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11/01/2023 | FRANCE | N°21/00749

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 11 janvier 2023, 21/00749


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 JANVIER 2023



N° RG 21/00749



N° Portalis DBV3-V-B7F-ULPH



AFFAIRE :



[N] [V]



C/



Association OGEC [6] DE [Localité 4]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section : AD<

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N° RG : F 19/00501



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Emmeline PLETS DUGUET



Me Stéphanie CHANOIR







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROI...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 JANVIER 2023

N° RG 21/00749

N° Portalis DBV3-V-B7F-ULPH

AFFAIRE :

[N] [V]

C/

Association OGEC [6] DE [Localité 4]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Janvier 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de VERSAILLES

N° Chambre :

N° Section : AD

N° RG : F 19/00501

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Emmeline PLETS DUGUET

Me Stéphanie CHANOIR

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [N] [V]

née le 27 Août 1984 à [Localité 5] (POLOGNE)

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Emmeline PLETS DUGUET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau d'ORLEANS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/011084 du 14/03/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de VERSAILLES)

APPELANTE

****************

Association OGEC [6] DE [Localité 4]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Stéphanie CHANOIR, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 143

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Décembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE,

EXPOSE DU LITIGE

[N] [V] a été engagée en qualité d'auxiliaire de vie scolaire par l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] (ci-après l'Ogec) suivant un 'Contrat de travail Unique d'Insertion-Contrat d'Accompagnement dans l'Emploi' (Cui-Cae) à compter du 1er décembre 2017 jusqu'au 31 août 2018 inclus, renouvelable deux fois dans la limite maximale autorisée, soit le 31 août 2019, mentionnant 24 heures de travail hebdomadaire et la remise d'un calendrier individuel de modulation moyennant une rémunération brute de 886,11 euros pour 86,67 heures mensuelles lissées. Ce contrat a été renouvelé une fois jusqu'au 31 août 2019.

Les relations de travail étaient soumises aux dispositions de la convention collective nationale de l'enseignement privé à but non lucratif.

Le 14 août 2019, [N] [V] a saisi le conseil de prud'hommes de Versailles afin d'obtenir la requalification du contrat unique d'insertion en un contrat de travail à durée indéterminée de droit commun ainsi que la condamnation de l'Ogec à lui payer des rappels de salaire ainsi que diverses indemnités notamment au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement de départage mis à disposition le 26 janvier 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont dit n'y avoir lieu à requalification du contrat unique d'insertion en contrat à durée indéterminée et que le recours au temps partiel annualisé était possible pour le contrat conclu, ont débouté [N] [V] de toutes ses demandes ainsi que l'Ogec [6] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ont condamné [N] [V] aux entiers dépens.

Le 4 mars 2021, [N] [V] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 4 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [N] [V] demande à la cour de réformer les chefs de jugement contestés, de 'statuer à nouveau pour' :

- requalifier son contrat unique d'insertion en contrat à durée indéterminée de droit commun,

- constater la rupture du contrat à durée indéterminée en l'absence de procédure de licenciement,

- fixer la moyenne des salaires à la somme de 973,55 euros,

- condamner l'Ogec [6] au paiement des sommes suivantes :

. pour le paiement des heures normales

* 2017 : 16 heures au taux de 10,224 euros, soit 163,58 euros bruts et 16,36 euros de congés payés afférents,

* 2018 : 104 heures au taux de 10,224 euros, soit 1 063,29 euros bruts et 106,23 euros de congés payés afférents,

* 2019 : 100 heures à 10,438 euros, soit 1 043,80 euros et 104,38 euros de congés payés afférents,

. pour le paiement des heures de travail complémentaires

* 2017 : 9 heures au taux de 11,244 euros, soit 101,20 euros et 10,44 euros de congés payés afférents,

* janvier 2018 : 10,50 heures au taux de 11,246 euros, soit 118,08 euros bruts et 11,81 euros de congés payés afférents,

* février à juin 2018 : 48 heures au taux de 11,30 euros, soit 542,40 euros bruts et 54,24 euros de congés payés afférents,

* juillet à août 2018 : 32 heures au taux de 11,42 euros, soit 365,44 euros et 36,54 euros de congés payés afférents,

* juillet à août 2019 : 32 heures au taux de 11,42 euros, soit 365,44 euros et 36,54 euros de congés payés afférents,

. au titre de la rupture du contrat de travail

* 973,55 euros au titre de l'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement,

* 2 900 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive,

* 405,65 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

* 973,55 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 97,35 euros au titre des congés payés afférents,

. en tout état de cause

* 5 841,30 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

* 2 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant du manquement de l'employeur à son obligation de formation,

* 35 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance d'obtenir un contrat de travail à durée déterminée de trois ans (accompagnant des élèves en situation de handicap),

* 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,

avec intérêts légaux et capitalisation des intérêts, et aux dépens et frais d'exécution,

- ordonner à l'Ogec [6] la remise d'un bulletin de paie rectificatif, d'une attestation Pôle emploi et d'un certificat de travail conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 30ème jour de la notification, la cour se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- ordonner l'exécution provisoire sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile.

Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 6 septembre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, l'Ogec [6] demande à la cour de :

- débouter l'appelante de toutes ses demandes, confirmer le jugement en toutes ses dispositions, condamner celle-ci au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens,

- à titre infiniment subsidiaire, juger que les demandes indemnitaires doivent se conformer à la stricte application des exclusions et plafonnement légaux, en conséquence, débouter l'appelante de ses demandes qui les excèdent, débouter celle-ci de ses demandes au titre du travail dissimulé, de la perte de chance et de la violation de l'obligation de formation, dans l'hypothèse d'une remise en cause de l'annualisation, juger que l'appelante ne rapporte pas la preuve des heures complémentaires dont elle demande le paiement,

- à titre encore plus subsidiaire, condamner [N] [V] à rembourser la somme de 3 596,04 euros au titre des heures indûment rémunérées et 2 662 euros au titre des congés indûment pris et payés, soit au total 6 258,04 euros et ordonner la compensation des sommes éventuellement dues réciproquement,

- débouter [N] [V] de sa demande au titre des frais irrépétibles.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 29 novembre 2022.

MOTIVATION

Sur les demandes au titre du temps de travail

La salariée fait valoir que l'employeur lui a imposé une annualisation abusive du temps de travail en soutenant faire application d'un accord collectif de branche étendu alors que son temps de travail hebdomadaire contractuel était inférieur au temps de travail prévu par l'accord collectif ; elle sollicite par conséquent un rappel de salaire.

L'Ogec fait valoir qu'elle a respecté les dispositions conventionnelles relatives à l'annualisation des heures de travail des salariés à temps partiel ; que le lissage de la rémunération sur l'année a été contractuellement prévu et la salariée l'a accepté ; que celle-ci doit être déboutée de ses demandes de rappel de salaires.

L'accord de branche étendu du 15 juin 1999 relatif à la réduction de la durée effective et à l'aménagement du temps de travail dans l'enseignement privé sous contrat prévoit :

- en son article 3.3 que la durée du travail effectif peut faire l'objet d'une modulation sur l'année au niveau de tout ou partie de l'établissement ou seulement d'une ou plusieurs catégories de personnel, d'un service ; que dans le cadre de la modulation, la durée moyenne annuelle de travail ne doit pas dépasser 35 heures hebdomadaires et que : 'la modulation du temps de travail peut concerner l'ensemble du personnel ayant une durée effective de travail moyenne hebdomadaire comprise entre 28 heures et 35 heures' ;

- en son article 3.4 que : 'la rémunération des salariés à temps partiel annualisé sera calculée et versée chaque mois en fonction de l'horaire réellement effectué ou pourra faire l'objet d'un lissage, avec l'accord du salarié, indépendamment de l'horaire réel, égal au douzième de la rémunération annuelle de base'.

Le contrat de travail prévoit en son article 9 que la salariée : 'perçoit pour 86,67 heures mensuelles lissées une rémunération brute de 886,11 euros sur laquelle sont retenues les cotisations légales et conventionnelles' et en son article 7 que : 'la durée de travail de Mme [N] [V] est fixée à 24 heures par semaine. Un calendrier de modulation est remis à Mme [N] [V]'.

Il ressort des emplois du temps de la salariée et des tableaux d'annualisation 2017 et 2018 produits devant la cour que l'employeur a appliqué une modulation et une annualisation des horaires à temps partiel de la salariée alors que sa durée effective de travail moyenne hebdomadaire était inférieure à 28 heures.

Il s'ensuit que les dispositions de la convention collective dont se prévaut l'employeur au titre de la modulation et de l'annualisation des heures de travail de la salariée ne lui étaient pas applicables.

Les dispositions contractuelles de ce chef ne sont donc pas opposables à la salariée.

La salariée demande le paiement de 4 heures hebdomadaires non payées et des heures complémentaires effectuées en 2017 et 2018.

En application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures de travail accomplies, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au soutien de sa demande de rappel de salaire, la salariée produit ses bulletins de paie et un tableau portant sur la période de décembre 2017 à août 2019 mentionnant mois par mois un nombre d'heures contractuelles.

Il doit être considéré que la salariée fournit ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

L'Ogec indique qu'en décembre 2017, la salariée réclame des heures complémentaires alors qu'elle n'en a effectué aucune ; que pour l'année 2018, aucun justificatif n'est produit en rapport avec le tableau produit ; que les tableaux ne reposent sur aucun décompte pertinent et sont trop globaux ; que la salariée a perçu des 'jours à zéro' qui devront dans cette hypothèse être déduits de ses demandes de rappels de salaire ; qu'elle a été également rémunérée pour des heures non effectives de travail.

L'Ogec produit un tableau récapitulatif présentant la situation de la salariée avec annualisation de ses heures de travail et la situation qui aurait été la sienne sans annualisation des heures de travail, réalisé sur la base des plannings d'heures de travail effectuées par la salariée, non critiqué par celle-ci.

Il en ressort que sur la période contractuelle concernée par la demande, du 1er décembre 2017 au 3 août 2018, la salariée a reçu paiement de 341,67 heures non travaillées ce qui représente un excédent de 3 596,04 euros par rapport aux heures effectivement travaillées et qu'elle a pris au titre des congés payés non acquis 63,75 jours, ce qui représente un excédent de 2 662 euros.

Au regard des éléments produits par l'une et l'autre partie, la cour retient que l'ensemble des heures de travail effectuées par la salariée ont été rémunérées sur la période en litige.

La salariée sera déboutée de sa demande de rappel de salaire. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le travail dissimulé

La salariée forme une demande d'indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé en invoquant le refus de l'employeur de faire figurer les heures hebdomadaires travaillées sur les bulletins de paie en prétextant une modulation du temps de travail.

L'Ogec conclut au débouté de cette demande en faisant valoir l'absence d'intention de se soustraire à ses obligations.

Aux termes de l'article L.8221-5 du code du travail : 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.

En l'espèce, la salariée ne démontre pas son allégation selon laquelle la mention sur ses bulletins de salaire d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli est intentionnel, la mauvaise application de dispositions conventionnelles par l'employeur ne suffisant pas à établir l'intentionnalité d'une dissimulation des heures travaillées.

Il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande d'indemnité pour travail dissimulé.

Sur le manquement à l'obligation de formation, la requalification du contrat unique d'insertion en un contrat de travail à durée indéterminée et la rupture du contrat de travail

La salariée fait valoir que lors de la première année, elle n'a pas eu de suivi régulier de son travail ni de formation et qu'elle n'a pas eu de bilan écrit de cette année ni de compte-rendu de suivi, que la formation dispensée la deuxième année était insuffisante, alors que dans le cadre d'un contrat unique d'insertion, l'obligation de formation est substantielle ; que le contrat doit par conséquent être requalifié en contrat à durée indéterminée et que l'Ogec doit lui payer des indemnités de rupture subséquentes et une indemnité au titre de son manquement à l'obligation de formation.

L'Ogec fait valoir que la salariée a bénéficié d'un tutorat, d'une référente interne et d'une formation en interne durant la première année et qu'elle a bénéficié d'une formation externe de 60 heures la deuxième année ; qu'elle a rempli son obligation de formation inhérente au contrat unique d'insertion et que la salariée doit être déboutée de ses demandes au titre du manquement à l'obligation de formation, de la requalification du contrat et des indemnités de rupture consécutives.

Le dispositif des contrats aidés disposé par les articles L. 5134-19-1 et suivants du code du travail instaure au bénéfice de l'employeur une aide financière et des exonérations de charges sociales qui ont pour contrepartie essentielle les engagements pris par ce dernier en termes d'accompagnement professionnel et d'actions de formation en faveur du bénéficiaire du contrat aidé, avec pour finalité l'insertion sociale et professionnelle durable de ce dernier.

L'article L. 5134-24 du code du travail dispose en son premier alinéa que le contrat de travail associé à une aide à l'insertion professionnelle attribuée au titre d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi est un contrat de travail de droit privé, soit à durée déterminée conclu en application de l'article L. 1243-2 du code du travail, soit à durée indéterminée et qu'il porte sur des emplois visant à satisfaire des besoins collectifs non satisfaits.

Il en résulte que dans le cadre des contrats de travail aidés, tel que notamment le contrat unique d'insertion-contrat d'accompagnement dans l'emploi (Cui-Cae), pèse sur l'employeur l'obligation de mettre en oeuvre au profit du salarié des actions de formation professionnelle et d'accompagnement professionnel et que cette obligation constitue un élément essentiel de ce contrat de travail aidé.

C'est donc sur l'employeur que pèse l'obligation de formation due au salarié bénéficiaire d'un tel contrat, c'est à lui qu'il incombe de mettre en oeuvre les actions de formation et d'accompagnement professionnel et c'est à lui de démontrer qu'il a bien satisfait à cette obligation de formation.

En l'espèce, la demande d'aide à l'embauche de la salariée en Cui pour le compte de l'Etat signée le 22 novembre 2017 par l'Ogec et la salariée prévoit un tuteur en la personne de Mme [E] [A], responsable administratif et financier, un référent chargé du suivi, à savoir le collège [6], ainsi qu'au titre des actions d'accompagnement professionnel : la remobilisation vers l'emploi et l'aide à la prise de poste, et au titre des actions de formation : l'acquisition de nouvelles compétences par une formation interne.

Pour démontrer qu'elle a satisfait à son obligation de formation et d'accompagnement professionnels, l'Ogec, indiquant que la salariée n'était pas en demande de formation particulière lors de son embauche, expose que :

- la salariée en sa qualité d'assistante de vie scolaire (Avs) avait en charge durant la première année (2017-2018) deux élèves atteints de retards cognitifs dus à une dyslexie et scolarisés en 6ème Segpa, une autre Avs, Mme [Z], intervenant dans la même classe que la salariée pour le suivi d'un autre élève ;

- si Mme [Z] a pu bénéficier d'une formation externe à partir de décembre 2017 pour avoir pris ses fonctions en début d'année scolaire, la salariée, arrivée en décembre 2017, n'a pas pu bénéficier du même cycle au cours des premiers mois d'activité, les inscriptions étant alors closes, mais celle-ci a bénéficié de ce cycle de formation externe lors de la seconde année (2018-2019) ;

- la salariée qui a bénéficié d'une tutrice en la personne de Mme [A] et d'une référente en la personne de Mme [R], directrice adjointe du collège, a été formée en interne et a bénéficié de l'expérience et des conseils de l'équipe éducative, étant relevé qu'elle n'a jamais été seule, puisque deux Avs intervenaient dans la même classe ;

- il lui a été proposé d'animer un atelier bijoux dans le cadre des arts plastiques dans le but de la mettre en confiance dans un domaine qu'elle maîtrise.

L'Ogec produit devant la cour :

- trois courriels adressés par Mme [R] (9 mars 2018, 17 mai 2018 et 17 janvier 2019) à Mme [A], évoquant la situation de la salariée dans ses fonctions à la suite d'entretiens qu'elle a eus avec elle ;

- un compte-rendu de rendez-vous avec la famille [B] le 14 décembre 2018 dont le fils était suivi par la salariée ;

- des échanges de courriels en février 2019 au sein de l'équipe éducative du collège au sujet d'une difficulté rencontrée par la salariée dans la prise en charge d'un élève ;

- une attestation rédigée par Mme [H] [C], animatrice pastorale, évoquant un entretien entre la salariée, Mme [A] et Mme [J], directrice d'établissement, dont l'objet n'est pas précisé, indiquant : 'après divers échanges entre les deux parties, Mme [V] a été informée qu'aucune sanction ne serait prise à son encontre, Mmes [J] et [A] ayant estimé que Mme [V] avait été mal conseillée et méritait de fait de pouvoir terminer sa mission sereinement' ;

- un courriel de Mme [A] du 2 avril 2019 informant M. [Y] que la salariée ne viendra plus au lycée les mardis et vendredis matins, au regard du mal être constaté chez elle avec 'cette nouvelle mission', sans plus de précision ;

- une attestation de Mme [T], professeur d'anglais, mettant en exergue des difficultés rencontrées par la salariée dans l'exercice de sa mission auprès d'un enfant autiste.

Il n'est produit aucune pièce faisant un retour d'évaluation de l'employeur à la salariée quant à l'exercice de sa mission professionnelle et objectivant l'acquisition de nouvelles compétences lors de l'exécution du contrat de travail.

Si les pièces produites par l'Ogec permettent de retenir que la situation de la salariée dans le cadre de son exercice professionnel a fait l'objet d'échanges entre des membres de l'équipe éducative qui ont évoqué des difficultés de positionnement de celle-ci dans l'exercice de ses fonctions et indépendamment du fait que la salariée a bénéficié d'une action de formation dispensée par un organisme extérieur dans le cadre de l'exécution renouvelée en 2018-2019 du contrat de travail, aucune pièce n'établit concrètement la réalité d'une action de formation telle que mentionnée lors de la demande d'aide sus-mentionnée, à savoir 'l'acquisition de nouvelles compétences' par une formation interne, lors de l'exécution du contrat de travail entre le 1er décembre 2017 et le 31 août 2018.

Il ne peut par conséquent être retenu que l'Ogec a satisfait à son obligation de formation.

Alors que l'obligation de formation professionnelle constitue un élément essentiel du contrat de travail aidé en cause, le manquement de l'Ogec à l'obligation qui lui incombait emporte requalification du contrat de travail initial en un contrat à durée indéterminée à compter du premier contrat irrégulier, soit le 1er décembre 2017.

Du fait de la requalification du contrat de travail, la rupture intervenue le 31 août 2019 au terme du contrat de travail renouvelé, sans mise en oeuvre d'une procédure de licenciement et sans lettre de licenciement, doit s'analyser comme une rupture abusive à l'initiative de l'employeur emportant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Il sera fait droit à la demande de la salariée, qualifiée du fait d'une erreur matérielle dans le dispositif de ses conclusions d'indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement, s'agissant d'une demande d'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée, sur le fondement de l'article L. 1245-2 du code du travail ainsi qu'il ressort du corps de ses écritures et il lui sera alloué une somme de 886,11 euros à ce titre.

La salariée qui comptait un an et neuf mois d'ancienneté, a droit à une indemnité compensatrice de préavis à hauteur d'un mois de salaire, soit à une somme de 886,11 euros, ainsi qu'à une indemnité compensatrice de congés payés incidents de 88,61 euros.

La salariée a par ailleurs droit à une indemnité de licenciement qui sera fixée à la somme de 387,66 euros.

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, la salariée, au regard de son ancienneté d'une année complète, peut prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un mois et deux mois de salaire brut.

Eu égard à son âge (née en 1984), à son ancienneté d'une année complète, à sa situation postérieure à la rupture du contrat de travail (inscription sur la liste des demandeurs d'emploi depuis le 1er septembre 2019), il convient d'allouer la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement sera en conséquence infirmé sur tous ces points.

La salariée demande en outre une indemnisation pour violation par l'employeur de son obligation de formation. Toutefois, celle-ci n'établit pas de préjudice distinct de celui causé par la rupture du contrat de travail directement causée par le manquement de l'employeur à son obligation de formation, déjà indemnisé. Elle sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la perte de chance d'obtenir un contrat à durée déterminée de trois ans en qualité d'Aesh

La salariée fait valoir qu'elle aurait dû bénéficier d'un nouveau contrat de travail et qu'ainsi l'employeur l'a privée d'un emploi pour une durée de trois ans qui a pour conséquence de la priver d'une rémunération salariale pendant cette période. Elle réclame l'indemnisation de sa perte de chance d'obtenir un contrat à durée déterminée d'accompagnant d'élève en situation de handicap (Aesh).

L'Ogec fait valoir qu'elle n'avait aucune obligation de conserver la salariée dans ses effectifs à l'issue du contrat unique d'insertion ; qu'elle n'a commis aucune faute ; que la salariée doit être déboutée de cette demande.

La perte de chance implique la privation d'une potentialité présentant un caractère de probabilité raisonnable.

La réparation d'une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.

La salariée se contente d'alléguer qu'elle aurait dû bénéficier d'un nouveau contrat de travail en qualité d'accompagnant d'élève en situation de handicap sans articuler aucun moyen de fait ou de droit opérant au soutien de sa demande.

Elle ne justifie en tout état de cause pas du préjudice dont elle demande l'indemnisation à ce titre.

La salariée sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les intérêts et leur capitalisation

Il est rappelé que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'Ogec devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Versailles et les créances de nature indemnitaire produisent des intérêts à compter du présent arrêt.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Sur la remise de documents sous astreinte

Eu égard à la solution du litige, il sera ordonné à l'Ogec la remise à la salariée d'un bulletin de paie et d'une attestation destinée à Pôle emploi, rectifiées conformément aux dispositions du présent arrêt. Le jugement sera infirmé sur ce point.

La salariée sera déboutée de sa demande d'astreinte qui n'est pas nécessaire et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

Eu égard à la solution du litige, l'Ogec sera condamné aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la salariée la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Sur la demande d'exécution provisoire

La décision n'étant susceptible que d'un pourvoi en cassation, recours qui est dépourvu d'effet suspensif, il n y a pas lieu à assortir les condamnations prononcées de l'exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu'il a débouté [N] [V] de ses demandes de requalification du contrat unique d'insertion en contrat à durée indéterminée et de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, de dommages et intérêts pour rupture abusive, d'indemnité 'pour non-respect de la procédure de licenciement', de remise de documents, et en ce qu'il statue sur les intérêts et leur capitalisation, les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

PRONONCE la requalification du contrat de travail unique d'insertion-contrat d'accompagnement dans l'emploi en un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er décembre 2017,

CONDAMNE l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] à payer à [N] [V] les sommes suivantes :

* 886,11 euros à titre d'indemnité,

* 886,11 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 88,61 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

* 387,66 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 1 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

RAPPELLE que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception de la convocation de l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] devant le bureau de jugement du conseil de prud'hommes de Versailles et les créances de nature indemnitaire produisent des intérêts à compter du présent arrêt,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

ORDONNE à l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] la remise à [N] [V] d'un bulletin de paie et d'une attestation destinée à Pôle emploi, rectifiées conformément aux dispositions du présent arrêt,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

CONDAMNE l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] aux entiers dépens,

CONDAMNE l'association Organisme de Gestion de l'Etablissement Catholique de l'établissement [6] de [Localité 4] à payer à [N] [V] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties des autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/00749
Date de la décision : 11/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-11;21.00749 ?
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