur, n'étant pas produit.

Le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a fait droit à la demande de rappel de salaire août ' novembre 2018, congés payés afférents, et incidence sur le 13ème mois incident, et en ce que, sur ce point, il a déclaré le jugement opposable à l'AGS dans la limite des dispositions des articles L. 3253-6 et suivants et D 3253-5 du code du travail, lesquelles excluent en particulier l'indemnité de procédure.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer le jugement déféré en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.

L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile. Les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et prononcé par mise à disposition au greffe :

Vu les jugements du tribunal de commerce de Nanterre en date du 8 août 2018 prononçant l'ouverture de la procédure de redressement de la société Initiatives Santé, du 31 juillet 2019 ordonnant la liquidation judiciaire de la société Initiative santé et désignant la Selarl de Keating en qualité de liquidateur et la société ARJS en qualité d'administrateur judiciaire, et du 6 novembre 2019 arrêtant un plan de cession des actifs de la société Initiatives Santé à la société Health Initiative,

METS HORS DE CAUSE la société AJRS, prise en la personne de M. [G], en sa qualité d'administrateur judiciaire de la société Initiatives santé,

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté Mme [R] de ses demandes d'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3 du code du travail, et de remise des documents sociaux afférents,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé la créances de Mme [R] à la somme de 17 916,65 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement prévue par l'article L. 7112-3 du code du travail,

DIT que l'AGS n'est pas tenue à garantie de cette créance d'indemnité de licenciement,

ORDONNE à Me [K] ès qualités de liquidateur de la société Initiatives Santé de remettre à Mme [R] une attestation d'employeur destinée à Pôle emploi mentionnant le 30 novembre 2018 à titre de date de sortie de l'entreprise, et « autre motif » comme motif de rupture, « clause de cession du journaliste ' article L.7112-5 1° du code du travail », sans qu'il y ait lieu de prononcer une astreinte.

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,

DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les dépens d'appel seront inscrits au passif de la liquidation judiciaire de la société Initiatives Santé.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00408
Date de la décision : 15/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-15;21.00408 ?
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