COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88D
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 JANVIER 2023
N° RG 21/03434
N° Portalis
DBV3-V-B7F-U3BI
AFFAIRE :
Etablissement Public CENTRE HOSPITALIER [5]
C/
[M] [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 Octobre 2021 par le Pole social du TJ de Pontoise
N° RG : 20/00281
Copies exécutoires délivrées à :
la SELARL LM AVOCATS
la SELARL WIBLAW
Copies certifiées conformes délivrées à :
Etablissement Public CENTRE
HOSPITALIER [5]
[M] [V]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Etablissement Public CENTRE HOSPITALIER [5]
Prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Katell FERCHAUX-LALLEMENT de la SELARL LM AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 629 - N° du dossier 20210372 substituée par Me Hugues LE GALL, avocat au barreau de PARIS - N° du dossier 20210372
APPELANTE
****************
Monsieur [M] [V]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représenté par Me François WIBAUT de la SELARL WIBLAW, avocat au barreau de LILLE, vestiaire : 0330 - N° du dossier 2319047
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 10 Novembre 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Clémence VICTORIA, greffière placée
EXPOSÉ DU LITIGE
Exerçant les fonctions de praticien hospitalier au Centre hospitalier [5] (le centre hospitalier), M. [M] [V] a, le 27 décembre 2019, sollicité auprès de ce dernier le paiement d'une somme de 3 861,13 euros correspondant au remboursement des cotisations sociales prélevées, à tort, sur sa rémunération au titre du temps de travail additionnel pour les années 2007 à 2012.
Le centre hospitalier ayant rejeté cette demande comme étant prescrite, l'intéressée a saisi d'un recours le tribunal judiciaire de Pontoise.
Par jugement du 29 octobre 2021, ce tribunal a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :
- dit que la créance invoquée par M. [V] n'est pas prescrite ;
- condamné le centre hospitalier à payer à l'intéressé la somme de 3 861,13 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2019 ;
- ordonné la capitalisation par année entière des intérêts dus par le centre hospitalier conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du code civil ;
- rejeté la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive ;
- condamné le centre hospitalier à payer à M. [V] la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné le centre hospitalier aux dépens.
Le centre hospitalier a relevé appel de jugement.
L'affaire a été plaidée à l'audience du 10 novembre 2022.
Les parties ont comparu, représentées par leur avocat.
A l'audience, elles précisent que le litige concerne exclusivement les modalités de mise en oeuvre de la prescription quadriennale prévue par loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.
Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, le centre hospitalier excipe de la prescription de la créance de M. [V], en application de la loi susvisée.
Il considère que la décision du Conseil d'Etat du 2 février 2015 invoquée par l'intéressé est sans incidence sur le point de départ de la prescription, car nul n'est censé ignorer la loi et que rien n'empêchait M. [V] de se prévaloir, dès la date des prélèvements indus, des dispositions de la loi TEPA, ordre normatif supérieur au règlement réduisant illégalement son accès au dispositif d'exonération.
Il ajoute que même en adoptant la thèse défendue par M. [V], sa créance est prescrite puisque le délai a commencé à courir le 2 février 2015, et qu'il était donc expiré le 2 février 2019.
Par conclusions écrites déposées et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [V] sollicite la confirmation du jugement entrepris.
Il soutient que la rémunération qui lui a été allouée en contrepartie du temps de travail additionnel aurait dû être exonérée de cotisations sociales, que sa créance est née de la reconnaissance par les juridictions françaises de la non-conformité du décret n° 2007-1430 du 4 octobre 2007 à la Constitution, comme méconnaissant la hiérarchie des normes, non-conformité intervenue le 2 février 2015 à la faveur d'une décision du Conseil d'Etat, et que tant que l'article 1er dudit décret était applicable, les praticiens hospitaliers, exclus du dispositif de faveur institué par l'article L. 241-17 du code de la sécurité sociale, ne pouvaient se prévaloir du bénéfice de l'exonération des cotisations salariales sur la rémunération perçue au titre du temps de travail additionnel.
M. [V] en déduit que jusqu'à la décision du 2 février 2015, il devait être regardé comme ignorant l'existence de sa créance, l'administration lui ayant, au surplus, dissimulé sa situation juridique.
Il considère que le terme du délai quadriennal de prescription doit être fixé au 31 décembre 2019, de sorte que sa demande en paiement notifiée le 30 décembre 2019 au centre hospitalier a valablement interrompu, avant son terme, le délai en question.
A titre subsidiaire, il fait valoir que le centre hospitalier n'a pas compétence pour lui opposer la prescription quadriennale, seul le directeur général ou la personne qu'il a déléguée à cet effet ayant qualité pour le faire. Il conclut, le cas échéant, à la confirmation du jugement par substitution de motif.
Concernant les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, chaque partie sollicite l'octroi d'une somme de 3 000 euros.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il sera observé, en préambule, que le jugement entrepris a exactement été qualifié en premier ressort, le tribunal ayant été saisi de demandes en remboursement d'une fraction des cotisations sociales d'un montant de 3 861,13 euros et de dommages-intérêts pour résistance abusive d'un montant de 1 500 euros, soit un montant total des prétentions excédant le taux de compétence en dernier ressort fixé par l'article R. 211-3-24 du code de l'organisation judiciaire.
De même, n'est pas discutée la compétence du juge de la sécurité sociale pour connaître du présent litige, le critère de la compétence des juridictions de sécurité sociale étant, en ce qui concerne les agents publics, lié non à la qualité des personnes en cause, mais à la nature même du différend (CE, 29 novembre 2004, n° 267988) ; cette compétence doit être retenue, en particulier, pour les demandes tendant au remboursement d'un trop perçu de la part salariale des cotisations sociales (CE, 20 juillet 2007, n° 290598)
*
Selon l'article 1er de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics, le point de départ de la prescription quadriennale est le premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle s'est produit le fait générateur du dommage allégué.
Selon l'article 3 de cette même loi, la prescription ne court pas contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance.
Il résulte de ces textes, tels qu'interprétés par le Conseil d'Etat, d'une part, que pour l'application du premier, le fait générateur de la créance court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle les services accomplis par l'agent public auraient dû être rémunérés, y compris lorsque le litige porte sur un prélèvement indu, à la condition qu'à cette date, l'étendue de cette créance puisse être mesurée (CE, 1er juillet 2019, n° 413995), d'autre part, que pour l'application du second, une interprétation erronée des textes par l'administration n'est pas constitutive d'une ignorance légitime (CE, 2 décembre 1991, n° 86674, aux Tables ; 20 mai 1994, n° 143680, au Recueil, 31 janvier 1996, n° 138724 et 145215, aux Tables), peu important que cette interprétation ait été ultérieurement infirmée par une décision juridictionnelle (CE, 5 décembre 2005, n° 278183, aux Tables). Il en va différemment lorsque l'illégalité repose sur un défaut d'information (CE, 19 novembre 2013, n° 352615, au Recueil ; 16 juillet 2014, n° 361570), lorsque des éléments de fait nécessaires à l'examen de sa situation juridique ont été dissimulés à l'intéressé (CE, 18 février 1994, n° 87726, aux Tables) ou plus généralement, lorsque l'illégalité procède d'un comportement manifestement fautif de l'administration (CE, 16 novembre 2005, n° 262360).
En l'occurrence, la loi n° 2007-1223 du 21 août 2007 dite « loi TEPA » a introduit un régime d'exonération des heures supplémentaires resté en vigueur jusqu'à la loi de finances rectificative n° 2012-958 du 16 août 2012. L'article L. 241-17, I, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue de cette loi, énonce que toute heure supplémentaire ou complémentaire ou toute autre durée de travail effectuée, lorsque la rémunération entre dans le champ d'application du I de l'article 81 quater du code général des impôts, ouvre droit, dans les conditions et limites fixées par cet article, à une réduction de cotisations salariales de sécurité sociale.
L'article 81 quater du code général des impôts prévoyait que ce régime d'exonération s'appliquait aux heures supplémentaires effectuées par les « agents publics titulaires ou non titulaires », selon des modalités prévues par décret. Or, en ne mentionnant pas, parmi les éléments de rémunération exonérés, les indemnités versées aux praticiens hospitaliers au titre de leur temps de travail additionnel, le décret n° 2007-1430 du 4 octobre 2007, pris pour l'application de la loi TEPA, avait limité le champ d'application de celle-ci.
Le 2 février 2015 (n° 373259), le Conseil d'Etat a approuvé une cour administrative d'appel ayant jugé que les dispositions du 5° du I de l'article 81 quater du code général des impôts n'avaient renvoyé au pouvoir réglementaire que les seules modalités d'exonération des éléments de rémunération versés aux agents publics titulaires ou non titulaires au titre des heures supplémentaires qu'ils réalisaient ou de leur temps de travail additionnel effectif, de sorte que le champ d'application de cette exonération, dans lequel le législateur avait compris l'ensemble des agents publics titulaires ou non titulaires, y compris les praticiens hospitaliers, ne pouvait être restreint par décret.
En l'espèce, M. [V] ne peut être légitimement regardé comme ignorant, jusqu'à la date du 2 février 2015, l'existence de la créance qu'il était susceptible de détenir sur le centre hospitalier ; en effet, il lui était loisible, bien avant l'intervention de la décision susvisée, de soulever l'illégalité des dispositions réglementaires en cause, qui préexistait à ladite décision et que celle-ci n'a fait que constater, et de présenter une demande en remboursement des cotisations indûment prélevées sur sa rémunération. De même, il ne peut être déduit des divergences jurisprudentielles auxquelles le Conseil d'Etat a mis finl e 2 février 2015 que M. [V] pouvait, jusqu'à cette date, se prévaloir d'une ignorance légitime de nature à reporter le point de départ du délai de prescription. En effet, les termes de la loi étaient suffisamment clairs et précis pour fonder, à eux seuls, une contestation de la part de l'intéressé.
Enfin, contrairement à ce que soutient ce dernier, les mentions contenues dans les bulletins de paie ne traduisent aucune volonté de dissimulation de la part du centre hospitalier, lequel s'était borné à appliquer le décret frappé d'illégalité. Comme le relève à juste titre le centre hospitalier, M. [V] était en mesure, sur la base des indications portées sur ses bulletins de paie, non seulement de vérifier l'existence de sa créance, mais encore, d'en calculer le montant.
Dès lors, aucune ignorance légitime n'est caractérisée au sens de l'article 3 de la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968.
L'intéressé ayant réclamé, le 27 décembre 2019, le paiement des cotisations sociales prélevées sur la rémunération qui lui a été versée entre 2007 et 2012 en contrepartie du temps additionnel, une telle demande apparaît irrecevable comme étant prescrite.
Concernant le moyen soulevé à titre subsidiaire par M. [V], il convient de relever que le Conseil d'Etat est revenu sur sa jurisprudence antérieure selon laquelle l'exception de prescription ne pouvait être invoquée que par l'autorité compétente (CE, 17 mai 1974, n° 86137), sauf régularisation avant la date de lecture du jugement (CE, 24 juillet 2009, n° 311318). La loi du 31 décembre 1968 ne définit pas l'autorité compétente pour opposer la prescription, et c'est forts de ce constat que la Cour de cassation (2e Civ., 23 avril 1986, n° 84-15.244, Bull. II n° 60 ; 3e Civ., 19 janvier 2011, n° 09-17.032, Bull. III, n° 10), puis le Conseil d'Etat (CE, 5 décembre 2014, n° 359769), ont considéré que l'avocat, à qui l'administration donne pouvoir de la représenter devant les tribunaux, est habilité à opposer toute fin de non-recevoir et en particulier, l'exception de prescription quadriennale.
Il s'ensuit que le moyen soulevé par M. [V] est inopérant.
Le jugement entrepris sera infirmé, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts, ce chef de dispositif n'étant pas critiqué, et l'intéressé sera déclaré irrecevable en sa demande en paiement de la somme de 3 861,13 euros.
M. [V], qui succombe, sera condamné aux dépens exposés tant devant le tribunal judiciaire de Pontoise que devant la cour d'appel de céans.
Compte tenu de la nature du litige, il n'est pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles en marge des dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :
Statuant dans les limites du litige ;
INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts pour résistance abusive formée par M. [M] [V] ;
Statuant à nouveau sur les points réformés ;
Déclare irrecevable comme étant prescrite la demande de M. [M] [V] visant à la condamnation du Centre hospitalier [5] à lui rembourser les cotisations sociales indûment prélevées sur sa rémunération au titre du temps de travail additionnel pour les années 2007 à 2012 ;
Rejette le moyen tiré de l'absence de qualité du Centre hospitalier [5] pour opposer la prescription quadriennale ;
Condamne M. [M] [V] aux dépens exposés tant devant le tribunal judiciaire de Pontoise que devant la cour d'appel de céans ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Présidente, et par Madame Dévi POUNIANDY Greffière, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,