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08/02/2023 | FRANCE | N°21/02936

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 08 février 2023, 21/02936


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 FEVRIER 2023



N° RG 21/02936



N° Portalis DBV3-V-B7F-UYTN



AFFAIRE :



[ZN] [G]



C/



S.A.S. AMICA





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F20/00120>


Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Pauline HUMBERT



la SCP FREZZA ET ASSOCIES







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versa...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 FEVRIER 2023

N° RG 21/02936

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYTN

AFFAIRE :

[ZN] [G]

C/

S.A.S. AMICA

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F20/00120

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Pauline HUMBERT

la SCP FREZZA ET ASSOCIES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [ZN] [G]

née le 18 Janvier 1994 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Pauline HUMBERT, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 151

APPELANTE

****************

S.A.S. AMICA

N° SIRET : 302 694 922

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Stéphanie ASSUERUS-CARRASCO de la SCP FREZZA ET ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 81 substitué par Me Claire PILLET, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

[ZN] [G] a été engagée par la société Amica suivant un contrat d'apprentissage pour la période comprise entre le 8 octobre 2018 et le 30 septembre 2019, puis suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er septembre 2019 en qualité d'ingénieur débutant, coefficient 70, position A, moyennant une rémunération brute mensuelle de 3 085 euros pour 151,67 heures de travail.

Par lettre datée du 26 février 2020, la salariée a dénoncé à l'inspection du travail des agissements de harcèlement sexuel qu'elle subissait de la part de son supérieur hiérarchique direct.

A compter du 26 février 2020 jusqu'au 10 mars 2020, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie.

Le 27 février 2020, la salariée a déposé une plainte pour harcèlement sexuel auprès du parquet du tribunal de grande instance de Pontoise.

Le 26 mars 2020, le médecin du travail a rendu dans le cadre de la visite de reprise de la salariée, un avis d'aptitude sous réserve de reprise du poste en télétravail de préférence.

Le 6 juillet 2020, [ZN] [G] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil afin d'obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la condamnation de la société Amica à lui payer diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail et des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité.

Par jugement mis à disposition le 14 septembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont dit qu'il n'y a pas lieu au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, ont dit qu'il y a eu un défaut de sécurité de la part de la société Amica, ont ordonné à ladite société de payer à [ZN] [G] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour un manquement à l'obligation de sécurité, ont débouté les parties du surplus des demandes, ont ordonné l'exécution provisoire sur le fondement de l'article R. 1454-28 du code du travail et ont fixé la moyenne des rémunérations des trois derniers mois à 3 085 euros, ont ordonné que les intérêts légaux produisent leurs effets à compter de la notification du jugement, ont condamné la société Amica aux dépens.

Le 7 octobre 2021, [ZN] [G] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Le 14 décembre 2021, le médecin du travail a rendu, dans le cadre d'une seule visite de reprise, un avis d'inaptitude au poste concernant la salariée en indiquant que tout maintien de celle-ci dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé.

Par lettre datée du 17 décembre 2021, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 décembre suivant, puis par lettre datée du 4 janvier 2022, lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Par décision du 23 décembre 2022, l'assurance maladie a notifié à la salariée la reconnaissance et la prise en charge de sa maladie 'hors tableau' déclarée le 26 juin 2020 au titre d'une maladie professionnelle.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 6 janvier 2023, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [ZN] [G] demande à la cour de :

- in limine litis, se déclarer compétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- juger recevable sa demande de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,

- confirmer le jugement en ce qu'il juge que la société Amica a manqué à son obligation de sécurité de résultat,

Statuant à nouveau, de :

- à titre principal, prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de la société Amica à la date du 4 janvier 2022,

- à titre subsidiaire, juger que le licenciement est nul et à titre infiniment subsidiaire qu'il est dénué de cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamner la société Amica à lui verser les sommes suivantes :

* 30 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse,

* 9 255 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 925,50 euros bruts au titre des congés payés y afférents,

* 10 000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de 'l'obligation de sécurité de résultat',

* 2 000 euros nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 9 janvier 2023 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Amica demande à la cour de :

- se déclarer incompétente sur la demande au titre d'un prétendu manquement à son obligation de sécurité,

- juger irrecevable la demande de dommages et intérêts au titre de la responsabilité de l'employeur dans la surveillance de la maladie professionnelle, en ce que la juridiction de céans est incompétente, la juridiction de sécurité sociale étant exclusivement compétente pour connaître des litiges en indemnisation de tous les dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité,

- confirmer le jugement sauf en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de son manquement à son obligation de sécurité,

- débouter [ZN] [G] de l'ensemble de ses demandes et condamner celle-ci à lui payer la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 10 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur la compétence de la cour pour statuer sur la demande au titre du manquement à l'obligation de sécurité et la recevabilité de ladite demande

La société conclut à l'incompétence de la présente cour pour statuer sur l'indemnisation de dommages résultant d'une maladie professionnelle, à savoir l'indemnisation du préjudice pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité en faisant valoir que l'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de la maladie de la salariée le 23 décembre 2022.

La salariée conclut à la compétence de la présente cour pour statuer sur la demande de dommages et intérêts en cause en faisant valoir qu'elle a saisi le conseil de prud'hommes le 6 juillet 2020, avant son avis d'inaptitude, son licenciement pour inaptitude le 4 janvier 2022 et la décision de l'assurance maladie du 23 décembre 2022 reconnaissant le caractère professionnel de sa maladie.

Il résulte des articles L. 451-1 et L. 142-1 du code de la sécurité sociale, en leur rédaction applicable à l'espèce, et de l'article L. 1411-1 du code du travail que si la juridiction prud'homale est seule compétente pour connaître de l'application des règles relatives à la rupture du contrat de travail, relève, en revanche, de la compétence exclusive du tribunal des affaires de sécurité sociale l'indemnisation des dommages résultant d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle, qu'ils soient ou non la conséquence d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.

En l'espèce, la salariée a saisi le 6 juillet 2020 la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail en invoquant des faits de harcèlement sexuel dont elle était l'objet de la part de son supérieur hiérarchique direct et d'indemnisation notamment de son préjudice résultant du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité ; postérieurement à sa saisine judiciaire, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement et l'assurance maladie a reconnu le caractère professionnel de sa maladie hors tableau déclarée le 26 juin 2020.

Sous le couvert d'une demande indemnitaire fondée sur le manquement de la société Amica à son obligation de sécurité, la salariée demande en réalité la réparation par son employeur d'un préjudice né de sa maladie professionnelle, qui relève de la compétence exclusive de la juridiction de la sécurité sociale, indépendamment du fait que la reconnaissance de sa maladie professionnelle en lien avec les agissements de harcèlement sexuel subis qu'elle allègue est intervenue postérieurement à sa saisine de la juridiction prud'homale.

La cour se déclarera par conséquent incompétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité et renverra la salariée à mieux se pourvoir auprès de la juridiction de sécurité sociale compétente.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné la société Amica au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité et la cour déclarera cette demande irrecevable.

Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail

La salariée fait valoir qu'elle a subi des agissements répétés de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique direct sur son lieu de travail tout au long de la relation de travail, ayant eu pour effet de dégrader fortement ses conditions de travail et de porter atteinte à sa dignité physique et psychique et d'altérer son état de santé ; qu'elle a été trop affectée et traumatisée par ces faits et que l'idée de retourner à son poste de travail où elle a subi ces faits la plaçait dans une situation d'angoisse qu'elle ne pouvait surmonter ; que son inaptitude a pour origine la dégradation de ses conditions de travail du fait du harcèlement sexuel subi qui rendait impossible le maintien du contrat de travail ; que la résiliation judiciaire doit par conséquence produire les effets d'un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse.

La société fait valoir que les faits de harcèlement sexuel allégués par la salariée ne sont pas avérés à défaut pour celle-ci d'apporter des éléments laissant supposer un tel harcèlement ; qu'elle a immédiatement réagi dès que les accusations de la salariée lui ont été signalées le 25 février 2020 en diligentant une enquête et en mettant à l'écart le salarié mis en cause ; que le salarié mis en cause a définitivement quitté l'entreprise en mars 2020 ; que la salariée doit être déboutée de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l'employeur.

Lorsqu'un salarié a demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail et que son employeur le licencie ultérieurement, le juge doit d'abord rechercher si la demande en résiliation est fondée.

Un salarié est fondé à poursuivre la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur en cas de manquement, par ce dernier, à ses obligations.

Il appartient au juge de rechercher s'il existe à la charge de l'employeur des manquements d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail afin de prononcer cette résiliation, lesquels s'apprécient à la date à laquelle il se prononce.

Aux termes de l'article L. 1153-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, aucun salarié ne doit subir des faits soit de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante, soit assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d'obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l'auteur des faits ou au profit d'un tiers.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Aux termes de l'article L. 1153-4 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, toute disposition ou tout acte contraire aux dispositions des articles L. 1153-1 à L. 1153-3 est nul.

Au soutien du harcèlement sexuel qu'elle invoque, la salariée expose qu'elle a subi des avances, des propos et des comportements harcelants de la part de M. [EP] sur le lieu de travail pendant des semaines, que celui-ci l'appelait 'ma chérie', lui disait 'je t'aime', l'invitait à déjeuner et a eu des gestes déplacés à son égard, comme des caresses, qu'il prenait le moindre prétexte pour s'isoler seul dans son bureau et fermait la porte pour des motifs incongrus comme des courants d'air, qu'il en profitait pour toucher les bretelles de son soutien-gorge, insistait en permanence pour qu'elle accepte de venir chez lui pour lui expliquer des notions de travail, que le 25 février 2020, elle a été confrontée une énième fois au comportement déplacé de M. [EP] ce qui a achevé de dégrader ses conditions de travail et l'a contrainte à être placée en arrêt maladie dès le lendemain, que ce jour-là, alors qu'elle travaillait avec M. [F], chargé d'affaires sur un problème technique survenu au sujet du projet aéroport [6] à la demande de M. [EP], celui-ci les a rejoints et s'est montré très virulent envers elle, lui a ensuite bousculé fortement le bras pour se diriger vers son bureau, qu'elle est restée sur place, tétanisée, qu'il s'est tourné vers elle et a hurlé : 'Pourquoi tu es encore là' Tu n'as pas de travail'', qu'elle a alors fondu en larmes, qu'elle s'est rendue dans le bureau de M. [M] qui lui a proposé un verre d'eau et qu'elle s'est alors confiée à lui sur ce qui venait de lui arriver, qu'elle s'est ensuite isolée dans son bureau pour terminer son travail avant d'être rejointe par M. [H] qui lui a proposé de travailler plus sur le terrain et moins au siège pour s'isoler de M. [EP].

La salariée produit aux débats :

- le signalement daté du 26 février 2020 qu'elle a adressé à l'inspection du travail et la plainte datée du 27 février 2020 qu'elle a adressée au parquet du tribunal de grande instance de Pontoise ; ces documents, d'une longueur chacun de quatre pages, relatent avec précision les agissements de M. [EP] à son encontre qui ont débuté dès sa période d'apprentissage dans l'entreprise, alors qu'elle était alors âgée de 24 ans ; elle évoque le caractère de celui-ci qui se traduisait pas des 'ordres criés' que ce soit en réunion ou dans le cadre du travail quotidien, puis une déviation de son comportement à son égard vers du harcèlement sexuel, 'par le fait de prendre sa main' pour lui expliquer certaines choses, de 's'accroupir près de moi à mon poste de travail en prenant appui sur ma cuisse avec sa main', des caresses sur sa main ou sur sa cuisse, le fait de passer ses mains dans ses cheveux, le fait de se placer parfois derrière son siège et de mettre sa main sur son épaule, d'avoir des regards insistants sur sa poitrine, ses fesses et ses jambes, par des commentaires sur son physique, lui disant qu'il la trouvait belle, lui demandant pourquoi elle ne portait pas de jupe ou de robe au travail, l'appelant 'ma chérie' ; elle précise avoir toujours manifesté auprès de lui une gêne et un refus de ces comportements et avances suite auxquels il utilisait la rétention d'information à son égard, la mettant en difficulté pour atteindre ses objectifs professionnels ; elle indique : 'en réunion et en présence de tous, il aboie des ordres ('sors', 'tais-toi', 'fais ça'...) et présente des sauts d'humeur- insupportable pour moi de subir cet ascenseur émotionnel qu'il me fait subir, j'ai pleuré à plusieurs reprises de toute cette humiliation' ; elle poursuit en indiquant avoir été embauchée en tant que salariée en octobre 2019 et s'être tue sur ce qu'elle subissait de la part de M. [EP] dans la mesure où c'était sa seule proposition d'embauche à sa sortie d'école et qu'elle avait eu peur de dévoiler la vérité au directeur général et que cela lui coûte une opportunité professionnelle ; elle ajoute qu'à partir d'octobre 2019, M. [EP] a commencé à fermer la porte du bureau prétextant avoir froid et a commencé à s'approcher de plus en plus d'elle, pratiquant des attouchements sur ses épaules et se permettant de 'tripoter les bretelles de mon soutien-gorge', s'arrêtant chaque fois qu'une personne entrait dans le bureau, lui faisant des propositions de venir chez lui pour qu'il lui explique des notions professionnelles ; elle précise qu'à partir de ce moment-là elle s'était sentie en danger et paniquée et avoir demandé à plusieurs collègues de venir ouvrir la porte du bureau quand elle était fermée et que M. [EP] s'en prenait alors à elle, en faisant de la rétention d'information et lui parlant 'de manière odieuse'. Elle ajoute que plusieurs collègues s'étaient rendu compte de ce que la porte du bureau était toujours fermée et lui avaient demandé si elle allait bien, mais qu'elle n'avait rien dit, ayant du mal à raconter ce qu'elle subissait et craignant de se retrouver sans travail. Elle précise que M. [XG] avait remonté ces informations auprès de la direction mais qu'aucune action n'avait été entreprise ; elle relate en détail son entretien individuel mené par M. [EP] au cours duquel celui-ci lui a demandé de manière insistante si elle l'aimait, en prenant prétexte d'un exercice professionnel pour lui faire dire qu'elle l'aimait, après qu'elle ait répondu par la négative, la plongeant dans une profonde confusion, estimant que cet 'exercice' a été un 'moment horrible', qu'elle était perdue quant à savoir si c'était une démarche professionnelle ou personnelle ; elle indique qu'à son retour de congés, celui-ci a insisté pour voir ses photos personnelles puis lui a proposé de déjeuner au restaurant en tête à tête, ce qu'elle a refusé ; elle précise que plusieurs collègues masculins faisaient des allusions ironiques sur la relation entretenue par M. [EP] avec elle, la mettant dans un état de faiblesse et d'impuissance;

- un courriel de [B] [XG], conducteur de travaux, représentant au Cse, adressé le 28 novembre 2019 à M. [T] ayant pour objet : 'dégradation des relations de travail sur le chantier Adp' indiquant notamment : 'Lors de mon dernier passage au siège j'ai aussi constaté que M. [EP] fermait sa porte avec Mme [G] et que la vitre est obturée à plus de 50 % alors que les autres bureaux sont ouverts. Avec toutes ces affaires de harcèlements auprès de femmes, il serait bon pour le bien être de tous que cette porte reste ouverte pour éviter toutes médisances' et une attestation de celui-ci indiquant que suite à son signalement à la direction, M. [EP] ne fermait plus sa porte lors de son passage au siège ;

- des attestations de collègues de travail : M. [I] [W] relate avoir été témoin du comportement de M. [EP] à l'égard de la salariée, celui-ci lui criant dessus sans raison particulière ; Mme [K] [L] relate avoir constaté que M. [EP] s'enfermait seul dans le bureau avec la salariée en prétextant qu'il faisait froid tout en voyant, car le bureau était vitré, le malaise de la salariée quant il était proche d'elle pour lui expliquer le travail ; [E] [V] relate avoir été témoin dans le courant de l'année 2019 et au début de l'année 2020 de plusieurs gestes trop familiers, et de paroles ou allusions trop familières de M. [EP] envers la salariée ne rentrant pas dans le cadre du travail et de s'être aperçu plusieurs fois que M. [EP] fermait toujours la porte de leur bureau sous prétexte de courant d'air et que quand il rentrait dans le bureau l'avoir vu 'se redresser brusquement et de voir ma collègue collée avec sa chaise contre le mur pour éviter tout contact avec cette personne' ; Mme [N] [U] indique avoir constaté au cours des derniers mois un 'comportement étrange' de M. [EP] envers la salariée, que celui-ci s'isolait avec elle dans le bureau, 'en effet M. [EP] s'approchait très près de Mme [G] qui elle se retrouvait à moitié sur sa chaise pour éviter son approche', 'un jour qu'elle avait fait des nattes dans ses cheveux et il commençait à toucher ses cheveux. Celle-ci s'était brusquement éloignée de lui' ; [R] [M], représentant au Cse, indique avoir été informé qu'une enquête serait lancée sur le harcèlement à l'encontre de la salariée, mais ne pas avoir été sollicité pour participer à celle-ci ;

- une lettre du docteur [S] [J], médecin du travail, datée du 3 mars 2020 adressée à un confrère lui indiquant lui adresser la salariée qui 'présente un état anxio-dépressif suite dixit à un harcèlement à caractère sexuel dans son activité professionnelle' ;

- des prescriptions de traitement médicamenteux établies les 27 juin, 24 juillet et 6 août 2020 par le docteur [O] [P] au bénéfice de la salariée.

La salariée présente ainsi des éléments de faits qui, pris dans leurs ensemble, laissent supposer un harcèlement sexuel.

Il incombe par conséquent à la société Amica de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La société estime que les éléments fournis par la salariée revêtent une valeur probante insuffisante de par leur manque de précision et que la matérialité des propos et attitudes attribués à M. [EP] pour lui imputer un harcèlement sexuel ne sont pas caractérisés. Ce faisant, la société ne justifie pas objectivement que les agissements de M. [EP] à l'encontre de la salariée sont étrangers à tout harcèlement sexuel.

Puis, la société, considérant que le courriel du mois de novembre 2019 de M. [XG] ne constituait pas une alerte, soutient ne pas avoir été alertée avant le 25 février 2020 et indique avoir réagi après avoir été alertée sur le comportement de M. [EP] à l'égard de la salariée en diligentant une enquête.

La société produit des courriels émanant d'[X] [H] et [Y] [Z], juriste social, le 26 février 2020 faisant état de la situation de la salariée, un courriel de M. [M] du 13 novembre 2020 relatant les confidences reçues de la salariée et indiquant avoir été convié avec la salariée à rencontrer M. [T], directeur général, afin de 'contextualiser les faits' et qu'une enquête a été ouverte, sans précision de date, et une attestation de celui-ci datée du 3 mars 2021 confirmant ses dires, tout en précisant que : 'des convocations ont alors été conduites dans le cadre de cette procédure qui s'est faite de manière confidentielle au vu de la sensibilité de cette affaire. Pour conclure, à la suite de ces démarches, M. [EP] n'a plus jamais été aperçu dans les locaux d'Amica'.

La société produit encore un courriel de [A] [T] adressé le 3 mars 2020 à [Y] [D] indiquant qu'à la suite de la réunion du matin avec M. [EP], celui-ci serait en congés à partir du 3 mars jusqu'au 22 mars compris, ainsi qu'une convocation datée du 10 mars 2020 de M. [EP] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 1er avril 2020 assortie d'une dispense d'activité à compter du 30 mars 2020 rémunérée, sans cependant de justificatif d'envoi de cette lettre à l'intéressé et enfin, une lettre datée du 31 mars 2020 aux termes de laquelle [C] [EP] fait part de son intention de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 2 mai 2020.

Les éléments fournis par la société tendent à la justification de ce qu'elle a réagi à compter du 25 février 2020 à l'alerte de la salariée quant au harcèlement sexuel qu'elle subissait règulièrement de la part de M. [EP] mais ne justifient pas que les faits ci-avant retenus ne constituent pas des agissements de harcèlement sexuel de la part de M. [EP] envers sa jeune collaboratrice.

Il résulte de tout ce qui précède que la salariée a subi régulièrement des agissements de harcèlement sexuel de la part de son supérieur hiérarchique direct depuis son embauche en contrat d'apprentissage puis sous contrat à durée indéterminée, pendant la majeure partie de la relation de travail, que ces faits graves et répétés ont eu pour conséquence une dégradation de ses conditions de travail et une altération de sa santé psychique, qu'au moment de la rupture du contrat de travail, indépendamment du fait que la société allègue que M. [EP] n'était plus dans l'entreprise, la salariée, durablement et profondément affectée par la gravité des agissements de nature sexuelle subis, ne pouvait envisager sereinement une reprise de son poste de travail alors qu'elle avait par ailleurs évoqué les allusions ironiques de collègues de travail, toujours présents dans l'entreprise, sur le comportement de M. [EP] à son égard. Les manquements de l'employeur rendaient ainsi impossibles la poursuite du contrat de travail.

Il y a donc lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Amica à compter du 4 janvier 2022, date du licenciement, et de dire que cette résiliation, fondée sur un harcèlement sexuel, produit les effets d'un licenciement nul.

En conséquence, la salariée est fondée à réclamer des dommages-intérêts pour licenciement nul, dont le montant à la charge de l'employeur ne peut être inférieur, en application de l'article L. 1235-3-1 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, au salaire des six derniers mois.

Eu égard à son âge (née en 1994), à son ancienneté (trois années complètes), à sa rémunération (3 085 euros bruts mensuels), au fait qu'elle indique ne pas être guérie du traumatisme subi dans le cadre de son expérience professionnelle au sein de la société Amica et qu'elle ignore quand son état de santé lui permettra de retrouver un emploi, il y a lieu d'allouer à la salariée une somme de 20 000 euros nets à ce titre.

La salariée a par ailleurs droit à une indemnité compensatrice de préavis qui sera fixée, eu égard à son ancienneté, à trois mois de salaire, soit à la somme de 9 255 euros bruts ainsi qu'à une indemnité compensatrice de congés payés incidents de 925,50 euros bruts.

Le jugement sera infirmé sur tous ces points.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Eu égard à la solution du litige, la société sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à la salariée la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

SE DECLARE incompétente pour statuer sur la demande de dommages et intérêts au titre du manquement de la société Amica à l'obligation de sécurité,

RENVOIE [ZN] [G] à mieux se pourvoir devant la juridiction compétente pour connaître de cette demande,

INFIRME le jugement en ce qu'il dit n'y avoir lieu au prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de travail, en ce qu'il déboute [ZN] [G] de ses demandes d'indemnités au titre du licenciement et en ce qu'il condamne la société Amica à payer à [ZN] [G] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour un manquement à l'obligation de sécurité,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE irrecevable la demande de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail de [ZN] [G] aux torts de la société Amica à la date du 4 janvier 2022 et dit que cette résiliation produit les effets d'un licenciement nul,

CONDAMNE la société Amica à payer à [ZN] [G] les sommes suivantes :

* 20 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement nul,

* 9 255 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 925,50 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

CONDAMNE la société Amica aux dépens d'appel,

CONDAMNE la société Amica à payer à [ZN] [G] la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02936
Date de la décision : 08/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-08;21.02936 ?
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