COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
17e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 DÉCEMBRE 2022
N° RG 20/02539
N° Portalis DBV3-V-B7E-UEXW
AFFAIRE :
[T] [I] [R]
C/
SNC NATUREO [Localité 5]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 octobre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de RAMBOUILLET
Section : E
N° RG : F 19/00002
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Sabine LAMIRAND
Me Emilie PLANCHE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE DÉCEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [T] [I] [R]
né le 2 juin 1977 à [Localité 4] (Maroc)
de nationalité franco-marocaine
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentant : Me Inès PLANTUREUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B0171 et Me Sabine LAMIRAND, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.455
APPELANT
****************
SNC NATUREO [Localité 5]
N° SIRET : 505 047 837
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentant : Me Valérie GUICHARD de la SELAS BARTHELEMY AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0097 et Me Emilie PLANCHE, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C456
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Aurélie PRACHE, Président,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK
FAITS ET PROCÉDURE
M. [I] [R] a été engagé par la société Planète Bio Nature, en qualité de directeur de magasin pépinière, par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet, à compter du 29 juin 2015.
Par une convention tripartite du 5 octobre 2015, le contrat de travail de M. [I] [R] a été transféré à la société Natureo [Localité 5], le salarié assurant les fonctions de directeur de magasin à partir du 1er novembre 2015. Selon les termes de ce contrat, le salarié était assujetti à une convention de forfait de 218 jours (art. 4 du contrat).
Cette société est spécialisée dans distribution d'aliments biologiques en traditionnel et libre-service. Elle emploie plus de 10 salariés et applique la convention collective nationale du commerce de détail, des fruits et légumes, épicerie et produits laitiers.
Par lettre du 22 décembre 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 10 janvier 2018.
Il a été licencié par lettre du 16 janvier 2018 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :
« (') Recruté en qualité de directeur de magasin, vous deviez mener à bien votre mission dans le respect des dispositions légales, de nos règles internes et de notre code éthique. Ainsi, nous attachons une attention toute particulière au respect des règles de l'enseigne, tant sur l'aspect santé des clients que les respects de la politique de prix; mais aussi au climat et à l'ambiance de travail afin que les relations entre tous soient courtoises, sereines et respectueuses, nos managers devant faire preuve d'exemplarité et ce à tout point de vue.
Or, vous avez fait preuve d'un comportement inadapté tant sur le plan du non respect des règles et consignes d'enseigne que sur le plan des relations avec votre hiérarchie et les fonctions supports.
Sur le plan du non-respect des règles et process internes d'abord
Suite à l'audit AQUA du Q2 (88,9%) démontrant une baisse, alertant au niveau de l'hygiène (En Q1, la note était de 95%), [E] [V] vous a demandé de régler les anomalies. Vous vous y êtes engagé, mais la note AQUA du Q3 démontre que cela n'a pas été le cas : 82.2%. Devant un telle dégradation de la qualité et sécurité alimentaire, [E] [V] vous a demandé le 4 décembre pourquoi les points n'avaient pas été traités (il restait alors 5 points de non-conformité) et ce que vous contiez faire pour y remédier. Vous lui avez répondu que vous ne ferez rien, que c'était normal. Le 20 décembre lors de son passage, il ne restait plus qu'un point, mais très vite,2 autres points de non-conformité sont réapparus.
Lors de l'entretien vous avez confirmé avoir dit cela mais que c'était dans un contexte spécifique et récurrent, que les points de non-conformité étaient bénins et que vous serez plus pointilleux sur le contrôle.
Outre le fait que nous nous interrogeons sur votre engagement, non tenu tout au long de cette année, nous ne pouvons pas accepter un tel argument : les points d'hygiènes et sécurité alimentaire ne sont pas bénins. Ces points concernent la santé de nos clients et pourraient en cas d'incident santé entacher l'image et l'activité même de notre enseigne. C'est pourquoi ce domaine (sécurité / santé) est aussi primordial.
Lors du passage de M. [Z] [W] au mois d'août, il a constaté que le rayon fruits et légumes perdait du chiffre d'affaire et des parts de marché et lors de son passage en octobre, suite au référencement de vos fournisseurs locaux, il vous a demandé de revoir vos tarifs en fruits et légumes en vous alignant sur la marge la plus haute de votre secteur, à savoir 32. En effet, notre concept de supermarché bio met en avant le « juste prix » pour nos clients, avec le respect du travail de nos fournisseurs et le coût raisonnable de l'intermédiaire de distributeur que nous sommes. Lors du passage de Mr [V], en septembre, il vous a été rappelé ce principe. Or votre marge en fruits et légumes en octobre était de 38, en novembre de 36 et à nouveau en décembre de 38.
Lors de l'entretien vous avez confirmé connaître cette règle mais précisé que vous l'aviez fait pour la prime de votre collaborateur, pour faire gagner de l'argent à la société et pour éviter de perdre toute crédibilité auprès de votre clientèle, car vous travailliez avec un fournisseur local.
Outre le fait que ces réponses ne soient pas cohérentes avec la politique prix de l'enseigne et nos règles internes, nous ne pouvons pas accepter de tels résultats qui sont en contradiction avec l'image de l'entreprise qui communique sur le juste prix et contient un risque réel de pertes de nos clients s'ils se rendaient compte de la différence de prix pratiqués entre nos magasins « naturéO».
Sur le plan du comportement inadéquat ensuite,
A plusieurs reprises, vous refusez d'appliquer les règles enseigne et lorsque votre manager tente de vous expliquer l'importance de ces règles, vous exprimez que vous ferez ce que vous vouliez car de toute façon vous alliez partir. Cela a encore été le cas le 4 décembre 2017 lors de votre point avec [E] [V], votre responsable hiérarchique direct, qui a fini par vous demander à quelle date vous comptiez partir. Cette opposition à la direction ne permet pas d'avancer et n'est pas acceptable.
Lors de l'entretien vous avez exprimé que ce n'était pas une opposition mais que vous considériez ces échanges comme un temps vous permettant de vous défouler. « un défouloir ».
Bien que vous ayez conscience que ce comportement est pénible et non productif, vous ne vous êtes pas excusé pour autant; vous avez tenté de justifier vos réactions par des problématiques d'organisation inhérentes aux entreprises. Vous ne vous êtes pas engagé à changer cette attitude, et nous sommes contraints de constater qu'effectivement, dans les faits, vous ne suivez pas les directives de votre hiérarchie et les règles enseigne (Aqua, prix Fruits et Légumes), ce qui n'est pas acceptable. Votre hiérarchie n'est pas non plus un défouloir, de tels agissements ne sont pas acceptables.
Vous avez ce comportement irrespectueux et dénigrant aussi envers les personnes du siège. Nous avons dû vous recadrer plusieurs fois sur le sujet. Or une nouvelle fois, vous vous êtes « défoulé » sur une personne du siège, une comptable (cf mail du 1er décembre).
Là encore, lors de l'entretien vous exprimez que ce n'est ni dénigrant, ni de l'ironie, c'est du « [T] »... Vous justifiez ce comportement en précisant que c'était une semaine compliquée et qu'il y a beaucoup d'erreur au niveau des services et vous vous êtes engagé à rester « binaire » dans vos relations avec le siège.
Cet engagement, déjà non tenu, n'est pas ce que nous vous demandons. Pour régler les dysfonctionnements, il faut les aborder avec respect de l'autre et de manière constructive (non « binaire », qui reste sans appel et sans échange possible). Nous ne pouvons accepter un tel comportement, d'autant plus de la part d'un directeur de magasin, qui se doit d'être exemplaire dans la relation aux employés, qu'ils soient sous son management direct ou dans les relations transverses.
Au regard de ces faits abordés ensemble, de vos réponses et des constats, nous vous notifions par ce courrier votre licenciement. En effet, nous ne pouvons tolérer de tels comportements contraires à nos règles internes et de telles relations envers la hiérarchie ou employés dans notre enseigne, parfaitement contraire au code éthique et aux valeurs de respect d'autrui.
Vous avez un préavis de 3 mois à effectuer qui débutera à la date d'envoi de la présente. Toutefois, au regard des faits, nous vous dispensons de toute activité dès à présent. En contrepartie de cette dispense, notre société vous réglera une indemnité compensatrice de préavis non effectué correspondant aux salaires que vous auriez dû percevoir si vous aviez exécuté votre préavis. Les documents à nous transmettre en cas de demande de portabilité de vos droits vous seront envoyés en même temps que votre solde de tout compte. Nous vous adresserons, par courrier séparé, votre solde de tout compte, votre certificat de travail ainsi que votre attestation destinée à Pôle Emploi.
Nous vous informons que nous levons la clause de non concurrence prévue à votre contrat de travail et que vous êtes dès lors libre de tout engagement à notre égard. »
Le 11 janvier 2019, M. [I] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet pour dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, dire la convention de forfait jour nulle, reconnaître une situation de harcèlement moral et obtenir le paiement des heures supplémentaires, des indemnités pour travail dissimulé, ainsi que d'autres sommes de nature indemnitaire.
Par jugement du 26 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Rambouillet (section encadrement) a :
- déclaré nulle la convention individuelle de forfait jours entre M. [I] [R] et la société Natureo [Localité 5],
- débouté M. [I] [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, et du reliquat de l'indemnité de licenciement,
- débouté M. [I] [R] de sa demande au titre du travail dissimulé,
- débouté M. [I] [R] de ses demandes ayant trait à la remise sous astreinte de documents sociaux et bulletin de salaire,
- fixé la moyenne mensuelle de salaire de M. [I] [R] à 4051,75 euros,
- dit que le licenciement de M. [I] [R] était dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Natureo à verser à M. [I] [R] 13 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamné la société Natureo à la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les sommes porteront intérêts de droit au taux légal à partir de la mise à disposition du jugement,
- ordonné la capitalisation des intérêts,
- débouté M. [I] [R] de sa demande de dommages-intérêts en réparation des faits de harcèlement moral subis par le salarié,
- débouté M. [I] [R] de sa demande au titre de la procédure irrégulière,
- débouté M. [I] [R] du surplus de ses demandes,
- dit qu'il n'y avait lieu à exécution provisoire,
- débouté la société Natureo [Localité 5] de sa demande reconventionnelle formulée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au présent dispositif,
- condamné la société Natureo [Localité 5] aux entiers dépens y compris les frais d'exécution éventuels.
Par déclaration adressée au greffe le 13 novembre 2020, M. [I] [R] a interjeté appel de ce jugement.
Une ordonnance de clôture a été prononcée le 5 juillet 2022.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 12 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [I] [R] demande à la cour de :
- infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la réalisation des heures supplémentaires n'était pas démontrée et l'a débouté de sa demande de condamnation au titre des heures supplémentaires,
et statuant à nouveau,
- condamner la société Natureo [Localité 5] à lui verser la somme de :
. 71 622,02 euros au titre des heures supplémentaires effectuées,
. 7 162,20 euros au titre des congés payés afférents,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de revalorisation de son salaire moyen et statuant à nouveau de fixer son salaire moyen à la somme de 7 1176,20 euros mensuel, (Sic)
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande d'indemnisation au titre du travail dissimulé et statuant à nouveau condamner la société Natureo [Localité 5] au versement de la somme de 42 697 euros,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de condamner la société Natureo [Localité 5] aux intérêts au taux légal à compter de la saisine avec capitalisation des intérêts (article 1154 du code civil) et statuant à nouveau dire que les intérêts légaux courront à compter de la saisine du conseil de prud'hommes avec anatocisme,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de remise sous astreinte de 50 euros par jour de retard du bulletin de salaire intégrant les heures supplémentaires et statuant à nouveau condamner la société Natureo [Localité 5] à remettre un bulletin de salaire conforme à la présente décision comportant le rappel des heures supplémentaires et ce sous une astreinte de 50 euros par jour de retard a' compter de l'expiration d'un délai de deux mois suivant la signification de l'arrêt de la Cour,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a débouté de sa demande de reconnaissance du harcèlement moral et statuant à nouveau dire que l'employeur a commis des faits de harcèlement moral et condamner la société Natureo [Localité 5] à lui verser 10 000 euros à titre de dommages-intérêts,
- infirmer le jugement quant au quantum des sommes allouées au titre de l'indemnisation pour licenciement sans cause réelle ou sérieuse et statuant à nouveau condamner la société Natureo [Localité 5] à lui verser la somme de 42 696 euros à titre de dommages-intérêts,
- infirmer le jugement quant au quantum des sommes allouées au titre du reliquat d'indemnité de licenciement et statuant à nouveau de condamner la société Natureo [Localité 5] à lui verser la somme de 1 614,22 euros,
- débouter la société Natureo [Localité 5] de son appel incident et de toutes ses demandes,
- condamner de la société Natureo [Localité 5] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et en tous dépens y compris d'exécution forcée.
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Natureo [Localité 5] demande à la cour de :
sur l'appel de M. [I] [R], au titre des conclusions d'intimé,
à titre principal,
- confirmer la décision du conseil de prud'hommes de Rambouillet en date du 26 octobre 2020 en ce qu'il a fixé la moyenne des salaires à 4 051,75 euros, écarté toute situation de harcèlement moral à l'égard de M. [I] [R], débouté M. [I] [R] de ses demandes au titre des heures supplémentaires, du travail dissimulé, du reliquat de licenciement, de la procédure de licenciement irrégulière et de la remise des documents de fin de contrat sous astreinte,
- fixer la moyenne des salaires à 4 051,75 euros,
- dire que M. [I] [R] n'a pas été victime de harcèlement moral,
- dire bien-fondé le licenciement de M. [I] [R],
- dire licite et opposable la convention de forfait annuel en jours de M. [I] [R],
en conséquence,
- débouter M. [I] [R] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [I] [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [R] aux entiers dépens de l'instance,
à titre subsidiaire,
si par extraordinaire, la cour disait dénué de cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [I] [R], il lui serait demandé de :
- fixer la moyenne du salaire brut mensuel à hauteur de 4 051,75 euros,
- fixer à de plus justes proportions la demande de M. [I] [R] au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 3 mois de salaire maximum (12 155,19 euros),
- débouter M. [I] [R] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice lié à des faits de harcèlement moral ou, à tout le moins, fixer à une plus juste valeur le quantum des dommages et intérêts,
- débouter M. [I] [R] de ses demandes :
. de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents ou, à tout le moins, les fixer à de plus justes proportions (65 139,22 euros à titre d'heures supplémentaires et 6 513,90 euros de congés payés afférents),
. d'indemnité pour travail dissimulé,
. de reliquat d'indemnité légale de licenciement,
. de condamnation au taux d'intérêt légal,
. de condamnation à la capitalisation des intérêts,
. de remise des documents de fin de contrat sous astreinte ou, à tout le moins, ordonner un délai de remise en conformité de 30 jours à compter de la notification du jugement avant l'application de l'astreinte,
. d'indemnité sur fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [R] aux entiers dépens de l'instance,
sur l'appel incident de la société,
à titre principal,
- infirmer la décision du conseil de prud'hommes de de Rambouillet en date du 26 octobre 2020 en ce qu'il a déclaré nulle la convention de forfait en jours, dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [I] [R] et condamné la Société :
. au paiement des sommes suivantes :
. 13 000 euros au titre de l'indemnité sans cause réelle et sérieuse,
. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. à la remise conforme des documents de fin de contrat,
. aux intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition à disposition de la décision prud'homale,
. à la capitalisation des intérêts,
. aux entiers dépens et rejeté sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du CPC.
en conséquence,
et statuant à nouveau,
- dire fondé le licenciement de M. [I] [R],
- débouter M. [I] [R] de sa demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- dire licite et opposable la convention de forfait annuel en jours de M. [I] [R],
- débouter M. [I] [R] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouter M. [I] [R] de sa demande de condamnation de la société au titre des intérêts aux taux légal et à la capitalisation des intérêts,
- débouter M. [I] [R] de sa demande de remise des documents de fin de contrat sous astreinte ou, à tout le moins, ordonner un délai de remise en conformité de 30 jours à compter de la notification du jugement avant l'application de l'astreinte,
- condamner M. [I] [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [R] aux entiers dépens de l'instance,
à titre subsidiaire,
si, par extraordinaire, la cour jugeait nulle la convention de forfait en jours et/ou jugeait sans cause réelle et sérieuse le licenciement de M. [I] [R], il lui serait demandé de :
- fixer la moyenne du salaire brut mensuel à hauteur de 4 051,75 euros,
- fixer à de plus justes proportions la demande de M. [I] [R] au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, soit 3 mois de salaire maximum (12 155,19 euros),
- débouter M. [I] [R] de ses demandes :
. de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires et congés payés afférents ou, à tout le moins, les fixer à de plus justes proportions,
. d'indemnité pour travail dissimulé,
. de reliquat d'indemnité légale de licenciement,
. d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
. de condamnation de la société au titre des intérêts aux taux légal et à la capitalisation des intérêts,
. de remise des documents de fin de contrat sous astreinte ou, à tout le moins, ordonner un délai de remise en conformité de 30 jours à compter de la notification du jugement avant l'application de l'astreinte,
- condamner M. [I] [R] au paiement d'une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [I] [R] aux entiers dépens de l'instance.
MOTIFS
Sur les demandes relatives au temps de travail
Sur la convention de forfait en jours
Le salarié expose que sa convention de forfait est nulle, faute pour l'employeur, d'avoir organisé les deux entretiens annuels prévus par la convention collective et l'accord d'entreprise.
En réplique, l'employeur ne conteste pas que les dispositions conventionnelles lui imposent d'organiser un entretien individuel une fois par trimestre et rappelle que cette prescription a bien été reprise dans le cadre de l'accord d'entreprise portant sur les forfaits annuels en jours ; il soutient avoir mis en place une fiche de contrôle qui rend compte des journées travaillées par le salarié et affirme qu'il a procédé à l'évaluation de la charge de travail du salarié dans le cadre des entretiens annuels d'évaluation ; que les dispositions légales ne visent la mise en place que d'un seul entretien annuel individuel (L. 3121-65) de sorte que l'entretien annuel d'évaluation, au cours duquel la question de la charge de travail était abordée, satisfait aux conditions prévues par la loi.
***
L'article L. 3121-65 du code du travail, applicable au litige, prévoit :
« I.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues aux 1° et 2° du II de l'article L. 3121-64, une convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue sous réserve du respect des dispositions suivantes :
1° L'employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées. Sous la responsabilité de l'employeur, ce document peut être renseigné par le salarié ;
2° L'employeur s'assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires ;
3° L'employeur organise une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
II.-A défaut de stipulations conventionnelles prévues au 3° du II de l'article L. 3121-64, les modalités d'exercice par le salarié de son droit à la déconnexion sont définies par l'employeur et communiquées par tout moyen aux salariés concernés. Dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, ces modalités sont conformes à la charte mentionnée au 7° de l'article L. 2242-17. »
La convention collective prévoit en son article 5.6.3 que l'employeur doit organiser deux entretiens annuels portant sur la charge de travail. Cette exigence a été reprise dans l'accord d'entreprise du 15 mars 2017 qui, en son article 10, prévoit : « Afin de se conformer aux dispositions légales et de veiller à la santé et à la sécurité des salariés, au moins 2 fois par an, le salarié en forfait-jours bénéficie à l'initiative de sa hiérarchie d'une entretien portant sur sa charge et son amplitude de travail, sur l'organisation du travail dans l'entreprise, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale. (') »
En l'espèce, selon les termes de son contrat de travail initial du 29 juin 2015, repris par l'avenant du 1er avril 2017, le salarié était assujetti à une convention de forfait annuel en jours. . Le salarié a été licencié le 16 janvier 2018. Entre le 29 juin 2015 et le 16 janvier 2018, l'employeur devait organiser 2 entretiens annuels avec le salarié portant sur l'organisation de son travail, l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération.
L'employeur expose que cet entretien a eu lieu en même temps que son entretien d'évaluation. Il verse à cet effet aux débats sa pièce 23 : « entretien professionnel annuel directeur de magasin de l'année 2016 » qui s'est tenu le 18 janvier 2017 selon les parties, bien que le document fasse état du 15 mars 2017. Cette pièce appelle les deux observations suivantes : d'abord, alors que la période devant être examinée par la cour est comprise entre le 29 juin 2015 et le 16 janvier 2018, l'employeur ne produit qu'un seul entretien d'évaluation. Ensuite, il ne ressort pas de l'entretien professionnel en question que les thèmes de l'articulation entre l'activité professionnelle du salarié et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ont bien été abordés.
En conséquence, la convention de forfait annuel en jour, qui n'est pas nulle, est en revanche inopposable au salarié ainsi qu'en a jugé à juste titre le conseil de prud'hommes.
La convention de forfait en jours étant privée d'effet, le salarié peut prétendre au paiement d'heures supplémentaires dont la cour doit vérifier l'existence et le nombre.
Sur les heures supplémentaires
L'article L. 3171-4 du code du travail dispose qu'« en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable. »
La charge de la preuve ne pèse donc pas uniquement sur le salarié. Il appartient également à l'employeur de justifier des horaires de travail effectués par l'intéressé.
Il revient ainsi au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre l'instauration d'un débat contradictoire et à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Après appréciation des éléments de preuve produits, le juge évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance des heures supplémentaires et fixe en conséquence les créances salariales s'y rapportant.
En l'espèce, le salarié présente à la cour :
. la description de ses fonctions qui, selon lui, permet à elle seule d'établir ses heures supplémentaires,
. ses bulletins de paie dont il ressort qu'en 2016 et en 2017, il a travaillé un nombre de jours supérieur à 218,
. les attestations de collègues de travail,
. les horaires du magasin de [Localité 5] dont il avait la charge (9h30-19h30 sauf le dimanche de 9h30 à 12h30) en précisant qu'il était présent en magasin tous les jours d'ouverture 7 jours sur 7,
. des courriels reçus à des heures tardives,
. des décomptes en pièces 15, 16 et 40 ; décomptes qui précisent pour chaque jour son heure d'arrivée, son heure de prise de pause déjeuner, son heure de fin de pause déjeuner et son heure de départ avec un décompte des heures de travail totales par semaine.
Ces éléments de preuve sont suffisamment précis quant aux heures supplémentaires dont il réclame le paiement pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
L'employeur expose qu'il n'a pas demandé au salarié d'effectuer des heures supplémentaires, le salarié étant assujetti à une convention de forfait. Toutefois, si seules les heures commandées par l'employeur peuvent être rémunérées, il demeure qu'un accord implicite suffit, lequel peut résulter des circonstances d'accomplissement des heures supplémentaires. Or, au cas d'espèce, le salarié produit de multiples courriels et SMS échangés tardivement avec le salarié ; ce dernier évoquait aussi, dans une de ses correspondances (cf. l'échange de courriels du 4 avril 2016), le sous-effectif de son magasin ; les attestations qu'il produit ' par exemple celle de M. [D] ' montrent encore que la société demandait à ses directeurs de palier l'absence des collaborateurs. Ces éléments montrent qu'il arrivait à l'employeur de créer lui-même les conditions propres à l'accomplissement de plus de 35 heures de travail par semaine.
A juste titre l'employeur relève quelques incohérences caractérisées par le fait qu'alors qu'il était en repos, le salarié revendique dans son décompte, l'accomplissement d'heures de travail. A juste titre également, l'employeur considère qu'il convient de déduire les jours de RTT dont le salarié a bénéficié en contrepartie de la forfaitisation. Mais exception faite des quelques incohérences du décompte du salarié, force est de constater que l'employeur, à qui il revient pourtant de contrôler les heures de travail effectuées, ne produit aucun élément de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Ainsi est-il établi que le salarié a accompli des heures supplémentaires entre janvier 2016 et la fin de la relation contractuelle. La cour évalue la créance s'y rapportant à la somme de 47 986,77 euros, dont 20 643,31 euros au titre des douze mois précédant la rupture.
Il convient donc, par voie d'infirmation du jugement, de condamner l'employeur à payer au salarié la somme ainsi arrêtée à titre de rappel de salaire outre 4 798,67 euros au titre des congés payés afférents.
Sur la demande de dommages-intérêts pour travail dissimulé
L'article L. 8221-5 du code du travail dispose qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2, relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.
L'article L. 8223-1 dispose qu'en cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
En l'espèce, le salarié a été admis au bénéfice d'un rappel d'heures supplémentaires en raison de ce qu'il avait été soumis à tort à une convention de forfait privée d'effets. Cela ne suffit pas, en soi, à caractériser le caractère intentionnel d'une dissimulation d'emploi salarié.
Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de ce chef de demande.
Sur le harcèlement moral
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
En application de l'article L. 1154-1 dans sa version applicable à l'espèce, interprété à la lumière de la directive n° 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l'application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l'espèce, le salarié présente les faits suivants :
. le fait qu'il lui a été refusé un renfort de main d''uvre,
. le fait, à partir du mois d'août 2017, d'avoir fait l'objet d'une surveillance de tous les instants pour tenter de trouver un motif pour le licencier comme en témoignent les « audits absurdes » qui ont été réalisés dans son magasin alors qu'il ne disposait pas des moyens matériels et humains pour satisfaire aux exigences de ses fonctions, surtout au rayon boucherie,
. le licenciement dont il a fait l'objet , qui peine à trouver un motif réel et sérieux.
Au rang des faits qu'il soumet à la cour, le salarié établit les faits suivants :
. la réalisation de plusieurs audits de son magasin en août et octobre 2017, et de plusieurs passages du supérieur hiérarchique du salarié au rayon boucherie (attestation de M. [M] ' boucher, salarié de la société à partir de septembre 2017) ;
. son licenciement pour un motif disciplinaire.
En revanche, le refus de renfort de main d''uvre n'est pas établi. En effet, il ressort de l'échange du 4 avril 2016 (précité) que le salarié demandait de l'aide en raison du sous-effectif de son magasin.
Et son supérieur hiérarchique lui proposait d'engager un salarié en contrat de travail à durée déterminée pour accroissement d'activité et lui proposait aussi de mettre à sa disposition un autre salarié ([S] [A]) ; le salarié déclinait ces propositions pour diverses raisons (une raison de pérennité s'agissant du recours à un CDD et une raison de niveau s'agissant de la mise à disposition de M. [A]). En outre, il ressort de l'entretien réalisé début 2017 couvrant l'année 2016 que, dans la rubrique réservée au collaborateur, le salarié notait que le nombre de ses collaborateurs était suffisant.
Les faits soumis à la cour et retenus par elle comme étant établis ne permettent pas de présumer l'existence d'un harcèlement.
Dès lors, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Sur la rupture du contrat de travail
Le salarié explique que, s'agissant de l'hygiène, il a obtenu d'excellentes notes de sorte que le grief est infondé. S'agissant du grief relatif aux tarifs, il invoque des directives contradictoires et conclut à l'absence de sérieux de ce grief. S'agissant du grief relatif à sa prétendue attitude inadéquate, il estime ce grief dépourvu de la précision requise et en conteste la matérialité. S'agissant du non respect de ses collègues, il conteste ce fait.
Au contraire, l'employeur réplique que les faits qu'il reproche au salarié sont établis et précis.
***
L'article L. 1232-1 du code du travail dispose que tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
Les faits invoqués comme constitutifs d'une cause réelle et sérieuse de licenciement doivent non seulement être objectivement établis mais encore imputables au salarié, à titre personnel et à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail.
Il résulte de l'article L. 1235-1 du code du travail que la charge de la preuve de la cause réelle et sérieuse du licenciement n'incombe spécialement à aucune des parties mais que le doute doit profiter au salarié.
En l'espèce, il est reproché au salarié :
. des négligences volontaires dans la mise au niveau requis de l'hygiène du magasin
. le non respect de la directive du directeur de s'aligner sur la marge la plus haute de son secteur
. un comportement inadéquat tiré du refus d'appliquer des directives et du dénigrement des personnes du siège
Le rapport d'audit du 3 août 2017 - établi par la société Aqualeha, indépendante de la SNC Natureo [Localité 5] - rend compte d'une situation globalement positive du magasin tenu par le salarié puisqu'il obtenait un score global de 88,9 sur 100. Cependant, ce score est en baisse par rapport à l'audit précédent (95). Il y apparaît en outre quatre points jugés « non maîtrisés », cette appréciation correspondant à la plus basse parmi les quatre critères suivants : « satisfaisant », « à améliorer », « non satisfaisant » et « non maîtrisé ». Deux d'entre ces points « non maîtrisés » concernent la boucherie, les deux autres concernent la charcuterie et le « frais libre service ». Intéressant des questions d'hygiène, ces points devaient être améliorés. Or, le rapport d'audit du 30 octobre 2017 montre qu'au contraire la situation s'était dégradée puisque le score global était de 82,2 et, surtout, que cinq points « non maîtrisés » étaient encore relevés dont trois pour le rayon boucherie.
L'entretien préalable au licenciement du salarié a donné lieu à un compte-rendu d'entretien. dont il ressort que le supérieur hiérarchique du salarié (M. [V]) lui avait demandé, le 4 décembre 2017, pourquoi les anomalies n'étaient pas réglées, que le salarié lui avait répondu « c'est normal et je ne ferai rien », que MM. [W] et [V] demandaient au salarié : « (') tu as dit à [M. [V]] pendant son passage du 04/12 que tu ne ferais pas d'effort sur le sujet estimant qu'il s'agissait de points de non conformité internes ' » et le salarié répondait « je confirme l'avoir dit » expliquant ses paroles par le contexte caractérisé, selon lui, par le changement d'attitude de la direction et par le fait que « ces anomalies sont dues à des actions mises en place avec les bouchers mais pas contrôlés par les responsables. Les derniers non-conformités sont bénins ». Il résulte de cet échange que le salarié traitait avec désinvolture les points « non maîtrisés » mis en évidence par l'audit.
La valeur probante de ce compte-rendu est Critiquée par le salarié selon lequel, en premier lieu, l'employeur ne peut être représenté lors de l'entretien préalable que par des personnes appartenant au personnel de l'entreprise, à savoir la SNC Natureo [Localité 5], ce qui n'est pas le cas de MM. [W] et [V], qui ne justifient par ailleurs pas d'un mandat. Il en déduit que la procédure est irrégulière et que leur compte-rendu ne peut être retenu.
En second lieu, le salarié objecte que M. [O] (conseil du salarié), qui apparaît comme signataire de ce compte-rendu, ne se souvient pas l'avoir signé.
Toutefois, de première part, M. [V] était le manager du salarié. Il a procédé à la notation de ce dernier, lequel n'a à aucun moment contesté le lien hiérarchique qui les unissait. M. [W] était pour sa part responsable Réseau de Natureo et il convient de relever que c'est à lui que le salarié s'adressait pour demander du personnel lorsque, le 4 avril 2016, il faisait part de la « situation périlleuse » dans laquelle il se trouvait en raison du manque de personnel. Dès lors, même s'il n'est pas justifié de leur mandat et même s'ils ne font pas partie de la SNC Natureo [Localité 5] mais de la société mère, il demeure qu'ils pouvaient ' comme cela a été le cas ' rendre compte de la teneur de l'entretien qu'ils avaient eu avec le salarié.
De seconde part, M. [P] effectivement ne pas se souvenir « avoir signé un document émanant de la direction » lors de l'entretien préalable. Toutefois, le fait, pour M. [O], de « ne pas se souvenir » d'avoir signé le document litigieux n'implique pas qu'il ne l'a pas fait. Or, la signature figurant au bas de l'attestation versée aux débats correspond à celle figurant sur le compte-rendu litigieux, non argué de faux. Dès lors, il doit être retenu que M. [O] a bien signé ledit compte-rendu en ajoutant de sa main la mention « conforme à l'échange eu en entretien ».
En conséquence le compte-rendu litigieux n'étant pas dépourvu de caractère probant, le premier grief est établi.
De ce même compte-rendu il ressort que le salarié présente ses rapports avec sa hiérarchie, notamment avec M. [V], comme un « défouloir ». Il en ressort aussi que le 4 décembre 2017, alors que M. [V] lui demandait de prendre des mesures pour améliorer la situation ' notamment au rayon boucherie ' le salarié s'y refusait expliquant qu'il allait partir. Ce fait est reconnu par le salarié, même s'il explique avoir tenu ces propos dans un contexte marqué par le fait qu'il « sortait d'une semaine de travaux ». Le fait, pour le salarié, de « se défouler » ' tout au moins verbalement ' sur sa hiérarchie et de menacer cette dernière de quitter la société apparaît aussi dans certains des SMS qu'il adressait à M. [V].
Dès lors, le fait, pour le salarié de refuser d'appliquer les directives de sa hiérarchie tout en se « défoulant » et en menaçant de son départ est établi.
La désinvolture adoptée par le salarié face à un dysfonctionnement qui affectait l'hygiène alimentaire des produits commercialisés par la société, associée à l'affichage d'un refus de mettre en 'uvre des mesures correctrices assorti d'une menace de départ, constituent à eux seuls, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres reproches, des griefs réels et suffisamment sérieux pour justifier le licenciement disciplinaire dont le salarié a fait l'objet.
Il conviendra en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit sans cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié.
Statuant à nouveau, il sera dit que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse et le salarié sera débouté de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur la demande de rappel d'indemnité de licenciement
Le salarié explique avoir perçu la somme de 2 833,40 euros bruts à titre d'indemnité de licenciement alors que la référence salariale utilisée pour la déterminer ne prenait pas en compte les heures supplémentaires.
Effectivement, il a été précédemment accordé au salarié un rappel au titre des heures supplémentaires, ce qui a une incidence sur l'assiette de calcul de l' indemnité de licenciement, qui a été calculée sur la base d'un salaire de référence évalué à 4 051,75 euros bruts qui n'en tient pas compte.
Comme précisé plus haut, il a été accordé un rappel d'heures supplémentaires incluant la somme de 20 643,31 euros bruts correspondant aux heures supplémentaires accordées au titre des 12 derniers mois.
Il en résulte que le salaire de référence doit être majoré de 1 720,27 euros bruts mensuels. Son salaire de référence devant être revalorisé à 5 772,02 euros bruts, il aurait dû percevoir une indemnité de licenciement de 3607,51 euros bruts ([5772,02x25%]x2,5).
N'ayant perçu que 2 833,40 euros bruts à ce titre, il convient, infirmant le jugement, de condamner l'employeur au paiement de la différence, soit 774,11 euros bruts.
Sur les intérêts
Les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire produiront intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.
L'article 1343-2 du code civil (dans sa nouvelle rédaction) dispose que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. La demande ayant été formée par le salarié et la loi n'imposant aucune condition pour l'accueillir, il y a lieu, en application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, de confirmer le jugement qui a ordonné la capitalisation des intérêts.
Celle-ci portera sur des intérêts dus au moins pour une année entière.
Sur la remise des documents
Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre au salarié un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens.
Il conviendra de condamner l'employeur à payer au salarié une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance et en cause d'appel.
PAR CES MOTIFS:
Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :
INFIRME le jugement mais seulement en ce qu'il a débouté le salarié de ses demandes au titre des heures supplémentaires, des congés payés afférents, et du reliquat de l'indemnité de licenciement, fixé la moyenne mensuelle de salaire de M. [I] [R] à la somme de 4 051,75 euros, dit le licenciement de M. [I] [R] dépourvu de cause réelle et sérieuse, et condamné la SNC Natureo [Localité 5] à payer à M. [I] [R] une indemnité de 13 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et dit que les sommes porteront intérêts de droit au taux légal à partir de la mise à disposition du jugement,
CONFIRME le jugement pour le surplus,
Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,
CONDAMNE la SNC Natureo [Localité 5] à payer à M. [I] [R], intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur, de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes, les sommes suivantes :
. 47 986,77 euros bruts à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires
. 4 798,67 euros bruts au titre des congés payés afférents,
. 774,11 euros bruts à titre de rappel d'indemnité de licenciement,
ORDONNE la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
DIT le licenciement de M. [I] [R] justifié par une cause réelle et sérieuse,
DÉBOUTE M. [I] [R] de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
DONNE injonction à la SNC Natureo [Localité 5] de remettre à M. [I] [R] un bulletin de salaire récapitulatif conforme à la présente décision,
REJETTE la demande d'astreinte,
DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples, ou contraires,
CONDAMNE la SNC Natureo [Localité 5] à payer à M. [I] [R] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la SNC Natureo [Localité 5] aux dépens.
. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier Le président