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15/02/2023 | FRANCE | N°21/00354

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 15 février 2023, 21/00354


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 FÉVRIER 2023



N° RG 21/00354

N° Portalis DBV3-V-B7F-UJIH



AFFAIRE :



[M] [Y]



C/



Société AXA FRANCE IARD









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de CHARTRES

Section : C

N° RG : F20/00009

>
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Emilie GATTONE



Me Martine DUPUIS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'a...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 FÉVRIER 2023

N° RG 21/00354

N° Portalis DBV3-V-B7F-UJIH

AFFAIRE :

[M] [Y]

C/

Société AXA FRANCE IARD

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de CHARTRES

Section : C

N° RG : F20/00009

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emilie GATTONE

Me Martine DUPUIS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE FÉVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dont la mise à disposition a été fixée au 1er février 2023, puis prorogée au 15 février 2023, dans l'affaire entre :

Madame [M] [Y]

née le 20 janvier 1966 à [Localité 4]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Sandra RENDA, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000018 et Me Emilie GATTONE, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 693

APPELANTE

****************

Société AXA FRANCE IARD

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Jean-Luc AMOUR de la SELARL CAPSTAN OUEST, Plaidant, avocat au barreau de NANTES, vestiaire: 173

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 1er décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

Mme [Y] a été engagée par la société UAP, en qualité d'agent producteur salarié réseau S, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 13 janvier 1995.

En juin 1998, la société AXA a absorbé la société UAP et à ce titre le contrat de travail de la salariée a été transféré de plein droit à la société AXA.

Cette société est spécialisée dans les assurances. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 50 salariés. Elle applique la convention collective nationale de Travail desEchelons Intermédiaires des services extérieurs de la production des sociétés d'assurance du 13 novembre 1967.

Par avenant du 1er janvier 2007, la salariée a été nommée responsable de clientèle dont la mission consistait à développer le portefeuille des clients confiés. Elle a été titularisée sur ce poste le 10 janvier 2008.

La salariée percevait une rémunération brute mensuelle de 2 129,18 euros.

Une première procédure de licenciement, initiée par l'employeur en septembre 2018, a été abandonnée.

Par lettre du 2 janvier 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 14 janvier 2019.

Elle a été licenciée par lettre du 18 janvier 2019 pour insuffisance professionnelle dans les termes suivants:

« Madame,

En votre qualité de Responsable de Clientèle vous avez pour mission de développer le portefeuille de clients qui vous est confié en assurance Vie et Capitalisation, de recueillir des souscriptions et de veiller au suivi régulier de l'ensemble de ce portefeuille. Vous êtes par ailleurs tenu contractuellement de réaliser un niveau minimal de production.

Or il apparaît que votre niveau de production est insuffisant et ne cesse de baisser ainsi votre taux d'Obligation Minimale de Production réalisé est de 70% à fin septembre sur 12 mois glissants, 56% à fin décembre.

Vous n'avez pas tiré profit de l'aide apportée par votre hiérarchie laquelle vous a rencontré régulièrement afin de fixer un plan d'actions pour atteindre les objectifs contractuellement fixés.

Vous n'avez en outre pas tenu compte des mises en garde qui vous ont été adressées par votre Inspecteur et des divers courriers ou mails adressés notamment les 29 janvier 2018, 19 avril 2018, 18 mai 2018 et 17 septembre 2018.

Enfin, nous nous étions rencontrés le 5 octobre 2018 et je vous avais rappelé à vos obligations et ce qui était attendu de vous, à savoir un retour à l'OMP chaque mois à partir d'octobre, et un redressement de l'OMP sur 12 mois glissants.

Devant ce constat, nous vous avons convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 14 janvier 2019. Nous vous avons entendue et avons échangé ;

Entendant toutefois poursuivre la procédure, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour insuffisance professionnelle de résultat.

Votre préavis de 2 mois débutera à la date de la présentation de la présente lettre et se terminera le 20 mars 2019.»

Le 14 janvier 2020, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres aux fins de requalification de son licenciement pour insuffisance professionnelle en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 25 janvier 2021, le conseil de prud'hommes de Chartres (section commerce) a:

en la forme,

- reçu Mme [Y] en ses demandes,

- reçu la société AXA France IARD en sa demande reconventionnelle,

au fond,

- confirmé le licenciement pour insuffisance professionnelle de résultat de Mme [Y] par la société AXA France IARD à la date du 18 janvier 2019,

en conséquence,

- débouté Mme [Y] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société AXA France IARD de sa demande reconventionnelle,

- condamné Mme [Y] aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 1er février 2021, Mme [Y] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 5 mars 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles Mme [Y] demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu le 25 janvier 2021 par le conseil de prud'hommes de Chartres,

- la déclarer recevable et bien fondée en ses demandes,

statuant à nouveau,

- dire que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamner la société AXA à verser à Madame [Y] les sommes suivantes :

. 125 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 18 000 euros à titre d'indemnité pour utilisation à titre professionnel de son domicile personnel,

. 70 000 euros à titre de dommages et intérêts pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle,

- condamner la société AXA à lui remettre un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la décision à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard et par document,

- dire que la cour d'appel se réservera le droit de liquider l'astreinte,

- assortir les sommes des intérêts au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société AXA à la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société AXA aux entiers dépens de la procédure et de son exécution.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 18 mai 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société AXA France IARD demande à la cour de:

à titre liminaire,

- réformer le jugement en ce qu'il a dit Mme [Y] recevable en toutes ses demandes,

- dire et juger que la demande d'indemnité de 70 000 euros à titre d'indemnité pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle est une demande nouvelle,

- déclarer que cette demande est irrecevable,

à titre principal,

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Mme [Y] de toutes ses demandes,

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions,

- condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance,

à titre subsidiaire,

si par extraordinaire la cour considère le licenciement abusif,

- allouer les dommages et intérêts dans les seules proportions des préjudices réellement subis et démontrés et fixer le préjudice dans les limites du barème légal, soit entre 6 246 euros et 35 394 euros brut,

si par extraordinaire, la cour dit que l'indemnité d'occupation est due,

- dire et juger que le préjudice n'est pas démontré,

- débouter Mme [Y] de sa demande,

si par extraordinaire, la cour dit que l'indemnité pour immixtion dans la vie privée est due,

- dire et juger que le préjudice n'est pas démontré,

- débouter Mme [Y] de sa demande,

à titre éminemment subsidiaire,

si par extraordinaire, la cour dit que l'indemnité d'occupation est due,

- allouer l'indemnité à tel montant estimé justifié en deçà de 300 euros par mois et ce au regard de la seule période non prescrite sur 19 mois au plus,

si par extraordinaire, la cour dit que l'indemnité pour immixtion dans la vie privée est due,

- allouer l'indemnité à tel montant estimé justifié en deçà de 70 000 euros et ce au regard de la seule période non prescrite sur 19 mois au plus.

MOTIFS

Sur la rupture

La salariée conteste le caractère raisonnable et atteignable des objectifs fixés par l'employeur et qui lui ont toujours été imposés alors que la hiérarchie n'a pas pris en compte la réalité du terrain et les difficultés qu'elle rencontre.

La salariée explique que le métier a changé, qu'elle a été accompagnée par l'employeur de manière superficielle alors qu'elle n' a eu cesse lors des entretiens d'évaluation de réclamer des formations qui l'auraient aidée à s'adapter aux exigences du métier. Elle en conclut que l'employeur a manqué à son obligation de formation.

La salariée ajoute qu'elle s'est beaucoup investie dans son travail depuis son entrée dans l'entreprise et qu'elle n'a pas pu, soudainement, devenir incompétente, méconnaître son métier et qu'elle s'est trouvée démunie, sans aucun soutien de l'employeur pour passer le cap des transformations.

En réplique, l'employeur soutient qu'en sa qualité de responsable de clientèle, la salariée devait continuer à respecter le niveau minimal de production défini par les termes du contrat, et conformément à l'accord collectif applicable.

Il expose que la salariée a bénéficié d'appui pour modifier ses modes d'actions mais qu'elle n'a pas su modifier ses méthodes de travail pour redresser la barre, conduisant à un effondrement du niveau d'atteinte de l'Obligation Minimale de Production (l'OMP). Il précise que la salariée a également toujours bénéficié d'actions de formation adaptées en nombre extrêmement important.

* *

L'article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

L'insuffisance professionnelle constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'incompétence alléguée doit reposer sur des éléments concrets et ne peut être fondée sur une appréciation purement subjective de l'employeur. L'insuffisance professionnelle, qui ne suppose aucun comportement fautif du salarié, doit être constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, être directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile, ne doit pas être liée au propre comportement de l'employeur ou à son manquement à l'obligation d'adapter ses salariés à l'évolution des emplois dans l'entreprise.

Pour justifier un licenciement, il faut que les objectifs fixés par l'employeur aient été réalisables et que la non atteinte des objectifs soit imputable à l'insuffisance professionnelle ou à la faute du salarié.

Lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice. 

Au cas présent, l'employeur qui reproche à la salariée de ne pas avoir atteint le niveau de production fixé contractuellement par les parties dans le cadre de l'Obligation Minimale de Production (l'OMP), produit le contrat de travail qui prévoit en son article 4.2 'obligations particulières : niveau minimal de production' que :

'Dans le cadre de vos fonctions, vous devez réaliser un niveau minimal de production, déterminé conformément aux dispositions conventionnelles en vigueur. À la date d'effet du présent contrat, le niveau minimal de production, exprimé en unités, résulte de:

' des dispositions de l'accord du 9 novembre 2001 (chapitre I- article 7) et de son avenant (chapitre III - article 3.1). Un exemplaire de chacun de ces accords vous est remis avec le présent contrat.

Le niveau minimal de production évolue d'un exercice à l'autre comme le salaire fixe dans des proportions identiques.

La réalisation du minimum de production conditionne votre maintien en fonctions, après mise en garde écrite de votre hiérarchie.'

La société AXA France verse aux débats les accords relatifs à la négociation salariale pour 2016 et 2018 du personnel commercial salarié, outre le procès-verbal de désaccord des négociations tenues en 2017, ainsi que les circulaires relatives aux modalités de rémunération établies par l'employeur d'après les négociations salariales.

Il s'en déduit que la rémunération de la salariée dépend d'un seuil de production à atteindre dont le montant est déterminé chaque année dans le cadre de l'OMP et applicable dans les mêmes conditions à tout responsable de clientèle, de sorte que la salariée ne peut soutenir que les objectifs qui lui étaient fixés n'étaient pas réalisables ou difficiles à atteindre, ou qu'ils dépendaient de chaque supérieur hiérarchique.

Dans ce contexte, les chiffres relevés par l'employeur ne sont pas discutés par la salariée, qui n'a pas atteint ses objectifs en 2016, puis en 2018, comme suit :

- 54,13 % de l'OMP en 2016, soit 5 nouveaux clients et 32 affaires réalisées,

- 64,73% de l'OMP au 31 mai 2017,

- 91,62% de l'OMP en 2017 dont 116,35 % pour le dernier trimestre de l'année,

- 69,95% de l'OMP à la fin du mois d'août 2017,

- 51,81 % de l'OMP à la fin du mois de novembre 2017.

La salariée a été en mesure d'atteindre les objectifs fixés par l'employeur pendant de nombreuses années, ce qui n'est pas contesté, et il n'est pas établi que ses résultats se sont dégradés par suite d'une modification par l'employeur de ses objectifs ou de ses conditions de travail.

Le vieillissement de sa clientèle, invoqué par la salariée, n'explique pas les difficultés qu'elle a rencontrées alors que l'employeur lui a confié un portefeuille d'environ 330 clients, dont 99 clients stratégiques en 2018.

La dégradation de ses résultats lui est directement imputable, l'employeur établissant que la salariée a bénéficié d'un important accompagnement et de nombreuses mises en garde dans lesquelles il lui est notamment demandé 'd'augmenter sa production' et de ' travailler' les 'clients stratégiques et les clients dormants' de son portefeuille.

La salariée a suivi régulièrement des formations, qui sont mentionnées sur ses comptes rendus d'entretien d'évaluation et dans les lettres d'accompagnement.

Ainsi, un appui régulier et constant a été apporté à la salariée, à compter de 2017, et qui a consisté en :

- des temps de formation individualisée, en ce qu'elle a été rattachée à un autre collègue pour l'aider à mieux s'organiser,

- un accompagnement personnel, avec préparation des dossiers en commun avec un animateur des ventes,

- des formations et ateliers sur l'utilisation des outils professionnels, dont les outils informatiques,

- des training individuels et collectifs sur la prévoyance et la démarche commerciale.

Dès 2012, l'employeur rappelle également à la salariée dans ses évaluations qu'elle doit accepter les 'règles contractuelles de suivi', qui 'si elles sont contraignantes, sont nécessaires à la vie de l'entreprise' et il note que l'adaptation au changement lui est parfois difficile.

La salariée n'est jamais qualifiée d''expert' lors de ses évaluations, ses compétences et ses connaissances relatives à la démarche commerciale, la prospection et l'usage des outils informatiques étant indiquée comme à développer à compter de l'année 2015. Il est également noté que sa connaissance des offres d'AXA, de son environnement, de la démarche commerciale ainsi que ses compétences 'avant-vente' sont toutes à développer en 2018.

En outre, estimant que la salariée ne remplissait plus les conditions pour bénéficier d'une habilitation en ' classe D',qui confèrent des capacités complémentaires de souscription en IARD, l'employeur a procédé au retrait de son habilitation le 1er avril 2017.

Enfin, la salariée ne partageait pas la vision de l'employeur quant à la réalité actuelle de sa fonction et elle ne conteste pas avoir indiqué dans ses conclusions devant les premiers juges:

' qu'elle ne s'est jamais placée comme une commerciale classique qui forcerait la vente et elle n'a jamais souscrit au changement de politique d'AXA.'.

Si la salariée ne reproduit pas ces termes dans ses écritures en appel, elle insiste néanmoins sur ses difficultés à 'passer le cap de ces trasnformations'.

Dès lors, les manquements invoqués par l'employeur sont établis et la salariée ne procède que par affirmations générales sans offre de preuve pour soutenir qu'elle ne pouvait pas réaliser les objectifs assignés et que l'employeur a manqué à son obligation de formation.

S'agissant d'une salariée qui a bénéficié d'un accompagnement personnalisé, qui lui a permis d'ailleurs d'obtenir de biens meilleurs résultats en 2017, mais ensuite insuffisants, de formations adaptées et complètes relatives à ses fonctions, les manquements ainsi établis sont constitutifs d'une insuffisance professionnelle justifiant son licenciement.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et a débouté la salariée de ses demandes d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et de remise des documents de fin de contrat sous astreinte.

Sur l'indemnité d'occupation à titre professionnel du domicile personnel et les dommages-intérêts au titre l'immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle

. Sur la demande nouvelle

Il ressort de l'article 564 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.

L'article 565 énonce que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.

Il découle de l'article 566 que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

L'employeur fait valoir que la salariée présente une demande nouvelle tendant à obtenir des dommages-intérêts pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle.

Cette demande, qui s'analyse en un complément nécessaire de la demande relative à l'utilisation du domicile personnel à des fins professionnelles, est donc recevable.

Dès lors, il convient de rejeter la fin de non- recevoir de l'employeur tirée de l'irrecevabilité de la demande de dommages-intérêts pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle.

. Sur la prescription

L'employeur soutient que l'action en paiement des deux indemnités sollicitées par la salariée au titre de l'exécution du contrat de travail se prescrit désormais par deux années depuis la loi du 14 juin 2013, la salariée ne développant aucun moyen à ce titre.

L'occupation du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée du salarié et n'entre pas dans l'économie générale du contrat. Il en résulte que la demande en paiement d'une indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles ne constitue pas une action engagée à raison de sommes afférentes aux salaires.

L'indemnité d'occupation du domicile à des fins professionnelles, destinée à compenser le préjudice que cause au salarié l'immixtion dans sa vie privée lorsqu'aucun local n'est effectivement mis à sa disposition, n'a pas la nature d'un salaire. (Soc., 27 mars 2019, pourvoi n° 17-21.028, 17-21.014, publié).

Selon l'article L. 1471-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi du 14 juin 2013, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

C'est donc à juste titre que l'employeur relève que le délai de prescription de l'action en paiement de l'indemnité d'occupation est désormais de deux années, et non plus de cinq années, de sorte que la demande de la salariée est prescrite pour la période antérieure au 14 janvier 2018, compte tenu d'une saisine du conseil de prud'hommes en date du 14 janvier 2020.

. Sur le bien fondé des demandes d'indemnisation

La salariée fait valoir qu'elle a toujours consacré une partie de son logement à son activité professionnelle puisque l'employeur n'a jamais mis à sa disposition un bureau pour y travailler quotidiennement sur ses dossiers. Elle explique que ses fonctions nécessitaient l'utilisation d'un poste de travail informatique, avec un minitel puis un ordinateur, d'une imprimante et d'un téléphone, outre un espace de stockage pour conserver les dossiers papiers de son portefeuille contenant 300 clients.

La salariée ajoute que l'employeur l'a également obligée à poser sur une fenêtre de son domicile une plaque professionnelle informant le public de la présence d'un agent AXA, et qu'elle remettait à ses clients une carte professionnelle avec la référence de son adresse personnelle.

L'employeur expose que la salariée a bénéficié de la mise à disposition par les sociétés AXA de locaux professionnels situés à [Localité 3] où était domicilié les bureaux d'inspection, la salariée ne justifiant pas d'un refus d'accès à ces locaux. Il explique qu'elle était dotée de matériel lui permettant de se connecter aux outils de vente et qu'elle ne devait utiliser que de manière résiduelle les dossiers ' papier', ce qui ne lui était pas imposé.

L'employeur ajoute que la salariée ne justifie d'aucun préjudice au soutien de sa demande d'indemnisation pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie privée et qui serait de surcroît disctinct des éventuels dommages-intérêts perçus au titre de l'occupation personnelle.

* *

Aux termes de l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.

L'article L. 1121-1 du code du travail dispose que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L'occupation, à la demande de l'employeur, du domicile du salarié à des fins professionnelles constitue une immixtion dans la vie privée de celui-ci et n'entre pas dans l'économie générale du contrat de travail.

Si le salarié, qui n'est tenu ni d'accepter de travailler à son domicile, ni d'y installer ses dossiers et ses instruments de travail, accède à la demande de l'employeur, ce dernier doit l'indemniser de cette sujétion particulière et des frais engendrés par l'occupation à titre professionnel du domicile.

Le salarié ne peut prétendre à une indemnité au titre de l'occupation de son domicile à des fins professionnelles dès lors qu'un local professionnel est mis effectivement à sa disposition. (Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n°10-28.847- 17-21.028 - 17-21.014)

La salariée sollicite une indemnisation distincte pour l'utilisation à titre professionnel de son domicile personnel et pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle, soit respectivement :

- 18 000 euros, soit 300 € par mois sur cinq années,

- 70 000 euros sur 24 années.

Comme indiqué précédemment, son action en paiement d'une indemnité d'occupation est recevable à compter du 14 janvier 2018 et ce jusqu'au 20 mars 2019, date de fin du préavis.

Les contrats de travail successifs de la salariée ne comportent aucune stipulation relative au lieu d'exercice de son activité professionnelle.

Le caractère majoritairement itinérant des fonctions de la salariée, pour la tenue des rendez-vous, n'empêchait pas que la préparation des entretiens et leur suivi devaient s'effectuer en dehors de la présence des clients et il est évident qu'un chargé de clientèle (300 dossiers en moyenne au cas présent) consacre une partie de son temps de travail à ces tâches.

Par ailleurs, l'employeur ne justifie pas que la salariée était informée qu'un local professionnel se trouvait à sa disposition à [Localité 3] et le plan de locaux de [Localité 3] qui est communiqué à la date du 10 mars 2020, soit postérieurement à la rupture, de sorte que l'employeur ne justifie pas que des bureaux étaient mis à la disposition de la salariée en sa qualité de chargée de clientèle durant la relation contractuelle.

L'employeur a toujours également adressé ses différents courriers, notamment des documents de nature contractuelle, au domicile de la salariée et non au bureau AXA situé à [Localité 3].

L'établissement des frais professionnels était calculé à partir du domicile de la salariée et non du bureau de [Localité 3].

Même si l'employeur ne l'a pas demandé expressément, la salariée était donc contrainte d'occuper son domicile pour accomplir une partie des tâches inhérentes à son activité professionnelle.

L'occupation du domicile de la salariée à des fins professionnelles, faute d'avoir un espace professionnel adapté est établi et constitue donc une immixtion dans la vie privée de celle-ci.

Cette situation justifie l'octroi d'une indemnité qui est versée indépendamment du temps de travail effectif de la salariée. Pour ce faire, il convient de déterminer la proportion d'utilisation effective du domicile personnel à titre professionnel pour les tâches qui ne peuvent pas être effectuées chez le client, et de définir l'importance de la sujétion imposée à la salariée.

S'agissant précisément de l'occupation de son domicile, la salariée ne produit pas les pièces qu'elle vise dans ses conclusions (les pièces 47 à 51, relatives à l'aménagement de son domicile, à l'obligation d'installer une plaque professionnelle sur une fenêtre et à la référence à son adresse personnelle sur ses cartes de visites) et qui ne sont d'ailleurs pas mentionnées dans le bordereau de communication de pièces.

Dans ces conditions, sachant qu'en qualité de chargé de clientèle la salariée a été contrainte, pendant toute la durée de la relation contractuelle avec la société AXA d'utiliser son domicile personnel à des fins professionnelles justifiant la mise en place d'au moins un meuble de bureau et d'un petit espace d'archivage, il convient de fixer à la somme de 1 200 euros le montant de l'indemnité d'occupation du domicile personnel de la salariée à des fins professionnelles.

Cette indemnité étant destinée à compenser le préjudice que cause au salarié l'immixtion dans sa vie privée, par voie de confirmation du jugement, la demande de dommages-intérêts au titre de l'immixtion dans la vie privée sera rejetée.

Infirmant le jugement, il convient de condamner la SA Axa France IARD à verser à la salariée à la somme de 1 200 euros à titre d'indemnité d'occupation de son domicile à des fins professionnelles, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

L'employeur qui succombe, doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel et ne saurait bénéficier d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Il est inéquitable de laisser à la charge de la salariée les frais par elle exposés non compris dans les dépens, qu'il conviendra de fixer à la somme de 3 000 euros.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

DÉBOUTE la société AXA France IARD de la fin de non -recevoir tirée de l'irrecevabilité de la demande pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle,

CONFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il dit fondé le licenciement pour insuffisance professionnelle de Mme [Y],

déboute Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts pour immixtion de la vie professionnelle dans la vie personnelle, et déboute chaque partie de sa demande en application de l'article 700 du code de procédure civile,

INFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Axa France IARD à verser à Mme [Y] la somme de 1 200 euros à titre d'indemnité d'occupation de son domicile à des fins professionnelles, avec intérêts aux taux légal à compter de la présente décision,

DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils

seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SA Axa France Iard à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles,

CONDAMNE la SA Axa France Iard aux dépens de première instance et d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00354
Date de la décision : 15/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-15;21.00354 ?
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