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01/12/2022 | FRANCE | N°21/03438

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 01 décembre 2022, 21/03438


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 59C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 01 DECEMBRE 2022



N° RG 21/03438 - N° Portalis DBV3-V-B7F-URB6







AFFAIRE :



Société MAGNA AUTOMOBILES (CZ) S.R.O.



C/



Société FAURECIA SIEGES D'AUTOMOBILES









Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 juin 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre

N° Chambre : 1>
N° RG : 2013F01745



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Anne-Laure DUMEAU



Me Martine DUPUIS



TC NANTERRE













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE UN DECEMBRE DEUX MILLE VINGT ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 DECEMBRE 2022

N° RG 21/03438 - N° Portalis DBV3-V-B7F-URB6

AFFAIRE :

Société MAGNA AUTOMOBILES (CZ) S.R.O.

C/

Société FAURECIA SIEGES D'AUTOMOBILES

Décision déférée à la cour : jugement rendu le 18 juin 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre

N° Chambre : 1

N° RG : 2013F01745

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Anne-Laure DUMEAU

Me Martine DUPUIS

TC NANTERRE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE UN DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société MAGNA AUTOMOTIVE (CZ) S.R.O. venant aux droits de la société CHABAROVICKE STROJIRNY AS

[Adresse 4]

PSC430 01

REPUBLIQUE TCHEQUE

Représentée par Me Anne-Laure DUMEAU, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 et Me Eric BORYSEWICZ et Me Thomas WEST du cabinet Baker & McKenzie AARPI, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P445

APPELANTE

****************

Société FAURECIA SIEGES D'AUTOMOBILES

RCS Nanterre n° 393 162 433

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Florian ENDROS et Me DE VAUBLANC de la SELAS ENDROS BAUM AVOCAT - EBA, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : B0387

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Magna Automotive CZ SRO (ci-après Magna CZ), qui vient aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS à la suite d'une fusion-absorption, est une société de droit tchèque appartenant au groupe Magna International, antérieurement dénommé Intier, lequel fournit notamment des équipements pour l'industrie automobile.

La société Magna CZ produit des éléments de sièges, principalement des structures métalliques. Elle se fournit en éléments semi-finis auprès de diverses sociétés et les assemble. Ses clients sont généralement d'autres membres du groupe Magna, qui achèvent la fabrication des sièges avant de livrer des sièges complets aux constructeurs automobiles.

La SAS Faurecia Sièges d'Automobiles (ci-après Faurecia) est une société de droit français ayant pour activité la fabrication et la vente d'équipements automobiles.

Elle fournit depuis 2003 au groupe Magna des articulations destinées à être assemblées par soudage sur les structures des sièges automobiles. Ces articulations (constituées d'un axe et deux flasques ou pièces mécaniques circulaires en acier) et leur support constituent la liaison entre l'assise du siège et le dossier.

La société Faurecia a livré à la société Chabarovicke Strojirny AS, devenue Magna CZ, des articulations de type D93 destinées aux sièges des véhicules Volkswagen Caddy. La société Magna CZ était chargée de les assembler aux structures métalliques des sièges, qui étaient ensuite fournies à la société Magna Pologne, laquelle les incorporait dans les sièges dont elle achevait la fabrication, avant de les livrer à la société Volkswagen Pologne, qui les installaient à l'intérieur de ses véhicules Volkswagen Caddy dans son usine de Poznan.

Le 2 mai 2011, la société Faurecia a été informée d'un défaut de soudure constaté lors de l'assemblage par la société Magna CZ des articulations issues des livraisons du mois de mars 2011.

Courant mai 2011, la société Magna Seating GmbH (ci-après Magna Allemagne) a été informée par son client, la société Volkswagen Pologne, qu'à l'occasion d'un 'crash test' (test de collision), un siège en provenance de la société Magna Pologne avait donné lieu à des résultats non conformes.

Le 3 juin 2011, la société Magna Allemagne a adressé à la société Faurecia une lettre de réclamation non chiffrée. En réponse, la société Faurecia a dénié toute responsabilité concernant les problèmes signalés par la société Volkswagen et elle s'est opposée à verser une quelconque indemnisation.

Par lettres des 5 juin et 2 juillet 2012, la société Magna Allemagne a transmis à la société Faurecia des notes de débit émises par la société Volkswagen suite à une campagne de rappel de véhicules et elle en a demandé le paiement à la société Faurecia, qui a refusé.

Par acte du 25 mars 2013, la société Chabarovicke Strojirny a saisi le tribunal d'Usti nad Labem, en République tchèque, d'une demande en paiement de la somme de 3.865.675,30 € dirigée contre la société Faurecia.

Par acte du 28 mars 2013, la société Chabarovicke Strojirny a également assigné la société Faurecia devant le tribunal de commerce de Nanterre, demandant à ce dernier de surseoir à statuer jusqu'à ce que la compétence du tribunal tchèque soit établie.

Par jugement contradictoire du 18 juin 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Dit recevable mais mal fondée la demande de la société Chabarovicke Strojirny AS ;

- Condamné la société Chabarovicke Strojirny AS à verser 3.000 € à la SAS Faurecia Sièges d'Automobiles au titre de l'article 700 du code de procédure civile, déboutant pour le surplus ;

- Condamné la société Chabarovicke Strojirny AS aux entiers dépens.

Par déclaration du 9 juillet 2014, la société Magna CZ a interjeté appel du jugement.

Le tribunal d'Usti nad Labem s'est par ailleurs déclaré incompétent pour statuer sur la demande en paiement de la société Magna CZ, aux termes d'une décision rendue le 4 mai 2015. La société Magna CZ a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt contradictoire du 24 novembre 2015, la cour d'appel de Versailles a :

- Déclaré irrecevable la demande de sursis à statuer ;

- Infirmé le jugement ;

Statuant à nouveau,

- Sursis d'office à statuer jusqu'à ce qu'une décision définitive intervienne sur la demande formée le 25 mars 2013 ;

- Réservé toutes les demandes ;

- Dit que la procédure sera retirée du rôle et rétablie à la demande de la partie la plus diligente lorsque la cause du sursis aura disparu ;

- Réservé les dépens.

Par décision du 29 novembre 2019, désormais définitive, la cour d'appel de Prague a confirmé le jugement du 4 mai 2015 du tribunal d'Usti nad Labem, se déclarant incompétent pour connaître du litige initié le 25 mars 2013 par la société Magna CZ (anciennement Chabarovicke Strojirny).

La société Magna CZ a sollicité, par voie de conclusions notifiées le 31 mai 2021, la remise de l'affaire au rôle de la 12ème chambre de la cour.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2022, la société Magna Automotive (CZ) demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris par le tribunal de commerce de Nanterre le 18 juin 2014 en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

- Ordonner la désignation d'un expert en métallurgie (soudage), avec pour mission de :

- convoquer les parties ;

- se rendre en tout lieu utile à l'exécution de la mesure d'instruction ;

- se faire communiquer tous documents contractuels et autres qu'il estimera utiles à l'accomplissement de sa mission ;

- entendre les parties en leurs dires et explications ;

- entendre tous sachants et se faire assister par tout sapiteur de son choix pour l'exécution de sa mission ;

- constater et décrire au vu de tous documents et, éventuellement par l'examen des échantillons des pièces défectueuses, la nature et l'importance des défauts et anomalies  affectant les pièces fournies par la société Faurecia à la société Magna CZ objet du litige ;

- donner son avis sur la cause et la nature des désordres, anomalies, vices, malfaçons ou non-conformités affectant les produits fournis par la société  Faurecia ;

- indiquer si les produits fournis par la société Faurecia à la société Magna CZ sont conformes aux spécifications du produit et aux règles de l'art ainsi qu'à l'usage pour lequel ils ont été commandés ;

- fournir, de façon générale, tout élément technique et de fait de nature à permettre, le cas échéant, à la juridiction compétente de se prononcer sur les responsabilités encourues et évaluer tous les préjudices subis, de toute nature ;

- organiser une réunion de synthèse et établir un pré-rapport préalablement au dépôt de son rapport définitif, permettant aux parties de lui notifier par voie de dire tous commentaires et/ou argumentations complémentaires ;

- Débouter la société Faurecia de toutes ses demandes, fins et prétentions, sauf la demande de désignation d'un expert judiciaire ;

- Condamner la société Faurecia à payer à la société Magna CZ la somme de 3.757.005,55 € avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2013 ;

- Condamner la société Faurecia à verser à la société Magna CZ la somme de 30.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Faurecia aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Me Anne-Laure Dumeau, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 5 septembre 2022, la société Faurecia Sièges d'Automobiles demande à la cour de :

A titre principal,

- Juger que la société Magna Automotive (CZ) ne justifie pas d'un intérêt propre à agir contre la société Faurecia ;

- Juger que la société Magna Automotive (CZ), à défaut d'avoir dénoncé les prétendus défauts dont elle fait désormais état, dans les conditions de l'article 39 de la Convention de Vienne et subsidiairement de l'article 377 du code de commerce allemand, est déchue du droit à agir contre la société Faurecia ;

- Juger que la société Magna Automotive (CZ) est prescrite dans ses demandes contre la société Faurecia ;

- Rectifier le jugement en ce qu'il a dit recevable la société Chabarovicke Strojirny AS désormais Magna Automotive (CZ) S.R.O et rectifier dans les termes ci-dessous :

« Dit irrecevable et mal fondée la demande de la société Chabarovicke Strojirny AS devenue Magna Automotive (CZ) S.R.O » ;

- Confirmer le jugement rendu le 18 juin 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a débouté la société Magna Automotive (CZ) de l'ensemble de ses demandes ;

- Débouter la société Magna Automotive (CZ) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre subsidiaire,

- Juger que la société Magna Automotive (CZ) n'apporte pas la preuve d'un manquement contractuel imputable à la société Faurecia, à l'origine des désordres ;

- Juger que le préjudice dont fait état la société Magna Automotive (CZ) n'est justifié ni dans son principe ni dans son quantum ;

- Par conséquent, juger la société Magna Automotive (CZ) mal fondée à agir contre la société Faurecia et confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Magna Automotive (CZ) de ses demandes ;

- Débouter la société Magna Automotive (CZ) de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

A titre très subsidiaire,

Si par impossible, la cour devait juger la société Magna Automotive (CZ) recevable et bien fondée à agir contre la société Faurecia :

- Rejeter la demande d'expertise formée par la société Magna Automotive (CZ), laquelle apparaît inutile vouée à l'échec, au regard de l'ancienneté des faits et de l'absence d'éléments de preuve objectifs ;

Si par impossible, la cour devait juger légitime la demande d'expertise formée par la société Magna Automotive (CZ) :

- Désigner tel expert qu'il plaira à la cour, spécialiste en métallurgie, avec la mission de:

- convoquer les parties ;

- se rendre sur les lieux, prendre connaissance des documents contractuels et techniques, entendre les parties et tout sachant ;

- examiner et décrire les désordres affectant les produits (châssis de fauteuil) livrés par Magna à Volkswagen et leur lien avec la procédure de rappel décidée par Volkswagen ;

- examiner et décrire notamment les opérations d'assemblage et d'intégration effectuées par Magna et/ou la société C.S.a.s. devenue Magna C.Z. des composants et notamment de l'articulation D93 ;

- dire si ces opérations d'assemblage et d'intégration ont été effectuées par Magna et/ou la société C.S.a.s devenue Magna C.Z. conformément aux prescriptions applicables et/ou aux règles de l'art ;

- vérifier les contrôles de qualité effectués par Magna et/ou la société C.S.a.s devenue Magna C.Z. sur ses produits finis et dire si ces contrôles étaient conformes aux prescriptions applicables et/ou aux règles de l'art ;

- dans la négative, dire si des contrôles/essais conformes auraient évité les désordres constatés sur les produits livrés à Volkswagen ; en tout état de cause, établir la traçabilité des véhicules ayant fait l'objet de la procédure de rappel susmentionnée au regard des articulations D93 fournies par la société Faurecia à la société Magna Seating GmbH le cas échéant par l'intermédiaire de la société CS.a.s. devenue Magna C.Z. ;

- dire si la procédure de rappel effectuée par Volkswagen était techniquement nécessaire dans son principe et dans son étendue notamment au regard des éléments de traçabilité aux différents stades de production ;

- évaluer les préjudices allégués par les parties en lien avec la procédure de rappel susmentionnée ;

- fournir tous les éléments techniques et de fait permettant à la juridiction saisie d'apprécier les responsabilités encourues ;

- adresser aux parties un pré-rapport détaillé en les invitant à lui faire part de leurs observations dans un délai minimum de deux mois ;

- donner son avis sur les dires et observations que les parties seraient amenées à formuler et y répondre avant de déposer son rapport ;

En tout état de cause,

- Condamner la société Magna Automotive (CZ) au paiement de la somme de 60.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 15 septembre 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la recevabilité des demandes de la société Magna CZ

- sur l'intérêt à agir de la société Magna CZ

La société Faurecia soutient, au visa des articles 31 et 32 du code de procédure civile, que la société Magna CZ ne justifie pas d'un intérêt à agir.

Elle énonce qu'à défaut d'établir l'existence d'un lien contractuel, la société Magna CZ est irrecevable à agir contre la société Faurecia sur un fondement contractuel ; qu'en effet les livraisons litigieuses sont intervenues en exécution d'un contrat conclu le 30 juin 2003 ('Nomination letter') entre la société Faurecia et la société Magna Allemagne, alors dénommée Intier Automotive Seating GmbH, et non la société Magna CZ ; que le document intitulé 'Price agreement' ne permet pas d'établir l'existence d'un contrat entre les sociétés Faurecia et Magna CZ ; que c'est bien la société Magna Allemagne qui a formalisé auprès de la société Faurecia, le 3 juin 2011, une réclamation en lien avec ces livraisons puis qui l'a mise en demeure, courant 2012, de prendre en charge les notes de débit émises par la société Volkswagen ; qu'en outre la société Magna CZ ne se prévaut pas d'un préjudice propre de nature contractuelle mais d'un préjudice qui correspond, pour l'essentiel, à des notes de débit établies par la société Volkswagen et facturées à la société soeur Magna Pologne, ces sociétés n'étant pas partie à la procédure ; que le lien de causalité entre ces sommes et le présent litige n'est nullement établi ; que les paiements que la société Magna CZ a pu effectuer au profit de la société Magna Pologne ne résultent en réalité que de l'opération de refacturation décidée par les sociétés Magna Allemagne et Magna Pologne, pour des raisons fiscales ou internes au groupe, et ne sont en aucun cas imputables à la société Faurecia.

La société Magna CZ fait valoir en réplique que les pièces versées aux débats (commandes, bordereaux de livraison, factures, extraits de compte) démontrent au contraire l'existence d'un lien contractuel avec la société Faurecia ; que la 'Nomination letter' est une lettre informant cette dernière qu'elle a été retenue par le groupe Magna comme fournisseur pour les produits en projet de conception mais que cette lettre ne constitue nullement un contrat d'achat sur lequel l'action de la société Magna CZ est fondée ; que la 'Nomination letter' a été émise au tout début du projet et fait référence au sous-traitant qui intervenait alors pour le groupe Intier, soit la société italienne Frigostamp; que le groupe Magna a par la suite regroupé en interne la production des sièges en confiant à sa filiale tchèque, la société Magna CZ, la production des structures métalliques destinées à être intégrées dans les sièges ; que les articulations, objets du litige, ont été fournies par la société Faurecia à la société Magna CZ sur la base d'un accord cadre intitulé 'Price agreement' conclu entre elles le 8 octobre 2009 et applicable rétroactivement à compter du 1er janvier 2009 ; que le renvoi par cet accord aux conditions générales de Magna Allemagne, société mère de Magna CZ, est tout à fait classique dans un groupe de sociétés poursuivant une activité internationale et permet de s'assurer que les échanges internationaux des différentes entités du groupe Magna avec leurs fournisseurs sont régis de la même manière.

Elle considère ainsi qu'elle dispose d'un intérêt légitime à engager une action en justice aux fins de réparation des préjudices qui résultent des articulations défectueuses commandées par elle et livrées chez elle par la société Faurecia, sans qu'il y ait besoin de juger le bien-fondé de ces préjudices au stade de l'examen de la recevabilité de l'action.

*****

Selon l'article 31 du code de procédure civile, « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. »

L'intérêt à agir doit être légitime, né et actuel, direct et personnel.

En application de l'article 32 du même code, l'absence d'intérêt légitime est sanctionnée par l'irrecevabilité de la demande.

Il ressort des pièces produites aux débats que le 30 juin 2003, la société Intier Automotive Seating Systems GmbH (Intier), devenue Magna Seating GmbH (Magna Allemagne), et la société Faurecia Sièges d'Automobile SA (Faurecia) ont signé un document intitulé « Nomination letter - Rev. 4 » portant sur la fourniture à long terme du produit suivant : « Recliner monobloquer actif ' 93 mm, 2 sided control pin (definition TBC) » (articulation monobloc ' 93 mm, broche bilatérale de contrôle (définition de l'articulation à confirmer)). L'accord comprend des stipulations relatives aux droits de propriété industrielle et intellectuelle, au prix des pièces, aux conditions de paiement, aux délais de production et de livraison, étant observé qu'il était alors convenu que la marchandise serait livrée en Italie à la société Frigostamp, sous-traitante du groupe Magna.

Les sociétés Faurecia et Magna Allemagne ont formalisé, dans le même temps, les spécifications techniques du produit, objet de leur accord, et une procédure d'homologation des pièces de production, intitulée en pratique « Production Part Approval Process » (PPAP), a été mise en place.

Il était prévu dans le document « Nomination letter » du 30 juin 2003 que les conditions de paiement seraient fixées directement avec le sous-traitant de Magna :

« Payment conditions shall be separately agreed with the Intier sub-contractor (Frigostamp), otherwise guaranteed by Intier. » (Les modalités de paiement seront convenues séparément avec le sous-traitant de Intier (Frigostamp), et en tout état de cause garanties par Intier).

Il est établi et non discuté qu'à la suite d'une réorganisation par le groupe Magna de ses sites de production, la société Chabarovicke Strojirny AS (aujourd'hui Magna CZ) est devenue, après quelques années, le site d'assemblage des structures métalliques des sièges automobiles, en lieu et place du sous-traitant externe au groupe.

C'est dans ce cadre que le prix des articulations intégrées dans les structures métalliques des sièges a été fixé dans un document intitulé « Price Agreement » signé le 8 octobre 2009 par la société Faurecia et par la société Chabarovicke Strojirny AS (aujourd'hui Magna CZ).

Figurent ainsi au bas de ce document, à côté de la mention 'Magna General Manager' (Directeur Général Magna) la signature de M. [O] [Z], à l'époque président du conseil d'administration de la société Chabarovicke Strojirny AS et, à côté de la mention 'Magna Purchasing Buyer', celle de M. [I] [N], responsable des achats de cette société. Les pièces communiquées par ailleurs par la société Magna CZ (délégation de pouvoirs et extrait de compte LinkedIn) confirment l'identité des signataires.

L'accord de prix précise le prix des marchandises, le lieu de la livraison (coordonnées de la société Chabarovicke Strojirny AS), les modalités de paiement, ainsi que les conditions générales devant régir la relation contractuelle entre le fournisseur, Faurecia, et la société Chabarovicke Strojirny, cette dernière étant expressément désignée comme étant le client. Il est indiqué que l'approbation de cet accord de prix ou la mise en place de l'exécution des livraisons fondées sur cet accord de prix entraîne l'acceptation des conditions générales d'achat fixées par le client, un renvoi étant fait aux conditions générales d'achat de Magna Automotive Seating Systems GmbH (Magna Allemagne).

La société Magna CZ verse aux débats :

- des commandes qu'elle a directement adressées, courant 2011, à la société Faurecia, dont celles ayant donné lieu aux livraisons prétendument défectueuses ;

- des bordereaux de livraison de la société Faurecia, sur lesquels figure le nom de la société Chabarovicke Strojirny, en tant que destinataire ;

- des factures émises par la société Faurecia à l'attention de la société Chabarovicke Strojirny, en sa qualité de 'Buyer' (acheteur/acquéreur), dont la société Magna CZ fait observer qu'elles ont été établies conformément au prix convenu entre les parties dans le "Price Agreement" ;

- un extrait de son compte bancaire attestant de paiements effectués par la société Magna CZ au profit de la société Faurecia et dont elle souligne qu'y sont mentionnés le numéro interne attribué par Magna CZ aux factures de Faurecia et tamponné sur celles-ci, ainsi que les numéros et montants des factures de Faurecia.

L'ensemble de ces éléments démontre l'existence d'un lien contractuel entre les sociétés Faurecia et Magna CZ et, partant, l'intérêt à agir de cette dernière pour obtenir l'indemnisation du préjudice qu'elle prétend avoir subi en raison des livraisons de la société Faurecia qu'elle estime défectueuses.

- sur l'irrecevabilité tirée de la déchéance du droit à agir de la société Magna CZ

La société Faurecia prétend, au visa de l'article 39 de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises et, subsidiairement, de l'article 377 du code de commerce allemand, que la société Magna CZ est également irrecevable à agir car elle n'a pas dénoncé les défauts allégués dans un bref délai, si bien qu'elle se trouve déchue de ses droits à se prévaloir d'un défaut de la marchandise livrée et à réclamer le versement de dommages-intérêts.

Elle fait valoir que les dispositions de la Convention de Vienne doivent être appliquées d'office dès lors que les sociétés Faurecia et Magna CZ sont domiciliées dans deux Etats distincts ayant ratifié cette convention ; que les livraisons, objets du présent litige, doivent être qualifiées de contrats de fourniture de marchandises au sens de l'article 3 de ladite convention ; que si les conditions générales d'achat de la société Magna Allemagne, auxquelles renvoie le 'Price Agreement' convenu entre les sociétés Faurecia et Magna CZ, excluent l'application de la Convention de Vienne, la société Magna CZ n'apporte pas la preuve que ces conditions générales ont été portées à la connaissance de la société Faurecia et qu'elle les a acceptées ; qu'ainsi, en application de l'article 39 de la Convention de Vienne, la société Magna CZ est déchue des droits dont elle se prévaut à l'encontre de la société Faurecia, faute de dénonciation par elle de la non-conformité alléguée de la marchandise dans un délai raisonnable à compter de la constatation du prétendu défaut et, en tout état de cause, avant l'expiration du délai butoir de deux ans suivant la réception de la marchandise, soit avant le mois de mars 2013.

Elle soutient que la société Magna CZ est également déchue du droit d'agir à son encontre en application des dispositions de l'article 377 du code de commerce allemand, invoquées par l'appelante, dès lors qu'elle n'a pas procédé à la dénonciation des prétendus défauts dans un délai raisonnable.

La société Magna CZ fait observer en réplique que les conditions générales de Magna, expressément acceptées par Faurecia, ont exclu l'application de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises ; qu'à supposer même que les conditions générales de Magna soient inapplicables, la Convention de Vienne ne devrait pas pour autant régir les relations contractuelles dans la mesure où celles-ci sont constitutives d'un contrat d'entreprise et non de vente.

Elle énonce qu'en tout état de cause, les développements de la société Faurecia sur la prétendue déchéance des droits de Magna CZ sur le fondement des dispositions de la Convention de Vienne sont dénués de toute pertinence puisque le défaut a bien été porté à la connaissance du fournisseur dans le délai imparti ; qu'en effet la société Faurecia a été avertie du défaut à au moins trois reprises, et ce dès le 2 mai 2011 ; que pour cette raison, la société Faurecia est également mal fondée en sa demande de déchéance au visa de l'article 377 du code de commerce allemand.

Elle précise qu'aucune forme n'est requise par l'article 377 et qu'un simple courriel, tel ceux échangés au cas présent juste après la découverte du défaut, vaut dénonciation au sens de ce texte, qu'en outre Magna Allemagne a bien agi au nom de sa filiale tchèque.

*****

La cour a précédemment constaté que les parties étaient liées par un 'Price agreement' signé le 8 octobre 2009 par la société Faurecia, lequel renvoie aux conditions générales d'achat de la société Magna Allemagne. Or, ces conditions générales excluent expressément l'application de la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises et visent la loi allemande comme loi applicable au contrat.

En conséquence, seule sera examinée la question de la déchéance du droit d'agir de la société Magna CZ au regard de l'article 377 du code de commerce allemand.

L'article 377 du code de commerce allemand (HGB) dispose qu'en matière de vente entre professionnels, l'acheteur est tenu d'inspecter les marchandises immédiatement après leur livraison par le vendeur et d'informer aussitôt ce dernier de tout éventuel défaut de conformité ; si l'acheteur omet de dénoncer un éventuel défaut, les marchandises sont réputées avoir été approuvées, à moins qu'il ne s'agisse d'un défaut de conformité non décelable par l'examen de la marchandise à la livraison ; si le défaut de conformité est décelé ultérieurement, la dénonciation doit se faire immédiatement après la découverte de ce défaut, faute de quoi la marchandise est considérée comme acceptée par l'acheteur malgré l'existence dudit défaut.

Or, il ressort des courriels échangés que dès le 2 mai 2011, la société Faurecia a été informée des anomalies constatées lors du soudage des pièces livrées (porosités sur les points de contact) et interrogée sur un éventuel changement de matériel, la cour observant que les messages d'alerte émanaient de M. [D] [Y], se présentant comme ingénieur qualité au sein de la division Chabarovicke Strojirny AS (aujourd'hui Magna CZ) en République tchèque, c'est-à-dire de l'acheteur des pièces.

La société Magna CZ souligne, sans être contredite, qu'il est parfaitement admis, en droit allemand, que le défaut de conformité des produits vendus soit dénoncé par courriel, aucune forme n'étant requise par l'article 377 susvisé.

Sachant que les premières anomalies ont été constatées début mai 2011 lors de l'assemblage des articulations issues des livraisons du mois de mars 2011 et que ces anomalies ne pouvaient pas être détectées avant le soudage des pièces, il y a lieu de retenir que la dénonciation du défaut par la société Magna CZ est intervenue dans un délai raisonnable et que par conséquent, contrairement à ce que soutient la société Faurecia, la société Magna CZ n'est aucunement déchue du droit d'agir à l'encontre de son fournisseur.

Le moyen d'irrecevabilité sera écarté.

- sur la prescription de l'action introduite par la société Magna CZ

La société Faurecia soutient enfin que l'action formée par la société Magna CZ est prescrite en application de l'article 438 du code civil allemand, selon lequel les prétentions liées à la garantie de la chose vendue sont soumises à une prescription de deux ans qui court à compter de la remise de la chose, qu'il s'agisse d'un vice caché ou d'un défaut de conformité.

Elle rappelle que les livraisons sur lesquelles la société Magna CZ fonde sa demande, datent des 4, 9 et 18 mars 2011, de sorte que celle-ci aurait dû agir au plus tard le 18 mars 2013. Or, la société Chabarovicke Strojirny a saisi le tribunal de commerce de Nanterre par acte du 28 mars 2013.

Elle énonce que les conditions d'une suspension du délai de prescription, telles que posées par l'article 203 du code civil allemand, ne sont pas remplies ; qu'en effet les échanges concernant le litige se sont déroulés entre la société Faurecia et la société Magna Allemagne, et non avec la société Magna CZ ; que ces échanges ne constituent pas des négociations au sens de l'article 203 susvisé dans la mesure où la société Faurecia a immédiatement, dès le 23 juin 2011, et constamment rejeté toute responsabilité et refusé une quelconque prise en charge de la réclamation, ce de façon explicite et non équivoque ; qu'à supposer même que ses échanges avec la société Magna Allemagne puissent être qualifiés de négociations au sens dudit article 203, la société Magna CZ, qui n'était pas partie aux discussions et qui ne justifie pas de l'existence d'un pouvoir de représentation ou de négociation qu'elle aurait consenti à la société Magna Allemagne, n'est pas fondée à se prévaloir d'un quelconque effet suspensif pour échapper à la prescription, qui est intervenue le 4 mars 2013.

Elle ajoute que la garantie contractuelle invoquée par la société Magna CZ, qui figure à l'article 8.2 des conditions générales d'achat de la société Magna Allemagne, lui est inopposable ; que cette clause n'est en tout état de cause pas valable en droit allemand dès lors qu'elle prévoit un délai de 4 ans et demi, qui va bien au-delà du délai applicable en matière de garantie légale/non-conformité (2 ans) et du délai de droit commun (3 ans), ce qui suffit à caractériser le déséquilibre significatif visé par l'article 307 I du code civil allemand ; qu'en outre le point de départ du délai de prescription n'est pas déterminé et dépend exclusivement de la société Magna, seule en mesure de déterminer de manière unilatérale la date de revente des produits livrés au client final ; qu'enfin cette disposition défavorable aux fournisseurs de la société Magna n'est pas compensée par une disposition qui leur serait favorable.

La société Magna CZ réplique que des négociations étaient en cours avec la société Faurecia et que, conformément aux dispositions de l'article 203 du code civil allemand, ces négociations ont suspendu le délai de prescription de deux ans prévu par l'article 438 du même code.

Elle considère que contrairement à ce qu'indique la société Faurecia, celle-ci n'a pas refusé dès le début les négociations avec Magna CZ mais s'est contentée de nier sa responsabilité ; qu'ainsi sa lettre en date du 23 juin 2011 ne constitue pas un refus de négocier au sens de l'article 203 du code civil allemand ; que l'intimée a au contraire admis que les négociations en cours avaient interrompu le cours de la prescription, en indiquant qu'elle ne voyait aucun intérêt à convenir par écrit d'une suspension du délai de prescription ; que n'est pas davantage fondé l'argument selon lequel toutes les négociations auraient été conduites entre Magna Allemagne et Faurecia, cette dernière n'ayant pas manqué de s'adresser à Magna CZ ; qu'il est clair que Magna Allemagne, qui était habilitée à représenter sa filiale, a participé aux négociations au nom de celle-ci ; que d'ailleurs la participation de Magna Allemagne aux négociations avec Faurecia n'a rien d'anormal compte tenu du fait qu'elle assurait la commercialisation des sièges livrés à la société Volkswagen et était en contact direct avec le client final.

Elle ajoute à titre surabondant que l'article 8.2 des conditions générales Magna prévoit une garantie d'une durée totale de trente mois à compter de la livraison des produits chez Magna CZ, que cette clause n'allonge le délai de prescription biennal que de six mois, ce qui reste raisonnable au regard des dispositions de l'article 307 du code civil allemand, sachant que lorsque les articulations étaient livrées par Faurecia à Magna CZ, le produit final n'était revendu aux clients finaux qu'au bout de plusieurs mois.

*****

L'article 438 du code civil allemand (BGB) soumet l'action fondée sur la défectuosité de la chose vendue à un délai de prescription de 2 ans à compter de la livraison de la chose.

Par application de l'article 203 du même code, la prescription est suspendue par les négociations menées entre les parties.

Il ressort des pièces produites aux débats que lorsqu'au mois de mai 2011, la société Magna CZ a alerté la société Faurecia sur les anomalies constatées lors du soudage des articulations livrées, celle-ci n'a pas refusé d'emblée toute négociation et a au contraire organisé une réunion avec des représentants de la société Magna CZ, le 11 mai 2011, dans ses locaux à [Localité 3] (Orne), afin de discuter des causes du problème et de déterminer un plan d'action.

La société Faurecia a certes rapidement rejeté toute responsabilité et refusé une quelconque prise en charge indemnitaire, notamment dans une lettre adressée le 23 juin 2011 à la société Magna Allemagne, mais elle n'a pour autant pas fermé la porte aux discussions, comme le démontrent le courrier précité du 23 juin 2011, qui ne caractérise pas un refus de négocier et qui se termine par ces lignes : « Nonobstant ce qui précède, nous restons à votre disposition au cas où vous auriez besoin de plus d'information, comme une expertise sur la soudure qui soutient les déclarations ci-dessus », ou encore son courrier du 18 février 2013 à Magna Allemagne, dans lequel la société Faurecia écrit de façon explicite :

« (...) 1. Ouverture de Faurecia aux discussions

(') Compte tenu de la relation professionnelle existant avec le Groupe Magna et Volkswagen AG d'une manière générale, et sans préjudice, Faurecia est assurément ouverte aux discussions, mais ne reconnaît aucune obligation légale ou responsabilité.

À cet égard, Faurecia est ravie de recevoir la proposition de nouvelle réunion de Magna. Faurecia suggère d'organiser cette réunion dans votre usine de Chabarovice. Faurecia suppose que Magna a en stock, à Chabarovice, certaines pièces assemblées, et notamment des fauteuils inclinables soudés de Faurecia issus de la période de production concernée.

Magna et Faurecia pourraient examiner ensemble ces pièces et désigner conjointement un expert indépendant qui sera chargé d'analyser lesdites pièces. (...)

2. Procès-verbal de la réunion [du 31 janvier 2013]

Magna a demandé à Faurecia de renoncer à invoquer la loi de prescription pendant la durée des négociations et pendant une période supplémentaire de six mois.

Si Magna accepte de procéder aux analyses conjointes du fauteuil inclinable soudé de l'essai de choc NOK et de discuter des aspects techniques, Faurecia pourrait envisager de renoncer à invoquer la loi de prescription comme cela lui est demandé. (...) »

Dans le prolongement de ce courrier, la société Magna Allemagne a écrit le 19 mars 2013 à la société Faurecia et lui a proposé un projet d'accord sur la suspension du cours de la prescription. Cette lettre confirmait en outre une prochaine réunion fixée au 28 mars 2013 afin de convenir d'une solution amiable du litige.

En réponse, par lettre du 26 mars 2013 adressée tant à la société Magna Allemagne qu'à la société Magna CZ, la société Faurecia indiquait qu'elle était « sur le principe, prête à discuter et investiguer sur les prétendues défectuosités des articulations » mais qu'elle ne voyait pas « la nécessité ni l'intérêt particulier de Magna à obtenir un accord écrit de renonciation à la prescription », elle confirmait « à nouveau sa bonne volonté » et demandait « à ce que lui soit communiquée l'analyse des soudures de l'articulation du crash NOK ainsi que d'évoquer les aspects techniques ».

Ces éléments démontrent que les parties étaient en négociations, au sens de l'article 203 du code civil allemand, à tout le moins jusqu'au 26 mars 2013. Outre que les pièces versées aux débats établissent l'implication de la société Magna CZ dans ces négociations, la société Faurecia ne peut utilement se contredire en soutenant d'une part, qu'elle a refusé de négocier et d'autre part, que les négociations auraient été conduites entre Faurecia et Magna Allemagne seule.

Les négociations ont suspendu le délai de prescription de deux ans fixé par l'article 438 susvisé, ce dont il se déduit que l'action de la société Magna CZ, introduite le 28 mars 2013 devant le tribunal de commerce de Nanterre, n'est pas prescrite.

Le moyen d'irrecevabilité sera rejeté.

Sur la responsabilité contractuelle de la société Faurecia

La société Magna CZ s'estime bien fondée à rechercher, en application du droit allemand, la responsabilité contractuelle de la société Faurecia, qui lui a fourni en mars 2011 des articulations défectueuses. Elle sollicite la condamnation de la société Faurecia à lui verser la somme de 3.757.005,55 €, avec intérêts au taux légal à compter du 28 mars 2013, le préjudice invoqué étant directement lié à une campagne de rappel de véhicules initiée en 2011 par son client, la société Volkswagen.

Elle expose que des spécifications concernant les articulations, objets du litige, ont été définies notamment dans deux documents intitulés "Production Part Approval Process" (PPAP) et "Part Submission Warrant" (PSW) ; que ces spécifications comprenaient à la fois des exigences en terme de matériaux utilisés et de traitement thermique de ceux-ci (incluant le durcissement par carbonisation) ; que tout changement dans le processus de fabrication ou les matériaux utilisés était susceptible d'affecter la qualité du produit et devait faire l'objet d'un nouveau PPAP soumis à l'approbation du client ; que le processus de durcissement mis en 'uvre par Faurecia au cours du mois de mars 2011 a été substantiellement modifié par rapport à ce qui était prévu au PPAP, sans que Faurecia n'en informe Magna CZ ; que les sociétés Magna CZ et Volkswagen se sont aperçues au mois de mai 2011 que des articulations fournies par la société Faurecia étaient défectueuses en raison d'un durcissement par carbonisation mal exécuté ; que les sociétés Magna CZ et Volkswagen ont procédé à de multiples recherches afin de déterminer l'origine de ces défauts ; que des tests ont été effectués au centre de production de Faurecia à [Localité 5] ; que ces diverses investigations ont démontré que du fait d'un mauvais réglage de la valve NH3 sur le four, les quantités de NH3 (ammoniac) introduites dans le processus avaient été accidentellement augmentées dans des proportions considérables, ce qui a affecté le durcissement des articulations ; que ce défaut qui affectait la résistance mécanique de la pièce ne pouvait être décelé qu'à l'issue de tests destructifs ; que les sièges incorporant les articulations défectueuses ont échoué aux crash tests et ont permis de détecter le défaut de résistance ; qu'il a été nécessaire de procéder au remplacement de 7 087 sièges des véhicules Volkswagen Caddy déjà produits et vendus par la société Volkswagen à ses revendeurs ou clients finaux, dès lors que ces sièges étaient susceptibles d'incorporer des articulations défectueuses.

Elle retient comme incontestable que le processus de production de la société Faurecia dans son usine de [Localité 5] est à l'origine des défectuosités, soulignant que le rapport 8D établi le 17 mai 2011 par la société Faurecia elle-même le confirme. Elle critique la nouvelle version du rapport 8D datée du 8 juillet 2011, dans laquelle Faurecia indique pour la première fois que le procédé de soudage utilisé par Magna CZ peut être à l'origine des défauts constatés, sans pour autant expliquer ni tenter de démontrer en quoi la société Magna CZ aurait modifié son procédé de soudage au cours du mois de mars 2011, ni même revenir sur le fait que les lots concernés ont été soumis à un surdosage accidentel d'ammoniac pendant leur traitement par Faurecia. Elle souligne que la société Faurecia a elle-même admis en mai 2011 avoir produit environ 6.240 articulations défectueuses entre mars et mai 2011.

La société Faurecia répond que la société Magna CZ ne rapporte pas la preuve d'un manquement contractuel de sa part ; qu'elle ne produit aucun élément objectif permettant d'imputer les désordres survenus à la société Faurecia, ni même d'exclure la propre responsabilité de la société Magna CZ dans la survenue des désordres ; qu'outre ses propres écrits, elle se fonde exclusivement sur une première version d'un rapport 8D établi le 17 mai 2011, qui n'est pas la version actualisée le 8 juillet 2011, et dans lequel la société Faurecia aurait identifié l'opération de carbonitruration (traitement de surface du flasque de l'articulation) comme source pouvant éventuellement être à l'origine des défauts constatés ; que l'excès d'ammoniac (NH3) dans la couche carbonitrurée du flasque mobile de l'articulation ne peut pas créer un problème de soudage lorsque les paramètres de soudage corrects et les règles du contrôle de process sont appliqués ; que si la société Magna CZ avait procédé à un contrôle qualité de ses propres soudures, conformément aux règles de l'art, elle aurait pu identifier le défaut de collage, cause des désordres, ce qui aurait évité la mesure de rappel préventive décidée par la société Volkswagen.

Elle fait valoir qu'immédiatement après avoir été informée, le 2 mai 2011, des problèmes survenus lors de l'opération de soudage des flasques et avant même d'avoir examiné les conditions d'assemblage par la société Magna CZ, elle s'est interrogée sur les causes éventuelles des défauts constatés et a participé activement à la recherche des causes ; que dans un premier temps, eu égard aux informations dont elle disposait alors, elle a émis un premier rapport D8, faisant état de causes potentielles mais que postérieurement, elle a appris que la société Magna CZ n'avait jamais pris connaissance des spécifications techniques et en particulier des paramètres de soudage déterminés conjointement avec Magna Allemagne ; que parallèlement, elle a constaté que les cordons de soudure réalisés par la société Magna CZ avaient fait l'objet de phénomènes de collage, révélateur d'un défaut de soudure ; qu'à l'aune de ces informations nouvelles elle a établi un nouveau rapport D8, le 8 juillet 2011, afin de prendre acte de cette cause des désordres.

Elle soutient que, contrairement à ce que voudrait laisser croire la société Magna CZ, les investigations menées par les parties ont permis d'exclure un lien causal entre la rupture de soudure survenue lors d'un crash test chez Volskwagen et un quelconque défaut de process chez Faurecia.

Elle ajoute qu'en l'absence de précisions sur les coûts dont se prévaut la société Magna CZ, indépendamment de savoir si ces coûts ont réellement été engagés par cette dernière, rien ne permet de s'assurer qu'elle a bien pris les mesures raisonnables nécessaires pour limiter l'étendue de son préjudice.

******

La société Magna CZ fonde sa demande sur les articles 437, 280 et 281 du code civil allemand (BGB).

Aux termes de l'article 437 de ce code :

« Si la chose est défectueuse, l'acheteur peut, dans les conditions des dispositions suivantes, et sauf disposition contraire,

1. demander l'exécution ultérieure conformément au § 439,

2. résoudre le contrat selon les §§ 440, 323 et 326 al. 5 ou diminuer le prix de la vente selon le § 441,

3. demander une indemnisation selon les §§ 440, 280, 281, 283 et 311a ou le remboursement des frais engagés selon le § 284. »

L'article 281 al. 1, 1° du code civil allemand précise que:

« Dans la mesure où le débiteur ne fournit pas la prestation échue ou ne la fournit pas comme elle était due, le créancier peut, aux conditions du § 280 al. 1er, réclamer des dommages-intérêts en lieu et place de la prestation, s'il a imparti au débiteur, sans succès, un délai raisonnable pour l'exécution convenue ou l'exécution corrective. »

L'article 280 al. 1er prévoit quant à lui que :

« Lorsque le débiteur viole une obligation découlant du rapport d'obligation, le créancier peut réclamer la réparation du préjudice qui en résulte. La règle ne joue pas si le débiteur n'a pas à répondre de cette violation. »

Pour démontrer la faute contractuelle de son fournisseur, la société Magna CZ se prévaut du rapport de résolution des problèmes 8D établi par la société Faurecia le 17 mai 2011, peu de temps après que celle-ci a été informée d'un défaut de soudure lors de l'assemblage des articulations sur les supports métalliques. Ce rapport fait notamment état qu'une « surquantité d'ammoniac, supérieure à 1.000 litres/heure, permet de reproduire le mode de défaut » et vise « l'ouverture accidentelle de la vanne d'ammoniac par un opérateur poussant la table de mesure ».

La société Faurecia ne conteste pas l'existence d'une erreur humaine expliquant que le débit d'ammoniac a dépassé la limite lors de la production.

La discussion porte sur le point de savoir si cette cause est en lien avec les désordres allégués, qui ont conduit Volkswagen à lancer une campagne de rappel des véhicules intégrant les sièges susceptibles d'être non conformes aux normes de sécurité.

A l'occasion d'une réunion sur son site de [Localité 3] (Orne),en présence de représentants de Magna CZ, la société Faurecia a rédigé une présentation datée du 16 mai 2011 décrivant un problème de porosité constaté lors du soudage et déclinant des causes potentielles pouvant expliquer le phénomène sur la base d'une analyse 'Est/N'est pas'. Cette présentation vise ainsi la surquantité d'ammoniac comme cause potentielle, la mesure corrective mise en place (retrait de la poignée de la vanne, ouverte par erreur) mais précise aussi que des tests se poursuivent.

Or, un rapport 8D actualisé a été rédigé par Faurecia le 8 juillet 2011 à la suite de tests réalisés fin mai et en juin 2011. Ce rapport, dont Faurecia indique dans un courrier du 19 novembre 2012 qu'il constitue le document le plus complet analysant le problème, fait état, outre celle liée à l'excès d'ammoniac, d'une seconde cause potentielle de difficultés, à savoir les paramètres de soudage utilisés par Magna CZ. Il est ainsi mentionné :

« OCC1 : Excès d'ammoniac $gt; 2.000 l/h reproduit des porosités (...)

OCC2 : Paramètres de soudage non optimisés chez Magna Chabarovice : la soudure cassée après le crash test a été coupée et analysée à [Localité 5] avec les représentants de Magna et VW le 26 mai : la bride mobile présente des porosités sur la couche de surface mais la pénétration de soudure est très faible. Ce type de rupture a été reproduit sur le site de Faurecia à [Localité 5] en soudant des articulations poreuses sur le support Magna ('sabre') avec des paramètres de soudage 'faibles' ».

Il résulte des courriers de Faurecia que des essais de choc réalisés le 15 juin 2011 sur des sièges fournis à la société Volkswagen ont mis en évidence qu'un joint de soudure effectué selon les paramètres et les normes de contrôle appropriés menait à des résultats conformes même en cas de porosités, et donc d'excès d'ammoniac, comme elle l'a confirmé par écrit à la société Volkswagen le 17 juin 2011. Des tests réalisés le 14 juillet 2011 avec des représentants de la société Volkswagen ont abouti au même résultat.

La société Faurecia invoque la modification par Magna CZ des paramètres de soudage, pourtant arrêtés conjointement au début de la collaboration avec le groupe Intier (aujourd'hui Magna), compte tenu de la particularité liée au « soudage d'un composant avec traitement de carbonitruration sur une bride épaisse ».

Elle indique aussi, sans être contredite, qu'elle a constaté lors d'investigations complémentaires menées sur l'articulation d'un siège livré à Volkswagen, que les cordons de soudures réalisés par Magna CZ avaient fait l'objet de phénomènes de collage, causés par un manque d'énergie pour autoriser la fusion des deux pièces assemblées.

Sa lettre du 19 novembre 2012 à Magna Allemagne fait ainsi état de deux problèmes distincts, l'un relatif à l'excès d'ammoniac et aux porosités, le second relatif au défaut de soudure et à l'absence de maîtrise du process de soudage, lequel était de la responsabilité de Magna CZ. Ce courrier contient une photo du contrôle de coupe du soudage de la pièce jugée non conforme ('NOK') lors du crash test chez Volkswagen : on y observe que la ligne de soudure est totalement collée (0 mm de pénétration de soudage).

La société Magna CZ se contente d'affirmer sans le démontrer que le procédé de soudage qu'elle utilise n'a fait l'objet d'aucune modification depuis 2004. Elle ne justifie cependant pas avoir appliqué les paramètres de soudage visés dans les spécifications techniques et le PPAP (Production Part Approval Process). Dans un courrier en réponse adressé le 21 décembre 2012 à la société Faurecia, elle écrit que les critiques concernant ses procédés de soudage sont sans fondement et que ces procédés ont été confirmés par des auditeurs externes et indépendants. Pour autant, elle ne produit aux débats aucun élément permettant utilement de remettre en cause l'analyse de la société Faurecia.

Il résulte de ces constatations que Magna CZ ne rapporte pas la preuve qui lui incombe que la cause du dommage est imputable, même partiellement, à Faurecia, la cour observant que l'appelante soutient dans le même temps, de façon pour le moins contradictoire, qu'il est nécessaire de procéder à une expertise qui permettra selon elle de déterminer qui est responsable du défaut de conformité.

La société Magna CZ sera donc déboutée de sa demande indemnitaire.

Sur la demande d'expertise

La société Magna CZ sollicite, sur le fondement de l'article 143 du code de procédure civile, la désignation d'un expert en métallurgie (soudage), au motif que les faits objets du litige nécessitent des investigations techniques pour éclairer la cour.

La société Faurecia s'y oppose, faisant valoir que, conformément à l'article 146 du code de procédure civile, la mesure d'expertise n'a pas vocation à pallier la carence des parties dans l'administration de la preuve, que la société Magna CZ, qui n'a pas su préserver les éléments de preuve nécessaires au soutien de son action, apparait mal fondée à solliciter une mesure d'expertise, qu'en outre, au regard de l'ancienneté des faits, toute mesure d'expertise apparaît aujourd'hui inutile et vouée à l'échec.

*****

La cour a précédemment constaté, sans qu'une expertise ne se soit avérée nécessaire, que la société Magna CZ ne produisait aucun élément permettant de remettre en cause l'analyse de la société Faurecia selon laquelle l'origine du dommage réside dans un mauvais procédé de soudage. A titre surabondant, il apparait que les faits litigieux sont survenus courant 2011, que le groupe Magna n'a alors pas cru bon de solliciter la désignation d'un expert judiciaire dans le cadre d'une mesure in futurum afin de déterminer de façon contradictoire les causes des désordres, que la proposition de désignation conjointe d'un expert indépendant faite par Faurecia (Cf. son courrier du 18 février 2013) n'a manifestement pas été suivie d'effet, qu'eu égard à l'ancienneté des faits, la probabilité que des éléments de preuve aient été conservés, en particulier des sièges issus de la période de production concernée, apparaît faible, outre les difficultés liées aux conditions dans lesquelles ces éléments ont pu être stockés depuis plus de dix ans.

Dans ces conditions, la demande aux fins d'expertise n'est pas justifiée et sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

En application de l'article 696 du code de procédure civile, la société Magna CZ sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Elle sera en outre condamnée à verser à la société Faurecia une indemnité de 18.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, dans les limites de sa saisine, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

RAPPELLE que la cour a notamment, par arrêt rendu le 24 novembre 2015, infirmé le jugement rendu le 18 juin 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

REJETTE les moyens d'irrecevabilité tirés du défaut d'intérêt à agir, de la déchéance de ce droit et de la prescription de son action opposés à la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS ;

DIT la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS, recevable en son action ;

DÉBOUTE la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS, de sa demande indemnitaire ;

REJETTE la demande aux fins d'expertise ;

CONDAMNE la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS, aux entiers dépens de première instance et d'appel ;

CONDAMNE la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS, à verser à la société Faurecia Sièges d'Automobiles la somme de 18.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la société Magna Automotive CZ SRO, venant aux droits de la société Chabarovicke Strojirny AS, de sa demande de ce chef.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/03438
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;21.03438 ?
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