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01/02/2023 | FRANCE | N°21/01007

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 01 février 2023, 21/01007


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 01 FEVRIER 2023



N° RG 21/01007



N° Portalis DBV3-V-B7F-UNMN



AFFAIRE :



[R] [P]



C/



S.A.S. HUSQVARNA FRANCE





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

N° Chambre :

N° Section : E

RG : 20/00148



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELEURL CNE



la SCP PECHENARD & Associés







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'ap...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 FEVRIER 2023

N° RG 21/01007

N° Portalis DBV3-V-B7F-UNMN

AFFAIRE :

[R] [P]

C/

S.A.S. HUSQVARNA FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Mars 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT-GERMAIN-EN-LAYE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 20/00148

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELEURL CNE

la SCP PECHENARD & Associés

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE UN FEVRIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [R] [Z] épouse [P]

née le 17 Septembre 1977 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Christophe NEVOUET de la SELEURL CNE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0106

APPELANTE

****************

S.A.S. HUSQVARNA FRANCE

N° SIRET : 315 256 222

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Emmanuelle SAPENE de la SCP PECHENARD & Associés, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R047 substitué par Me Laetitia GARCIA, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

Mme [R] [Z] épouse [P] (ci-après Mme [P]) a été embauchée, à compter du 2 octobre 2006, selon contrat de travail à durée indéterminée en tant que 'business analyst' (statut de cadre) par la société HUSQVARNA FRANCE.

Une convention de forfait annuel en jours a été incluse dans le contrat de travail.

Par avenant du 6 juin 2013, Mme [P] a été nommée dans le poste de 'responsable du contrôle de gestion', sous l'autorité du directeur administratif et financier (M. [S]).

Par avenant du 1er janvier 2015, Mme [P] a été nommée dans le poste de 'contrôleur régional retail Europe du sud' et de 'responsable du contrôle de gestion France', toujours sous l'autorité du même directeur administratif et financier.

Par lettre du 19 novembre 2015, la société HUSQVARNA FRANCE a proposé à Mme [P], à titre de sanction, une rétrogradation dans la seule fonction de 'contrôleur régional retail Europe du Sud' et le retrait de ses tâches de 'responsable du contrôle de gestion France'.

Par lettre et courrier électronique du 3 décembre 2015, Mme [P] a refusé cette sanction de rétrogradation.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 8 décembre 2015, la société HUSQVARNA FRANCE a convoqué Mme [P] à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 18 décembre suivant.

Par lettre du 23 décembre 2015, la société HUSQVARNA FRANCE a notifié à Mme [P] son licenciement pour motifs disciplinaires.

Au moment de la rupture du contrat de travail, la société HUSQVARNA FRANCE employait habituellement au moins onze salariés et la rémunération moyenne mensuelle de Mme [P] s'élevait à 5 858,91 euros brut.

Le 28 janvier 2016, Mme [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre pour notamment contester la validité et, à titre subsidiaire, le bien-fondé de son licenciement et demander la condamnation de la société HUSQVARNA FRANCE à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement nul ou une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, ainsi que des rappels de salaire pour heures supplémentaires, des indemnités au titre de la contrepartie obligatoire en repos, une indemnité pour travail dissimulé et des dommages-intérêts pour harcèlement moral.

Par un jugement du 8 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye (section encadrement) saisi par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles du

3 juillet 2020, a :

- dit que le licenciement de Mme [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

- condamné la société HUSQVARNA FRANCE à payer à Mme [P] les sommes suivantes :

* 46 871,28 euros net à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ; * 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dit que la convention de forfait annuel en jours incluse dans le contrat de travail de Mme [P] est nulle ;

- ordonné le remboursement à Pôle emploi par la société HUSQVARNA FRANCE des allocations de chômage versées à Mme [P] dans la limite de trois mois d'allocation ;

- rappelé que les intérêts légaux sont dus à compter du jour du prononcé de la décision ;

- débouté Mme [P] de ses autres demandes ;

- débouté la société HUSQVARNA FRANCE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné la société HUSQVARNA FRANCE aux dépens.

Le 1er avril 2021, Mme [P] a interjeté appel de ce jugement.

Aux termes de ses conclusions du 22 décembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, Mme [P] demande à la cour de :

1°) infirmer le jugement attaqué sur le débouté de sa demande de nullité du licenciement et de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement nul, et à titre subsidiaire l'infirmer sur le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le débouté de la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, de la demande de rappel d'heures supplémentaires, de la demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos et les congés payés afférents ;

2°) confirmer le jugement attaqué en ce qu'il dit le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, dit que la convention de forfait annuel en jours est nulle, a statué sur l'article 700 du code de procédure civile ;

3°) statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

- à titre principal, dire que son licenciement est nul et condamner la société HUSQVARNA FRANCE à lui payer une somme de 80 000 euros nets à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;

- à titre subsidiaire, dire que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner la société HUSQVARNA FRANCE à lui payer une somme de 80 000 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société HUSQVARNA FRANCE à lui payer les sommes suivantes :

* 50 971,64 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et 5 097,16 euros brut au titre des congés payés afférents ;

* 14 778,07 euros net à titre d'indemnité pour les contreparties obligatoires en repos ;

* 35 153,46 euros net à titre d'indemnité pour travail dissimulé ;

* 35 153,46 euros net à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

* 3 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts;

- débouter la société HUSQVARNA FRANCE de ses demandes ;

- condamner la société HUSQVARNA FRANCE aux dépens de première instance et d'appel.

Aux termes de ses conclusions du 28 septembre 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société HUSQVARNA FRANCE demande à la cour de :

- confirmer le jugement attaqué sur la validité du licenciement et le débouté des demandes de Mme [P] ;

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, a statué sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et a dit que la convention de forfait annuel en jours était nulle et, en conséquence, débouter Mme [P] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamner Mme [P] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 22 novembre 2022.

SUR CE :

Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral :

Considérant que Mme [P] soutient qu'elle a été victime d'agissements de harcèlement moral de la part de son supérieur, M. [S], constitués par :

1°) le fait de tout mettre en 'uvre pour la décrédibiliser, des agressions verbales à plusieurs reprises dans l'espoir qu'elle finisse par démissionner, des pressions et remarques désobligeantes ;

2°) une rétrogradation-sanction dans le seul poste de 'contrôleur régional retail Europe du Sud' par lettre du 19 novembre 2015 ;

Qu'elle réclame en conséquence des dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Considérant que la société HUSQVARNA FRANCE conclut au débouté en faisant valoir que Mme [P] n'a subi aucun harcèlement moral ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; qu'en application de l'article L. 1154-1 du même code, dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits précis et concordants qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

Qu'en l'espèce, s'agissant des griefs énoncés au 1°) ci-dessus, Mme [P] se borne à verser aux débats :

- un courriel d'accusations à l'encontre de M. [S] adressé à la direction de la société HUSQVARNA FRANCE le 5 septembre 2014, qui d'ailleurs ne qualifie pas les faits en cause de harcèlement moral ;

- un courriel adressé à M. [S] le 26 septembre 2014 dans lequel elle l'accuse de lui avoir raccroché au nez ;

- un courrier d'accusation de harcèlement moral adressé à M. [S] le 3 décembre 2015 ;

Que ces griefs, au demeurant imprécis et non circonstanciés, ne reposent ainsi que sur les seules accusations de la salariée et ne sont donc pas établis ;

Que s'agissant de la rétrogradation-sanction du 19 novembre 2015, si la réalité de ce fait n'est pas contestée, il s'agit là, en toutes hypothèses, d'un fait unique qui est impropre à caractériser l'existence d'agissements répétés de harcèlement moral ;

Qu'au surplus, Mme [P] n'établit ni même n'allègue l'existence d'un préjudice à ce titre ;

Qu'en conséquence, il y a lieu de confirmer le débouté de la demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;

Sur la validité du licenciement et ses conséquences :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1152-2 du code du travail, aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés ; que toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul ; que l'annulation d'un licenciement en raison du harcèlement sexuel dont une salariée soutenait avoir fait l'objet ne peut être prononcé que s'il est établi que celle-ci a été licenciée pour avoir subi ou refusé de subir ces agissements ;

Qu'en l'espèce, il ressort des débats et des pièces versées que le courrier du 5 septembre 2014 adressé à l'employeur par Mme [P] ne contient aucune dénonciation de faits qualifiés par elle de harcèlement moral et qu'elle ne peut donc demander à bénéficier de la protection prévue par les dispositions du code du travail mentionnées ci-dessus dès cette date ;

Que Mme [P] n'a expressément dénoncé un harcèlement moral que dans une lettre et un courriel envoyés le 3 décembre 2015 à son supérieur hiérarchique ;

Que toutefois, outre que le harcèlement moral n'est pas établi ainsi qu'il est dit ci-dessus, les faits retenus au titre du licenciement ont été reprochés à Mme [P] dès le 19 novembre 2015 dans le cadre de la rétrogradation disciplinaire qui lui a été proposée et qu'elle a refusée, c'est-à-dire avant la dénonciation du harcèlement ;

Qu'il s'ensuit qu'il n'est pas établi de lien de causalité entre la dénonciation du harcèlement moral et le licenciement ;

Qu'il y a donc lieu de débouter Mme [P] de sa demande de nullité du licenciement et de sa demande de dommages-intérêts afférente ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ces points;

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences :

Considérant que la lettre de licenciement à caractère disciplinaire notifiée à Mme [P] est ainsi rédigée : '(...) nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour les motifs suivants :

Vous occupez à la fois vos fonctions de Controller Regional retail sur la zone d'Europe du Sud et celles de Responsable du contrôle de gestion France, toutes divisions confondues, sous ma responsabilité.

Nous avons découvert deux erreurs importantes qui vous sont imputables dans la construction du budget 2015 : sur les taxes et sur les coûts de personnel, et ce, pour un montant total à presque 1 million d'euros.

Le montant des taxes a purement et simplement été omis au niveau de la ligne « 6056 Taxes and Levies - Selling » dans le reporting Groupe (système Trahq) ; il représentait pourtant 191 K€ en 2014 et peut être estimé pour 2015 à 609 K€ (dont 100 k couverts sur une partie du budget marketing).

Les coûts de personnel ont été sous-estimés, se basant sur un estimatif des coûts 2014 mais ne prenant pas en compte la création de nouveaux postes pourtant largement discutés pendant la construction budgétaire. Le montant total de ces oublis sur le périmètre de Husqvarna France se monte à environ 500 K€.

L'analyse des résultats mensuels m'a conduit à vous interroger sur les dérives de ces postes de dépenses, en staff costs and taxes. C'est uniquement grâce à mon travail et à celui du reste de l'équipe Finance que seront découvertes ces deux erreurs. Nous vous rappelons que suivant votre avenant du 6 juin 2013, vous êtes « garante de la fiabilité du processus budgétaire de l'entreprise, en construisant un budget clair et structuré des performances financières et des ventes, dans le respect des règles et des normes du Groupe ». Vous avez clairement failli à votre mission.

Compte tenu de vos manquements, je vous ai fait part par courrier du 19 novembre dernier de mon souhait de vous retirer la responsabilité du contrôle de gestion France, sans modifier les autres éléments de votre contrat de travail notamment votre rémunération.

Par mail du 3 décembre 2015, vous nous avez fait part de votre refus d'accepter cette modification de votre contrat de travail.

Vos erreurs n'étant pas acceptables, nous avons en conséquence décidé de mettre en oeuvre cette procédure de licenciement.

En plus de vos manquements relatifs à l'élaboration du budget qui relève clairement de vos responsabilités, nous déplorons votre attitude non-professionnelle et vos réactions lorsque nous vous demandons de vous expliquer sur vos erreurs.

Tout au long du processus budgétaire 2015, puis au fil des mois pendant l'année 2015, vous m'avez répondu positivement à chaque fois que je vous demandais si le coût des nouveaux postes était bien budgété. Il a fallu attendre une réunion de crise, le 14 octobre 2015 dans votre bureau en présence de deux autres membres de l'équipe Finance et à ma demande, pour que lumière soit faite.

Nous avons remarqué que l'ensemble de votre travail n'était pas enregistré sur le réseau informatique de notre entreprise et en déduisons que vous stockez une partie de votre travail en local sur votre ordinateur.

Ces fichiers stockés sur votre ordinateur n'étant pas disponibles pour les autres membres de l'équipe Finance, je vous ai demandé à plusieurs reprises, notamment dans des courriels datant du 4 décembre 2015, de me fournir le fichier détaillant ce qui avait été chargé dans le système de reporting financier TRAHQ pour le budget 2015. Aussi, nous déplorons que vous vous êtes obstinée à ne pas communiquer ce fichier qui aurait pu permettre d'expliquer les écarts constatés au niveau de ce budget, qui je vous le rappelle constitue une prérogative majeure de votre fonction et un élément stratégique et capital de notre entreprise (cf. vos emails).

Le fait de tenter de dissimuler ce anomalies budgétaires constitue un manquement à l'obligation de loyauté que vous devez à notre entreprise ; cela entache irrémédiablement la confiance que nous accordions à votre travail. Par ailleurs, ce comportement nuit terriblement à l'esprit d'équipe au sein de la Direction Administrative et Financière, et pose un réel problème quant à votre légitimité au sein de notre entreprise.

Lors de l'entretien préalable, vous avez nié en bloc tous les griefs exposés, sans que vous ne preniez la peine de donner le moindre début d'explications.

L'ensemble de ces manquements professionnels ne permet plus de poursuivre notre collaboration et nous contraint à mettre un terme à votre contrat de travail. Votre préavis d'une durée de 3 mois, que nous vous dispensons d'effectuer, commencera à courir à compter de la date de première présentation du présent courrier (...)' ;

Considérant que Mme [P] soutient que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse aux motifs que le grief relatif aux erreurs dans l'élaboration du budget pour l'année 2015 est prescrit et qu'en tout état de cause, aucune faute ne peut lui être reprochée ou ne lui est imputable ; qu'elle réclame une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 80 000 euros net, correspondant à environ 16 mois de salaire ;

Que la société HUSQVARNA FRANCE soutient que les erreurs budgétaires reprochées à la salariée n'ont été découvertes qu'à l'occasion d'une réunion du 14 octobre 2015 et que la convocation à entretien préalable du 8 décembre 2015 est donc intervenue dans le délai de prescription de deux mois ; qu'elle ajoute que les faits reprochés sont établis et qu'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement à caractère disciplinaire ; qu'elle conclut donc au débouté de la demande d'indemnité afférente ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ; que le point de départ de ce délai intervient au jour où l'employeur à une connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié ; que lorsque les faits sanctionnés par le licenciement ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé cet engagement ; qu'en application de l'article L. 1232-1 du même code, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse , que, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué ;

Qu'en l'espèce, sur la prescription, au soutien de son allégation selon laquelle elle n'aurait eu connaissance que le 14 octobre 2015 des erreurs imputées à Mme [P] dans l'élaboration du budget pour l'année 2015 qui a été réalisée à la fin d'année 2014, la société HUSQVARNA FRANCE se borne à invoquer une attestation de la salariée qui a remplacé Mme [P], dont la valeur probante est donc faible, et qui n'est de plus corroborée par aucun autre élément ; que dans ces conditions, la société HUSQVARNA FRANCE ne démontre pas qu'elle a eu connaissance exacte des erreurs budgétaires réprochées dans le délai de deux mois précédent la convocation à entretien préalable du 8 décembre 2015, contrairement à ce qu'elle prétend ; que ces faits sont donc prescrits ;

Qu'en second lieu, sur le grief de dissimulation des erreurs, à l'encontre desquels Mme [P] n'invoque pas de prescription, alors que la salariée nie toute dissimulation de sa part, la société HUSQVARNA FRANCE se borne à verser aux débats un échange de courriels du 4 décembre 2015 relatif à la communication par Mme [P] d'un fichier relatif à l'élaboration du budget 2015 en cause, lequel ne fait en rien ressortir un défaut volontaire d'enregistrement de son travail sur le réseau informatique de l'entreprise et une dissimulation des erreurs en litige ; que la réalité de ce grief n'est donc pas établie ;

Qu'il résulte de ce qui précède que le licenciement de Mme [P] est dépourvu de cause réelle et sérieuse comme l'ont justement estimé les premiers juges ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;

Qu'en conséquence, Mme [P] est fondée à réclamer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige ; qu'eu égard à son âge (née en 1977), à son ancienneté (neuf années), à sa rémunération, à sa situation postérieure au licenciement (chômage puis suivi d'une formation professionnelle et exercice d'une activité indépendante avec perte de revenus), il y a lieu de confirmer l'allocation d'une somme de 46 871,28 euros net à ce titre, en l'absence de justification d'un plus ample préjudice ;

Sur la convention de forfait annuel en jours, le rappel de salaire pour heures supplémentaires et l'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos :

Considérant en l'espèce, sur la convention de forfait annuel en jours, qu'il ressort des débats et des pièces versées que la société HUSQVARNA FRANCE ne justifie pas de la tenue de l'entretien annuel individuel relatif à la charge de travail, prévu par les dispositions de l'article L. 3121-46 du même code depuis la début de la relation de travail ; qu'en effet, les comptes-rendus d'entretiens annuels d'évaluation professionnelle de Mme [P] versés aux débats ne portent que sur l'année 2015 et ne contiennent aucun élément relatif à la tenue d'un entretien sur la charge de travail et son articulation avec la vie professionnelle et familiale ; que la convention de forfait annuel en jours est donc inopposable à Mme [P], sans être toutefois entachée de nullité contrairement à ce qu'ont dit les premiers juges ; que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ce point ;

Qu'ensuite, sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires et l'indemnité au titre de la contrepartie obligatoire en repos pour les heures accomplies au-delà du contingent annuel, en application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant ;

Qu'en l'espèce, au soutien de sa demande, Mme [P] verse aux débats notamment un décompte journalier des horaires et heures de travail revendiqués sur toute la période en cause, ainsi que des courriels professionnels horodatés ; qu'elle présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur d'y répondre en produisant ses propres éléments ;

Que la société HUSQVARNA FRANCE pour sa part, ne produit aucun élément sur les heures de travail accomplies par Mme [P] ;

Que dans ces conditions, l'existence d'heures supplémentaires accomplies par Mme [P] est établie ;

Qu'eu égard aux erreurs contenues dans le décompte de la salariée et à l'accomplissement de certaines heures de travail durant les week-ends qui n'étaient pas rendues nécessaires par les tâches confiées ainsi que le montre le contenu de certains courriels rédigés par la salariée, la créance de salaire pour heures supplémentaires sera fixée à la somme de 25 894,32 euros brut outre une somme de 2 589,43 euros brut au titre des congés payés afférents, le jugement attaqué étant infirmé sur ce point ; que d'autre part, en l'absence de dépassement du contingent annuel d'heures supplémentaires, le débouté de la demande d'indemnité à ce titre sera confirmé ;

Sur l'indemnité pour travail dissimulé :

Considérant qu'aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail : 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ' ;

Qu'en l'espèce, Mme [P] ne démontre en rien son allégation selon laquelle la mention sur ses bulletins de salaire d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est intentionnel ; qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande d'indemnité pour travail dissimulé ;

Sur les intérêts légaux et la capitalisation :

Considérant qu'il y a lieu de rappeler que les sommes allouées à Mme [P] portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du jugement en ce qui concerne les créances de nature indemnitaire ;

Que la capitalisation des intérêts sera en outre ordonnée dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;

Que le jugement attaqué sera donc infirmé sur ces points ;

Sur le remboursement des indemnités de chômage par l'employeur :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement sur ce point ;

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :

Considérant qu'eu égard à la solution du litige, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; qu'en outre, la société HUSQVARNA FRANCE, qui succombe en appel, sera condamnée à payer à Mme [P] une somme de 2 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel ainsi qu'aux dépens d'appel ;

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement attaqué, sauf en ce qu'il statue sur la nullité de la convention de forfait annuel en jours, le rappel de salaire pour heures supplémentaires et les congés payés afférents, les intérêts légaux et la capitalisation,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

Condamne la société HUSQVARNA FRANCE à payer à Mme [R] [Z] épouse [P] une somme de 25 894,32 euros brut à titre de rappel de salaire pour heures supplémentaires et une somme de 2 589,43 euros brut au titre des congés payés afférents,

Rappelle que les sommes allouées à la salariée portent intérêts légaux à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes pour ce qui est des créances de nature salariale et à compter du jugement en ce qui concerne la créance d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Ordonne la capitalisation des intérêts légaux dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 1343-2 du code civil,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne la société HUSQVARNA FRANCE à payer à Mme [R] [Z] épouse [P] une somme de 2 500 euros net au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,

Condamne la société HUSQVARNA FRANCE aux dépens d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/01007
Date de la décision : 01/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-01;21.01007 ?
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