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25/01/2023 | FRANCE | N°20/02352

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 25 janvier 2023, 20/02352


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 25 JANVIER 2023



N° RG 20/02352

N° Portalis DBV3-V-B7E-UDSC



AFFAIRE :



Société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE



C/



[J], [R] [F]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 septembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : I



N° RG : F 19/01205



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA



Me Claire RICARD



Copie numérique adressée à



Pôle Emploi







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRA...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 25 JANVIER 2023

N° RG 20/02352

N° Portalis DBV3-V-B7E-UDSC

AFFAIRE :

Société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE

C/

[J], [R] [F]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 septembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

Section : I

N° RG : F 19/01205

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

Me Claire RICARD

Copie numérique adressée à

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT CINQ JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société COCA COLA EUROPEAN PARTNERS FRANCE

N° SIRET : 343 688 016

[Adresse 7]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Delphine LIAULT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03

APPELANTE

****************

Monsieur [J], [R] [F]

né le 18 juin 1989 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Lea BAULARD, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIME

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 novembre 2022, Madame Aurélie PRACHE, présidente ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Président,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE

M. [F] a été engagé par la société Coca Cola European Partners France en qualité d'attaché commercial par contrat de travail à durée déterminée, à compter du 3 avril 2012, puis par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 10 juillet 2012 avec reprise d'ancienneté au 3 avril 2012.

Par avenant du 10 mai 2017, le salarié a été promu chef de secteur à compter du 1er mai 2017.

Cette société est spécialisée dans la fabrication de boissons en canette ou en bouteille, la commercialisation, la distribution des boissons ainsi que la mise en 'uvre des actions de marketing dans les points de vente locaux. L'effectif de la société était, au jour de la rupture, de plus de 10 salariés. Elle applique la convention collective nationale des activités de production des eaux embouteillées et boissons rafraîchissantes sans alcool et de bière.

Le salarié percevait une rémunération brute mensuelle fixe de 2 712,60 euros pour 38 heures de travail hebdomadaire outre une prime variable sur objectifs.

Par lettre du 29 mai 2018, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 11 juin 2018.

Le 11 juin 2018, il a été dispensé d'activité et rémunéré pendant le temps de la procédure.

Il a été licencié par lettre du 20 juin 2018 pour motif personnel dans les termes suivants :

« (') Dans le cadre de votre activité de chef de secteur, il vous appartient de rendre visite à votre portefeuille de clients quotidiennement afin de mettre en place notre politique commerciale, en négociant notamment la gamme de nos produits en points de vente.

A ce titre, vous avez la responsabilité d'enregistrer et de transmettre des informations relatives à la présence de nos produits au sein des magasins que vous visitez quotidiennement ('). Ces informations doivent être communiquées de manière sincère et loyale sur la base d'un système auto-déclaratif par le biais des outils de l'entreprise (SFA et QuickPDL) sur lesquels vous avez été formé à plusieurs reprises.

(')

Or, votre manager Madame [E], au cours de différentes tournées terrain effectuées, a constaté des écarts significatifs entre les relevés que vous avez déclarés et le constat réel qu'il a fait en magasin après vos passages, les 11 et 27 avril et les 23 et 25 mai 2018.

Trois points de vente visités à plusieurs reprises par votre manager font l'objet d'écarts importants entre les saisies que vous avez effectuées dans l'outil SFA et les relevés de votre manager, appuyés de diverses photos (Carrefour market [Localité 9], Auchan super [Localité 6], Carrefour [Localité 8]).

C'est ainsi, notamment que s'agissant du magasin Carrefour Market [Localité 9] votre manager s'y est rendu à trois reprises.

Tout d'abord, le 11 avril 2018 vous avez effectué un relevé, votre manager s'est rendu sur place juste après vous. Cinq anomalies de saisie ont été constatées par votre manager par rapport an relevé que vous avez établi dans SFA :

- Absence de deux références

- Absence de la visibilité d'oceanspray à hauteur des yeux

- Absence de la visibilité de sprite à hauteur des yeux,

- Pas d'IPP repas (mise en avant de produit en dehors du rayon boisson),

- Pas d'IPP autre (mise en avant en dehors du rayon boisson),

Soit un écart de l7points en votre faveur sur la redscore de l'ensemble du magasin sur un total de 58 points.

Le 27 avril 2018, au sein du même magasin, vous établissez votre relevé a 14h45 et votre manager se rend sur place trente minutes plus tard, à l5hl5, Votre manager constate a nouveau des écarts :

- Manque 4 références,

- Absence de visibilité de Sprite à hauteur des yeux,

- Pas d'IPP autre (mise en avant du produit en dehors du rayon boisson)

Soit un total de 21 points d'écart en votre faveur sur les 53 points a totaliser sur votre magasin.

Le 25 mai 2018 enfin, vous faites votre dernier relevé a 12h10, votre manager se rend sur place 14h. Des écarts à nouveau sont constatés par votre manager.

- Absence d'une référence,

- Absence du match de marque FANTA

- Absence du match de marque Capri-Sun

- Pas d'IPP autres (mise en avant du produit en dehors du rayon boisson)

- Et des étiquettes prix manquantes.

Un écart de 19 points en votre faveur de redscore est constaté sur ce magasin sur 58 points.

Ces faux relevés effectués sur les magasins de votre portefeuille ont ajouté un ensemble de points sur votre scorecard qui a une influence positive sur votre prime variable. Bien au-delà, ces pratiques rendent la lecture de l'activité réelle illisible et faussent la définition des priorités business dans la mesure où ces relevés en sont la base.

L'accumulation et la réitération rapprochée de ces écarts démontrent qu'il ne s'agit pas de simples erreurs mais bien au contraire d'agissements délibérés et que, au-delà de la violation de nos procédures internes, vous établissez des faux relevés et que ces erreurs se répètent sur les mêmes magasins.

Pourtant, vous avez parfaitement été informé des modalités de saisie des relevés dans les différents outils et sensibilisé à leur importance pour l'entreprise :

- Votre manager vous a notamment rappelé les règles de saisie de vos relevés à de nombreuses reprises, notamment lors de réunion les 7 février 2018 et 14 février 2018,

- [B] [G], votre N+2, vous fait part d'écarts constatés lors d'une tournée terrain réalisée avec vous le 14 mars 2018. Elle vous a rappelé a cette occasion l'importance de la fiabilité des relevés et qu'il était indispensable que chaque relevé de magasin corresponde strictement à ce qui est physiquement constaté en point de vente que vous effectuez en magasin. Elle vous a enfin rappelé où consulter à nouveau ces règles de relevés.

Pour autant les écarts ont perduré démontrant de nouveau, s'il en était encore besoin, d'une volonté délibérée de fausser vos déclaratifs de résultats.

Dans ce contexte et compte tenu de la nature de vos fonctions, votre comportement et l'ensemble de ces faits sont inacceptables et contreviennent gravement à votre obligation contractuelle de loyauté et aux dispositions du règlement intérieur.

Les explications fournies lors de l'entretien ne nous ont pas permis de modifier notre appréciation des faits.

Au contraire, vous nous avez affirmé que vous ne changeriez pas votre façon de faire.

En conséquence, nous vous notifions, par la présente, notre décision de vous licencier pour motif personnel »

Le 9 septembre 2019, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de requalification de son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et en paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

Par jugement du 23 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt (section industrie) a :

- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse,

- condamné la société Coca Cola à verser à M. [F] les sommes de :

. 23 821 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 3 509,12 euros à titre d'heures supplémentaires,

. 350,91 euros au titre des congés payés afférents,

. 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté la société Coca Cola de sa demande.

Par déclaration adressée au greffe le 22 octobre 2020, la société Coca Cola European Partners France a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 27 septembre 2022.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Coca Cola European Partners France demande à la cour de :

- infirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 21 septembre 2020 dans toutes ses dispositions,

en conséquence,

statuant à nouveau,

à titre principal,

- dire et juger que le licenciement de M. [F] est fondé sur une cause réelle et sérieuse,

- constater que la demande de M. [F] à titre d'heures supplémentaires est infondée,

- débouter M. [F] de l'ensemble de ses demandes portant tant sur l'exécution que sur la rupture de son contrat de travail,

en tout état de cause,

- condamner M. [F] à lui verser la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens incluant les frais d'exécution de la décision à intervenir.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 2 septembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [F] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt, section industrie, en date du 21 septembre 2020, RG n°19/01205, en ce qu'il a :

. dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse ;

. condamné la société Coca Cola European Partners France à lui verser à les sommes de :

* 23 821 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 3 509,12 euros à titre d'heures supplémentaires,

* 350,91 euros au titre des congés payés afférents,

* 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. débouté la société Coca Cola European Partners France de sa demande,

et statuant de nouveau,

- débouter purement et simplement la société Coca Cola European Partners France de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

en tout état de cause,

- condamner la société Coca Cola European Partners à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, en cause d'appel,

- condamner la société Coca Cola European Partners aux dépens qui seront recouvrés pour ceux d'appel par Me Claire Ricard, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- condamner la société Coca Cola European Partners aux entiers dépens incluant les frais d'exécution de la décision à intervenir.

MOTIFS

Sur les heures supplémentaires

L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »

La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l'employeur de justifier des horaires de travail effectués par l'intéressé.

Il revient ainsi au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre l'instauration d'un débat contradictoire et à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s'y rapportant.

Par ailleurs, il ressort de l'article 6.12.3 de la convention collective applicable que « Tout travail entre 21 heures et 6 heures est considéré comme travail de nuit. » et de l'article 6.12.5 que « Les salariés travaillant entre 22 heures et 6 heures bénéficient d'une majoration du salaire horaire de base de l'intéressé de 20 % pour chaque heure effectuée entre 22 heures et 6 heures ('). Pour les salariés travaillant occasionnellement entre 22 heures et 6 heures (rappel à domicile ou prolongation inopinée de leur poste de travail), la majoration prévue ci-dessus sera au minimum de 40 %. ».

En l'espèce le salarié expose qu'il travaillait selon le rythme suivant :

. entre 5h00 et 9h00 : merchandising, mise en conformité des linéaires, montages d'opérations promotionnelles ou réimplantation du rayon,

. de 9h00 à 12h00 : visites en magasins,

. de 12h00 à 14h00 : pause déjeuner, préparation des visites à venir, entretiens téléphoniques,

. de 14h00 à 18h00 : visites en magasins,

. entre 18h00 et 18h45 : trajet entre le dernier magasin de la journée et son domicile,

. entre 18h45 et 20h30 : gestion des demandes par mail, élaboration des plans merchandising pour réimplantations de rayons, préparation des rendez-vous clients et réunions d'équipe.

Le salarié produit en outre son agenda Gmail entre juin 2017 et mai 2018 en pièce 25 ainsi qu'un tableau synthétisant - entre juin 2017 et mai 2018 - les heures supplémentaires dont il revendique le paiement en pièce 26.

Ces éléments sont suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répliquer.

L'employeur produit en pièce 32 une synthèse des horaires quotidiens réalisés par le salarié issue de son logiciel Kronos, lequel comptabilise les heures de travail déclarées par le salarié lui-même. Cette pièce couvre la période comprise entre le 1er janvier 2017 et le 1er janvier 2018. Il n'en ressort aucune heure supplémentaire qui serait demeurée impayée au salarié. Certes, ce dernier objecte qu'il ne pouvait pas, dans le logiciel Kronos, y faire apparaître d'heures supplémentaires. Mais cette objection, démentie par l'employeur, n'est assortie d'aucune offre de preuve.

Le salarié ne peut donc prétendre, sur la période considérée à aucun rappel d'heures supplémentaires.

S'agissant des heures supplémentaires réclamées par le salarié entre le 1er janvier 2018 et le mois de mai 2018, l'employeur ne produit aucun élément propre à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

L'employeur invoque le fait que le salarié se fonde sur un calendrier auto-déclaratif qui, selon lui, est totalement désordonné et illisible et sur un tableau récapitulatif établi par le salarié lui-même. L'employeur déplore encore que le salarié ne produise aucun courriel démontrant un travail en dehors de son horaire hebdomadaire, aucun élément ne démontrant qu'il visitait des magasins sur les créneaux horaires présentés dans son calendrier, et ajoute que le salarié n'a formulé aucune demande de rappel d'heures supplémentaires avant sa saisine du conseil de prud'hommes.

Dès lors que la cour a estimé que les éléments présentés par le salarié étaient suffisamment précis, les arguments rappelés ci-dessus sont inopérants pour la période comprise entre le 1er janvier 2018 et le mois de mai 2018.

Par ailleurs, l'employeur, sans fournir les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, relève ce qu'il présente comme des incohérences dans le décompte du salarié. Cependant, les prétendues incohérences ne sont soulevées par l'employeur que par comparaison entre l'agenda et le décompte que le salarié produit en pièces 25 et 26. Or, ces éléments n'étaient pas les seuls que le salarié présentait à la cour puisqu'il indiquait aussi quel était son rythme de travail entre 5h00 et 20h30 (comprenant une heure en travail de nuit entre 5h00 et 6h00). Et ce rythme de travail montre que l'agenda du salarié ne rendait pas compte de l'exhaustivité des tâches qu'il devait accomplir. L'argumentation du salarié ne présente donc pas d'incohérences s'agissant de la période comprise entre le 1er janvier 2018 et le mois de mai 2018.

Pour cette période, le salarié a accompli des heures supplémentaires qui ne lui ont pas été rémunérées, justifiant qu'il soit fait droit à sa demande de rappel de salaires à ce titre, que la cour évalue à la somme de 1 787,96 euros.

Infirmant le jugement, il conviendra d'allouer au salarié la somme de 1 787,96 euros à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires, outre 178,79 euros au titre des congés payés afférents.

Sur la rupture

Le salarié conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement. Il présente deux moyens : l'un relatif à la loyauté, la licéité et la fiabilité du moyen de preuve utilisé par l'employeur pour caractériser les écarts qu'il lui reproche ; l'autre tenant à la contestation des faits qui lui sont imputés et en tout état de cause, au fait qu'il n'a pas eu l'intention de fausser ses déclaratifs.

En réplique, l'employeur objecte que les faux déclaratifs du salarié sont établis et que le moyen utilisé pour les mettre à jour est licite.

***

Sur la licéité du mode de preuve

Le contrôle de l'activité d'un salarié, au temps et au lieu de travail, par un service interne à l'entreprise chargé de cette mission ne constitue pas, en soi, même en l'absence d'information préalable du salarié, un mode de preuve illicite.

En l'espèce, sept visites de magasins relevant du secteur du salarié ont été organisées par Mme [E], sa supérieure hiérarchique, entre le 11 avril et le 25 mai 2018. Le salarié expose que les constats résultant de ces visites surprises de sa manager ont été réalisés sans qu'il n'en soit préalablement informé ni invité à y participer, ce qui serait, selon lui à la fois déloyal et contraire aux procédures internes de la société.

Effectivement, il est prévue au sein de l'entreprise une procédure particulière pour les « tournées en double » ou « tournée accompagnement » ainsi qu'il résulte du courriel que Mme [E] avait adressé à plusieurs salariés le 30 mars 2018.

D'ailleurs, une telle procédure avait déjà été mise en 'uvre le 14 mars 2018, le salarié ayant alors été accompagné de Mme [G], laquelle avait relevé plusieurs irrégularités dont elle lui avait fait part le jour suivant par courriel (pièce 14 E). Néanmoins, l'existence d'une procédure particulière de « tournée en double » ou « tournée en accompagnement » n'est pas exclusive d'une autre forme de contrôle par l'employeur de l'activité du salarié.

En ce qui concerne le procédé, le salarié ne peut invoquer son caractère illicite aux seuls motifs que les contrôles de Mme [E] ont été réalisés sans qu'il en soit préalablement informé dès lors qu'il n'est pas discuté que lesdits contrôles ont bien été réalisés aux temps et lieu de travail. Au surplus, les contrôles effectués par Mme [E] n'ont porté aucune atteinte à la vie privée du salarié. Peu importe que les contrôles litigieux n'aient pas été initialement contradictoires dès lors que les résultats desdits contrôles sont produits dans le cadre de la présente procédure et qu'ils ont pu être discutés contradictoirement par les parties.

Le procédé de contrôle réalisé par l'employeur est d'ailleurs justifié. En effet, il n'est pas discuté que le salarié devait enregistrer et transmettre à la société employeur des informations relatives à la présence des produits qu'elle commercialisait au sein des magasins qu'il visitait, et que ces informations étaient transmises sur la base d'un système auto-déclaratif. Or, ces informations ont deux objets : d'une part elles fournissent à l'employeur des informations sur le marché, ce qui lui permet d'adapter son offre à la concurrence et d'autre part, elles permettent de déterminer si le salarié a ou non rempli ses objectifs, desquels dépendent ses primes. A ces deux titres, ces informations étaient indispensables ce qui justifie la réalisation, par l'employeur, de contrôles inopinés.

Les contrôles inopinés litigieux sont donc licites.

Sur le fond

L'article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.

Les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat de travail.

Il résulte de l'article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n'incombe pas spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié.

En l'espèce, le salarié a été licencié pour faute. Il lui est en substance reproché d'avoir établi de faux relevés, lesquels ont été constatés par suite des vérifications réalisées sur place par sa supérieure hiérarchique, laquelle a noté des écarts significatifs entre les relevés déclarés par le salarié et la réalité de la situation, étant précisé que les écarts constatés sont toujours au bénéfice du salarié qui perçoit une rémunération variable dépendant, précisément, des relevés qu'il établit, ce qui, selon l'employeur, démontre une volonté délibérée du salarié de fausser ses « déclaratifs de résultats ».

Pour justifier des griefs qu'il impute au salarié, l'employeur produit les sept rapports d'audit effectués par Mme [E] entre le 11 avril et le 25 mai 2018 ainsi qu'une attestation rédigée par cette salariée.

Dans son attestation, Mme [E] explique que l'audit ne peut être réalisé que « si le collaborateur est passé dans le point de vente le même jour et a clôturé son relevé, ce qui le rend visible dans le logiciel salesforce. Je peux donc me rendre dans les magasins concernés juste après. Cela me permet d'être plus efficace dans le contrôle de la bonne exécution de leur fonction dans ces magasins (') ». Mme [E] ajoute à propos de l'audit / contrôle réalisé sur les points de vente du salarié : « Les nombreuses différences que j'ai pu remarquer entre ce [qu'il a] renseigné quelques minutes avant dans le logiciel et mes contrôles étaient flagrantes et inacceptables compte tenu de [ses] fonctions (') ».

Il en résulte que Mme [E] réalisait ses audits/contrôles peu de temps après le départ du salarié du magasin qu'il approvisionnait et, surtout, peu après le moment où le salarié avait saisi les informations sur le logiciel.

Certes le salarié présente deux objections relativement à l'attestation de Mme [E]. La première tient à ce que la témoin a coché la case « non » à la question du lien de subordination avec les parties. Il s'agit de toute évidence d'une simple erreur de plume puisque dans le corps même de son attestation, la témoin dit clairement qu'elle est salariée de la société Coca Cola European Partners France. Cette erreur n'affecte donc pas la crédibilité du témoignage. La seconde tient à ce que la témoin manquerait d'objectivité car elle est l'auteur des visites de contrôle. Toutefois l'attestation est, s'agissant du moment où le contrôle est réalisé, circonstanciée.

En revanche, l'attestation de Mme [E] manque de précision s'agissant du moment où elle a réalisé ses audits/contrôles. Or, au cas d'espèce cette information est déterminante. En effet, les constatations faites par Mme [E] dans le cadre de ses audits/contrôles ont lieu dans des moyennes ou grandes surfaces (Carrefour Market, Carrefour, Auchan super) ; c'est-à-dire des lieux accessibles au public et de grande affluence pourvus d'étals exposés à de fréquentes manipulations. La crédibilité des audits réalisés dans pareil contexte est en conséquence intimement liée au temps qui sépare le moment où le salarié renseigne le logiciel et le moment où l'auditeur procède à son contrôle : plus ce temps est long, moins l'audit est fiable. Or l'employeur ne précise pas ce qu'il convient d'entendre par « juste après » ou par « quelques minutes ».

Quant aux rapports d'audit, ils ne mentionnent ni l'heure à laquelle le salarié a renseigné le logiciel, ni celle à laquelle l'audit a été réalisé.

La lettre de licenciement évoque pour deux des sept audits les heures en question :

. s'agissant de la visite du Carrefour Market de [Localité 9] en date du 27 avril 2018, il est question d'un relevé établi par le salarié à 14h45 et d'une visite de Mme [E] à 15h15 ;

. toujours s'agissant de la visite du Carrefour Market de [Localité 9] en date du 25 mai 2018, il est question d'un relevé établi par le salarié à 12h10 et d'une visite de Mme [E] à 14h00.

D'abord, ainsi qu'il a déjà été rappelé, ces heures ne sont corroborées par aucune des pièces versées aux débats. Ensuite et surtout, à supposer que les indications relatives à ces heures soient correctes, le temps séparant les relevés établis par le salarié et les visites de Mme [E] est trop long (30 minutes dans le premier cas, 1 heure et 50 minutes dans le second) pour permettre d'imputer les griefs au salarié, s'agissant de points de vente soumis à une fréquentation importante.

Compte tenu de ce qui précède, il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié.

Ajoutant au jugement, il conviendra en outre, en application de l'article L. 1235-4 du code du travail, d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Sur les conséquences de la rupture

Le salarié peut prétendre, compte tenu de son ancienneté (6 années complètes), à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre 3 mois et 7 mois de salaire mensuel brut, en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail.

Compte tenu de l'ancienneté du salarié, de son niveau de rémunération (3 404 euros bruts par mois primes incluses), de son âge lors du licenciement (29 ans), de ce qu'il a certes retrouvé un emploi le 5 novembre 2018, soit peu de temps après son licenciement du 20 juin 2018, mais moins bien rémunéré (cf. bulletin de salaire du mois de novembre 2018 ' pièce 28 S), le conseil de prud'hommes a fait une exacte appréciation du préjudice qui est résulté, pour lui, de la perte de son emploi, en l'évaluant à la somme de 23 821 euros.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant, la société sera condamnée aux dépens, lesquels seront recouvrés par Me Claire Ricard, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Il conviendra de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné l'employeur à payer au salarié la somme de 900 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de condamner en outre l'employeur à payer au salarié une indemnité de 2 000 euros sur ce même fondement au titre des frais exposés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a condamné la société Coca Cola European Partners France à payer à M. [F] la somme de 3 509,12 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires outre celle de 350,91 euros au titre des congés payés afférents, euros au titre des congés payés afférents,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France à payer à M. [F] la somme de 1 787,96 euros au titre de ses heures supplémentaires, outre celle de 178,79 euros au titre des congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la réception, par la société, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes,

ORDONNE le remboursement par la société Coca Cola European Partners France aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à M. [F], du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage en application de l'article L. 1235-4 du code du travail,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,

CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France à payer à M. [F] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Coca Cola European Partners France aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Me Claire Ricard, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 20/02352
Date de la décision : 25/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-25;20.02352 ?
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