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04/01/2023 | FRANCE | N°21/02968

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 04 janvier 2023, 21/02968


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 04 JANVIER 2023



N° RG 21/02968



N° Portalis DBV3-V-B7F-UYYF



AFFAIRE :



[V] [U]



C/



S.A.S. AC NIELSEN





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Section : E

N° RG : F19/00045



Copie

s exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG



la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATRE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 04 JANVIER 2023

N° RG 21/02968

N° Portalis DBV3-V-B7F-UYYF

AFFAIRE :

[V] [U]

C/

S.A.S. AC NIELSEN

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Septembre 2021 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Section : E

N° RG : F19/00045

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG

la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATRE JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [V] [U]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Sylvie KONG THONG de l'AARPI Dominique OLIVIER - Sylvie KONG THONG, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0069, substitué par Me Julia FABIANI, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

S.A.S. AC NIELSEN

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625

Représentant : Me Nicolas LEPETIT de la SELAS GINESTIE MAGELLAN PALEY-VINCENT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R138 substitué par Me Julie EBRAN, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

Appelée à l'audience collégiale, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Novembre 2022, devant la cour composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Laure TOUTENU, Conseiller,

et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,

Greffier lors des débats : Madame Morgane BACHE

EXPOSE DU LITIGE

[V] [U] a été engagée par la société Ac Nielsen suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 juin 1997. Par lettre datée du 5 janvier 2010, la salariée a été licenciée pour motif économique.

Elle a été engagée par la société Affinova suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 4 avril 2012 en qualité de vice-présidente Europe, statut cadre dirigeant, position 3.3, coefficient 270, en référence aux dispositions de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs conseils, sociétés de conseil, dite Syntec.

Par avenant à effet au 1er janvier 2015, le contrat de travail de la salariée a été repris par la société Ac Nielsen en application de l'article L. 1224-1 du code du travail et celle-ci a rejoint le département innovation en qualité de 'vice-president innovation practice'.

A compter du 20 août 2018, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie, qui a été renouvelé jusqu'au 30 avril 2019.

Par lettre datée du 12 octobre 2018, la salariée a dénoncé à l'employeur une situation de harcèlement moral institutionnel à l'origine d'une dégradation de son état de santé.

Le 28 février 2019, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil afin d'obtenir le paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral et d'un rappel d'heures supplémentaires.

Après une visite de reprise le 7 mai 2019 à l'issue de laquelle le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise du travail, la salariée a repris son poste dans les nouveaux locaux de la société Ac Nielsen à [Localité 3] (95).

A compter du 17 mai 2019, la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie qui a été renouvelé jusqu'au 21 octobre 2019.

Le 22 octobre 2019, la salariée a fait l'objet d'un avis d'inaptitude à son poste de travail par le médecin du travail.

Par lettre datée du 9 décembre 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 19 décembre suivant, puis par lettre reçue par la salariée le 30 décembre 2019, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Le 20 février 2020, la salariée a à nouveau saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil afin d'obtenir la condamnation de la société Ac Nielsen au paiement de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ainsi que de diverses indemnités au titre de la rupture du contrat de travail.

Par jugement mis à disposition le 14 septembre 2021, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont joint les deux procédures, ont fixé la moyenne des rémunérations à 12 178,46 euros bruts, ont dit qu'[V] [U] n'a pas le statut de cadre dirigeant et qu'elle est soumise au forfait annuel en jours, ont débouté celle-ci de toutes ses demandes, ont rejeté les demandes formées par les parties au titre de l'article 700 du code de procédure civile et ont condamné [V] [U] aux dépens.

Le 8 octobre 2021, [V] [U] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 14 novembre 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [V] [U] demande à la cour d'infirmer le jugement et statuant à nouveau, de juger que l'inaptitude résulte des agissements de harcèlement moral subis et qu'en conséquence le licenciement est nul, subsidiairement, de juger que la société Ac Nielsen a manqué à son 'obligation de sécurité de résultat' et que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, en tout état de cause, de juger qu'elle a subi des agissements de harcèlement moral de la part de la société Ac Nielsen, qu'elle n'a pas le statut de cadre dirigeant et est donc soumise à la règlementation sur la durée du travail, de condamner en conséquence la société Ac Nielsen à lui verser les sommes brutes suivantes :

* 36 535 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 3 534 euros au titre des congés payés y afférents,

* 146 141 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la rupture du contrat de travail 'qu'elle soit déclarée nulle ou sans cause réelle et sérieuse',

* 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral causé par les agissements de harcèlement moral,

* 36 535 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement de la société Ac Nielsen à son 'obligation de sécurité de résultats',

* à titre de rappel d'heures supplémentaires pour l'année :

. 2016 : 54 278,28 euros et 5 427,92 euros au titre des congés payés y afférents,

. 2017 : 80 569,41euros et 8 056,94 euros au titre des congés payés y afférents,

. 2018 : 40 010,93 euros et 4 001,09 euros au tire des congés payés y afférents,

subsidiairement, prendre acte que la société a reconnu devoir au titre des heures supplémentaires les sommes de 10 605,19 euros au titre de l'année 2016, 15 741,81 euros au titre de l'année 2017 et 7 812,03 euros au titre de l'année 2018, et les congés payés y afférents,

* 73 070,91 euros à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

assortir les condamnations des intérêts au taux légal et prononcer la capitalisation des intérêts et de condamner la société Ac Nielsen aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 16 septembre 2022 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Ac Nielsen demande à la cour de :

- à titre principal, confirmer le jugement sauf en ce qu'il a fixé la moyenne des rémunérations à 12 178,46 euros, statuant à nouveau de ce chef, fixer la moyenne des salaires à 10 316,63 euros bruts mensuels et débouter [V] [U] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire, fixer la moyenne des salaires à 10 316,63 euros bruts mensuels, juger que la salariée relève de la catégorie des cadres dirigeants et débouter celle-ci de ses demandes d'heures supplémentaires et de congés payés afférents,

- à titre infiniment subsidiaire, juger que les demandes de rappel d'heures supplémentaires et de congés payés y afférents sont limitées à la période courant du 1er mars 2018 au 19 août 2018 et à une somme qui ne peut dépasser 4 102,02 euros bruts au titre des heures supplémentaires et une somme de 410,20 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- à titre encore plus subsidiaire, limiter sa condamnation à un rappel d'heures supplémentaires et de congés payés afférents aux sommes suivantes :

* 10 601,22 euros bruts au titre des heures supplémentaires et 1 060,12 euros bruts au titre des congés payés afférents pour la période courant du 28 février au 31 décembre 2016,

* 15 736,21 euros bruts au titre des heures supplémentaires et 1 573,62 euros bruts au titre des congés payés afférents pour l'année 2017,

* 7 814,63 euros bruts au titre des heures supplémentaires et 781,46 euros bruts au titre des congés payés afférents pour la période courant du 1er janvier au 19 août 2018,

- en tout état de cause, la condamner à lui verser la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 15 novembre 2022.

MOTIVATION

Sur la durée du travail

Sur le statut de cadre dirigeant

En application de l'article L. 3111-2 du code du travail, sont considérés comme cadres dirigeants les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l'importance implique une grande indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement.

Ces critères cumulatifs impliquent que seuls relèvent de cette catégorie les cadres participant à la direction de l'entreprise.

La salariée fait valoir que dans les faits, elle n'avait pas le statut de cadre dirigeant dans la mesure où elle ne disposait plus d'autonomie de décision dans son domaine de responsabilité, ni de liberté de gestion dans son emploi du temps, ni ne participait plus à la direction de l'entreprise.

La société soutient que la salariée avait un statut de cadre dirigeant conformément aux stipulations contractuelles et que la réunion des critères du cadre dirigeant est indiscutable.

Le contrat de travail de la salariée stipule un statut de cadre dirigeant moyennant un salaire annuel brut de 100 000 euros, outre un plan de commission et de bonus. La salariée indique que son salaire de référence s'élevait à 12 178,46 euros bruts.

Il ne ressort pas des éléments produits devant la cour que pendant la période comprise entre mars et août 2018, la salariée aurait été privée d'autonomie dans l'exercice de ses fonctions et d'une partie de ses responsabilités, contrairement aux allégations de la salariée.

Toutefois, alors que la salariée indique n'avoir jamais siégé aux différents comités de direction de la société depuis le transfert de son contrat de travail en 2015, la société ne produit aucun élément établissant que la salariée participait à la direction de l'entreprise.

De plus l'employeur ne démontre pas que la salariée percevait une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans l'entreprise.

Il s'en déduit que dans les faits, la salariée ne disposait pas d'un statut de cadre dirigeant. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur l'application d'une convention de forfait en jours

La salariée fait valoir qu'elle n'était pas soumise à une convention de forfait en jours en application du contrat de travail.

La société ne réplique pas sur ce point.

Force est de constater que le contrat de travail ne stipule aucune convention de forfait annuel en jours contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Il s'ensuit qu'en conséquence, la salariée est fondée à soutenir qu'il ne pouvait légalement lui être appliqué le statut de cadre dirigeant et qu'il convient de lui appliquer la durée légale du travail.

Sur les heures supplémentaires

En application de l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées.

Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

La salariée demande le paiement des heures supplémentaires effectuées entre le 28 février 2016 et le 20 août 2018.

Au soutien de ses demandes de rappel de salaire, celle-ci produit un décompte journalier des horaires de travail sur la base de ses journées-type de 8h30 à 20 h avec une pause déjeuner d'une heure ainsi que la copie de son agenda Outlook.

Ce faisant, Mme [U] produit des éléments suffisamment précis quant aux heures de travail revendiquées qui permettent à l'employeur de répondre en produisant ses propres éléments.

Pour sa part, la société critique la portée probante des éléments produits par la salariée qui présentent des incohérences et produit un tableau sur la base des dates et heures des courriels professionnels envoyés par la salariée entre le 1er janvier 2018 et le 19 août 2018 faisant ressortir que sur cette période de 33 semaines, celle-ci a réalisé 75,65 heures au-delà de 35 heures hebdomadaires.

Au regard des éléments produits par l'une et l'autre partie, la cour retient que la salariée a accompli des heures supplémentaires, rendues nécessaires pour l'accomplissement des tâches confiées par l'employeur, sur la période revendiquée mais dans une proportion moindre que celle demandée.

Il convient par conséquent de condamner la société à payer à la salariée les sommes brutes suivantes :

* 10 605,19 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2016,

* 1 060,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

* 15 741,81 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2017

* 1 574,18 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

* 7 812,03 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2018,

* 781,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents.

Le jugement sera donc infirmé sur ces points.

Sur l'indemnité forfaitaire au titre du travail dissimulé

Aux termes de l'article L. 8221-5 du code du travail, 'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales'.

Force est de constater que Mme [U] ne démontre pas l'élément intentionnel de la société dans la mention sur les bulletins de salaire d'un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, cette intention n'étant pas établie par la mauvaise application d'un statut de cadre dirigeant.

Il convient donc de débouter la salariée de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur le harcèlement moral

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel;

En application de l'article L. 1154-1 du même code, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'un harcèlement, et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

La salariée soutient qu'elle a été l'objet d'un 'harcèlement moral institutionnel ou stratégique' reposant notamment sur les nombreuses modifications organisationnelles et hiérarchiques qu'elle a subies sans en comprendre la finalité et sur une pression hiérarchique très importante, à l'origne d'une détérioration de sa santé psychique.

Au soutien du harcèlement moral, elle expose plus précisément qu'elle a subi depuis le début de l'année 2018, dans un contexte de réorganisation continue depuis 2015 où elle a connu quatre managers en trois ans :

- un traitement différencié par rapport à ses homologues ;

- une éviction, une importante charge de travail, la fixation d'objectifs inatteignables et un manque de moyens suffisants ;

- une mise sous la tutelle de Mme [M] à compter de mars 2018 la privant de toute autonomie dans l'exercice de ses fonctions et un déclassement en raison de prétendues lacunes techniques ;

- un retrait de responsabilités au profit de son ancien n+1, M. [N], en mai 2018 et une appropriation de son travail par celui-ci en juin 2018 ;

- une mise en difficulté volontaire sur un projet avec forte pression en août 2018.

S'agissant du traitement différencié par rapport à ses homologues

La salariée expose qu'à la différence de ses collègues de même niveau, la société ne lui a pas proposé la possibilité d'avoir un véhicule de fonction.

D'une part, la salariée ne fournit aucune précision sur 'les collègues de même niveau' auxquels elle fait allusion.

Par ailleurs, celle-ci produit un courriel de réponse de [L] [W] du 30 janvier 2017 lui indiquant que l'attribution d'un véhicule n'est pas une obligation mais une condition qui s'intègre dans le 'package de rémunération' et que pour se voir attribuer un véhicule de fonction, il conviendrait de revoir son 'package de rémunération' fixe à la baisse afin de prendre en compte cet avantage.

Il s'ensuit que la salariée ne présente pas d'élément laissant supposer un traitement différencié par rapport à des salariés placés dans la même situation.

La matérialité de ce fait n'est pas établie.

S'agissant de son éviction, de l'importante charge de travail, de la fixation d'objectifs inatteignables et d'un manque de moyens suffisants

La salariée produit un courriel du 12 mars 2015 s'étonnant de ne pas avoir reçu une invitation à l'instar d'une collègue à un 'town hall' le lendemain. Cette pièce est totalement insuffisante à établir une éviction de ses fonctions.

Elle produit en outre un échange de courriels intervenus en octobre 2017 faisant part de son désaccord à son supérieur hiérarchique quant à l'utilisation d'un outil, celui-ci abondant d'ailleurs dans son sens. Cette pièce ne démontre aucun traitement défavorable de la salariée par l'employeur.

Puis la salariée produit un courriel du 22 mai 2015 qu'elle présente comme une manifestation de sa part de difficultés qu'elle pouvait rencontrer quand les objectifs fixés étaient inatteignables. Ce seul courriel qui ne contient que les allégations de la salariée n'établit pas que celle-ci a été confrontée à des objectifs inatteignables, alors même que celle-ci produit ses bulletins de paie mentionnant le versement de 46 239,99 euros bruts à titre de bonus et primes exceptionnelles en 2017 au titre de l'exercice 2016 et de 36 383,88 euros bruts au même titre pour les mois travaillés en 2018 au titre de l'exercice 2017.

La salariée produit enfin un tableau mentionnant selon ses dires les chiffres d'affaires générés par des clients de la société qu'elle corrèle à l'organigramme produit par la société, qui ne démontre cependant pas qu'elle aurait souffert d'un manque de moyens humains pour effectuer son travail.

La matérialité de ces faits n'est pas établie.

S'agissant de la mise sous la tutelle de Mme [M] à compter de mars 2018 et de son déclassement

La salariée expose qu'à compter de mars 2018, sa supérieure hiérarchique, Mme [O] l'a mise sous la tutelle de Mme [M], l'a ainsi privée de toute autonomie dans l'exercice de ses fonctions et l'a déclassée, en raison de prétendues lacunes techniques.

Ces allégations ne sont pas établies par les pièces produites, à savoir un courriel adressé par Mme [M] à la salariée le 16 mars 2018 rédigé en langue anglaise, non traduit en langue française (pièce 8) et des bulletins de paie de 2018 mentionnant ses bonus et primes exceptionnelles.

La matérialité de ces faits n'est pas établie.

S'agissant du retrait de responsabilités au profit de M. [N] en mai 2018 et de l'appropriation de son travail par celui-ci en juin 2018

La salariée se réfère à un courriel d'information du 30 mai 2018 annonçant la promotion de M. [G] [H] en tant que directeur conseil client indiquant notamment : ' (...) Le compte Nestlé a considérablement grossi depuis que [G] a pris la direction du compte et il est parvenu à construire une très forte relation avec ses clients actuels (...)', et à son courriel de réaction à cette présentation de l'action de ce salarié sur le compte Nestlé en date du 31 mai 2018. Elle estime dans ses écritures que la rédaction de ce communiqué était maladroite, blessante et humiliante à son encontre.

Il résulte cependant du courriel de réponse du 31 mai 2018 de Mme [O] à celui de la salariée que celle-ci lui a écrit : 'Juste retour. S'il te plaît, remonte cela à [Y] et [P] pour qu'ils le gardent en tête à l'avenir', ce dont il ne peut être retenu que l'employeur l'aurait dépossédée de ses responsabilités.

La salariée expose en outre que la société l'a évincée des responsabilités qui lui avaient été confiées en juin 2017 date à laquelle elle avait repris la direction de l'innovation au siège, en la transférant sous l'autorité de son ancien n+1, M. [N] avec lequel elle avait entretenu des relations difficiles par le passé.

Outre que la salariée ne produit aucun élément établissant la réalité de relations passées difficiles avec M. [N], les pièces 10-1 et 10-2 correspondant à des projets de communiqués informatifs et à un communiqué pour les collaborateurs de la société qu'elle produit n'établissent pas un retrait de ses responsabilités au bénéfice de M. [N].

La salariée allègue enfin sans le démontrer par aucune pièce que M. [N] 'récupérait le fruit de son travail' qu'elle avait accompli.

La matérialité de ces faits n'est pas établie.

S'agissant de la mise en difficulté volontaire sur un projet en août 2018

La salariée se réfère à un déplacement professionnel à Lausanne le 9 août 2018 lors duquel il lui a été demandé de refaire la présentation faite par l'équipe technique Nielsen un mois auparavant dans un délai extrêmement court alors qu'elle n'en avait pas les compétences, ni le temps.

Les quelques courriels qu'elle produit ne permettent pas de démontrer que l'employeur l'a mise en difficulté volontairement sur ce projet alors qu'il résulte des courriels produits en réponse par l'employeur que la salariée cite au soutien de son argumentation que la demande qui lui a été faite a été formulée par le client Nestlé Dolce Gusto et pas par son employeur, étant relevé que M. [N] n'est pas en copie de la demande formulée par la cliente par courriel du 17 août 2018.

Si cette demande a pu générer un stress chez la salariée, ainsi qu'elle l'écrit, pour autant, aucun élément ne permet de dire que l'employeur ne lui a pas apporté de soutien. Il ressort des propres courriels de la salariée le 17 août 2018 que celle-ci a demandé l'aide de l'équipe technique qui avait procédé à l'étude, à savoir M. [D] [E] et M. [A]. Il n'est pas produit d'élément sur un refus de la société de lui apporter un soutien.

La matérialité de ces faits n'est pas établie.

La salariée produit par ailleurs des pièces de nature médicale, en particulier un courriel adressé par Mme [S] [J], psychologue clinicienne, spécialiste de la souffrance au travail, à la salariée le 26 septembre 2018 reproduisant le compte-rendu de leur entretien au médecin du travail, indiquant que celle-ci présente 'un tableau clinique d'épuisement professionnel sérieux' ainsi que le rapport d'expertise rédigé par l'expert mandaté par le Gan Assurance, le docteur [X], le 22 septembre 2019, faisant état d'une 'dépression réactionnelle grave' dans le cadre d'un conflit au travail. En l'absence de toute constatation de ces praticiens quant aux conditions de travail de la salariée, ces pièces sont insuffisantes à établir la matérialité d'un harcèlement moral de la part de l'employeur.

Il résulte de tout ce qui précède que la salariée ne présente pas d'éléments de fait, qui pris dans leur ensemble, laissent supposer un harcèlement moral.

La salariée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du harcèlement moral et de nullité du licenciement. Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur le manquement à l'obligation de sécurité

Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et qui, informé de l'existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral, a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser.

La salariée soutient que la société a manqué à son obligation de sécurité en la soumettant à 'une charge de travail considérable' entre 2015 et 2018, en se contentant de nier les agissements de harcèlement moral et en ne diligentant pas d'enquête sur ceux-ci, et au surplus, lors de sa reprise au mois de mai 2019, en ne prenant aucune mesure particulière à son égard, en lui faisant reprendre son poste dans un environnement de travail identique à celui qu'elle avait quitté, ce qui a provoqué une rechute de son état de santé.

La société réplique que la salariée n'établit pas de manquement à l'obligation de sécurité, qu'elle ne démontre ni une charge de travail excessive, ni la pression continuelle qu'elle dénonce, qu'au contraire elle a soutenu et aidé la salariée, d'abord en lui adjoignant le soutien de Mme [M] puis celui temporaire de M. [N], que de toutes les façons , la salariée n'établit pas de préjudice causé par le manquement allégué et qu'elle doit être déboutée de sa demande de ce chef.

S'agissant de la période comprise entre 2015 et 2017, la salariée ne produit aucune pièce établissant la 'charge de travail considérable' qu'elle allègue. Les heures supplémentaires retenues par la cour sur cette période sont insuffisantes à établir une telle surcharge de travail.

S'agissant de l'année 2018, les allégations de la salariée relatives à la 'charge de travail considérable' sont contredites par les pièces produites par la société qui établissent que Mme [M] est intervenue en soutien de la salariée qui éprouvait des difficultés d'ordre technique à partir de mars 2018, au travers de rendez-vous organisés les 16 mars, 5 avril, 19 avril, 9 mai, 25 mai et 22 juin 2018, que la salariée a aprécié ainsi qu'il ressort de son courriel adressé le 5 juillet 2018 à Mme [M] en ces termes : 'Merci pour tout le soutien apporté sur le Rfp, c'était formidable de travailler ensemble. Merci'. Par ailleurs, la société établit avoir apporté un soutien à la salariée par la désignation de M. [N] en juin 2018 pour travailler temporairement avec elle à hauteur de 30 % de son temps de travail sur les projets de 'pitchs' internationaux. En outre, il résulte du tableau sus-mentionné établi par la société sur la base des dates et heures des courriels professionnels envoyés par la salariée entre le 1er janvier 2018 et le 19 août 2018, période présentée par la salariée comme ayant été difficile, que sur cette période de 33 semaines, celle-ci a réalisé 75,65 heures au-delà de 35 heures hebdomadaires.

Par ailleurs, il résulte des développements qui précèdent que le harcèlement moral allégué par la salariée n'est pas établi.

En outre, à la date du 12 octobre 2018 à laquelle la salariée a dénoncé à l'employeur une situation de harcèlement moral, celle-ci se trouvait en arrêt de travail pour maladie sans discontinuer depuis le 28 août 2018 et ne se trouvait donc pas en situation de danger pour sa santé et sa sécurité dans l'entreprise.

La salariée a repris son poste de travail à la suite d'une visite de reprise du 7 mai 2019 à l'issue de laquelle le médecin du travail l'a déclarée apte à la reprise du travail, sans formuler aucune contre-indication ou réserve.

La société justifie qu'à la reprise du travail de la salariée, Mme [O] lui a transmis les 7 et 10 mai 2019 des éléments d'information des événements survenus en son absence afin de lui permettre de remettre ses connaissances à niveau, ce que la salariée admet, puis une liste de ses clients et ses objectifs pour l'année.

Il ne ressort d'aucune des pièces produites aux débats que la salariée a été soumise à des demandes émanant de l'employeur ou à des conditions de travail mettant en danger sa santé et sa sécurité, étant relevé que la salariée a travaillé pendant une période de seulement huit jours avant d'être à nouveau arrêtée pour maladie.

La brièveté du retour de la salariée à son poste de travail ne permet pas de retenir que la société a manqué à son obligation de sécurité à son égard.

L'absence d'enquête à la suite de sa lettre du 12 octobre 2018 ne permet pas de fonder un manquement à l'obligation de sécurité de l'employeur.

Aucun lien entre les conditions de la reprise du travail et la rechute de l'état de santé de la salariée ne ressort des pièces produites devant la cour.

La salariée sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts au titre du manquement à l'obligation de sécurité ainsi que de sa demande consécutive au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé sur ces points.

Sur les intérêts au taux légal et leur capitalisation

Les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes.

La capitalisation des intérêts sera ordonnée dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Eu égard à la solution du litige, le jugement sera infirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

La société sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'à payer à la salariée la somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu'il a dit qu'[V] [U] est soumise au forfait annuel en jours, a débouté celle-ci de sa demande d'heures supplémentaires et congés payés afférents et en ce qu'il statue sur les intérêts, leur capitalisation, les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT qu'[V] [U] n'était pas soumise à une convention de forfait annuel en jours,

CONDAMNE la société Ac Nielsen à payer à [V] [U] les sommes brutes suivantes:

* 10 605,19 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2016,

* 1 060,51 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

* 15 741,81 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2017

* 1 574,18 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents,

* 7 812,03 euros au titre des heures supplémentaires de l'année 2018,

* 781,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés incidents.

DIT que les créances de nature salariale produisent des intérêts au taux légal à compter de la réception par la société Ac Nielsen de la convocation devant le bureau de conciliation et d'orientation du conseil de prud'hommes d'Argenteuil,

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

CONFIRME le jugement pour le surplus des dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société Ac Nielsen à payer à [V] [U] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Ac Nielsen aux entiers dépens,

DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02968
Date de la décision : 04/01/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-01-04;21.02968 ?
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