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25/01/2023 | FRANCE | N°21/02185

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 25 janvier 2023, 21/02185


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 JANVIER 2023



N° RG 21/02185



N° Portalis DBV3-V-B7F-UT4C



AFFAIRE :



[Z] [R]



C/



S.A.R.L. INSTITUT DE RECHERCHES INTERNATIONALES SERVIER (IR IS)





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambr

e :

N° Section : E

N° RG : 20/00192



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SELARL BERNARD - VIDECOQ



Me Christophe DEBRAY







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VIN...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 JANVIER 2023

N° RG 21/02185

N° Portalis DBV3-V-B7F-UT4C

AFFAIRE :

[Z] [R]

C/

S.A.R.L. INSTITUT DE RECHERCHES INTERNATIONALES SERVIER (IR IS)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Mai 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : 20/00192

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SELARL BERNARD - VIDECOQ

Me Christophe DEBRAY

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Z] [R]

née le 14 Avril 1971 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Savine BERNARD de la SELARL BERNARD - VIDECOQ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0138

APPELANTE

****************

S.A.R.L. INSTITUT DE RECHERCHES INTERNATIONALES SERVIER (IR IS)

N° SIRET : 319 41 6 7 56

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 substitué par Me Claire CAILLET, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Laure TOUTENU, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [Z] [R] a été engagée par la société Institut de Recherches Internationales Servier (ci-après dénommée IRIS) suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 janvier 2009 en qualité de rédacteur de rapports, groupe 6, niveau B, avec le statut de cadre.

La relation de travail était régie par la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

En dernier lieu, la salariée exerçait les fonctions de rédacteur de rapports études cliniques.

Du 24 novembre 2014 jusqu'au 7 octobre 2015, Mme [R] a été placée en arrêt de travail pour maladie. Elle a ensuite repris le travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique jusqu'au 30 juin 2016.

A compter du 1er septembre 2016, compte-tenu d'une réorganisation, Mme [R], a été rattachée à M. [L], chef de département, lui-même rattaché à M. [S], directeur.

Par lettre du 15 septembre 2017, la salariée s'est vue notifier un avertissement pour son 'attitude de remise en cause systématique à l'encontre de [ses] supérieurs'.

Par lettre du 6 décembre 2017, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 18 décembre 2017.

Par lettre du 21 décembre 2017, l'employeur a licencié la salariée pour insuffisance professionnelle et pour fautes.

Le 17 mai 2018, Mme [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de la société IRIS au paiement de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de prévention des risques, pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail, pour licenciement nul, ou subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse et en remboursement de frais de traduction. Par ordonnance du premier président de la cour d'appel de Versailles du 26 juin 2020, le dossier a été transféré au conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye le 1er juillet 2020.

Par jugement en date du 31 mai 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a :

- dit et jugé que le licenciement de Mme [R] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société IRIS de sa demande reconventionnelle,

- dit que les dépens afférents aux actes et procédures de la présente instance, seront supportés en tant que de besoin par Mme [R].

Le 6 juillet 2021, Mme [R] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 25 novembre 2022, Mme [R] demande à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit et jugé que son licenciement est fondé sur une cause réelle et sérieuse, l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes, dit que les dépens afférents aux actes et procédures de la présente instance, seront supportés en tant que de besoin par elle, et, statuant à nouveau :

- condamner la société IRIS au paiement de 40 000 euros pour non-respect de l'obligation de prévention des risques, sur le fondement des articles L. 4121-1 et L. 1152-4 du code du travail,

- condamner la société IRIS au paiement de la somme de 40 000 euros en réparation du préjudice moral au titre du harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail sur le fondement des articles L. 1152-1 et L. 1222-1 du code du travail,

- annuler l'avertissement en date du 15 septembre 2017,

- à titre principal, juger le licenciement nul et condamner la société IRIS au paiement d'une indemnité de 18 mois soit 73 620 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

- à titre subsidiaire, juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse et condamner la société IRIS au paiement d'une indemnité de 18 mois soit 73 620 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouter la société IRIS de l'intégralité de ses demandes,

- condamner la société IRIS au paiement de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société IRIS au paiement des intérêts légaux avec anatocisme.

Par conclusions signifiées par voie électronique le 5 décembre 2022, la société IRIS demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [R] était fondé sur une cause réelle et sérieuse, débouté Mme [R] de l'ensemble de ses demandes, dit que les dépens afférents aux actes et procédures de la présente instance, seraient supportés en tant que de besoin par Mme [R],

- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande reconventionnelle de voir condamner Mme [R] à rembourser les frais de traduction exposés dans le présent litige et statuant à nouveau :

- condamner Mme [R] à lui rembourser les frais de traduction exposés dans le cadre du présent litige, à hauteur de 1800 euros hors taxes,

- débouter Mme [R] de sa demande de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et la condamner à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [R] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Christophe Debray, avocat au barreau de Versailles, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 06 décembre 2022.

MOTIVATION

Sur la demande d'annulation de l'avertissement

La salariée conteste l'avertissement reçu en réponse à sa demande d'intervention auprès du service des ressources humaines pour remédier à une situation connue, ce qui relevait de l'exercice de sa liberté d'expression, sans abus de sa part, l'avertissement étant ainsi injustifié.

L'employeur fait valoir que l'avertissement est justifié par un comportement fautif de la salariée, de remise en question systématique de sa hiérarchie.

En application de l'article L. 1333-1 du code du travail, le salarié peut demander au juge l'annulation d'une sanction disciplinaire prise à son encontre par son employeur ; le juge forme sa conviction au vu des éléments apportés par les deux parties ; toutefois, l'employeur doit fournir les éléments retenus pour prendre cette sanction qui sera annulée si elle est irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée.

Aux termes de l'article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L'exercice de la liberté d'expression ne peut justifier une sanction, quelle qu'elle soit, qu'en cas d'abus, celui-ci étant caractérisé lorsque les propos ou écrits utilisés sont injurieux, diffamatoires ou excessifs. Des propos critiques, même vifs, ne caractérisent pas un abus.

En l'espèce, la salariée s'est vue notifier le 15 septembre 2017 l'avertissement suivant: 'il semble clair que vous n'avez pas pris la mesure des attentes vous concernant. Vous continuez systématiquement de remettre en cause l'expertise de votre hiérarchie et semblez continuer à penser que la qualité de vos travaux est sous-évaluée malgré mon alerte très claire en la matière.

Nous ne pouvons continuer à tolérer une telle attitude de remise en cause systématique à l'encontre de vos supérieurs, compte tenu notamment des responsabilités qui vous incombent et des mises en garde successives qui vous ont été faites'.

La salariée indique que cet avertissement fait suite à une saisine du service des ressources humaines le 15 juin 2017, où elle a dénoncé une situation devenue insupportable pour elle et une différence entre la réalité de son travail et l'appréciation faite par son supérieur hiérarchique. Cette alerte a donné lieu à un courriel du 26 juillet 2017 du service des ressources humaines après entretien du 20 juillet 2017 qualifié de mise en garde, analysant des points à améliorer au niveau technique, ainsi qu'au niveau des interactions et de la manière de communiquer, prévoyant un point d'étape entre le 15 et le 30 septembre 2017 qui n'a pas eu lieu. Elle souligne qu'aucune enquête interne n'a été menée, que ses supérieurs hiérarchiques n'ont pas été entendus et n'étaient pas présents à l'entretien avec la directrice, qu'il n'y a pas eu de point d'étape, qu'ainsi le plan d'accompagnement annoncé n'a pas été mis en oeuvre par la société.

La salariée a ainsi contesté cet avertissement par lettre du 22 septembre 2017.

L'employeur fait valoir que l'avertissement a déjà été contesté, qu'il est parfaitement valable aussi bien sur la forme que sur le fond, la salariée remettant en question sa hiérarchie de manière fautive, par de nombreux courriels.

Il ne ressort pas des différents courriels de la salariée versés aux débats que sa liberté d'expression ait dégénéré en abus, cette dernière ayant essentiellement souhaité faire valoir son point de vue face à des divergences d'appréciation de son travail notamment de la part de son nouveau supérieur hiérarchique suite à un changement d'organisation.

L'avertissement n'étant pas justifié, il doit être annulé. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur l'obligation de prévention des risques

La salariée reproche à son employeur de n'avoir procédé à aucune enquête objective après sa saisine du service des ressources humaines au sujet des difficultés rencontrées et de ne pas avoir mis en place de système d'accompagnement contrairement aux annonces faites. Elle fait valoir que ce manquement est d'autant plus grave qu'elle avait un état de santé fragile connu de son employeur.

L'employeur indique que la salariée n'a jamais dénoncé de dégradation de ses conditions de travail et de sa situation de harcèlement moral, qu'elle n'a donc subi aucune atteinte à sa liberté d'expression. L'employeur fait valoir qu'il a également toujours préservé la santé de la salariée et qu'il l'a accompagnée personnellement pendant sa carrière et que les échanges avec sa hiérarchie ont toujours été bienveillants et respectueux.

L'employeur est tenu d'une obligation de sécurité envers ses salariés en application de l'article L. 4121-1 du code du travail qui lui impose de prendre les mesures nécessaires pour assurer de manière effective la sécurité et protéger la santé des travailleurs. Ne méconnaît cependant pas son obligation légale l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

La salariée justifie avoir alerté le 15 juin 2017 le service des ressources humaines de sa situation, devenue 'insupportable' pour elle par courriel. Elle dénonce une différence d'appréciation sur son travail entre la réalité au quotidien et l'appréciation qui en est faite par son nouveau supérieur hiérarchique et le directeur. Elle dit son incompréhension de l'absence de reconnaissance de ses compétences techniques rédactionnelles après ses huit ans d'expérience dans le groupe. Elle fait suivre plusieurs échanges de courriels avec son nouveau supérieur hiérarchique.

L'employeur a réalisé un entretien le 20 juillet 2017 avec la salariée. Cependant, l'employeur ne justifie pas avoir mené une enquête interne sérieuse et avoir entendu au sujet de la situation dénoncée le nouveau responsable hiérarchique de la salariée et le directeur qui n'étaient pas présents lors de cet entretien. Cet entretien a ensuite été qualifié de mise en garde par l'employeur, puis a fait l'objet d'un courriel de 'retour de notre réunion du 20/07/2017" reprenant les réserves sur les aspects techniques, les aspects relatifs aux interactions, l'aspect relationnel émises par les supérieurs hiérarchiques de la salariée sans avoir été confrontées à son point de vue de manière objective.

En outre, un point d'étape prévu entre le 15 et le 30 septembre 2017 n'a pas eu lieu.

Il s'en déduit que l'employeur, tenu d'une obligation de sécurité envers la salariée, n'a pas pris les mesures nécessaires pour assurer la santé et la sécurité de la salariée, qu'il savait également fragile après un retour maladie en mi-temps thérapeutique jusqu'au 30 juin 2016, dans un contexte de rattachement à un nouveau supérieur hiérarchique à compter du 1er septembre 2016.

La salariée produit une attestation de consultations de psychothérapie auprès du docteur [T] de la maison 'Souffrance et travail 78" entre le 5 janvier et le 17 juillet 2017, une facture de Mme [F] psychologue, de trois séances d'EMDR en octobre et novembre 2017.

Au vu de ces éléments, la société IRIS sera condamnée à payer une somme de 5 000 euros à Mme [R] pour non-respect de l'obligation de prévention des risques. Le jugement entrepris sera infirmé sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, la salariée invoque les faits suivants:

- des reproches incessants et non justifiés,

- le refus d'une demande de formation,

- l'absence de respect du plan d'accompagnement,

- de nouveaux reproches face à ses protestations pour faire valoir sa version face aux reproches formulés,

- un avertissement injustifié,

- une mise à l'écart de réunions sur ses projets,

- un responsable devant suivre une formation pour encadrer des salariés,

- la dégradation de son état de santé.

S'agissant des reproches incessants et non justifiés, la salariée indique qu'elle a fait l'objet de reproches à compter de janvier 2017. Elle produit les courriels suivants :

- du 4 janvier 2017, du 24 mai 2017, du 6 juillet 2017, du 7 juillet 2017, du 28 novembre 2017, du 4 décembre 2017 de M. [L], son nouveau responsable hiérarchique, faisant des reproches à la salariée sur un ton direct et autoritaire sur la forme, les critiques portant au fond sur la qualité du travail rédactionnel de la salariée, ses courriels, son comportement : 'j'ai constaté un besoin d'une amélioration importante et rapide en terme de tes capacités d'écriture et d'édition', 'ta proposition a comporté plusieurs lacunes', 'pour l'intégration de commentaires, il me semble que parfois tu ne prends pas assez de recul', 'tu déplores', 'tu es stupéfaite', 'tu contestes, tu remets systématiquement en cause mes observations, remarques et demandes et cela n'est pas nouveau. Comme j'ai constaté précédemment et expliqué lors de nos dernières réunions, tes livrables montrent un niveau analytique et rédactionnel clairement insuffisants', 'mes mails que tu considères inutiles, ne visent qu'à être pragmatiques dans le suivi de nos projets et de ton travail', 'je compte sur toi pour prendre conscience que ton comportement n'est pas acceptable';

- du 26 juillet 2017 : 'retour de notre réunion du 20/07/2017" de Mme [H], directrice, relatant un entretien qualifié de mise en garde par l'employeur, reprenant les réserves sur les aspects techniques, les aspects relatifs aux interactions, l'aspect relationnel émises par les supérieurs hiérarchiques de la salariée sans avoir été confrontées à son point de vue de manière objective;

- du 4 décembre 2017 de M. [S], son directeur, dépréciatif sur le travail de la salariée ainsi que sur ses courriels dans lequels elle expose sa position contre celle de son nouveau supérieur : 'je vois que, malgré les différentes alertes et l'avertissement que tu as reçus en la matière, tu continues à remettre systématiquement en cause les appréciations de [P] sur ton travail à travers ce nouveau mail ci-dessous. Je suis en phase avec lui concernant son appréciation de ton travail, et je compte encore une fois sur ta prise de conscience pour que ce type de comportement ne se produise plus.'

Au vu de ces courriels, il est matériellement établi que la salariée a reçu des critiques systématiques par courriel de ses supérieurs hiérarchiques, sans que son point de vue ne soit pris en considération, la seule version de son nouveau responsable hiérarchique étant retenue par l'employeur sans être confrontée à son point de vue.

S'agissant du refus d'une demande de formation, la salariée produit son entretien annuel de performance de novembre 2017 au cours duquel elle a sollicité une formation en oncologie au titre 'd'outils techniques en rédaction/formation continue en rédaction' qu'elle n'a pas obtenue. Il est cependant indiqué qu'il n'y avait plus de place, ce fait ne peut donc être retenu.

S'agissant de l'absence de respect du plan d'accompagnement, la salariée indique qu'il était convenu par le service des ressources humaines d'un point d'étape fin septembre 2017 qui n'a pas été réalisé, et qu'en novembre 2017 il était fixé l'échéance du 31 juillet 2018 pour la réalisation de quatre objectifs mais qu'elle a été licenciée par procédure initiée le 6 décembre 2017 pour ces mêmes objectifs. Elle produit un courriel du 26 juillet 2017 de Mme [H], directeur, reprenant l'entretien du 20 juillet 2017 , faisant référence à la mise en place en janvier 2017 d'un plan d'accompagnement afin de tirer profit des remarques faites et d'améliorer la communication et concluant à un point d'étape entre la salariée et ses responsables entre le 15 et le 30 septembre 2017 sur ces objectifs, point d'étape qui n'a pas été réalisé. Ce fait est matériellement établi. Le fait qu'une procédure de licenciement ait été engagée par l'employeur après un entretien d'évaluation où des objectifs ont été fixés au salarié est indépendant du respect du plan d'accompagnement et doit être écarté.

S'agissant de nouveaux reproches face à ses protestations, la salariée produit, outre certains courriels de reproches déjà invoqués, deux nouveaux courriels du 30 juin 2017 de Mme [H] et du 13 juillet 2017 de M. [L] lui reprochant de s'être exprimée de façon critique par écrit. Ce fait est donc matériellement établi.

S'agissant de l'avertissement, il a été jugé injustifié, ce fait est donc avéré.

S'agissant de la mise à l'écart de réunions la salariée indique avoir été écartée des réunions sur les projets sur lesquels elle travaillait, sans information sur ces réunions et qu'avant son arrêt maladie, elle participait aux réunions transversales de revue de documents et données. Cependant, elle ne produit aucune date de réunion précise à laquelle elle aurait dû participer. Ce fait n'est donc pas matériellement établi.

S'agissant de son responsable M. [L], la salariée fait référence à son évaluation 2017-2018 dont il ressort que lui a été fixée une 'formation en management', et ce peu avant le licenciement de la salariée. Il s'en déduit que la société a considéré que le responsable avait besoin de renforcer ses compétences pour encadrer des salariés.

La salariée produit une attestation de consultations de psychothérapie auprès du docteur [T] de la maison 'Souffrance et travail 78" entre le 5 janvier et le 17 juillet 2017, une facture de Mme [F] psychologue, de trois séances d'EMDR en octobre et novembre 2017.

Au vu de l'ensemble de ces éléments, la salariée présente des faits qui pris dans leur ensemble, y compris la dégradation de son état de santé, permettent de présumer un harcèlement moral.

L'employeur fait valoir que la salariée n'apporte aucun élément probant, qu'elle produit des courriels rédigés par elle-même qui ne sont pas recevables et des pièces médicales extérieures à l'entreprise, qu'elle n'a jamais dénoncé une dégradation de ses conditions de travail ni de situation de harcèlement moral. Cependant, il est avéré que la salariée a dénoncé sa situation de travail par courriel sous forme d'alerte au service des ressources humaines, que les courriels produits dans le cadre de la présente instance sont versés aux débats et soumis aux observations des parties, qu'ils sont donc recevables, la cour en appréciant la valeur probante.

L'employeur rappelle être doté d'un dispositif de prévention des risques psychosociaux particulièrement développé et connu de la salarié, que la salariée a rencontré le médecin du travail qui l'a systématiquement déclarée apte à son poste, qu'elle a toujours préservé la santé de la salariée pendant son contrat de travail, son temps de repos et son mi-temps thérapeutique étant préservés, que la salariée a fait l'objet d'un accompagnement personnel avec des heures de formation, des points réguliers avec sa hiérarchie, des entretiens annuels de développement, un entretien professionnel, un suivi par la direction des ressources humaines. Il n'est pas contesté que pendant les années précédant les faits dénoncés à compter d'un nouveau rattachement hiérarchique en septembre 2016, la salariée a bénéficié de la politique des ressources humaines de la société en terme de suivi des compétences, de formation, de médecine du travail. En outre, le temps de travail et de repos n'est pas en cause. Le précédent rattachement hiérarchique de la salariée n'est pas davantage en question.

L'employeur indique que dès janvier 2017, afin de faciliter la communication entre la salariée et son supérieur hiérarchique et de lui permettre une montée en compétence, un plan d'accompagnement a été instauré, qu'elle a immédiatement réagi au courriel d'alerte de la salariée, qu'un entretien a été tenu avec celle-ci après avoir dressé un constat objectif de la situation sur la base des données transmises par la salariée et ses supérieurs hiérarchiques. Cependant, l'employeur produit des courriels du 30 juin 2017 et du 26 juillet 2017 de Mme [H] qui relatent des échanges avec [M] [U] 'CRH', de la prise de connaissance d'échanges de courriels entre la salariée et ses supérieurs hiérarchiques, ne mentionnant aucune enquête interne sérieuse, ni aucun entretien tenu avec les deux supérieurs hiérarchiques et Mme [H], le constat dressé par cette dernière ne revêtant pas un caractère objectif puisqu'il reprend la version des supérieurs hiérarchiques de la salariée sans aucune confrontation objective.

L'employeur indique que les échanges ont toujours été respectueux et bienveillants, ce qui est contredit par la tonalité abrupte et directe des différents courriels notamment de M. [L], leur répétition et les jugements critiques portés sur le fond du travail réalisé par la salariée, ainsi que par la répétition de ces courriels.

L'employeur précise que les supérieurs de la salariée avaient toutes les compétences pour exercer leurs fonctions, produisant un récapitulatif des formations suivies, le compte-rendu d'entretien annuel de M. [L] du 8 septembre 2017 et de M. [S] du 26 juillet 2017. Il ajoute que M. [L] a lui-même demandé le bénéfice d'une formation supplémentaire dans une démarche d'amélioration constante et que Mme [N], qui a succédé à la salariée dans le poste, n'a jamais formulé de reproches à ses supérieurs hiérarchiques. Il s'en déduit que l'absence de compétence des supérieurs hiérarchiques de la salariée n'est pas établie.

Cependant, l'employeur ne justifie pas par des éléments objectifs que l'avertissement injustifié, les courriels de reproches nombreux, critiques et non-objectifs, les courriels de reproche sur l'expression par la salariée de son point de vue, l'absence de point d'étape dans le plan d'accompagnement de la salariée sont étrangers à tout harcèlement.

Par conséquent, la salariée a subi des faits de harcèlement moral qui l'ont atteinte dans sa dignité et ont eu des conséquences sur sa santé psychique.

Au vu des justificatifs médicaux produits, il lui sera alloué une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral, en conséquence de ces faits de harcèlement moral.

La salariée n'invoque aucun élément au soutien de sa demande pour exécution déloyale du contrat de travail.

Le jugement entrepris sera infirmé sur ces points.

Sur la validité du licenciement et ses conséquences

La salariée soutient que son licenciement est nul au motif que la lettre de licenciement lui reproche d'avoir dénoncé la dégradation de ses conditions de travail, soit une atteinte à la liberté d'expression.

L'employeur conclut au débouté. Il indique avoir respecté la liberté d'expression de la salariée qui n'a jamais été censurée. Il ajoute que la salariée n'a pas été licenciée en raison de l'exercice de sa liberté d'expression.

La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, est libellée comme suit :

' - Insuffisance professionnelle se traduisant par des erreurs répétées et un manque de rigueur caractérisé dans l'exercice de vos missions ayant des conséquences préjudiciables pour l'activité et la collectivité de travail et ce malgré les nombreux aménagements de votre activité, l'investissement conséquent en formation et l'accompagnement individualisé dont vous avez bénéficié.

Vous avez été recrutée au sein de l'Institut de Recherche Internationale Servier (IRIS) le 6 janvier 2009 en tant que Rédacteur Médical. Vous avez été intégrée au sein du Pôle d'expertise Méthodologie et Valorisation des Données au sein du Département Rédaction Médicale le 5 octobre 2015 sous la responsabilité de Monsieur [P] [L].

Ainsi, depuis plus de huit années, votre métier consiste à réaliser et rédiger les rapports d'études cliniques des projets S et des rapports en pharmacologie dont vous avez la charge, dans le respect des procédures internes et des obligations réglementaires.

Vous êtes également impliquée dans la rédaction d'autres documents tels qu'une revue systématique de la littérature (SLR).

Dans ce cadre, vous devez notamment, concernant la rédaction d'un rapport d'étude clinique et en pharmacologie :

- Participer aux réunions «blind reviews » préalable à la levée d'aveugle (études cliniques);

- Rédiger le rapport (ou les relire en cas de rédaction externalisée) ;

- Intégrer dans le rapport les commentaires et corrections issues du circuit de relecture et du contrôle qualité ;

- Participer à la constitution des publications des résultats faites sur le site de l'EMA (études cliniques).

A ce titre, vos responsabilités sont les suivantes :

- Réaliser un « reporting» de vos activités à votre supérieur en lui apportant une information synthétique et consolidée et des propositions ;

- Participer aux formations initiales et continues liées à vos activités et vous assurer de leur documentation dans votre dossier personnel de formation ;

- Appliquer les procédures internes, et participer à la création et aux révisions nécessaires des procédures métier en tenant compte des évolutions réglementaires et en collaboration avec le Département Projets Opérationnels du Pôle ;

- Animer ou participer à des groupes de travail sur des problématiques techniques et réglementaires spécifiques de votre domaine et des groupes de travail multidisciplinaires;

- Garantir la qualité de la collaboration et communication avec les autres structures du Pôle, les autres Pôles d'Expertise et les Pôles d'innovation Thérapeutique ;

- Pouvoir réaliser des tâches en dehors de votre mission déléguées ponctuellement par votre hiérarchie.

Votre expérience de plus de 8 ans à des postes de Rédacteur Médical au sein du groupe aurait dû vous permettre d'exercer correctement vos missions. En outre, depuis plus de 2 ans, vous avez bénéficié d'un accompagnement dans vos missions par votre hiérarchie ([P] [L] et moi-même).

Nous avons défini le cadre de notre collaboration et vos objectifs dans la fiche de poste que vous avez signée. Vous avez bénéficié également de points mensuels avec votre hiérarchie qui s'est montrée disponible pour vous aider dès lors que vous la sollicitiez. Nous nous sommes donc beaucoup investis pour que vous puissiez acquérir les connaissances et compétences nécessaires à votre poste.

Toutefois, nous avons fait le constat que vous n'aviez pas su mettre à profit les moyens que nous vous avons offerts. Votre contribution révèle une insuffisance professionnelle continue préjudiciable à notre activité dont les enjeux sont élevés pour la qualité exigée des études de notre Groupe dont dépend le maintien des AMM de nos médicaments actuels et l'obtention des AMM pour les produits en développement.

Ainsi, par exemple, dans le cadre du rapport préclinique SREP-484-lvabradine-HHCCN4 (S 16257), vous deviez pour un rapport en préclinique déjà publié, retirer toute information d'une molécule sans intérêt pour le besoin ciblé. Ce travail nécessite en règle générale 2 jours pour élaborer un draft initial. Or, vous avez mis plus de 3 semaines pour élaborer ce premier projet. Cependant, vous n'avez pas retiré toutes les informations sur l'expérience et avez, au contraire, supprimé des informations clés sur la méthodologie. Vous avez de façon incohérente, changé des termes, ce qui a modifié le sens de certaines phrases.

Il a été constaté que des erreurs évoquées par l'assurance qualité (AQ) n'avaient pas été prises en compte, ce qui a été pointé par le partenaire externe (ONO Pharmaceuticals) après la publication du rapport. Cela a ainsi nécessité une republication du rapport postérieure et a de ce fait, entaché la crédibilité et l'expertise du département. Cela traduit d'importantes lacunes dans la compréhension et l'exercice des tâches qui vous sont assignées.

Cette situation nous a conduits à vous recevoir à l'occasion de différents entretiens, au cours desquels nous vous avons rappelé vos missions et vous avons demandé de faire preuve de plus de rigueur dans l'exercice de votre activité tout en vous apportant les éléments vous permettant de vous améliorer. C'est pourquoi nous vous avions précisé que lors de nos réunions hebdomadaires, nous vous ferions un retour plus formalisé sur le travail accompli, chose qui était supposée vous aider dans la planification des deadlines et l'intégration des commentaires. Nous tenons également à rappeler que vous avez bénéficié de 20 heures de cours d'anglais en duo pour l'exercice 2016/2017.

Toutefois, la situation ne s'est pas améliorée et nous avons eu à déplorer de nouveaux travaux incomplets et insuffisants :

- Les travaux sur la revue de la littérature (SLR) pour le projet Intarcia (S 95002) ;

- La rédaction du rapport préclinique SREP-508-lvabradine-ONO-HF (S 16257) ;

- La rédaction d'une synthèse du processus « revue systématique » avec un REX sur le projet SLR Intarcia, pour construire un SOP/MOP ;

- Le rapport préclinique SREP Heart Failure (S 67080).

Par ailleurs, vos carences ont également pour conséquence un non-respect quasi systématique des délais fixés, ce qui nuit non seulement à l'image du département mais également à la qualité des travaux fournis.

Vos insuffisances récurrentes obligent votre hiérarchie à exercer un suivi très régulier de votre activité, lui créant une charge de travail supplémentaire et le contraignant souvent à intervenir en urgence.

Force est de constater qu'aujourd'hui, d'une part vous ne répondez pas à plusieurs des exigences que nous sommes en droit d'avoir à l'égard d'un Rédacteur Médical et que, d'autre part, les manquements observés nuisent au bon fonctionnement du département et de l'activité.

Votre insuffisance en clarté rédactionnelle, votre refus de vous remettre en question et le refus d'accompagnement que vous propose votre hiérarchie ont pour conséquence que vos prestations ne correspondent toujours pas aux exigences de votre poste. Par ailleurs, votre souhait exprimé lors de votre dernier EAD de passer Chef de Projet est représentatif de votre incapacité à vous remettre en question dans la mesure où ne maîtrisant pas toutes les compétences requises pour une exécution satisfaisante de votre propre poste, vous ne pouvez appréhender un nouveau poste requérant a minima lesdits acquis vous manquant et des compétences supplémentaires.

Vos dernières écritures qui tentent vainement de porter le débat sur des prétendues man'uvres de notre part qui d'après vous, atteindraient votre santé, ne sont pas recevables. En effet, votre manager ne fait que vous fournir des retours objectifs sur votre travail et sur l'avancement de vos projets. Un tel retour est nécessaire et souhaitable pour permettre l'avancée du projet. Autant d'erreurs et de défaillances ne peuvent être tolérées.

Les explications que vous m'avez fournies lors de notre entretien du 18 décembre dernier ne m'ont pas permis de modifier mon appréciation des faits.

Ainsi, je vous informe que je suis contraint de mettre fin à nos relations contractuelles.

Votre préavis de 3 mois, que nous vous dispensons d'effectuer, débutera à la date de première présentation de cette lettre. Il vous sera payé mensuellement. »

Il ne ressort pas du passage litigieux de la lettre de licenciement que l'employeur reproche à la salariée d'avoir dénoncé la dégradation de ses conditions de travail, l'employeur se contentant de faire état d'écrits non recevables, sans évoquer d'éléments précis.

En conséquence, la salariée est mal fondée à soutenir que son licenciement est fondé sur la dénonciation de la dégradation de ses conditions de travail. Il y a donc lieu de la débouter de sa demande en nullité du licenciement et de sa demande subséquente de dommages et intérêts en nullité du licenciement. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur le bien-fondé du licenciement et ses conséquences

Sur l'épuisement du pouvoir disciplinaire

La salariée soutient que les griefs ont déjà été sanctionnés et purgés, les courriels du 5 décembre 2017 s'analysant en un double avertissement, les faits antérieurs devant être considérés comme purgés.

L'employeur fait valoir que les observations écrites d'un supérieur hiérarchique sur la qualité du travail fourni au titre d'une insuffisance professionnelle ne constituent pas une sanction disciplinaire.

L'employeur qui, ayant connaissance de divers faits commis par le salarié, considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner que certains, ne peut plus ultérieurement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire pour sanctionner les autres faits antérieurs à la première sanction.

En l'espèce, le 4 décembre 2017, la salariée a reçu un courriel de ses deux supérieurs hiérarchiques :

- M. [L] : '[Z],

Mes mails, que tu considères inutiles, ne visent qu'à être pragmatiques dans le suivi de nos projets et de ton travail. Ces remarques ne se veulent rien irrespectueuses. J'essaie de fixer les objectifs, donner un feed-back constructif et te faire progresser dans ta contribution au projet pour lesquels nous travaillons ensemble.

Concernant le rapport préclinique, je maintiens mon avis que les données disponibles sont suffisantes pour un premier 'draft', mais tu continues à remettre en cause mes appréciations dans ton dernier mail.

Te sachant motivée, je compte sur toi pour prendre conscience que ton comportement n'est pas acceptable compte tenu des précédents échanges sur le sujet.

Je reste à ta disposition pour échanger avec toi si tu le souhaites malgré le fait que tu considères cette disposition fausse',

- M. [S] : 'je vois que, malgré les différentes alertes et l'avertissement que tu as reçus en la matière, tu continues à remettre systématiquement en cause les appréciations de [P] sur ton travail à travers ce nouveau mail ci-dessous. Je suis en phase avec lui concernant son appréciation de ton travail, et je compte encore une fois sur ta prise de conscience pour que ce type de comportement ne se produise plus'.

Il ressort de ces courriels des deux supérieurs hiérarchiques de la salariée qu'ils lui reprochent tous deux son comportement de remise en cause des appréciations de son supérieur hiérarchique direct mais qu'ils n'évoquent pas de faits fautifs. Ils ne constituent pas une sanction disciplinaire.

La salariée s'est toutefois vue notifier un avertissement le 15 septembre 2017 pour avoir remis en question les appréciations de son responsable hiérarchique.

La lettre de licenciement reproche à la salariée notamment un refus de se remettre en question et un refus d'accompagnement de sa hiérarchie.

Cependant, l'employeur invoque des refus persistants. Il n'y a donc pas lieu de considérer que ces griefs reposent sur des faits prescrits, s'agissant de faits qui selon l'employeur ont persisté. Le moyen sera donc rejeté.

Sur le fond

La salariée indique qu'elle n'a pas bénéficié d'une action de formation en matière rédactionnelle. Elle déplore que l'employeur n'ait pas respecté le délai qui lui a été donné pour l'amélioration de la qualité rédactionnelle. Elle fait valoir que les griefs sont purgés par l'avertissement du 15 septembre 2017. Elle conteste les griefs de la lettre de licenciement. Elle indique qu'elle donne parfaitement satisfaction dans son emploi actuel de rédacteur médical.

L'employeur soutient que les griefs de la lettre de licenciement sont fondés, que les travaux de rédaction sont incomplets et insuffisants, que les délais ne sont quasiment jamais respectés et que ces insuffisances créent une charge de travail supplémentaire pour sa hiérarchie en terme de suivi et d'intervention. L'employeur relève également un refus de se remettre en question et le refus d'accompagnement proposé, une incapacité à se remettre en question.

Sur le bien fondé du licenciement, si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

L'insuffisance professionnelle qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.

Sur le refus ou l'incapacité de se remettre en question

L'employeur reproche à la fois à la salariée un refus et une incapacité à se remettre en question, ce qui est contradictoire, car si la salariée n'a pas la capacité de se remettre en question, elle ne saurait volontaire s'y opposer. Ce grief doit donc être considéré comme non sérieux et être écarté.

Sur le refus de l'accompagnement proposé

La salariée démontre qu'elle est à l'initiative de la saisine du service des ressources humaines et d'une demande d'accompagnement de ce service. Elle souligne également avoir attendu l'accomplissement du point d'étape annoncé entre le 15 et le 30 septembre 2017 par le service des ressources humaines mais qui n'a pas été effectué. Par conséquent, ce grief ne peut être considéré comme établi, la salariée ne s'étant pas volontairement opposée à un accompagnement de la part de l'employeur.

Sur les insuffisances rédactionnelles et le non-respect des délais

L'employeur invoque :

- un rapport préclinique SRET-484-Ivabradine-HHCCN4 avec un travail de retrait de toute information d'une molécule sans intérêt, qui aurait dû prendre deux jours et qui a pris trois semaines, qui a été partiellement accompli avec des modifications incohérentes et des erreurs, ce qui a entraîné une republication du rapport,

- des travaux incomplets et insuffisants concernant : la revue de la littérature pour le projet intarcia, la rédaction du rapport préclinique SREP-508-Ivabradine-ONO-HF, la rédaction d'une synthèse du processus 'revue systématique' avec un REX sur le projet SLR Intarcia, le rapport préclinique SERP Heart Failure.

La salariée fait valoir que :

- l'employeur ne justifie pas de planning et du retard invoqué,

- elle était en charge exclusivement de la rédaction de rapport d'études cliniques avant son arrêt maladie, que depuis son responsable lui a demandé de travailler sur des activités en cours de développement,

- la revue systématique était une activité nouvelle du département, à laquelle elle n'avait pas été formée, ni son supérieur hiérarchique,

- que ses qualités de rédacteur ont été saluées par son nouvel employeur,

- qu'il ne peut lui être reproché d'avoir souhaité une évolution professionnelle, ni d'avoir dénoncé la dégradation de ses conditions de travail.

En l'espèce, la salariée, diplômée d'un DEA et d'un doctorat en biologie et biochimie, d'un certificat ARC informatique CLINACT a été recrutée en qualité de rédacteur de rapports à compter du 6 janvier 2009 au sein du département de rédaction de rapports d'étude clinique, le département changeant de nom, et son titre devenant rédacteur de rapports études cliniques puis à compter du 1er février 2014, rédacteur médical.

Elle avait donc principalement la responsabilité de la rédaction de rapports d'études cliniques en collaboration avec les autres métiers et acteurs impliqués dans les études concernées.

A l'arrivée de son nouveau supérieur hiérarchique M. [L], la salariée s'est notamment vue intégrée dans le projet de 'revue systématique'.

Elle produit :

- un compte-rendu d'entretien d'évaluation du 27 novembre 2013 dans lequel son précédent manager mentionne '[Z] est une collaboratrice engagée et volontaire qui a accepté d'entreprendre avec moi un véritable travail de renforcement des compétences rédactionnelles et de relever de nouveaux défis en s'impliquant dans la sous-traitance [...] compte tenu des progrès déjà réalisés et des efforts mis en oeuvre par [Z], j'ai prévu de lui confier la rédaction d'une partie du rapport Signify sous la supervision de [P]',

- un compte-rendu d'entretien d'évaluation du 13 septembre 2016 montrant qu'elle a atteint les objectifs de l'année écoulée dans l'appréciation générale mais aussi concernant les quatre objectifs assignés.

L'employeur produit des éléments montrant des retards dans la délivrance de certains livrables par la salariée et des insatisfactions de son nouveau responsable hiérarchique sur la qualité du travail accompli.

Cependant, il ressort de la qualification professionnelle de la salariée, de son ancienneté dans l'entreprise de neuf années, des relations antérieures avec ses précédents supérieurs hiérarchiques, d'un nouveau rattachement hiérarchique à compter de septembre 2016 avec de nouvelles responsabilités, notamment l'implication dans l'activité nouvelle de 'revue systémique' à laquelle la salariée n'avait pas été formée, que les difficultés professionnelles signalées à compter de janvier 2017 seulement après ce nouveau rattachement hiérarchique font apparaître des faits de harcèlement moral du nouveau supérieur hiérarchique.

La cour considère que l'insuffisance professionnelle alléguée n'est pas établie au vu de ces éléments de contexte et des faits de harcèlement moral subis par la salariée, les difficultés professionnelles invoquées n'étant pas caractérisées de manière objective.

Le licenciement de la salariée est donc dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Il n'y a pas lieu d'écarter les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017'1387 du 22 septembre 2017, puisqu'elles ne sont pas contraires au stipulations de l'article 10 de la Convention internationale du travail n° 158 et que les stipulations de l'article 24 de la Charte sociale européenne n'ont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige,la salariée qui compte une ancienneté de plus de neuf ans et qui est âgé de 46 ans lors de la rupture du contrat de travail a droit à des dommages et intérêts compris entre trois et neuf mois de salaire brut qu'il convient de fixer à 40 000 euros.

Le jugement attaqué sera infirmé sur ce point.

Sur les frais de traduction

La société IRIS sollicite la prise en charge des frais de traduction en français des pièces rédigées en anglais.

La salariée conclut au rejet en l'absence de fondement, l'employeur ayant fait le choix de recourir à une société de traduction alors qu'elle aurait pu procéder à des traductions libres.

La société IRIS succombant largement, sera déboutée de sa demande de frais de traduction qu'elle a librement engagés dans le cadre de l'instance. Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

Sur l'application de l'article L. 1235-4 du code du travail

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la société IRIS aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à Mme [R] du jour du licenciement au jour du présent arrêt et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur le cours des intérêts

En application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, les créances salariales et assimilées produisent des intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires produisent des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts échus pour une année entière sera ordonnée.

Sur les autres demandes

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société IRIS succombant à la présente instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel. Elle devra également payer à Mme [R] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement sauf en ce qu'il a :

- débouté Mme [Z] [R] de sa demande en nullité du licenciement et en paiement d'une indemnité de 73 620 euros pour licenciement nul,

- débouté la société Institut de Recherches Internationales Servier de sa demande en paiement de frais de traduction,

Statuant de nouveau sur les chefs infirmés:

Annule l'avertissement du 15 septembre 2017,

Condamne la société Institut de Recherches Internationales Servier à payer à Mme [Z] [R] les sommes suivantes:

5 000 euros pour non-respect de l'obligation de prévention des risques,

10 000 euros pour harcèlement moral et exécution déloyale du contrat de travail,

40 000 pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt,

Et y ajoutant :

Ordonne le remboursement par la société Institut de Recherches Internationales Servier à l'organisme Pôle Emploi concerné des indemnités de chômage versées à Mme [Z] [R] dans la limite de six mois d'indemnités,

Ordonne la capitalisation des intérêts échus pour une année entière,

Condamne la société Institut de Recherches Internationales Servier aux dépens,

Condamne la société Institut de Recherches Internationales Servier à payer à Mme [Z] [R] la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02185
Date de la décision : 25/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-25;21.02185 ?
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