COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 JANVIER 2023
N° RG 20/00485
N° Portalis DBV3-V-B7E-TYMZ
AFFAIRE :
[L] [E]
C/
S.A.S. VULCAIN SERVICES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Section : E
N° RG : F 15/02850
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Tristan BORLIEU
Me Pierre-Randolph DUFAU
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [L] [E]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Tristan BORLIEU de la SCP GLP ASSOCIES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 744
APPELANTE
****************
S.A.S. VULCAIN SERVICES
N° SIRET : 420 418 774
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Pierre-Randolph DUFAU de la SELASU PIERRE-RANDOLPH DUFAU - PRD, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1355
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier placé lors des débats : Madame Virginie BARCZUK assisté de Mme Domitille GOSSELIN, greffier en pré-affectation
Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Madame Domitille GOSSELIN
Rappel des faits constants
La SAS Vulcain Services, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les [Localité 3], est spécialisée dans l'ingénierie et les études techniques. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.
Mme [L] [E], née le 23 juin 1989, a été engagée par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée à effet au 1er septembre 2014, en qualité d'ingénieur études et projet, moyennant une rémunération forfaitaire mensuelle brute de 2 900 euros, primes conventionnelles incluses.
Le contrat de travail de Mme [E] prévoyait en son article 3, une clause relative à la période d'essai rédigée dans les termes suivants :
« Le présent contrat est conclu pour une durée indéterminée.
Il ne deviendra définitif qu'à l'expiration d'une période d'essai de quatre mois, renouvelable une fois sur accord des parties et dans la limite d'une durée totale de sept mois. »
Par courrier remis en main propre le 28 octobre 2014, la société Vulcain Services a notifié à Mme [E] la rupture anticipée de sa période d'essai dans les termes suivants :
' Vous avez intégré notre entreprise en qualité d'ingénieur études et projet. Au terme de votre contrat de travail, nous avions convenu d'une période d'essai d'une durée de quatre mois. Nous vous informons que nous mettons fin à votre période d'essai à compter du 12 novembre au soir.'
Par courrier du 30 octobre 2014, Mme [E] a contesté la rupture de sa période d'essai en indiquant notamment :
'Vous n'avez proposé ma candidature auprès d'un client que dans le cadre d'une mission en totale opposition avec les compétences qui vous avaient motivé à m'embaucher. Par ailleurs, lors de l'entretien visant à notifier la rupture de ma période d'essai, M. [U] [P] m'a indiqué que cette dernière se justifiait par une erreur d'appréciation de votre part et que vous n'aviez finalement aucune mission à me proposer contrairement à ce que vous m'aviez indiqué dès le mois d'avril 2014 pour m'inciter à quitter mon emploi pour vous rejoindre.'
Par courrier du 7 novembre 2014, la société Vulcain Services a confirmé sa décision en indiquant notamment :
'Vous avez signé votre contrat le 11 avril 2014 pour un démarrage le 1er septembre 2014. Vous avez donc eu l'occasion depuis le 1er septembre 2014 de rencontrer nos ingénieurs d'affaires afin d'échanger sur vos compétences à travailler sur les différents projets que nous avions en cours. Vous avez également rencontré l'un de nos clients Areva NP pour une de ces missions en tant qu'ingénieur calcul, ce qui correspond aux compétences pour lesquelles nous vous avons recruté. Ces différents échanges plus approfondis et plus techniques n'ont pu aboutir sur une mission car il s'est avéré que vous n'aviez pas les compétences nécessaires pour mener à bien ces projets.'
Faute d'arrangement à l'amiable, Mme [E] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de la rupture de son contrat de travail pendant la période d'essai, par requête reçue au greffe le 9 octobre 2015.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 17 janvier 2020, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- dit et jugé fondée la rupture de la période d'essai de Mme [E],
- débouté en l'état Mme [E] de l'intégralité de ses demandes,
- condamné Mme [E] à verser à la société Vulcain Services la somme de 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles de procédure,
- laissé à Mme [E] la charge des entiers dépens.
Mme [E] avait formulé les demandes suivantes :
- dire et juger la rupture de sa période d'essai abusive,
en conséquence,
. dommages-intérêts pour rupture abusive de la période d'essai : 23 200 euros,
. intérêts au taux légal sur cette somme,
. exécution provisoire,
. article 700 du code de procédure civile : 2 500 euros,
. dépens.
La société Vulcain Services avait quant à elle conclu au débouté de Mme [E] et sollicitait la condamnation de celle-ci à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure d'appel
Mme [E] a interjeté appel du jugement par déclaration du 20 février 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/00485.
Par ordonnance rendue le 9 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 17 novembre 2022.
Prétentions de Mme [E], appelante
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 19 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, Mme [E] conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel, statuant de nouveau, de :
- juger que la rupture de sa période d'essai est abusive,
en conséquence,
- condamner la société Vulcain Services à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive,
- condamner la société Vulcain Services à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Vulcain Services aux entiers dépens,
- ordonner l'exécution provisoire de l'article 515 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Vulcain Services, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 1er juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Vulcain Services conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel de :
- à titre subsidiaire, limiter le montant des condamnations à de plus justes proportions,
- condamner Mme [E] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [E] à lui verser la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles d'appel,
- condamner Mme [E] aux entiers dépens.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la rupture de la période d'essai
Mme [E] prétend que la société Vulcain Services a rompu abusivement la période d'essai. Elle soutient en premier lieu qu'elle a été débauchée de son précédent emploi, ensuite qu'elle a été dans l'impossibilité de démontrer ses capacités et enfin que l'erreur d'appréciation alléguée par l'employeur lors de l'entretien visant à lui notifier la rupture de son contrat de travail ne lui est pas imputable.
La société Vulcain Services s'oppose à la prétention de Mme [E]. Elle fait valoir que la salariée n'a pas su convaincre les ingénieurs d'affaires et n'a pas su ou voulu convaincre le client auprès duquel elle a été envoyée, de sorte qu'elle a été contrainte de mettre fin à la période d'essai, la salariée n'ayant pas, selon elle, les compétences nécessaires pour mener à bien les projets.
Il est rappelé qu'en application de l'article L. 1221-20 du code du travail, « La période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent. »
Pendant cette période, les parties disposent d'un droit de résiliation discrétionnaire, sans avoir besoin d'alléguer un quelconque motif, sous réserve de ne pas faire dégénérer ce droit en abus, la preuve de l'abus incombant à celui qui l'invoque.
Pour apprécier les circonstances dans lesquelles s'est déroulée la période d'essai de Mme [E], il convient de préciser, ainsi que le fait l'employeur dans ses conclusions, qu'au sein de la société Vulcain Services, un consultant est appelé à intervenir sur des projets qui ont été confiés par une société cliente à son employeur et qu'afin de se faire attribuer un projet, il doit rester à la disposition des managers de l'entreprise, auprès desquels travaillent des ingénieurs d'affaires, lesquels proposent les missions.
La société Vulcain Services explique que Mme [E] a, au cours des mois de septembre et octobre 2014, rencontré ses ingénieurs d'affaires, lesquels ont constaté que la salariée ne disposait pas des compétences adéquates pour mener à bien les projets de ses clients, ou qu'en tout état de cause, elle ne faisait aucun effort pour les mettre en avant, qu'ils lui ont tout de même proposé une mission d'ingénieur calcul pour le client Areva NP mais que la salariée n'a pas réussi à convaincre le client.
Il sera retenu que Mme [E] disposait en théorie des compétences nécessaires pour mener à bien cette mission, puisqu'ainsi qu'elle le souligne elle-même, elle est diplômée d'une grande école d'ingénieur (Supméca Paris) et qu'en l'absence de mention expresse en ce sens dans le contrat de travail, elle ne pouvait se retrancher derrière sa spécialisation en ingénierie mécanique dans le domaine pétrolier pour refuser une mission dans un autre secteur, notamment dans le nucléaire.
Le fait que deux autres candidates aient été présentées en même temps qu'elle ne peut non plus être opposé par Mme [E] dans la mesure où l'employeur indique, sans être démenti sur ce point, que pour multiplier ses chances de succès de remporter une mission, il présente généralement le profil de plusieurs candidats, le candidat le plus convaincant étant retenu par le client.
Mme [E] n'a toutefois pas été retenue par le client pour cette mission, sans que ne soit établi de déloyauté de la part de l'employeur dans cette proposition de mission.
La société Vulcain Services démontre que ses pratiques sont conformes à celles du secteur d'activité. Elle produit à ce titre l'extrait d'un livre intitulé « Le monde des sociétés de service en technologie de l'information et de la communication », lequel mentionne qu'au cours d'une réunion de qualification, le client « évalue les compétences techniques du consultant, de même que ses qualités nécessaires à l'intégration dans la compagnie. Le consultant doit donc convaincre à deux niveaux, non seulement techniquement, mais aussi sur sa capacité à mener à bien la mission. Il doit prouver sa motivation, tout au long de la qualif. » (pièce 7 de l'employeur).
Au regard de ces considérations, Mme [E] ne peut utilement opposer qu'elle n'a jamais eu l'occasion de démontrer ses capacités réelles dans le cadre d'une mission adaptée à ses compétences et à ses connaissances.
La salariée fait encore valoir, à l'appui de son argumentation, qu'elle aurait été débauchée et qu'il lui aurait été dit qu'elle avait fait l'objet d'une erreur d'appréciation de la part de la société. Ces arguments ne sont toutefois pas de nature à démontrer un abus du droit de rompre la période d'essai de la part de son employeur et ne sont, quoi qu'il en soit, pas matériellement établis, l'intimée les remettant de surcroît en cause tous les deux.
Au demeurant, la société Vulcain Services indique avoir compris que Mme [E] ne souhaitait en réalité pas travailler hors région parisienne, alors qu'en toute connaissance de cause, elle avait signé son contrat de travail contenant une clause prévoyant : « il est expressément convenu que dans le cadre de l'exécution de ses missions et compte tenu de ses fonctions, Mme [L] [E] pourra être fréquemment et régulièrement amenée à effectuer des déplacements au niveau national et international » (pièce 1 de l'employeur). Elle considère que la salariée n'a mis aucune bonne volonté à persuader ses interlocuteurs de l'existence de ses compétences et donc à faire en sorte d'être positionnée sur une mission et explicite, sans y être tenue, ainsi les raisons pour lesquelles elle n'a pas entendu poursuivre la relation de travail.
En définitive, Mme [E], qui ne démontre pas que la société Vulcain Services a rompu sa période d'essai de façon abusive, sera déboutée de sa demande contraire, par confirmation du jugement entrepris.
Sur l'exécution provisoire
Cet arrêt étant rendu en dernier ressort sans que soit ouverte la voie de l'opposition, il n'y a pas lieu à exécution provisoire.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
Compte tenu de la teneur de la décision, le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
Mme [E], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
Mme [E] sera en outre condamnée à payer à la société Vulcain Services une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 17 janvier 2020,
Y ajoutant,
CONDAMNE Mme [L] [E] au paiement des dépens d'appel,
CONDAMNE Mme [L] [E] à payer à la SAS Vulcain Services une somme de 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Mme [L] [E] de sa demande présentée sur le même fondement.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, président, et par Mme Domitille Gosselin, greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER EN PRÉ-AFFECTATION, LE PRÉSIDENT,