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12/01/2023 | FRANCE | N°20/00039

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 12 janvier 2023, 20/00039


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80B



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 12 JANVIER 2023



N° RG 20/00039

N° Portalis DBV3-V-B7E-TVQ6



AFFAIRE :



[Y] [H]



C/



SAS CARGLASS





























Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départa

ge de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : 17/00913







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Carole MESSECA



Me Jérôme WATRELOT



le :



Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi

le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DOUZE JANVIER D...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80B

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 12 JANVIER 2023

N° RG 20/00039

N° Portalis DBV3-V-B7E-TVQ6

AFFAIRE :

[Y] [H]

C/

SAS CARGLASS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de NANTERRE

N° Section : C

N° RG : 17/00913

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Carole MESSECA

Me Jérôme WATRELOT

le :

Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Y] [H]

née le 20 juillet 1982 à [Localité 6] (CAMEROUN)

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Carole MESSECA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1157

APPELANTE

****************

SAS CARGLASS

N° SIRET : 425 050 556

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Juliette POUYET de la SCP SELCA CHASSANY WATRELOT ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS vestiaire : K0100 et Me Jérôme WATRELOT substitué par Me François LIVERNET D'ANGELIS de la SELCA CHASSANY WATRELOT ET ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 novembre 2022, Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier placé lors des débats : Virginie BARCZUK

Greffier en pré-affectation lors du prononcé : Domitille GOSSELIN

Vu le jugement du 18 novembre 2019 du conseil de prud'hommes de Nanterre,

Vu la déclaration d'appel de Mme [Y] [H] du 3 janvier 2020,

Vu les conclusions de Mme [Y] [H] du 25 juin 2020,

Vu les conclusions de la société Carglass du 25 septembre 2020,

Vu l'ordonnance de clôture du 19 octobre 2022.

EXPOSE DU LITIGE

La société Carglass ' dont le siège social se situe [Adresse 1] ' est spécialisée dans l'entretien et la réparation de véhicules automobiles. Elle emploie plus de dix salariés.

La société Carglass est la filiale française du groupe Belron appartenant au groupe international D'Ieteren d'origine belge composé de deux activités distinctes, la distribution de véhicules relevant de la société d'Ieteren auto et la réparation et le remplacement de vitrage de véhicules assurée par le groupe Belron.

La convention collective applicable est celle du commerce et de la réparation de l'automobile, du cycle et du motocycle et des activités connexes, ainsi que du contrôle technique automobile du 15 janvier 1981.

Mme [Y] [H], née le 20 juillet 1982, a été engagée par la société Carglass selon contrat de travail à durée déterminée à compter du 15 juillet 2002 en qualité de téléconseillère.

La relation de travail s'est poursuivie selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 13 septembre 2002.

Mme [H] occupait en dernier lieu les fonctions de chargée d'assistance front et back office de l'établissement situé à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine.

Le 25 novembre 2015 la société Carglass a présenté un projet de licenciement économique collectif et un plan de sauvegarde de l'emploi accompagnant le projet de réorganisation du centre d'appels de [Localité 5] et les conséquences de la suppression de l'activité Omty au comité d'entreprise et aux organisations syndicales.

Le projet de licenciement économique collectif prévoyait la suppression de 35 postes et la modification de 27 contrats de travail au sein des établissements situés à [Localité 5] et [Localité 4].

Le 23 février 2016, le comité d'entreprise de la société Carglass a donné un avis favorable au projet de licenciement.

Le 24 février 2016, un accord collectif portant sur le plan de sauvegarde de l'emploi a été signé à l'unanimité des organisations syndicales représentatives.

Par courrier du 27 avril 2016, la société Carglass a notifié à Mme [H] son licenciement pour motif économique dans les termes suivants :

' Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour motif économique en raison de la suppression de votre emploi consécutive à la réorganisation de notre société visant à assurer la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité du groupe Belron auquel elle appartient et de l'impossibilité de procéder à votre reclassement.

Nous vous rappelons ci-dessous le motif économique nous ayant conduit à mettre en 'uvre cette procédure :

CARGLASS appartient au secteur d'activité de la Réparation et du Remplacement de Vitrage Automobile (RRVA) du Groupe BELRON, dont les résultats ont connu une forte dégradation au cours des dernie'res années en raison de la décroissance globale du marché du bris de glace.

Au niveau du Groupe BELRON, alors que les ventes sont restées stables entre 2011 et 2014, le résultat opérationnel courant a ainsi chuté de 45 % en 3 ans et de 16,3 % entre 2013 et 2014. Cette diminution du résultat opérationnel étant plus fortement marquée au niveau des pays européens dits matures (notamment diminution du résultat opérationnel de ' 126 % en Angleterre, - 70 % aux Pays-Bas et ' 14 % en Allemagne, entre 2010 et 2014).

En France, au niveau de CARGLASS, les ventes ont, pour leur part, diminué de 4 % entre 2011 et 2014, tandis que le résultat opérationnel a chuté de 32 % et le résultat net fiscal de près de 58 % sur la même période. S'agissant de la seule activité OMTY, celle-ci est en déficit et en décroissance constante depuis 2011 (diminution de plus de la moitié du chiffre d'affaires depuis 2011), sans que les actions engagées n'aient permis un retour à l'équilibre.

Cette dégradation des résultats est liée aux menaces pesant sur le marché du bris de glace, en raison notamment :

- d'une diminution structurelle de la fréquence des bris de glace impactant à la baisse le marché mondial (- 6 millions de réparations réalisées entre 2008 et 2013), du fait de différents facteurs (diminution des distances parcourues, réduction des vitesses de circulation, amélioration de l'état des routes, migration vers des véhicules plus petits), au niveau du marché français, associée à la stabilité du parc roulant automobile, la baisse de fréquence des bris de glace engendre une baisse moyenne de 5 % par an (entre 2010 et 2013) et les projections tablent sur une nouvelle régression du bris de glace jusqu'en 2018 ;

- d'une intensification de la concurrence, liée au développement d'une multitude d'acteurs et à l'apparition de nouveaux concurrents, tirant les prix vers le bas, ce qui rend plus difficile le positionnement des sociétés du Groupe BELRON, dont CARGLASS, qui se différencient en tant qu'« acteur premium ».

Cette baisse du marché de bris de glace en volume, couplée à l'intensification de la concurrence, oblige par conséquent CARGLASS à s'adapter et à continuellement renforcer sa position de valeur aux fins de contrer la dégradation des résultats.

Pour pallier ce contexte de marché difficile, une stratégie offensive de développement a été ainsi mise en 'uvre afin d'augmenter le nombre de centres de pose pour renforcer la proximité avec le client et gagner des parts de marché. CARGLASS fait face à un paradoxe de marché qui l'oblige à augmenter sa couverture territoriale pour conserver le même volume de ventes.

Cette stratégie implique d'importants investissements, qui ne peuvent être réalisés via les seules mesures d'optimisation mises en 'uvre au cours des dernières années pour réduire les coûts et pour augmenter le chiffre d'affaires. Des efforts supplémentaires sont nécessaires pour financer le plan de développement de CARGLASS et procéder aux mesures de réorganisation indispensables à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité auquel elle appartient.

C'est dans ce contexte qu'il a en conséquence été décidé :

- d'une part, de réorganiser le centre d'appels de [Localité 5] de CARGLASS, confronté à une hausse de ses coûts de fonctionnement et à une sous-activité des chargés d'assistance en raison de la baisse du ratio opportunité sur contact et de l'évolution technologique liée au BOL, aux fins de regrouper l'ensemble des activités d'appel sur le site de [Localité 7], de mutualiser les ressources, conserver l'expertise et optimiser ses coûts ;

- d'autre part, d'arrêter « l'activité OMTY », qui est structurellement déficitaire depuis 2011 malgré les actions engagées tant sur le niveau du chiffre d'affaires que sur la maîtrise des coûts. Les pertes accumulées, l'absence de perspective de développement de cette activité et l'échec de son plan de relance, impliquent de cesser cette activité afin de contribuer à la sauvegarde de la compétitivité du secteur d'activité', menacé par les déficits constants impactant l'activité OMTY depuis 2011.

Cette réorganisation a malheureusement pour conséquence au niveau de l'établissement de [Localité 5] et du site d'[Localité 4], la suppression de 35 postes et la modification de 27 contrats de travail pour motif économique ; 1 poste étant créé à [Localité 4].

En application des dispositions des articles L. 2323-31 et L.1233.-30 et suivants du code du travail, le comité d'entreprise, assisté par le cabinet Syndex, tout au long de la procédure, a été informé et consulté sur l'opération projetée et ses modalités d'application (livre II), ainsi que sur le projet de licenciement économique de sauvegarde de l'emploi (livre I).

Des négociations parallèles ont été menées avec les organisations syndicales, aux termes desquelles l'entreprise et ses organisations syndicales sont parvenues, le 24 février 2016, après avis favorable du comité d'entreprise et du CHSCT, à la conclusion d'un accord collectif majoritaire portant PSE (ci-après l'accord PSE).

Afin d'étendre les possibilités de reclassement interne illimité des départs contraints, l'accord PSE, validé par décision de la DIRECCTE du 11 mars 2016, prévoit la possibilité pour chaque salarié appartenant à une catégorie professionnelle comportant une modification du contrat de travail d'être mobile sur [Localité 7] (la phase de mobilité) et un dispositif de volontariat, permettant des départs volontaires en vue de la réalisation d'un projet professionnel (le volontariat au départ).

- Conformément aux dispositions de l'accord PSE, vous avez été informée de ces dispositifs et avez refusé la proposition de modification de votre contrat de travail à [Localité 7].

La phase de volontariat n'a pas permis par ailleurs de réaliser les suppressions de postes et les modifications de contrat de travail recherché au sein de la catégorie professionnelle 1 dont relève votre poste de chargé d'assistance senior ce qui nous a contraint à envisager votre licenciement pour motif économique en application des critères d'ordre de licenciement définis par l'accord PSE.

Étant contraints d'envisager votre licenciement pour motif économique nous avons procédé à une étude de l'ensemble des possibilités de reclassement interne envisageable au sein de notre entreprise et des autres sociétés du groupe.

À cette fin la société vous a adressé un questionnaire de mobilité à l'étranger pour savoir si vous acceptiez de recevoir des offres de reclassement hors territoire national et, le cas échéant que vous nous précisiez dans ce cadre les éventuelles restrictions quant aux caractéristiques de ces emplois.

Dans la mesure où vous n'avez pas souhaité recevoir d'offres de reclassement à l'étranger, nous avons procédé aux recherches de reclassement interne possible en France.

Vous n'avez cependant pas souhaité accepter les offres fermes de reclassement que nous avons faites par courrier en date du 16 mars 2016 et du 11 avril 2016 sur les postes d'assistants de centre en CDI et CDD, chargé assistance front et back office, conseiller clientèle, référent vitrage, chargé de qualité, chargé d'assistance équipe privilège, chargé de response delay, chargé de la prise en charge et de facturation, gestionnaire service consommateur, chargé de relation clients internationaux.

Nous n'avons pu identifier d'autres postes susceptibles de vous être proposés à titre de reclassement interne en France.

Nous sommes contraints par voie de conséquence de vous notifier par la présente votre licenciement pour motif économique. [']'

Suivent les précisions sur divers points :

- possibilité d'adhérer aux congés de reclassement et préavis

- possibilité de bénéficier d'une priorité de réembauchage

- possibilité de bénéficier d'un maintien des régimes de prévoyance les 'incapacités-invalidité-décès' et 'frais de santé' en cas de prise en charge par l'assurance-chômage ('dispositif de portabilité')

- formalités liées à la rupture du contrat de travail.

Par requête reçue au greffe le 11 avril 2017, Mme [H] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement pour motif économique et de constater le non-respect de l'obligation de reclassement.

La société Carglass a,quant à elle, conclu au débouté des demandes de Mme [H].

A l'issue de l'audience du 10 juillet 2018, le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre s'est mis en partage de voix.

Par jugement rendu le 18 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre, en sa formation de départage, a :

- dit que le licenciement pour motif économique de Mme [H] est fondé,

- débouté Mme [H] de toutes ses demandes,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- dit que chacune des parties supportera la charge de ses frais de procédure,

- condamné Mme [H] aux dépens.

 

Mme [H] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 3 janvier 2020.

 

Aux termes de ses conclusions en date du 25 juin 2020, Mme [Y] [H] demande à la cour de :

- dire et juger recevable et bien-fondé Mme [H] en ses fins, demandes et conclusions,

Y faisant droit,

- réformer le jugement entrepris,

- condamner la société Carglass à payer à Mme [H] la somme suivante :

. 40 968 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal et anatocisme à compter de la saisine du conseil de prud'hommes de Nanterre,

- lui allouer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Carglass en tous les dépens.

 

Aux termes de ses conclusions en date du 25 septembre 2020, la société Carglass demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a reconnu le bien-fondé du licenciement de l'appelant,

Et statuant à nouveau,

Sur le licenciement,

A titre principal :

- débouter l'appelant de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

A titre subsidiaire :

- limiter le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse aux salaires des 6 derniers mois,

En tout état de cause,

- condamner l'appelant au paiement de la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ce dans le cadre du litige en appel,

- condamner l'appelant aux dépens de première instance et d'appel.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1- sur le motif économique

La salariée soutient que la mesure de licenciement est gouvernée par la recherche de plus de profits donc un critère financier et non la sauvegarde de la compétitivité du secteur, critère économique, que les éléments très partiels transmis par la société Carglass ne sont pas de nature à matérialiser une menace réelle sur sa compétitivité mais témoigneraient de la mise en 'uvre d'une logique d'économie, comme l'a jugé l'inspection du travail saisie du licenciement économique d'une salariée protégée. La salariée indique ainsi que la société Carglass ne verse aux débats aucun document comptable, que le rapport Syndex communiqué par la société Carglass démontre que cette dernière ne jouait pas sa survie et que même son taux de profitabilité était déjà en 2015 très élevé.

L'employeur fait valoir au contraire que c'est au niveau du secteur d'activité de la réparation du remplacement de vitrage de véhicules (RRVV) du groupe Belron que doit être apprécié le motif économique invoqué par Carglass, que le motif économique mentionné dans la lettre de licenciement est fondé sur la nécessité de réorganiser l'entreprise afin de sauvegarder la compétitivité du secteur d'activité RRVV. Il indique notamment que les menaces pesant sur l'activité au niveau du groupe sont précisément identifiées, le groupe étant confronté à des difficultés structurelles liées à l'évolution du marché du bris de glace résultant principalement d'une baisse de la demande s'accompagnant d'une intensification de la concurrence.

Il sera observé préalablement que le licenciement de Mme [H], comme celui des neuf autres salariés ayant interjeté appel des décisions du conseil de prud'hommes de Nanterre les ayant déboutés de leurs demandes respectives au titre d'un licenciement économique qu'ils considéraient sans cause réelle et sérieuse, se place dans le cadre de la suppression du centre d'appels de Courbevoie au sein duquel travaillaient tant Mme [H] que les neuf autres salariés.

De même, 'l'activité OMTY' mentionnée dans la lettre de licenciement pour motif économique concerne la société OMTY, entité juridique distincte de Carglass, qui a pour activité l'achat, la mise à disposition et la distribution de vitrage pour bus et autocars (p.7 pièce n°1.2 Carglass).

En outre, le licenciement économique a été prononcé le 2 mai 2016, soit antérieurement à la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 et aux ordonnances n°2017-1387 du 22 septembre 2017 et n°2017-1718 du 20 décembre 2017, ayant modifié la disposition relative à la définition du motif économique.

Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, dans sa version applicable à la présente espèce, 'constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par la salariée, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques [...]'

Antérieurement aux réformes rappelées ci-dessus, la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà consacré la réorganisation comme motif autonome de licenciement quelle qu'en soit la cause (difficultés économiques/mutations technologiques/nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise), considérant notamment que la réorganisation, si elle n'est pas justifiée par des difficultés économiques ou par des mutations technologiques, doit être indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

La seule sauvegarde de la compétitivité (sans avoir à justifier de difficultés économiques ou de mutations technologiques) peut ainsi légitimer une réorganisation et constituer un motif économique autonome.

Pour l'appréciation du bien-fondé du motif économique du licenciement tiré d'une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité pour un licenciement économique antérieur aux textes susvisés, il appartient au juge de vérifier l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe dont relève l'entreprise, ainsi que la nécessité de prendre des mesures d'anticipation afin de préserver l'emploi.

La réorganisation destinée à sauvegarder la compétitivité n'implique pas l'existence de difficultés économiques actuelles. Elle implique l'existence d'une menace sur la compétitivité du secteur d'activité du groupe nécessitant une anticipation des risques notamment sur l'emploi et le cas échéant, des difficultés à venir.

Cependant, l'employeur, qui justifie d'une réorganisation nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité de son entreprise, est seul maître du choix de la solution qui lui apparaît la meilleure pour assurer cette sauvegarde. Il n'appartient pas au juge de contrôler le choix effectué par l'employeur.

En l'espèce, si l'employeur rappelle dans ses écritures que la menace sur la compétitivité dans le secteur d'activité de la réparation du remplacement de vitrage de véhicules doit s'apprécier au niveau du groupe Belron et non de la société Carglass, il convient de constater que tant la lettre de licenciement que les pièces produites relatives à l'information sur le projet de licenciement économique font état également d'une menace sur la compétitivité de la société Carglass sur ledit secteur d'activité (p. 20,22 pièce n°1.2).

Ces éléments concernant la société Carglass sont repris par l'expert-comptable Syndex dans son rapport auprès du comité d'entreprise de février 2016 (pièce Carglass n°1.18). Il fait état de résultats de la société Carglass qui, selon le rapport, 'contrairement à ce qui est indiqué dans le livre 2 du PSE', ne se dégradent pas, l'employeur analysant de façon 'erronée et déloyale' une baisse du résultat opérationnel et du pourcentage de ce résultat par rapport au chiffre d'affaires, qui serait due, de fait, à un 'changement de périmètre', à la 'réintégration des coûts IT dans les charges overload et donc au-dessus du trading profit' et au 'passage d'une prestation groupe payée dans les fees à des coûts pris en direct par Carglass France'.

L'expert-comptable note également que le chiffre d'affaire 2015 de Carglass est en croissance, au-dessus de la moyenne des 4 dernières années, que les résultats sont particulièrement bons : près de 54 millions d'euros de résultat opérationnel, une profitabilité de plus de 13,5%, résultats dopés par un produit exceptionnel lié à un nettoyage de compte de 2,6 millions d'euros.

Le rapport Syndex mentionne également que les performances du groupe d'Ieteren auquel appartient le groupe Belron dont dépend la société Carglass est en nette amélioration pour le premier semestre 2015, et notamment le groupe Belron pour l'activité de la réparation du remplacement de vitrage de véhicules (RRVV).

Ces observations ne sont pas contredites par les seuls documents produits concernant le groupe Belron : les communiqués de presse des résultats des exercices 2014 et 2015 (pièces n°1.14 et 1.15). En effet, il est mentionné une augmentation de 13,2% des ventes du groupe Belron pour l'année 2015 (2 792,6 millions d'euros en 2014/ 3 161,2 millions d'euros en 2015), de 11,5% par an pour le groupe Belron en 2015 pour le résultat consolidé avant impôts.

Au sein du groupe Belron, leader mondial du secteur d'activité de la réparation et du remplacement de vitrage (p.20 rapport Syndex), la part de la société Carglass, selon ce rapport dans le résultat opérationnel n'a cessé de progresser de 27,8 % en 2011 à 34 % 2014. Il est indiqué ainsi que par salarié en 2014,'le résultat opérationnel était à peu près de 5,5 K euros sur le groupe pour 25,8 K euros en France'.

Les éléments mis en avant pour justifier la menace sur la compétitivité du groupe Belron et de la société Carglass dans le secteur d'activité de la RRVV sont les suivants :

- une diminution structurelle de la fréquence de bris de glace : diminution de la distance parcourue par les véhicules, réduction des vitesses de circulation, amélioration de l'état des routes, migration vers des véhicules de plus petite taille,

- la concurrence accrue sur le marché de la réparation et du remplacement de vitrage de véhicules.

Cependant, la diminution de la fréquence des bris de glace pour les raisons invoquées s'applique à tous les acteurs du secteur d'activité de la réparation et du remplacement de vitrage de véhicules, de sorte que ces facteurs sont insuffisants pour justifier l'existence d'une menace sur la compétitivité du groupe Belron et de la société Carglass France (pièce n°1.19 Carglass : 'Conjoncture Belron').

S'agissant d'une concurrence accrue, l'employeur fait valoir que le développement du nombre d'acteurs concurrents intervenant sur le bris de glace tire les prix vers le bas au détriment des entités du groupe Belron. Néanmoins il n'explique pas en quoi sa compétitivité serait menacée et ce, de manière effective, alors que dans le même temps il affirme se positionner comme un acteur premium en se différenciant du positionnement de ses concurrents par la volonté de réparer le bris de glace plutôt que de remplacer le vitrage pour plusieurs raisons qu'elle cite et en investissant, contrairement aux concurrents, dans des produits et services innovants (p.19 pièce n° 1.2).

Face à la concurrence, la société Carglass a su réagir et mettre en oeuvre les mesures nécessaires qui ont eu un impact sur ses parts de marché comme l'indique le rapport Syndex (p.71 à 73).

De même, il résulte des termes de la note d'information (pièce n°12) et du rapport Syndex que la société Carglass se revendique et est toujours leader en France dans le secteur d'activité de la réparation et du remplacement de vitrage de véhicules.

Ainsi, le rapport Syndex confirme que si le marché de la réparation et du remplacement de vitrage est en baisse depuis 2012, 'Carglass France a fait mieux que maintenir ses parts de marché sur cette période avec même en 2015 une croissance de son volume sur un marché en baisse de 2 %[...]. Carglass France leader du marché dispose d'atouts en tant que spécialiste avec une notoriété, une capillarité territoriale, une surface de stockage et d'action permettant une réactivité, une qualité de service et une base forte de profitabilité. ['] La concurrence accrue sur cette niche oblige à investir plus commercialement et qualitativement et débouche nécessairement sur des conditions de valorisation nettes des efforts commerciaux moins bonnes mais à des niveaux supérieurs à ceux du secteur.'

Alors que les communiqués de presse des résultats des exercices 2014 et 2015 du groupe Belron dont il a été fait mention ci-dessus, annoncent des résultats positifs et en nette progression, le rapport d'activité Belron 2014 'répondre aux défis de nos marchés' pour 2014 (pièce n°1.12) cible essentiellement la rentabilité, indiquant notamment la mise en oeuvre de mesures innovantes pour accroitre la part de marché : 'Belron a poursuivi son objectif d'augmentation de sa part de marché en conjuguant actions marketing et commerciales'.

En conséquence, au regard des pièces produites par l'employeur, notamment des éléments financiers, au niveau du groupe Belron et de la société Carglass, du rapport Syndex, il n'est pas démontré l'existence d'une menace pesant sur la compétitivité du secteur d'activité concerné et la nécessité de prendre des mesures d'anticipation afin de préserver notamment l'emploi.

Le licenciement économique de Mme [H] est, de ce fait, sans cause réelle et sérieuse, sans qu'il soit nécessaire de répondre au moyen relatif à l'obligation de reclassement.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

2- sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable à la présente espèce, 'si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.

Si l'une ou l'autre des parties refuse, le juge octroie une indemnité au salarié. Cette indemnité, à la charge de l'employeur, ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois. Elle est due sans préjudice, le cas échéant, de l'indemnité de licenciement prévue à l'article L.1234-9.'

La salariée ne fournit aucune explication, ne verse au débat aucun élément relatif à sa situation postérieurement au licenciement justifiant le quantum de sa demande au-delà du minimum légal, l'employeur indiquant (p. 31 de ses conclusions) que la salariée a retrouvé un emploi en contrat à durée déterminée de plus de six mois à compter du 4 juillet 2016.

Sur la base de ses salaires des six derniers mois (pièces n°9 à 20 salariée; pièce III. 1 A employeur) et de son ancienneté, il sera alloué à la salariée la somme de 12 710 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt.

En application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Le jugement sera infirmé de ce chef.

Mme [H] sera déboutée du surplus de sa demande.

3- sur le remboursement à Pôle emploi des allocations d'aide au retour à l'emploi

L'article L.1235-4 du code du travail dans sa version applicable à la présente espèce dispose que 'dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.'

En raison de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de Mme [H], il convient d'ordonner à l'employeur de procéder au remboursement aux organismes concernés les indemnités versées à la salariée du jour de son licenciement dans la limite de six mois d'indemnités de chômage.

Le jugement sera infirmé de ces chefs.

4-sur les frais irrépétibles et les dépens

La société Carglass sera condamnée à payer à Mme [H] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel

Elle sera déboutée de sa demande à ce titre et condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Infirme le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 18 novembre 2019,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement pour motif économique de Mme [Y] [H],

Condamne la société Carglas à payer à Mme [Y] [H], la somme de 12 710 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,

Dit que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt,

Déboute Mme [Y] [H] du surplus de sa demande à ce titre,

Ordonne à la société Carglass de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à Mme [Y] [H] du jour de son licenciement dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,

Dit qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l'article R. 1235-2 du code du travail,

Condamne la société Carglass à payer à Mme [Y] [H] la somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure de première instance et d'appel,

Condamne la société Carglass aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine BOLTEAU-SERRE, Président, et par Mme Domitille GOSSELIN, Greffier en pré-affectation, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier en pré-affectation, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00039
Date de la décision : 12/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-12;20.00039 ?
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