La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/01/2023 | FRANCE | N°20/00311

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 19 janvier 2023, 20/00311


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 19 JANVIER 2023



N° RG 20/00311

N° Portalis DBV3-V-B7E-TXKZ



AFFAIRE :



Société TWIN JET



C/



[R], [E] [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes de POISSY

N° Section : E

N° RG : F 19/00014







>
















Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Martine DUPUIS



Me Frédérique FARGUES



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 JANVIER 2023

N° RG 20/00311

N° Portalis DBV3-V-B7E-TXKZ

AFFAIRE :

Société TWIN JET

C/

[R], [E] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes de POISSY

N° Section : E

N° RG : F 19/00014

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Frédérique FARGUES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant fixé au 05 janvier 2023 et prorogé au 19 janvier 2023, les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Société TWIN JET

N° SIRET : 437 937 600

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Vincent ARNAUD de la SELARL ARNAUD VINCENT, Plaidant, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, vestiaire : 336 et Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

APPELANT

****************

Monsieur [R], [E] [T]

né le 11 Janvier 1962 à [Localité 7] (92)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentant : Me Frédérique FARGUES, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 138 substitué par Me Delphine BOAGERT-LENNE, avocat au barreau de VERSAILLES

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 novembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Stéphanie HEMERY

Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Madame Domitille GOSSELIN

Rappel des faits constants

La société Twin Jet, dont le siège social est situé à [Localité 4] dans les Bouches-du-Rhône, est spécialisée dans les transports aériens de passagers. Elle emploie plus de dix salariés.

M. [E] [R] [T], né le 11 janvier 1962, a été engagé par cette société, selon contrat de travail à durée indéterminée du 2 janvier 2017, en qualité de personnel navigant technique exerçant les fonctions de commandant de bord.

Au dernier état de la relation contractuelle, M. [T] était affecté à la base aérienne de [Localité 5] et percevait une rémunération mensuelle moyenne de 2 199,05 euros.

Un litige oppose M. [T], qui prétend avoir démissionné de ses fonctions par courrier du 26 janvier 2018 et avoir sollicité la réduction de la durée de son préavis par courriel du 28 février 2018, à la société Twin Jet, qui elle indique avoir refusé la demande de réduction de préavis de M. [T] et lui a indiqué que, selon elle, la date de démission à retenir était le 28 février 2018 et non le 26 janvier 2016, par courrier du 2 mars 2018.

Le 1er mars 2018, M. [T] a rendu l'intégralité de son matériel professionnel et ne s'est plus présenté à son poste à compter du 3 mars 2018.

Soutenant que le salarié avait rompu brusquement les relations contractuelles, la société Twin Jet a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy par requête reçue au greffe le 16 janvier 2018.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 7 janvier 2020, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Poissy a :

- fixé la moyenne mensuelle des salaires en application des dispositions de l'article R. 1454-28 du code du travail à la somme de 2 199,05 euros brut,

- rappelé que l'exécution est de droit à titre provisoire sur les créances visées à l'article R. 1454-14 alinéa 2 du code du travail,

- dit et jugé que les relations contractuelles ont été rompues brusquement,

- dit et jugé que le contrat de travail n'a pas été exécuté fautivement et que M. [T] n'a pas fait preuve de résistance abusive,

- condamné M. [T] à verser à la société Twin Jet avec intérêts légaux à compter du 19 janvier 2019, date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse, la somme de 4 398 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- débouté la société Twin Jet du surplus de ses demandes,

- condamné la société Twin Jet à verser à M. [T] avec intérêts légaux à compter du 7 mai 2019, date de comparution du défendeur à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation, la somme de 5 088,36 euros brut à titre de salaire du mois de mars 2018,

- condamné la société Twin Jet à verser à M. [T] avec intérêts légaux à compter du prononcé du jugement la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour rétention illégale de la paie,

- débouté M. [T] du surplus de ses demandes,

- condamné les deux parties par moitié aux dépens, y compris ceux afférents aux actes d'exécution éventuels.

La société Twin Jet avait présenté les demandes suivantes :

- dire et juger que M. [T] a rompu brusquement les relations contractuelles,

- dire et juger que M. [T] a exécuté fautivement le contrat de travail et a fait preuve de résistance abusive,

- condamner M. [T] à payer à la société Twin Jet les sommes suivantes :

. au titre de la prise en charge exceptionnelle de formation d'un nouveau pilote : 15 074 euros,

. au titre des frais de déplacement de pilotes détachés sur la base de [Localité 5] : 973,84 euros,

. au titre des frais d'équipage liés au recours de pilotes sur la base de [Localité 5] : 3 289 euros,

. au titre de la perte d'exploitation pour absence de commandant : 5 955 euros,

. au titre du coup d'exploitation direct relatif aux heures de vols effectuées dans le cadre de la formation obligatoire « EHL/CHL3 d'un nouveau pilote : 1 300 euros,

. indemnité compensatrice de préavis : 6 597,15 euros,

. dommages-intérêts pour rupture brusque des relations contractuelles : 25 000 euros,

. dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et résistance abusive : 3 000 euros,

. article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

. exécution provisoire,

. dépens.

M. [T] avait quant à lui conclu au débouté de la société Twin Jet et avait sollicité à titre reconventionnel :

- rappel de salaire mars 2018 : 5 088,36 euros brut, ou 4 029,35 euros net,

- dommages-intérêts pour rétention illégale de la paie : 1 000 euros,

- dommages-intérêts pour privation du droit à congés payés et à RTT : 5 000 euros,

- article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros.

La procédure d'appel

La société Twin Jet a interjeté appel du jugement par déclaration du 4 février 2020 enregistrée sous le numéro de procédure 20/00311.

Par ordonnance rendue le 2 novembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 3 novembre 2022.

Prétentions de la société Twin Jet, appelante

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 2 mai 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Twin Jet demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. dit et jugé que les relations contractuelles ont été brusquement rompues,

. débouté M. [T] du surplus de ses demandes,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

. dit et jugé que le contrat de travail n'a pas été exécuté fautivement et que M. [T] n'a pas fait preuve de résistance abusive,

. condamné M. [T] à verser à la société Twin Jet avec intérêts légaux à compter du 19 janvier 2019, date de réception de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation par la partie défenderesse la somme de 4 398 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. débouté la société Twin Jet du surplus de ses demandes,

. condamné la société Twin Jet à verser à M. [T] avec intérêts légaux à compter du 7 mai 2019, date de comparution du défendeur à l'audience du bureau de conciliation et d'orientation, la somme de 5 088,36 euros brut à titre de rappel de salaire pour le mois de mars 2018,

. condamné la société Twin Jet à verser à M. [T] avec intérêts légaux à compter du jugement la somme de 100 euros à titre de dommages-intérêts pour rétention illégale de paie,

. condamné les deux parties par moitié aux dépens y compris ceux afférents aux actes et procédure d'exécution éventuels,

statuant de nouveau,

- juger que M. [T] a démissionné le 28 février 2018,

- juger que M. [T] a rompu brusquement les relations contractuelles,

- juger que M. [T] a exécuté fautivement le contrat de travail et a fait preuve de résistance abusive,

en conséquence,

- condamner M. [T] à payer et à porter les sommes suivantes à la société Twin Jet :

. à titre principal, 7 699,36 euros correspondant au solde de l'indemnité de préavis dû en raison de l'inexécution du préavis,

. à titre subsidiaire, si la cour entrait en voie de condamnation à l'encontre de la société au titre du rappel de solde de tout compte, 11 726,26 euros à titre d'indemnité totale de préavis,

en tout état de cause,

- 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations contractuelles correspondant à :

. 15 074 euros au titre de la prise en charge exceptionnelle de la formation d'un nouveau pilote,

. 973,84 euros au titre des frais de déplacement de pilotes détachés sur la base de [Localité 5],

. 3 289 euros au titre des frais d'équipages liés au recours de pilotes sur la base de [Localité 5],

. 5 955 euros au titre de la perte d'exploitation pour absence de commandant,

. 1 300 euros attachés au coût d'exploitation directe relatifs aux heures de vol effectuées dans le cadre de la formation obligatoire « EHL/CHL » d'un nouveau pilote,

. 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution fautive du contrat de travail et résistance abusive,

. 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter M. [T] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- débouter M. [T] de son appel incident,

- juger que l'intégralité des sommes allouées à la société Twin Jet produira intérêts de droit à compter de la demande en justice avec capitalisation, en application des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil,

- juger qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par le jugement, et en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaire en application du décret du 12 décembre 1996, devront être supportées par M. [T] en sus de l'indemnité mise à sa charge sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [T] aux entiers dépens dont ceux d'appels distraits sous affirmation par la société Vincent Arnaud d'en avoir fait l'avance.

Prétentions de M. [T], intimé

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 31 janvier 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [T] demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement en ce que la moyenne de salaire brut a été fixée à la somme de 2 199,06 euros, qu'il a été jugé que sa démission est intervenue le 26 janvier 2018, qu'il n' y a pas eu d'exécution fautive du contrat de son fait, qu'il n'y a pas de résistance abusive de ce dernier, que la société Twin Jet s'est rendue coupable de rétention illégale de paie, et que la société Twin Jet a été condamnée à lui verser la somme brute de 5 088,36 euros outre intérêts légaux à compter du 7 mai 2019,

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,

ce faisant,

- juger irrecevable la société Twin Jet en sa demande de le voir condamner au paiement à titre principal de la somme de 7 699,36 euros et à titre subsidiaire de la somme de 11 726,26 euros, subsidiairement, la juger non fondée,

- débouter la société Twin Jet de toutes ses fins et prétentions articulées contre lui,

à titre reconventionnel,

- le juger aussi recevable que bien fondé en ses demandes, et condamner la société Twin Jet à lui verser, outre le salaire du mois de mars 2018 pour un montant brut de 5 088,36 euros :

. la somme de 1 000 euros de dommages-intérêts pour rétention illégale de la paie,

. la somme de 5 000 euros de dommages-intérêts pour privation du droit à congés payés et à RTT,

. la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Twin Jet aux entiers dépens.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur la date de la démission

Les parties admettent toutes deux que M. [T] a exprimé sa volonté de rompre le contrat de travail en des termes clairs et non équivoques mais sont en désaccord sur la date de cette démission.

M. [T] prétend avoir donné sa démission par lettre recommandée du 26 janvier 2018 dans les termes suivants : « Je vous informe par la présente de ma décision de démissionner de mes fonctions de commandant de bord Beech 1900 que j'occupe depuis le 2 janvier 2017 dans votre compagnie. Compte tenu du préavis de trois mois convenu dans mon contrat de travail, ma démission devrait prendre effet à compter du 26 avril 2018.

Je souhaiterais néanmoins, pour solder notre collaboration en toute régularité, retenir en compensation les jours de congés et de récupération qui me restent dus à ce jour. » (pièce 6 du salarié).

La société Twin Jet conteste avoir reçu la démission du salarié à la date revendiquée. Elle explique qu'elle a bien reçu une lettre recommandée de la part de M. [T] ce jour-là, mais que cette lettre contenait un objet totalement différent, à savoir le refus de l'abattement de frais pour l'année 2018 et non la notification de la démission du salarié. Elle prétend avoir été informée de la démission de M. [T] seulement par mail du 28 février 2018.

Il est rappelé qu'en application de l'article L. 1237-1 du code du travail, « en cas de démission, l'existence et la durée du préavis sont fixées par la loi, ou par convention ou accord collectif de travail. En l'absence de dispositions légales, de convention ou accord collectif de travail relatifs au préavis, son existence et sa durée résultent des usages pratiqués dans la localité et dans la profession. Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article ».

Par ailleurs, aux termes de l'article 4 du contrat de travail liant les parties, « le salarié et la société peuvent l'un et l'autre rompre le contrat de travail en respectant une période de préavis de trois mois. La rupture du contrat de travail devra être notifiée par lettre recommandée avec accusé de réception. L'employeur aura la possibilité de dispenser volontairement le salarié du préavis mais devra dans ce cas verser une indemnité compensatrice de préavis correspondant aux rémunérations qui auraient été acquises par le salarié jusqu'au terme du préavis » (pièce 1 de l'employeur).

L'examen des deux courriers adressés le même jour par M. [T] montre que c'est bien le courrier de démission qui porte la mention « lettre recommandée avec avis de réception » alors que le courrier relatif au salaire ne porte pas cette mention (pièces 6 et 7 du salarié).

Par ailleurs, le courriel du 28 février 2018 dont fait état l'employeur, à l'appui de sa contestation, contient en réalité deux messages lesquels mentionnent : 9h33 « Bonjour [H], Pourriez-vous me téléphoner quand vous serez disponible. J'ai essayé de vous contacter mais on m'a dit que vous étiez en ligne. Cela concerne ma démission, Cordialement, [R] [T] » 13h35 « [H], comme convenu lors de notre conversation téléphonique de ce matin et à des fins comptables, je te confirme vouloir raccourcir mon préavis et quitter l'entreprise en date du 3 mars 2018. J'effectuerai mon dernier vol le 2 mars 2018. Ci-joint copie de ma lettre de démission qui a été envoyée en recommandé A/R le 26 janvier dernier. Cordialement, [R] [T] » (pièce 2 de l'employeur).

Ce courriel renvoie expressément à une lettre de démission qui aurait été envoyée le 26 janvier 2018, accréditant la thèse du salarié.

Ces deux éléments conduisent à écarter la contestation de l'employeur et donc à retenir que la démission a effectivement été adressée par courrier recommandé du 26 janvier 2018.

Sur la dispense de préavis à compter du 2 mars 2018

M. [T] explique qu'aux termes de son courrier de démission du 26 janvier 2018, il souhaitait que ses jours de congés payés et de RTT non pris permettent une réduction de son préavis de trois mois, même s'il n'avait pas encore retrouvé d'emploi, compte tenu de ses conditions de travail dégradées au sein de l'entreprise, puis qu'ayant retrouvé un emploi, et sans suite à sa demande de compensation, il a relancé son employeur par mail du 28 février 2018 et a demandé à être dispensé d'exécuter son préavis à compter du 3 mars 2018.

Il prétend que société Twin Jet a accepté de le dispenser de ses fonctions à compter du 2 mars 2018, qu'il a ainsi restitué son matériel le 2 mars 2018, son bulletin de salaire de ce mois mentionnant une date de sortie au 2 mars 2018.

De son côté, société Twin Jet soutient que le 1er mars 2018, par décision unilatérale, M. [T] a informé Mme [J], responsable des opérations au sein du service planning, qu'il ne volerait plus à partir du 3 mars 2018 et il a restitué son matériel professionnel le même jour.

Elle souligne que, par courrier du 2 mars 2018, elle a clairement et expressément refusé toute dispense de préavis et a mis en demeure son salarié d'effectuer son préavis, qu'en l'absence de reprise de poste, elle lui a adressé une mise en demeure le 9 mars 2018.

Il est rappelé que la dispense d'exécution du préavis peut résulter d'une réponse de l'employeur à une demande formulée par le salarié démissionnaire, dès lors que cette réponse est clairement donnée.

M. [T] prétend avoir restitué son matériel professionnel le 1er mars 2018 et produit pour en justifier un document ainsi libellé :

« Je soussigné [R] [T], commandant de bord Beech 1900 certifie avoir restitué ce jour, 1er mars 2018, sur demande de la compagnie Twin Jet, le matériel suivant :

- carte professionnelle de membre d'équipage Doc N° TJT048

- Ipad professionnel avec sa carte SIM, sa coque de protection, film de protection, écran, câble d'alimentation secteur, un câble de charge avion, et câble audio (le tout en parfait état) de fonctionnement),

- carton emballage Ipad

- 1 cravate compagnie

- 1 carte d'accès au parking aéroport

- 1 carte bancaire Visa HSBC Affaires N° [XXXXXXXXXX02] exp 02/19 au nom de M. [R] [T]

Fait en deux exemplaires à l'aéroport de [Localité 5]-[Localité 6] Lorraine pour valoir et servir ce que de droit.

Suivent les signatures d'[S] [P], représentant Twin Jet et de [R] [T] » (sa pièce 12).

La société Twin Jet produit un courriel de M. [P], aux termes duquel, selon elle, celui-ci indique qu'il n'est pas le rédacteur du document présenté par le salarié et qu'il ne s'agissait pas du document de restitution habituel à en-tête de la compagnie.

Il ressort plus précisément de l'échange de courriels produit que M. [P], interrogé à ce sujet, a répondu ce qui suit :

« Bonjour [H],

Je confirme avoir signé le document présenté par [R] [T], la signature est bien la mienne.

Je ne suis pas le rédacteur du document. Ce document m'a été présenté par [R] [T] lors de la remise du matériel pour lequel il m'a demandé la signature de cet accusé de réception.

Je ne connais pas l'origine du document présenté par [R] [T], lors des restitutions de matériel précédentes dans lesquelles je suis intervenu, les documents de restitution étaient à l'en-tête de la compagnie et les matériels concernés étaient livrés avec leurs numéros de série respectifs » (pièce 21 de l'employeur).

M. [P] reconnaît ainsi avoir signé le document de restitution du matériel, confirmant cette restitution et sa date, peu important que l'imprimé utilisé ne soit pas l'imprimé habituel.

En toute hypothèse, le bulletin de paie du mois de mars 2018 mentionne une date de sortie au 2 mars 2018 (pièce 2 du salarié).

Ces circonstances conduisent à retenir que la preuve est ici rapportée que la société Twin Jet a bien dispensé le salarié d'exécuter son préavis à compter du 2 mars 2018, les mises en demeure postérieures de la société pour enjoindre le salarié à reprendre son poste étant inopérantes comme tardives.

Il s'ensuit le rejet des prétentions contraires de société Twin Jet, relatives au paiement d'une indemnité compensatrice de préavis et à l'allocation de dommages-intérêts pour brusque rupture, par infirmation du jugement entrepris.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail par le salarié

La société Twin Jet prétend qu'il résulte de ses explications que M. [T] a exécuté fautivement son contrat de travail en ne respectant pas la durée de son préavis, sans l'accord de son employeur et lui a ainsi causé en toute conscience un lourd préjudice.

Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l'article L. 1222-1 du code du travail, le contrat de travail doit être exécuté de bonne foi.

L'employeur se limite toutefois ici à reprendre ses arguments tenant au non-respect du préavis et à la rupture brutale du contrat de travail, lesquels ont été précédemment rejetés, de sorte qu'il ne caractérise pas de faute imputable au salarié au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail susceptible de commander l'allocation de dommages-intérêts.

La société Twin Jet sera déboutée de cette demande, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le salaire de mars 2018

M. [T] expose, à l'appui de sa demande, qu'il aurait dû percevoir la somme de 5 088,36 euros bruts, soit 4 029,35 euros nets, au titre du salaire du mois de mars 2018, qu'il n'a cependant rien reçu, selon lui à titre de rétorsion, ainsi que son employeur l'indique lui-même dans son courrier du 14 mars 2018. Il considère qu'il s'agit d'une rétention illégale de la paie et sollicite, outre le paiement du salaire, l'allocation de dommages-intérêts à ce titre.

La société Twin Jet revendique une compensation entre le salaire dû au titre du mois de mars et la créance supposée due par M. [T] au titre de l'inexécution de son préavis, qu'elle prétend certaine, liquide et exigible.

Il résulte du bulletin de salaire émis par la société Twin Jet au titre du mois de mars 2018 que celle-ci était redevable envers M. [T] d'une somme de 5 088,36 euros en brut.

Elle ne peut utilement invoquer une compensation pour justifier du non-paiement de cette somme, dès lors que la créance qu'elle invoque, résultant de l'inexécution du préavis, n'était ni certaine, ni liquide, ni exigible, ainsi que cela a été mis en évidence précédemment.

La compensation n'étant pas légitime, la société Twin Jet sera condamnée à verser à M. [T] la somme de 5 088,36 euros, outre une somme de 500 euros à titre de dommages-intérêts compte tenu du caractère manifestement illicite de la compensation opérée, s'analysant comme une mesure de représailles à l'égard du salarié.

Sur le droit à congés

M. [T] sollicite l'allocation d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts, expliquant que son employeur ne l'a pas mis en mesure de prendre ses congés tandis que la société Twin Jet s'oppose à la demande, objectant que le salarié ne démontre pas qu'elle lui a refusé des congés.

L'article L. 3141-1 du code du travail pose le principe du droit, pour tout salarié, chaque année à un congé payé à la charge de l'employeur.

Il est constant qu'eu égard à la finalité qu'assigne aux congés payés annuels la Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, il appartient à l'employeur de prendre les mesures propres à assurer au salarié la possibilité d'exercer effectivement son droit à congé et en cas de contestation de justifier qu'il a accompli à cette fin les diligences qui lui incombent légalement.

Il résulte du bulletin de salaire de février 2018 que M. [T] bénéficiait à cette date d'un solde de congés payés à prendre de 18,72 jours, étant rappelé qu'en application de l'article L. 3141-12 du code du travail, les congés payés peuvent être pris dès l'embauche.

La société Twin Jet, qui se limite à opposer que le salarié ne justifie pas que son employeur lui aurait refusé des demandes de congés, ne rapporte pas la preuve qui pèse sur elle qu'elle a mis le salarié en mesure d'exercer effectivement son droit à congé.

Au demeurant, M. [T] produit un courriel que lui a adressé Mme [J], Grount Operations Manager, le 9 janvier 2018, en ces termes :

« Bonjour [R],

Suite à notre conversation téléphonique, j'accuse réception de ton arrêt de travail et de ta demande de congés.

Je n'ai pas encore reçu l'arrêt de travail original mais tu m'as confirmée l'avoir envoyé par courrier, donc je devrais le recevoir prochainement.

Concernant les congés, j'ai bien compris que tu en avais besoin moralement et physiquement.

Néanmoins, compte tenu de notre exploitation, il est très difficile d'accorder des congés hors période de délestage.

De plus, les 10 jours cumulés pendant la période de janvier 2017 à mai 2017 ont été pris au mois d'août, ce qui signifie que ta demande est une demande de congés par anticipation.

Je vais donc étudier ta demande en sachant que sur la période demandée, la priorité pour toi reste la première semaine, soit du 17 au 25 février, la totalité me semble impossible.

Je te tiens au courant le plus rapidement possible afin que tu puisses t'organiser.

En te remerciant de ta compréhension

Bien à toi » (pièce 5 du salarié).

Il justifie, ce faisant, des difficultés opposées par la société pour lui accorder des congés.

Ce manquement de l'employeur ouvre droit, au profit de M. [T], à la réparation du préjudice qui en est résulté et qui sera évalué, au regard des circonstances rappelées précédemment et du poste de pilote occupé, à la somme de 1 000 euros.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Sur les intérêts moratoires

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation pour les créances contractuelles, soit en l'espèce à compter du 7 mai 2019, et à compter de la décision, qui en fixe le principe et le montant, pour les créances indemnitaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société Twin Jet, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [T] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 3 000 euros, soit 1 000 euros pour la première instance et 2 000 euros pour la procédure d'appel.

La société Twin Jet sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Poissy le 7 janvier 2020, excepté en ce qu'il a débouté la SAS Twin Jet de sa demande de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations contractuelles correspondant à 15 074 euros au titre de la prise en charge exceptionnelle de la formation d'un nouveau pilote, 973,84 euros au titre des frais de déplacement de pilotes détachés sur la base de Metz, 3 289 euros au titre des frais d'équipages liés au recours de pilotes sur la base de Metz, 5 955 euros au titre de la perte d'exploitation pour absence de commandant, 1 300 euros attachés au coût d'exploitation directe relatifs aux heures de vol effectuées dans le cadre de la formation obligatoire « EHL/CHL » d'un nouveau pilote, et en ce qu'il a condamné la SAS Twin Jet à payer à M. [R] [T] la somme de 5 088,36 euros brut à titre de rappel de salaire du mois de mars 2018,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que M. [R] [T] a démissionné le 26 janvier 2018 et qu'il a été dispensé d'exécuter son préavis par la SAS Twin Jet à compter du 2 mars 2018,

DÉBOUTE la SAS Twin Jet de ses demandes contraires, à savoir 25 000 euros à titre de dommages-intérêts pour brusque rupture des relations contractuelles correspondant à :

. 15 074 euros au titre de la prise en charge exceptionnelle de la formation d'un nouveau pilote,

. 973,84 euros au titre des frais de déplacement de pilotes détachés sur la base de [Localité 5],

. 3 289 euros au titre des frais d'équipages liés au recours de pilotes sur la base de [Localité 5],

. 5 955 euros au titre de la perte d'exploitation pour absence de commandant,

. 1 300 euros attachés au coût d'exploitation directe relatifs aux heures de vol effectuées dans le cadre de la formation obligatoire « EHL/CHL » d'un nouveau pilote,

DÉBOUTE la SAS Twin Jet de sa demande au titre de l'exécution fautive du contrat de travail par le salarié,

CONDAMNE la SAS Twin Jet à payer à M. [R] [T] la somme de 500 euros pour rétention illégale du salaire,

CONDAMNE la SAS Twin Jet à payer à M. [R] [T] la somme de 1 000 euros pour non-respect du droit à congé,

CONDAMNE la SAS Twin Jet à payer à M. [R] [T] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation, soit le 7 mai 2019 sur les créances contractuelles et à compter de la décision en fixant le principe et le montant sur les créances indemnitaires,

CONDAMNE la SAS Twin Jet au paiement des entiers dépens,

CONDAMNE SAS Twin Jet à payer à M. [R] [T] une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la SAS Twin Jet de sa demande présentée sur le même fondement.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine Bolteau-Serre, présidente, et par Mme Domitille Gosselin, greffière en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE EN PRÉ-AFFECTATION, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00311
Date de la décision : 19/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-19;20.00311 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award