COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 DECEMBRE 2022
N° RG 20/00093
N° Portalis DBV3-V-B7E-TV3P
AFFAIRE :
[N] [W]
C/
S.A.S. LA BOUCHERIE DU MARCHE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de POISSY
N° Section : C
N° RG : F18/00121
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Stefan RIBEIRO
Me Nathalie WINKLER
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [N] [W]
né le 02 septembre 1963 à [Localité 8] ([Localité 4])
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 6]
Représentant : Me Stefan RIBEIRO de la SELARL ALTILEX AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 80
APPELANT
****************
S.A.S. LA BOUCHERIE DU MARCHE
N° SIRET : 809 377 260
[Adresse 3]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentant : Me Olivier CHARLES GERVAIS de la SCP TEISSEDRE, SARRAZIN, CHARLES GERVAIS, Plaidant, avocat au barreau de MONTPELLIER et Me Nathalie WINKLER, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 370
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 28 octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,
Greffier placé lors des débats : Virginie BARCZUK
La société La boucherie du marché, dont le siège social se situe [Adresse 3], est spécialisée dans le commerce de détail de viandes et de produits à base de viande en magasins spécialisés. Elle emploie plus de 10 salariés.
La convention collective nationale applicable est celle de la boucherie, boucherie-charcuterie, boucherie hyppophagique, triperie, commerces de volailles et gibiers du 12 décembre 1978 actualisée.
M. [N] [W], né le 2 septembre 1963, a été engagé par la société La boucherie du marché, selon contrat de travail à durée déterminée pour une durée de 10 jours à compter du 20 décembre 2017 en qualité de boucher-charcutier, moyennant une rémunération de 1 700 euros pour 41,50 heures de travail hebdomadaire.
Le lieu de travail était fixé à [Localité 7] (78) et dans les succursales du groupe aux Mureaux et à Meulan (78) tandis que M. [W] était domicilié à [Localité 6] (67).
La relation de travail s'est poursuivie selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 22 janvier 2018, dont plusieurs versions sont produites, prévoyant toutes une clause relative à la période d'essai rédigée dans les termes suivants :
« Le contrat est assorti d'une période d'essai de 1 mois renouvelable une fois, soit jusqu'au 23/03/2018 inclus, période pendant laquelle il pourra être rompu, sans indemnité, par chacune des parties. »
M. [W] ne s'est plus présenté à son poste de travail à compter du 24 février 2018.
Par courrier du 6 mars 2018, il a dénoncé à son employeur ses conditions de travail - mettant notamment en avant des problèmes d'hygiène, de salubrité, de chauffage - et a invoqué son droit de retrait.
Par courrier du 7 mars 2018, la société La boucherie du marché a mis fin à la période d'essai de M. [W], dans les termes suivants :
'Depuis le 24 février 2018, vous ne vous êtes plus présenté à votre poste de travail sans nous fournir de motif.
Par la présente, nous vous informons que nous mettons fin à votre période d'essai à compter du 28 février 2018.'
Par requête reçue au greffe le 19 avril 2018, M. [W] a saisi la formation de référé du conseil de prud'hommes de Poissy aux fins d'obtenir paiement d'un rappel de salaire sur la base de 1 700 euros par semaine.
Par ordonnance du 13 juillet 2018, la formation de référé du conseil de prud'hommes de Poissy a condamné La boucherie du marché à payer à titre provisionnel à M. [W] les sommes suivantes :
- 2 550 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de janvier 2018,
- 6 800 euros à titre de rappel de salaire pour le mois de février 2018,
- 935 euros au titre des congés payés y afférents,
- 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle a en outre condamné La boucherie du marché à remettre au salarié une fiche de paye pour le mois de décembre 2017, les fiches de paye de janvier et février 2018, un certificat de travail et une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
La boucherie du marché a interjeté appel de la décision par déclaration en date du 25 juillet 2018.
Par ordonnance rendue le 17 janvier 2019, le délégataire du Premier président de la Cour d'appel de Versailles a débouté La boucherie du marché de sa demande de suspension de l'exécution provisoire de l'ordonnance de référé et de sa demande de constitution d'un séquestre du montant de la condamnation totale.
Par arrêt rendu le 7 février 2019, la 6ème chambre sociale de la Cour d'appel de Versailles a infirmé l'ordonnance de référé rendue le 13 juillet 2018, a dit n'y avoir lieu à référé et a condamné M. [W] à payer à La boucherie du marché une somme de 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance, outre la même somme en cause d'appel, et les entiers dépens.
Parallèlement, par requête reçue au greffe le 30 avril 2018, M. [W] a saisi au fond le conseil de prud'hommes de Poissy aux fins de solliciter la requalification de son CDD en CDI, outre le versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
La société La boucherie du marché avait quant à elle conclu au débouté de M. [W] et avait sollicité sa condamnation à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 19 décembre 2019, la section commerce du conseil de prud'hommes de Poissy a :
- débouté M. [W] de l'ensemble de ses demandes,
- débouté la société La boucherie du marché de sa demande 'reconventionnelle',
- dit que chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.
M. [W] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 9 janvier 2020.
Par dernières conclusions (n°2) notifiées par voie électronique le 6 septembre 2022, M. [N] [W] demande à la cour de :
- recevoir M. [W] en ses écritures,
Y faisant droit,
- infirmer purement et simplement le jugement,
Statuant à nouveau,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 2 112,76 euros nets à titre d'indemnité de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 278,60 euros bruts à titre de rappel de salaire sur la période du 20 décembre au 28 décembre 2018 (en réalité 2017),
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 27,86 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 10 180,67 euros nets à titre de rappel de salaire sur la période de janvier à mars 2018,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 1 018,06 euros nets au titre des congés payés afférents,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 1 700 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 170 euros nets au titre des congés payés afférents,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 13 600 euros nets à titre de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 6 800 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de procédure de licenciement,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts distincts,
- ordonner la rectification de l'attestation Pôle emploi, pour y faire apparaître la totalité des rémunérations versées entre janvier et mars 2018, ce sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 8ème jour suivant la notification de l'arrêt à intervenir,
- condamner La boucherie du marché à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner La boucherie du marché aux entiers dépens.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2020, la société La boucherie du marché demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement entrepris, en toutes ses dispositions à l'exception de celle ayant débouté la SAS Boucherie du marché de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- débouter M. [W] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [W] à payer à la société La boucherie du marché la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les procédures de première instance et d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens,
Si nécessaire, avant dire droit,
- procéder à la vérification d'écriture en vertu des dispositions des articles 287 et 288 du code de procédure civile, et si besoin,, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, désigner tel expert graphologue qu'il plaira au conseil (sic) avec pour mission de dire si la signature et les paraphes apposés sur le contrat de travail de M. [W] sont (ceux) de M. [M] ou s'il s'agit d'une falsification émanant de M. [W],
A titre subsidiaire,
- dire et juger qu'il n'y'a pas lieu à requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée,
- dire et juger que la rémunération mensuelle de M. [W] est de 1 700 euros,
- dire et juger que M. [W] a abusé de son droit de retrait,
- dire et juger que le licenciement de M. [W] est justifié par une cause réelle et sérieuse, à savoir son absence injustifiée à son poste de travail,
- dire et juger que M. [W] ne justifie d'aucun préjudice du fait de son licenciement, du fait de l'absence de préavis et du fait de l'absence de respect de la procédure de licenciement,
En conséquence,
- débouter M. [W] de toutes ses demandes, fins et conclusions,
- condamner M. [W] à payer à la société La boucherie du marché la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que l'indemnité de requalification du contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée ne peut être supérieure à 1 011,32 euros brut,
- dire et juger que l'indemnité de licenciement ne peut être supérieure à un mois de salaire, soit 1 700 euros,
- dire et juger que l'indemnité compensatrice de préavis ne peut être supérieure à 425 euros,
- dire et juger que l'indemnité due pour l'absence de respect de la procédure de licenciement ne peut être supérieure à la somme de 1 700 euros.
Par ordonnance rendue le 12 octobre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 28 octobre 2022.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS DE L'ARRET
Sur le contrat à durée déterminée
1 - Sur la requalification du CDD en CDI
M. [W] demande la requalification de son CDD en CDI au motif que l'emploi de boucher relève de l'activité normale d'une boucherie et que rien ne justifie ni n'explique un quelconque surcroît de travail, a fortiori au sein d'un ou des magasins du groupe. Il soutient que le conseil de prud'hommes a excédé ses pouvoirs en considérant que le recours au CDD correspondait à la période des fêtes, ce qui n'était précisé nulle part.
La boucherie du marché réplique que le contrat mentionne qu'il est recouru à un CDD en raison d'un surcroît d'activité, ce qui constitue le motif précis exigé par l'article L. 1242-12 du code du travail, soulignant qu'il existe un accroissement temporaire d'activité au sein de la société lors des fêtes de fin d'année en raison de la demande plus importante des clients.
L'article L. 1242-1 du code du travail dispose que 'un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.'
L'article L. 1242-2 du même code dispose que 'sous réserve des dispositions de l'article L. 1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l'exécution d'une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas suivants : (...)
2° accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ; (...).'
Par sa formulation générale, le texte autorise la conclusion de CDD pour tout surcroît d'activité, régulier ou irrégulier, habituel, occasionnel ou exceptionnel. Le caractère occasionnel ou habituel des variations cycliques d'activité est apprécié au cas par cas par les juges du fond.
En cas de litige sur le motif du recours à un contrat à durée déterminée, il incombe à l'employeur de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat.
En vertu de l'article L. 1245-1 du code du travail, est réputé à durée indéterminée tout contrat de travail conclu en méconnaissance de ces dispositions.
En l'espèce, un CDD a été conclu entre La boucherie du marché et M. [W] au motif d'un 'surcroît d'activité d'un ou des magasins du groupe', ' pour une durée de 10 jours à compter du 20/12/2017".
La période pour laquelle le contrat a été conclu correspond aux fêtes de fin d'année, durant lesquelles la demande de la clientèle, en matière alimentaire notamment, est plus forte qu'habituellement.
En conséquence, le recours à un CDD était régulier et il n'y a pas lieu de requalifier le contrat de travail à durée déterminée de M. [W] en contrat à durée indéterminée ni d'allouer à l'appelant une indemnité de requalification du contrat.
Le jugement de première instance sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes à ce titre.
2 - Sur le rappel de salaire
M. [W] fait valoir qu'il a travaillé 80 heures, comme promis, mais que seules 60 heures ont été déclarées. Il demande paiement des 20 heures de différence.
La boucherie du marché ne conclut pas sur ce point.
Le conseil de prud'hommes n'a pas motivé sa décision sur le rejet de cette demande.
Le CDD prévoyait un travail à temps complet à raison de 41,50 heures hebdomadaires pour une rémunération nette mensuelle de 1 700 euros (pièce 1 de l'appelant).
M. [W] a été payé pour 60 heures de travail du 20 au 28 décembre 2017 (pièce 2 de l'appelant).
Lorsqu'il a demandé à M. [P] [M], directeur général de la société La boucherie du marché, le nombre d'heures déclarées, ce dernier lui a répondu par courriel du 30 décembre 2017 'je pars sur 60 heures déclarées et 20 autrement' (pièce 6 de l'appelant).
Il ressort de ces documents que M. [W] a travaillé 80 heures pour 60 heures déclarées et rémunérées et La boucherie du marché ne justifie pas que la différence de 20 heures a été payée à M. [W] d'une quelconque façon.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement de première instance en ce qu'il a débouté M. [W] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents pour le mois de décembre 2017 et de condamner la société La boucherie du marché à verser à ce dernier une somme de 278,60 euros brute à titre de rappel de salaire sur le mois de décembre 2017, outre 27,86 euros au titre des congés payés afférents.
Sur le contrat à durée indéterminée
1 - sur les mentions du contrat de travail et la demande de vérification d'écriture
M. [W] expose qu'habitant en Alsace, à 500 kilomètres de l'établissement d'[Localité 7], il avait accepté la proposition contractuelle d'une rémunération de 1 700 euros nets par semaine, pour tenir compte de ses frais de déplacement, restauration et hébergement lorsqu'il venait et restait en région parisienne trois ou quatre journées par semaine ; que l'accord des parties n'est pas interprétable et résulte de cette situation très particulière ; qu'au moment de la rupture du contrat de travail, l'employeur a imaginé que la rémunération était mensuelle et non hebdomadaire et a rédigé un faux contrat de travail en ajoutant la mention 'mensuelle' sur la copie non signée qu'il a produit devant la formation de référé, tandis que lui-même produit l'original du contrat signé par les deux parties. Il indique qu'il a porté plainte pour faux et souligne que dans l'attestation Pôle emploi établie par La boucherie du marché le 8 août 2018, un salaire mensuel de 5 949,98 euros brut a été mentionné pour le mois de février 2018.
La boucherie du marché souligne que les juridictions qui ont statué ont retenu un salaire de 1 700 euros par mois, tel que prévu par le contrat qu'elle a adressé au salarié, qui ne l'a pas retourné signé. Elle fait valoir qu'elle a également porté plainte car le contrat de travail produit par M. [W] est un faux, soulignant que ce dernier a déjà été condamné pour escroquerie. Si ce contrat n'est pas écarté, la société demande de procéder à une vérification d'écriture.
Trois contrats de travail sont versés au débat :
- le CDD conclu le 20 décembre 2017, signé et paraphé 'GM' sur chaque page et à côté de la signature par M. [P] [M], directeur général de la société La boucherie du marché, revêtu du tampon de la société, non signé par le salarié, qui prévoit 'une rémunération nette mensuelle de 1700 euros pour 41,50 heures hebdomadaires', dont l'authenticité n'est pas contestée et qui peut donc servir de comparaison (pièces 1 de l'appelant et de l'intimé),
- le CDI daté du 22 janvier 2018 signé et paraphé 'GM' sur chaque page et au dessous de la signature par M. [M], revêtu du tampon de la société, non signé par le salarié, qui prévoit 'une rémunération mensuelle nette de 1 700 euros pour 41,50 heures hebdomadaires annualisé', que l'employeur indique avoir adressé à M. [W] (pièce n°3 de l'intimée),
- le CDI daté du 22 janvier 2018 signé et paraphé 'MG' sous le nom de M. [M], seulement sur les deux premières pages et non sur la dernière à côté de la signature, revêtu du tampon de la société, également signé et paraphé par M. [W], qui prévoit 'une rémunération nette de 1 700 euros pour 41,50 heures hebdomadaires annualisé' (pièce 3 de l'appelant).
Contrairement à ce que le conseil de M. [W] a soutenu, ce n'est pas un original qui a été remis à la cour à l'audience du 28 octobre 2022, mais de toute évidence une photocopie couleur, dès lors que si les paraphes et signatures figurent en bleu, il n'existe au toucher aucune trace d'encre ou de marque de stylo sur les feuilles du document.
Ainsi que l'a retenu la cour d'appel de Versailles statuant le 7 février 2019 (pièce 15 de l'intimée) et le conseil de prud'hommes de Poissy statuant le 19 décembre 2019 à sa suite, l'examen de copies rend plus difficile l'authentification des documents, notamment en ce qui concerne la présence de filigranes ou encore la taille des caractères. Il en est d'ailleurs de même pour les mentions en bas de page.
La cour retient que les deux exemplaires de CDI présentent des différences, tenant à l'inversion de l'ordre des lettres G et M, sans que leur tracé ne soit toutefois très différent, et au tampon de la société, le numéro Siren étant plus grand que l'indication du code postal et du nom de la commune sur les documents présentés par la société et plus petit sur le document produit par M. [W].
Ces différences ne permettent néanmoins pas de conclure au caractère falsifié du contrat produit par M. [W], alors que la signature de M. [M] est d'allure similaire sur tous les contrats.
La résolution du litige ne nécessite pas une vérification d'écriture en ce que, quand bien même l'authenticité du contrat présenté par M. [W] serait retenue, ses mentions ne permettent pas de faire droit aux prétentions salariales de M. [W].
2 - sur le rappel de salaire
M. [W] demande un rappel de salaire et de congés payés afférents sur la base d'une rémunération de 1 700 euros par semaine du 22 janvier 2018 au 7 mars 2018.
La boucherie du marché réplique que le salaire est par principe mensuel et qu'il n'existe aucune raison pour que le salaire prévu au CDI soit différent de celui qui avait été prévu par le CDD ; que la fixation d'un salaire hebdomadaire de 1 700 euros, qui excède la rémunération des salariés du magasin, cadres compris, ne résulte d'aucun document ou échange avec l'employeur et qu'il n'est justifié d'aucun frais.
L'article L. 3242-1 du code du travail prévoit en ses alinéas 1 et 2 que 'La rémunération des salariés est mensuelle et indépendante, pour un horaire de travail effectif déterminé, du nombre de jours travaillés dans le mois. Le paiement mensuel neutralise les conséquences de la répartition inégale des jours entre les douze mois de l'année.
Pour un horaire équivalent à la durée légale hebdomadaire, la rémunération mensuelle due au salarié se calcule en multipliant la rémunération horaire par les 52/12 de la durée légale hebdomadaire.'
Le CDI produit par M. [W] ne mentionne nullement que la rémunération de 1 700 euros est hebdomadaire. Il ne fait état d'aucune prise en compte de l'éloignement géographique de M. [W] pour majorer le salaire.
Le CDD antérieur prévoyait une rémunération de 1 700 euros par mois, alors que M. [W] habitant en Alsace, il avait déjà en théorie des frais de transport, de nourriture et d'hébergement pour venir travailler dans les Yvelines.
Une rémunération de 1 700 euros par semaine est anormalement élevée par rapport à la rémunération des autres salariés de la société (voir pièce 13 de l'intimée) et M. [W] ne justifie par aucune pièce de la réalité et du montant des frais qu'il a engagés pour venir travailler et séjourner en région parisienne plusieurs jours par semaine.
La mention d'un salaire de 5 949,98 euros brut pour le mois de février 2018 dans l'attestation Pôle emploi établie le 8 août 2018 par l'employeur (pièce 15 de l'appelant) ne saurait constituer une reconnaissance par ce dernier du bien-fondé des prétentions salariales de M. [W] puisque cette attestation a de toute évidence été établie en exécution de l'ordonnance de référé du conseil de prud'hommes de Poissy rendue le 13 juillet 2018, infirmée depuis.
En conséquence, une rémunération de 1 700 euros par mois sera retenue et M. [W] sera débouté de sa demande de rappel de salaires pour les mois de janvier et février 2018 et des congés payés afférents, par confirmation de la décision de première instance.
3 - sur la rupture abusive du contrat de travail
M. [W] soutient que la période d'essai devait courir à compter du CDD du 20 décembre 2017 et non à compter du commencement du second contrat ; que la possibilité de renouveler la période d'essai n'est pas prévue par la convention collective et qu'en tout état de cause, il n'a pas donné son accord pour que la période d'essai soit renouvelée. Il en conclut que la rupture de la période d'essai le 7 mars 2018 après son expiration est abusive et doit être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il fait valoir à titre subsidiaire que lorsque l'employeur invoque un motif disciplinaire pour mettre fin à la période d'essai, il doit respecter la procédure disciplinaire.
La boucherie du marché répond que la rupture est intervenue durant la période d'essai ayant débuté le 22 janvier 2018 pour se terminer le 22 mars 2018 compte-tenu de la possibilité de la renouveler ; que s'il est considéré que la rupture n'est pas intervenue pendant la période d'essai, il y a eu un licenciement pour cause réelle et sérieuse motivé par l'absence injustifiée de M. [W], ce dernier ayant invoqué de mauvaise foi un droit de retrait.
- sur la rupture du contrat de travail pendant la période d'essai
L'article 1221-19 du code du travail prévoit qu'un contrat à durée indéterminée peut comporter une période d'essai dont la durée maximale est de 2 mois pour les ouvriers et employés.
L'article 1221-20 du même code dispose que 'la période d'essai permet à l'employeur d'évaluer les compétences du salarié dans son travail, notamment au regard de son expérience, et au salarié d'apprécier si les fonctions occupées lui conviennent.'
Lorsqu'une société a déjà pu évaluer les compétences d'un salarié dans son travail et que c'est en raison de ses compétences reconnues et de l'expérience acquise chez elle qu'elle l'embauche dans les mêmes fonctions, la stipulation d'une période d'essai est abusive.
En l'espèce, le contrat à durée indéterminée de M. [W] daté du 22 janvier 2018, pour une embauche en qualité de boucher-charcutier, mentionne en son article 2, dans les deux versions versées au débat, l'existence d'une période d'essai de un mois renouvelable une fois.
Or M. [W] avait déjà travaillé dans la société en qualité de boucher-charcutier, du 20 au 28 décembre 2017, dans le cadre d'un contrat à durée déterminée.
Dès lors, puisque La boucherie du marché avait été récemment en mesure d'évaluer les compétences du salarié dans les mêmes fonctions, la stipulation d'une période d'essai dans le contrat à durée indéterminée était abusive.
Par ailleurs, l'article L. 1221-21 du code du travail prévoit que la période d'essai peut être renouvelée une fois si un accord de branche étendu le prévoit. Cet accord fixe les conditions et les durées de renouvellement.
Le renouvellement de la période d'essai ne peut intervenir qu'une seule fois, à la condition que tant l'accord de branche étendu que le contrat de travail ou la lettre d'engagement le prévoient.
En l'espèce, si le contrat à durée indéterminée prévoit le renouvellement de la période d'essai, tel n'est pas le cas de la convention collective nationale de la boucherie qui indique en son article 11 l'existence d'une période d'essai de un mois pour les ouvriers et le personnel administratif, sans prévoir son renouvellement.
La boucherie du marché ne pouvait donc en tout état de cause renouveler la période d'essai au bout d'un mois.
Enfin, la mise en oeuvre du renouvellement de la période d'essai nécessite l'accord des deux parties et il n'est pas établi en l'espèce que M. [W] a donné son accord pour le renouvellement de la période d'essai du contrat à durée indéterminée au delà du 21 février 2018.
La rupture du contrat de travail n'étant pas intervenue régulièrement durant la période d'essai, elle s'analyse en un licenciement.
- sur le caractère réel et sérieux du licenciement
Si l'employeur peut, sans motif et sans formalité, mettre fin à la période d'essai, il doit, lorsqu'il invoque un motif disciplinaire, respecter la procédure disciplinaire (Cass. Soc., 10 mars 2004, n°01-44.750).
En l'espèce, le courrier de rupture du contrat de travail pendant la période d'essai daté du 7 mars 2018 invoque une absence du salarié au poste de travail depuis le 24 février 2018 sans fournir de motif.
Cependant, à défaut de mise en oeuvre par l'employeur de la procédure disciplinaire de licenciement prévue par l'article L. 1232-2 du code du travail, dès lors que M. [W] n'a pas été convoqué à un entretien préalable avant toute décision, la rupture du contrat de travail de M. [W] par La boucherie du marché constitue nécessairement un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le jugement de première instance sera en conséquence infirmé en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes indemnitaires au titre de la rupture du contrat de travail.
4 - sur les sommes réclamées par M. [W]
- sur l'indemnité compensatrice de préavis
M. [W] demande, au visa des articles L. 1234-1 du code du travail et 33 de la convention collective nationale, une indemnisation d'une semaine de salaire, soit 1 700 euros, outre les congés payés afférents.
La boucherie du marché prétend en premier lieu qu'aucune indemnité n'est due puisque M. [W] ne serait jamais revenu travailler puisqu'il avait invoqué un droit de retrait en raison du froid dans le magasin. Elle demande à titre subsidiaire la réduction du montant de l'indemnité.
M. [W] n'ayant pas été licencié pour faute grave et ayant moins de 6 mois d'ancienneté chez le même employeur, la durée de son préavis est, en vertu de l'article L. 1234-1 du code du travail et de l'article 33 de la convention collective nationale de la boucherie, d'une semaine.
En cas de requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, dès lors que le salarié n'a pas travaillé durant la période de préavis, il peut prétendre à une indemnité compensatrice de préavis. Tel est le cas en l'espèce puisque M. [W] ne s'est plus présenté au travail, en exerçant son droit de retrait, dont il importe peu de savoir s'il était fondé ou non.
Compte tenu d'une rémunération mensuelle et non hebdomadaire de 1 700 euros, une somme de 425 euros lui sera allouée à ce titre, outre 42,50 euros au titre des congés payés afférents.
- sur les dommages et intérêts pour rupture abusive
L'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1987 du 22 septembre 2017, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, selon un barème fixé par le texte.
M. [W] réclame une indemnité égale à deux mois de salaire.
La boucherie du marché objecte que l'indemnité ne peut être supérieure à un mois de salaire et qu'elle n'est pas due puisque le préjudice est inexistant, M. [W] invoquant un droit de retrait injustifié qui montre qu'il ne serait jamais revenu travailler.
M. [W] ayant moins d'un an d'ancienneté dans une société employant plus de 10 salariés, il peut percevoir une indemnité maximale de 1 mois de salaire, sans minimum. La rupture abusive du contrat de travail causant au salarié un préjudice, il lui sera alloué une indemnisation de 800 euros.
- sur les dommages et intérêts pour absence de procédure de licenciement
M. [W] sollicite, sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail, une indemnité de 6 800 euros.
La boucherie du marché objecte que M. [W] ne justifie d'aucun préjudice du fait de l'absence de respect de la procédure de licenciement. Elle demande à titre subsidiaire la limitation de l'indemnité à la somme de 1 700 euros.
L'article L. 1235-2 du code du travail, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017 applicable au litige, prévoit que lorsqu'une irrégularité a été commise dans la procédure de licenciement, mais pour une cause réelle et sérieuse, le juge accorde au salarié, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être supérieure à un mois de salaire.
En l'espèce, les dommages et intérêts alloués pour licenciement sans cause réelle et sérieuse indemnisant également l'absence de respect de la procédure de licenciement, M. [W] sera débouté de sa demande d'indemnisation pour irrégularité de la procédure de licenciement, par confirmation de la décision de première instance.
Sur la demande de dommages et intérêts
M. [W] soutient qu'en ayant exposé devant la formation de référé et devant le premier président de la cour d'appel qu'il a déjà été condamné pour escroquerie, qu'il n'en est pas à son coup d'essai ou qu'il existe un risque important qu'il fasse disparaître les fonds dès qu'il les aura reçus, La boucherie du marché a porté une atteinte inadmissible à sa réputation et à son intégrité.
La boucherie du marché réplique qu'elle ne fait que se défendre et qu'elle rappelle des faits réels, à savoir une condamnation de M. [W] pour escroquerie.
M. [W], qui ne fonde pas sa demande en droit, a, à la suite de conclusions prises par le conseil de La boucherie du marché devant le conseil de prud'hommes en 2018, qu'il ne produit pas, écrit à ce conseil qu'il a déposé plainte auprès du procureur de la République pour faux et usage de faux et propos calomnieux (sa pièce n°11), ce dont il a fait part au conseil de prud'hommes (sa pièce n°12), en ajoutant que M. [P] [M] a fait l'objet de deux liquidations judiciaires qui lui sont imputables et qu'il a mis sa femme comme 'femme de paille'.
Les suites de cette plainte ne sont pas relatées.
La boucherie du marché produit un article du journal Le Parisien en date du 9 octobre 2014 (sa pièce n°12) qui relate la comparution devant le tribunal correctionnel de M. [W] et d'un autre ancien syndicaliste, pour des faits d'escroquerie, faux et usage de faux et contrefaçon commis dans le cadre de l'assistance de salariés devant les prud'hommes, sous couvert de la CFTC, laquelle était partie civile. M. [W] se borne à dire que l'employeur ne sait rien des raisons ou causes de la condamnation pénale, sans nier son existence.
En conséquence, l'affirmation de La boucherie du marché sur le fait que M. [W] a été condamné pour escroquerie est factuelle et la demande de dommages et intérêts sera rejetée, par confirmation de la décision de première instance.
Sur la rectification de l'attestation Pôle emploi
La société La boucherie du marché sera condamnée à rectifier l'attestation Pôle emploi conformément à la présente décision, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.
Sur les demandes accessoires
La boucherie du marché étant condamnée en paiement, elle supportera les entiers dépens, de première instance et d'appel.
Sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée et elle sera condamnée à payer à M. [W] une somme de 1 000 euros du même chef.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 19 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Poissy en ce qu'il a :
- débouté M. [W] de sa demande de rappel de salaire et congés payés afférents au titre du mois de décembre 2017,
- débouté M. [W] de sa demande au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents,
- débouté M. [W] de sa demande d'indemnité au titre de la rupture abusive du contrat de travail,
- dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens,
Le confirme pour le surplus,
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant
Rejette la demande de vérification d'écriture formée par la société La boucherie du marché,
Condamne la société La boucherie du marché à payer à M. [N] [W] les sommes de :
- 278,60 euros bruts à titre de rappel de salaire sur le mois de décembre 2017,
- 27,86 euros au titre des congés payés afférents,
- 425 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,
- 42,50 euros au titre des congés payés afférents,
- 800 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive du contrat de travail,
Déboute M. [W] du surplus de ses demandes à ce titre,
Condamne la société La boucherie du marché à rectifier l'attestation Pôle emploi conformément à la présente décision,
Rejette la demande de prononcé d'une astreinte,
Condamne la société La boucherie du marché aux entiers dépens de première instance et d'appel,
Déboute la société La boucherie du marché de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société La boucherie du marché à payer à M. [N] [W] une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine BOLTEAU-SERRE, président, et par Mme Virginie BARCZUK, greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER placé, LE PRESIDENT,