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08/02/2023 | FRANCE | N°20/01668

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 08 février 2023, 20/01668


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 08 FEVRIER 2023



N° RG 20/01668



N° Portalis DBV3-V-B7E-T7KJ



AFFAIRE :



[P] [X]



C/



SAS CARREFOUR MANAGEMENT







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E>
N° RG : F18/01521



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Cyrille BLAISE



l'AARPI TEYTAUD-SALEH







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 08 FEVRIER 2023

N° RG 20/01668

N° Portalis DBV3-V-B7E-T7KJ

AFFAIRE :

[P] [X]

C/

SAS CARREFOUR MANAGEMENT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Juin 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F18/01521

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Cyrille BLAISE

l'AARPI TEYTAUD-SALEH

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [X]

né le 30 Avril 1976 à [Localité 7] (MADAGASCAR)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentant : Me Cyrille BLAISE, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1027

Représentant : Me Alex FERNANDO, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : D350

APPELANT

****************

SAS CARREFOUR MANAGEMENT

N° SIRET : 403 245 061

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représentant : Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J125

Représentant : Me Zora VILLALARD de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Janvier 2023 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

[P] [X] a été engagé par la société Carrefour Management suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 15 septembre 2004 en qualité de chef de projet décisionnel. Suivant avenant au contrat de travail, il est devenu, à compter du 1er octobre 2011, directeur de domaine, statut de directeur, cadre de niveau D1 suivant la classification du groupe Carrefour.

Les relations de travail étaient soumises aux dispositions de la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

A compter du 1er octobre 2014, le salarié a fait l'objet d'une expatriation au sein de la société Carrefour e Industrie Lta au Brésil (ci-après Carrefour Brésil) en qualité de directeur IT applications, statut senior directeur, niveau Sd1. Par avenant, son contrat de travail a été suspendu durant la période d'expatriation et un contrat de travail de droit brésilien a été signé entre le salarié et la société Carrefour Brésil. A compter du 1er janvier 2015, le salarié a occupé le poste de directeur de la transformation IT, statut senior directeur (Sd1).

Par lettre datée du 8 mai 2018, la société Carrefour Brésil a informé le salarié de la fin de son contrat de droit local le 31 juillet 2018 et qu'il serait réaffecté au groupe en France à compter du 1er août 2018.

Entre-temps, des échanges ont eu lieu à partir de février 2018 entre le salarié et la société Carrefour Banque, société du groupe, aux termes desquels un emploi de directeur des systèmes d'information au sein de la société Carrefour Banque a été proposé au salarié.

Par courriel du 6 juillet 2018, le salarié a informé la société Carrefour Banque de son refus de la proposition de poste.

Par courriel du 25 juillet 2018, le salarié a informé la société Carrefour Management de son refus de la proposition de poste au sein de la société Carrefour Banque.

Par courrier daté du 25 juillet 2018, la société Carrefour Management a informé le salarié qu' à la suite de son refus de poste au sein de la société Carrefour Banque, son contrat de travail avec la société Carrefour Management reprendrait effet à partir du 1er août 2018, date à laquelle il serait dispensé d'activité avec rémunération afin d'effectuer des recherches de postes disponibles correspondant à son profil au sein du groupe.

Par courriel du 27 juillet 2018, le salarié a informé [L] [R], directeur talent management groupe, de son embauche prochaine au sein de la société Séphora et de son souhait de bénéficier du plan de départ volontaire (Pdv) du groupe Carrefour. Par courriel du 31 juillet 2018, ce dernier a informé le salarié qu'il n'était pas éligible au Pdv.

Par lettre datée du 17 septembre 2018, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Par lettre datée du 20 septembre 2018, la société Carrefour Management a contesté les griefs exposés par le salarié à son encontre et a pris acte de sa démission.

Le 14 décembre 2018, [P] [X] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire produire à sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et d'obtenir la condamnation de la société Carrefour Management à lui payer diverses indemnités au titre de la rupture.

Par jugement mis à disposition le 11 juin 2020, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont jugé que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par [P] [X] produit les effets d'une démission, ont débouté celui-ci de l'intégralité de ses demandes, ont condamné celui-ci à verser à la société Carrefour Management la somme de 20 657,70 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de préavis, ont ordonné à la société Carrefour Management la remise à [P] [X] d'un certificat de travail et d'un certificat pour Pôle emploi, ont débouté la société Carrefour Management de ses autres demandes et ont condamné [P] [X] aux dépens.

Le 27 juillet 2020, [S] [X] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par ordonnance du 22 juin 2022, le conseiller de la mise en état, saisi par la société Carrefour Management d'un incident d'irrecevabilité des demandes nouvelles en appel formées par le salarié, a dit ne pas être compétent pour statuer sur cette demande d'irrecevabilité et a renvoyé la société Carrefour Management à mieux se pourvoir devant la cour sur cette demande.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 5 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [P] [X] demande à la cour d'infirmer le jugement dans toutes ses dispositions et de :

- à titre principal, fixer son salaire moyen à 20 427,07 euros bruts, juger que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société Carrefour Management à lui verser les sommes suivantes :

* 231 724,68 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 26 666, 67 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 2 666,66 euros au titre des congés payés afférents sur le préavis, 

* 4 444,44 euros au titre du treizième mois et demi correspondant à la période de préavis,

*444,44 euros au titre des congés payés afférents, 

* 102 135,35 euros à titre d'indemnité supplémentaire 'accord cadre',

* 61 281,21 euros à titre d'indemnité supplémentaire 'Pdv siège',

* 119 498,35 euros à titre d'indemnité pour remboursement rapide d'un projet professionnel,

* 20 427,07 euros à titre d'indemnité de départ rapide,

* 163 416 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (245 124,98 euros en cas d'irrecevabilité des demandes indemnitaires du plan),

- à titre subsidiaire, condamner la société Carrefour Management à lui verser la somme de 535 066 euros au titre du préjudice subi du fait de n'avoir pu accéder et bénéficier des mesures du plan,

- en tout état de cause, condamner la société Carrefour Management à lui verser les sommes suivantes :

* 50 000 euros au titre de l'exécution déloyale des engagements pris dans le Pdv,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens et débouter la société Carrefour Management de sa demande reconventionnelle au titre du préavis. 

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 27 décembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Carrefour Management demande à la cour de déclarer irrecevables les nouvelles demandes au titre du treizième mois et demi correspondant à la période de préavis et les congés payés afférents, de l'indemnité supplémentaire 'accord cadre', de l'indemnité supplémentaire 'Pdv siège', de l'indemnité pour remboursement rapide d'un projet professionnel et de l'indemnité de départ rapide, de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de débouter [P] [X] de ses demandes et de condamner celui-ci au paiement de 20 657,70 euros nets au titre du préavis non effectué, subsidiairement 50 079,59 euros nets, ainsi qu'aux sommes de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant la cour et de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile devant les premiers juges, et aux entiers dépens avec distraction au profit de maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 3 janvier 2023.

MOTIVATION

Sur la recevabilité des demandes nouvelles en appel

La société conclut à l'irrecevabilité des cinq demandes de l'appelant nouvellement formées à hauteur d'appel au motif que celles-ci ne répondent pas aux exigences légales pour être considérées comme n'étant pas nouvelles.

Le salarié conclut à la recevabilité de ses demandes nouvelles en appel au motif que quatre d'entre elles portent sur les conséquences indemnitaires de sa prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et que la dernière est la conséquence de la demande d'indemnité de préavis.

Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile : 'A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait'.

Aux termes de l'article 565 du même code : 'Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent'.

Aux termes de l'article 566 du même code : 'Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises aux premiers juges que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire'.

Devant les premiers juges, [P] [X] a demandé la condamnation de la société Carrefour Management à lui verser les sommes suivantes :

- à titre principal :

* 231 724,68 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 31 111,11 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 3 111,11 euros au titre des congés payés afférents, 

* 245 124,98 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- à titre subsidiaire :

* 534 984,95 euros au titre du préjudice subi pour n'avoir pu accéder et bénéficier des mesures du plan de départ volontaire,

- en tout état de cause,

* 50 000 euros au titre de l'exécution déloyale des engagements pris dans le plan de départ volontaire,

* 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Les demandes formées au titre de l'indemnité supplémentaire 'accord cadre', de l'indemnité supplémentaire 'Pdv siège', de l'indemnité pour remboursement rapide d'un projet professionnel et de l'indemnité de départ rapide portent sur le bénéfice des mesures indemnitaires prévues par le plan de départ volontaire dont le salarié estime qu'il a été privé de manière injustifiée.

Ces demandes formées à titre principal à hauteur d'appel ne tendent pas aux mêmes fins que celles formées à titre principal au titre de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur formées en première instance, à savoir les conséquences pécuniaires d'une prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elles ne constituent pas plus une conséquence ou un complément nécessaire aux demandes formées à titre principal en première instance. Ces demandes ne sont par conséquent pas recevables. Il sera fait droit à la fin de non-recevoir de ces demandes formée par la société Carrefour Management.

Les demandes formées au titre du treizième mois et demi correspondant à la période de préavis et les congés payés afférents constituent quant à elles la conséquence et le complément nécessaires aux demandes d'indemnité compensatrice de préavis et de congés payés afférents. La fin de non-recevoir de ces demandes formée par la société Carrefour Management sera par conséquent rejetée.

Sur la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié

Au soutien de sa demande tendant à faire produire à sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et à la condamnation de la société au paiement d'indemnités au titre de la rupture, le salarié soutient que :

- la société a fait preuve de déloyauté à l'occasion du terme anticipé de l'expatriation en soutenant que le salarié aurait mis fin à son contrat avec la société Carrefour Brésil, alors que c'est ladite société qui a mis fin à son contrat en raison d'une réorganisation ;

- la société lui a opposé un refus abusif d'accès au plan de départ volontaire ;

- les recherches de reclassement de la société ont été insuffisantes et celle-ci ne lui a pas fourni de travail à son retour d'expatriation.

La société conclut au débouté de toutes les demandes du salarié au motif que celui-ci n'établit aucun manquement de sa part suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et que sa prise d'acte de la rupture le 17 septembre 2018 au regard de sa réintégration dans le groupe le 1er août 2018 à son retour d'expatriation était de toutes les façons prématurée, en ce que:

- c'est le salarié qui a été à l'origine du terme anticipé de son expatriation au Brésil ;

- elle a respecté les obligations issues du Pdv siège mis en place par accord collectif du 24 avril 2018 homologué par la Direccte le 22 juin 2018 auquel le salarié n'était pas éligible ;

- il a été proposé un poste au salarié à son retour d'expatriation correspondant à ses compétences et à sa qualification qu'il a en premier lieu accepté avant de le refuser de manière soudaine et inopinée.

Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les manquements invoqués empêchaient la poursuite du contrat de travail, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

La charge de la preuve des faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur à l'appui de sa prise d'acte pèse sur le salarié.

L'article L. 1235-1 du code du travail dispose que : 'Lorsqu'un salarié engagé par une société mère a été mis à disposition d'une filiale étrangère et qu'un contrat de travail a été conclu avec cette dernière, la société mère assure son rapatriement en cas de licenciement par la filiale et lui procure un nouvel emploi compatible avec l'importance de ses précédentes fonctions en son sein'.

S'agissant de la déloyauté de la société à l'occasion du terme anticipé de l'expatriation

Le salarié indique qu'à partir de décembre 2017, il a été rattaché à la directrice exécutive clients et transformation digitale de Carrefour Brésil, [E] [B] et que cette réorganisation a eu des conséquences sur le maintien de son poste au Brésil, ajoutant qu'en début d'année 2018 : 'le salarié comprenait que son contrat local allait être prochainement rompu de façon anticipé'.

Au soutien de son allégation d'éviction de la société Carrefour Brésil, il produit :

- un courriel de [E] [B] du 15 février 2018 indiquant que la responsabilité de l'IT Groupe sera assurée par '[D]' et évoquant le retour du salarié en France 'à une date encore inconnue, à partir de juillet', insuffisant à établir que la société Carrefour Brésil est à l'origine d'une éviction du salarié ;

- une attestation de M. [K], directeur et manager IT au Brésil qui fait part de l'annonce de la substitution de M. [X] par Mme [D] [T] en février 2018 et évoque son rattachement hiérarchique en février 2018 à Mme [T] pour une période transitoire de quatre mois alors qu'il répondait hiérarchiquement au salarié jusqu'à cette date, insuffisant à établir que la société Carrefour Brésil est à l'origine d'une éviction du salarié ;

- une attestation rédigée en des termes imprécis et non datés d'[G] [J], ancienne salariée expatriée au Brésil, faisant état de 'rumeurs' quant à la volonté de [E] [B] de remplacer le salarié, insuffisante à établir des faits ;

-un courrier de la société Carrefour Brésil du 8 mai 2018 confirmant au salarié que sa mission prendra fin le 31 juillet 2018.

La cour relève ici que dans un courriel adressé à [L] [R] le 23 août 2018 par le salarié, qu'il produit lui-même, ce dernier écrit : 'après mon rattachement en décembre dernier à la nouvelle directrice exécutive clients et transformation digitale de Carrefour Brésil, une nouvelle DSI a été nommée courant février 2018 ; cette modification majeure dans l'organisation a été effectuée dans la discrétion sans qu'à aucun moment, j'en sois avisé alors que cette décision avait une incidence directe sur mon activité et situation au Brésil ; dans cette situation pour le moins incongrue consistant à se retrouver à deux pour un même poste, ce qui s'avérait insupportable et encore une fois, sans qu'on me le dise et que Carrefour prenne ses responsabilités, j'ai été contraint à mon initiative d'envisager un retour en France'.

En outre il ressort d'échanges de courriels des 22 et 24 janvier 2018 que le salarié a pris contact avec la société Carrefour Banque pour fixation d'un rendez-vous en France avant le 21 février 2018, soit avant l'annonce de la nomination de la nouvelle DSI qu'il allègue.

Par ailleurs, [V] [M], directrice développement Rh International a rappelé au salarié dans un courriel du 25 juillet 2018 qu'il avait demandé début 2018 à rentrer en France sur l'été, qu'il avait alors rencontré [W] [C] le 21 février 2018 qui avait confirmé son accord pour qu'il intègre Carrefour Banque en France, que début mars Carrefour Banque lui avait confirmé son intégration au sein de leurs équipes à une date restant à valider entre avril et mai avec Carrefour Brésil, que lors de son passage en France fin mars, il avait convenu avec [Y] [O], Drh Carrefour Banque de sa venue sur Carrefour Banque en France pour la passation de dossier avec [G] [Z] sur mai et juin avec une prise de poste le 7 juillet, repoussée au 1er août à la demande du salarié en accord avec sa n+1, [E] [B] pour ne pas perdre les stocks options au Brésil. Celle-ci précise ensuite le planning de passation avant la prise de poste au 1er août comprenant des périodes de fonction sur Carrefour Banque France et Carrefour Brésil entre avril et juillet 2018. Les termes de ce courriel ne sont pas contestés pas le salarié.

Enfin, la cour relève que dans son courrier du 8 mai 2018, la société Carrefour Brésil confirme au salarié que sa mission au Brésil prendra fin le 31 juillet 2018, ce dont il s'ensuit qu'est ainsi pris en considération le préavis dû par le salarié conformément aux stipulations de l'article 5 de l'avenant d'expatriation signé par celui-ci le 9 décembre 2014 aux termes duquel : 'Dans le cas où vous souhaiteriez pour convenances personnelles mettre fin à votre expatriation avant l'achèvement de la période prévue, vous auriez, sauf cas de force majeure, à effectuer un préavis de trois mois'.

Il résulte de tout ce qui précède que le salarié ne démontre pas son 'éviction' par la société Carrefour Brésil et que la société Carrefour Management aurait fait preuve de déloyauté à l'occasion du terme anticipé de l'expatriation.

S'agissant du refus abusif d'accès au plan de départ volontaire

- Le salarié fait valoir en premier lieu que l'employeur ne lui a pas permis pas l'accès à l'outil '#passerelles mobilités' pour déposer son dossier de candidature au plan de départ volontaire mis en place dans l'entreprise alors qu'il remplissait les conditions pour accéder valablement à ce plan.

Il ressort des dispositions du 'plan de départs volontaires sièges et fonctions supports' produit aux débats que pour être éligible au volontariat au départ, il faut notamment, s'agissant des salariés de Carrefour Management en particulier :

- être affecté à l'établissement de [Localité 4], le plan précisant que du fait du déménagement, le plan est ouvert aux salariés ne souhaitant pas rejoindre le site de [Localité 5], sans condition d'ancienneté, ni d'appartenance à une catégorie professionnelle comportant des potentielles suppressions de postes,

- être affecté à l'établissement de [Localité 6] et avoir une ancienneté d'au moins deux ans au sein du groupe Carrefour au 1er juillet 2018.

Le salarié produit une impression d'écran pour l'accès à l'outil '# passerelle Rh' daté du 9 août 2018 mentionnant : 'vous ne semblez pas faire partie des collaborateurs concernés par le plan de départ volontaire et n'avez donc pas accès à cet espace. Si vous pensez devoir y accéder, merci de contacter votre Rh habituel', ainsi que des échanges de courriels avec [L] [R] en juillet et août 2018 relatifs à l'accès au Pdv dont il ressort que la société a indiqué au salarié que le Pdv n'était ouvert qu'à ses salariés affectés à l'établissement de [Localité 4] ne souhaitant pas rejoindre les locaux de [Localité 5], ce qui n'était pas le cas du salarié et qu'il n'était donc pas éligible au Pdv.

Il ressort encore des pièces produites que le 25 juillet 2018, date à laquelle le salarié a tenté d'adhérer au Pdv siège, celui-ci était encore salarié de Carrefour Brésil, son contrat de travail étant suspendu et son rapatriement n'était fixé qu'au 1er août 2018 et qu'après le 1er août 2018, date à laquelle il a été réintégré dans la société Carrefour Management à son retour d'expatriation, il ne remplissait pas plus les conditions pour accéder au Pdv le 1er août 2018, n'étant pas affecté à un poste sur l'établissement de [Localité 4] mais en attente de poste dans le cadre de la recherche d'un nouvel emploi en cours.

- En outre, le salarié fait valoir que d'autres salariés de la société expatriés au Brésil ([I] [LG], [N] [U]) ou des salariés d'autres sociétés du groupe non prévues dans le plan ([L] [A] de la société Carrefour Banque, [F] [H] de la société Carrefour Systèmes d'Information, [Y] [O] de la société Carrefour Banque) ont pu accéder à ce plan contrairement à lui, ce qui laisse présumer une rupture d'égalité quant à l'accès au plan.

Si, aux termes de l'article 1353 du code civil, il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe d'égalité de traitement de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de traitement, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve d'éléments objectifs et matériellement vérifiables justifiant cette différence.

En conséquence, il appartient au salarié de démontrer qu'il se trouve dans une situation identique ou similaire à celle des salariés auxquels il se compare et il incombe à la société Carrefour Management de démontrer alors que la différence de traitement est justifiée par des éléments objectifs et matériellement vérifiables.

Au soutien de ses allégations, le salarié produit des discussions peu explicites d'intervenants d'un groupe Whatsapp qui ne démontrent pas de différence de traitement entre le salarié et les personnes qu'il cite quant à l'accès au Pdv, une attestation rédigée par [G] [J] indiquant avoir travaillé comme expatriée chez Carrefour Brésil et avoir bénéficié du Pdv en juin 2018 après son retour en France en février 2018 chez Carrefour Management, dont il ne ressort donc pas que la salariée aurait été placée dans une situation comparable à celle du salarié, celle-ci n'invoquant pas une absence d'affectation à son retour d'expatriation en février 2018 chez Carrefour Management, une attestation rédigée par [F] [H] ayant bénéficié du Pdv mais dont la situation n'était pas comparable à celle du salarié, celui-ci indiquant avoir été muté au sein de la société Carrefour Management avant de bénéficier du Pdv et deux profils LinkedIn de personnes dont l'identité n'est pas mentionnée dans ces documents.

Il convient de constater que le salarié n'apporte donc pas d'élément probant au soutien de son allégation d'inégalité de traitement dans l'accès au Pdv.

Il résulte de ce qui précède que le refus abusif d'accès au Pdv n'est pas établi.

S'agissant de l'insuffisance des recherches de reclassement et de l'absence de fourniture de travail

Il ressort des pièces produites aux débats, pour partie déjà analysées, qu'à la suite de la demande du salarié de rentrer en France manifestée dès le mois de janvier 2018, un poste lui a été proposé au sein de la société Carrefour Banque correspondant à ses compétences et qualification, étant relevé que le salaire de référence proposé était supérieur de 5 % à celui qu'il percevait, soit 126 000 euros annuels de fixe ainsi qu'il ressort d'un courriel du 5 mars 2018 de [L] [R] ; que le salarié a échangé à de nombreuses reprises avec la société Carrefour Banque au cours du premier semestre 2018 ainsi qu'il ressort des échanges de courriels produits par la société entre avril et juin 2018, celui-ci étant même entré dans l'agenda Comex de cette société ; puis qu'il a finalement fait part, le 6 juillet 2018 à la société Carrefour Banque et le 25 juillet 2018 à la société Carrefour Management, de son refus de cette proposition de poste ; que par lettre datée du 25 juillet 2018, la société Carrefour Management lui a alors confirmé que son contrat reprendrait effet à compter du 1er août 2018, date à laquelle il serait dispensé d'activité afin de permettre à la société d'effectuer des recherches de reclassement correspondant à son profil au sein du groupe ; que le salarié a alors demandé par courriel du 27 juillet 2018 à accéder au Pdv de la société et a transmis à la société une promesse d'embauche datée du 2 juillet 2018 de la société Séphora au poste de directeur des systèmes d'information Europe et Moyen-Orient au plus tard le 1er octobre 2018 moyennant un salaire annuel de base brut de 180 000 euros outre un bonus annuel cible de 25 % du salaire de base brut, un bonus exceptionnel d'arrivée de 52 000 euros bruts outre divers autres éléments ; que divers échanges d'écrits entre le salarié et notamment [L] [R] ont eu lieu en août et septembre 2018 sur la question de l'éligibilité du salarié au Pdv avant que celui-ci, par lettre datée du 17 septembre 2018, prenne acte de la rupture du contrat de travail en invoquant les manquements sus-cités.

Au regard des circonstances sus-décrites à la suite desquelles le salarié a réintégré les effectifs de la société Carrefour Management le 1er août 2018 avec une dispense d'activité, du niveau du poste du salarié nécessitant un certain délai pour lui trouver un poste correspondant à ses compétences et qualifiations et de la date de sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail le 17 septembre 2018, l'insuffisance de recherche de reclassement et l'absence de fourniture de travail reprochés par le salarié pendant ce laps de temps ne sont pas des manquements suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail du salarié.

Il s'ensuit que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail du salarié produit les effets d'une démission et que le salarié doit être débouté de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail. Le jugement sera confirmé sur ces points ainsi que sur la condamnation du salarié au paiement de l'indemnité de préavis non exécuté à la société et la condamnation de la société à la remise des documents cités.

Le salarié sera débouté de ses demandes nouvelles en appel au titre du treizième mois et demi correspondant à la période de préavis et des congés payés afférents.

Sur la demande au titre de l'absence du bénéfice du Pdv

Le salarié forme une demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'absence de bénéfice du Pdv.

La société conclut au débouté de cette demande en soutenant que le salarié n'était pas éligible au Pdv.

Il résulte des développements qui précèdent que le salarié n'était pas éligible aux dispositions du Pdv, de sorte que, à défaut de démontrer une faute de la société présentant un lien de causalité avec le préjudice qu'il allègue, il doit être débouté de sa demande de dommages et intérêts de ce chef. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande au titre de l'exécution déloyale des engagements pris dans le Pdv

Aucune déloyauté de la société dans l'exécution des engagements pris dans le Pdv n'étant démontrée, il convient de débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts de ce chef et de confirmer le jugement sur ce débouté.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Le salarié qui succombe en ses prétentions d'appel sera condamné aux dépens d'appel et à payer à la société la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.

Les entiers dépens pourront être recouvrés par maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

FAIT DROIT à la fin de non-recevoir soulevée par la société Carrefour Management au titre de l'irrecevabilité des demandes d'indemnité supplémentaire 'accord cadre', d'indemnité supplémentaire 'Pdv siège', d'indemnité pour remboursement rapide d'un projet professionnel et d'indemnité de départ rapide, nouvelles en appel,

REJETTE la fin de non-recevoir soulevée par la société Carrefour Management au titre des demandes de treizième mois et demi correspondant à la période de préavis et de congés payés afférents, nouvelles en appel,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

DEBOUTE [P] [X] de ses demandes au titre du treizième mois et demi correspondant à la période de préavis et des congés payés afférents,

CONDAMNE [P] [X] aux dépens d'appel,

DIT que les entiers dépens pourront être recouvrés par maître François Teytaud, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

CONDAMNE [P] [X] à payer à la société Carrefour Management la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties des autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01668
Date de la décision : 08/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-08;20.01668 ?
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