La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | FRANCE | N°19/05467

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 01 décembre 2022, 19/05467


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 60A



3e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 01 DECEMBRE 2022



N° RG 19/05467



N° Portalis DBV3-V-B7D-TLN5



AFFAIRE :



[N] [D] épouse [U]



C/



[I] [R] [X] [S] [C] veuve [H]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 4

N° RG : 1

7/05835



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Christophe DEBRAY



Me Cécile FLECHEUX de la SCP BILLON & BUSSY-RENAULD & ASSOCIES





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE PREMIER DECEMBRE DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 60A

3e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 01 DECEMBRE 2022

N° RG 19/05467

N° Portalis DBV3-V-B7D-TLN5

AFFAIRE :

[N] [D] épouse [U]

C/

[I] [R] [X] [S] [C] veuve [H]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Mai 2019 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 4

N° RG : 17/05835

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Christophe DEBRAY

Me Cécile FLECHEUX de la SCP BILLON & BUSSY-RENAULD & ASSOCIES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [N] [D] épouse [U]

née le [Date naissance 1] 1984 à [Localité 21]

de nationalité Française

[Adresse 10]

[Localité 13]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 19349

Représentant : Me Myriam HOUFANI de la SELARL CHAUVIN DE LA ROCHE-HOUFANI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L0089

APPELANTE

****************

1/ Madame [I] [R] [X] [S] [C] veuve [H]

née le [Date naissance 2] 1972 à [Localité 16] (73)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 8]

2/ Madame [B] [H]

née le [Date naissance 5] 1996 à [Localité 17] (49)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 8]

3/ Monsieur [G] [H]

né le [Date naissance 9] 1999 à [Localité 24] (67)

de nationalité Française

[Adresse 3]

[Localité 8]

Représentant : Me Julia AZRIA, Postulant, avocat au barreau des HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 22

Représentant : Me Jean-gilles HALIMI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0789

INTIMES

4/ L'AGENT JUDICIAIRE DE L'ETAT

Direction des Affaires Juridiques, sous-direction du droit privé

[Adresse 18]

[Adresse 22]

[Adresse 11]

[Localité 12]

Représentant : Me Cécile FLECHEUX de la SCP BILLON & BUSSY-RENAULD & ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 241 - N° du dossier 210269

INTIME

5/ CAISSE NATIONALE MILITAIRE DE SECURITE SOCIALE

[Adresse 7]

[Localité 15]

INTIMEE DEFAILLANTE

6/ MACIF

N° SIRET : 781 452 511

[Adresse 4]

[Localité 14]

Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 19349

Représentant : Me Myriam HOUFANI de la SELARL CHAUVIN DE LA ROCHE-HOUFANI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire L0089

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence PERRET, Président et Madame Gwenael COUGARD, Conseiller chargé du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Florence PERRET, Président,,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Madame Gwenael COUGARD, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

------

FAITS ET PROCEDURE :

Le 22 juin 2012, [T] [H] a assisté avec son épouse et leurs enfants à une réception organisée pour le départ en retraite de deux de ses collègues gendarmes. Les clés de son véhicule lui ayant été retirées en raison de son état d'ébriété, il est parti à pied pour rentrer à son domicile. Il a enjambé les glissières de la route nationale 12, avant de la traverser et a été heurté par le véhicule Renault Clio conduit par Mme [U] qui circulait dans le sens [Localité 20] - [Localité 19] à [Localité 23]. [T] [H] est décédé dans la nuit du 22 au 23 juin.

Par acte délivré le 8 août 2017, Mme [I] [C], veuve de [T] [H], a assigné Mme [U] devant le tribunal de grande instance de Versailles sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985 pour qu'il soit jugé qu'elle-même et ses enfants, Mme [B] [H] née le [Date naissance 5] 1996 et M. [G] [H] né le [Date naissance 9] 1999 (ci-après, les consorts [H]), étaient fondés à agir en leur qualité d'ayants droit de M. [H] et de victimes par ricochet et la voir condamner à leur payer diverses sommes.

Par jugement du 23 mai 2019, le tribunal a :

- donné acte à Mme [B] [H] et M. [G] [H] de leur intervention volontaire,

- dit que Mme [U] est tenue d'indemniser [T] [H] et ses ayants droit de l'intégralité de leur préjudice,

- condamné Mme [U] à payer :

aux consorts [H] au titre de la succession de [T] [H] les sommes de:

au titre des souffrances physique et morale de ce dernier..deux fois un euro,

au titre des frais d'obsèques...................................................4 155,10 euros,

à Mme [I] [H] les sommes de :

au titre du préjudice d'affection................................................15 000 euros,

au titre du préjudice économique......................................436 396,36 euros,

à Mme [B] [H]

au titre du préjudice d'affection................................................15 000 euros,

au titre du préjudice économique.........................................13 732,32 euros,

à M. [G] [H]

au titre du préjudice d'affection................................................15 000 euros,

au titre du préjudice économique.........................................18 003,17 euros,

aux consorts [H] au titre de l'article 700 du code de

procédure civile.......................................................................................3 500 euros,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement.

Par acte du 22 juillet 2019, Mme [U] a interjeté appel.

Par ordonnance de référé du 19 décembre 2019, le magistrat délégué par le premier président de la cour d'appel de Versailles a ordonné la consignation sur un compte séquestre, par Mme [U], de la somme de 520 788,95 euros.

Par arrêt du 27 mai 2021, la cour d'appel de Versailles a :

- déclaré recevable la demande formée par Mme [U] tendant au prononcé de la nullité du jugement,

- annulé le jugement rendu par le tribunal de grande instance Versailles le 23 mai 2019,

Avant dire droit,

- ordonné la révocation de l'ordonnance de clôture,

- invité les consorts [H] à mettre en cause l'organisme de sécurité sociale dont dépendait [T] [H] et à justifier de cette affiliation,

- invité les consorts [H] à appeler en intervention forcée l'agent judiciaire de l'État,

- ordonné le renvoi de l'affaire à la mise en état.

Ayant relevé que, conformément à l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, le tiers responsable, lorsqu'il y a intérêt, peut demander la nullité du jugement sur le fond lorsque les caisses de sécurité sociale auxquelles la victime de l'accident est ou était affiliée ne sont pas intervenues à l'instance et n'ont pas été appelées en déclaration de jugement commun, la cour a retenu que Mme [U] avait un intérêt à se prévaloir de cette nullité dès lors que le tiers responsable peut, après avoir indemnisé la victime, se voir réclamer par le tiers payeur le paiement de prestations non déduites lors de la liquidation des préjudices. Dès lors, ayant constaté qu'il n'était justifié ni de la délivrance d'une assignation en intervention forcée à l'organisme de sécurité sociale auquel [T] [H] était affilié, ni de l'identité de cet organisme, la cour a annulé le jugement déféré.

Par ailleurs, la cour a jugé que, les consorts [H] ayant bénéficié de prestations versées par l'État en raison du statut de gendarme de [T] [H], l'agent judiciaire de l'État devait être attrait à la procédure afin qu'il puisse, le cas échéant, exercer son recours subrogatoire pour obtenir le remboursement de tout ou partie des sommes exposées par l'État, en application de l'article 1er de l'ordonnance du 7 janvier 1959.

Par actes des 14 septembre 2021 et 16 novembre 2021, les consorts [H] ont attrait à la procédure la Caisse nationale militaire de la sécurité sociale (ci-après, la CNMSS), l'agent judiciaire de l'État et la société MACIF, en sa qualité d'assureur de Mme [U].

Par dernières écritures du 1er février 2022, Mme [U] et la société MACIF prient la cour de :

- juger que M. [H] a commis dans la réalisation de l'accident dont il a été victime le 22 juin 2012 une faute inexcusable, cause exclusive de l'accident en cherchant à se suicider ou à tout le moins en s'exposant sans raison valable à un danger dont il aurait dû avoir conscience,

En conséquence,

- débouter les consorts [H] de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société MACIF et de Mme [U],

- débouter l'Agent judiciaire de l'État de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la société MACIF et de Mme [U],

Subsidiairement,

- fixer le préjudice économique de Mme [I] [H], après imputation de la créance de l'agent judiciaire de l'État à la somme de 232 303,59 euros,

- fixer le montant du préjudice de Mme [I] [H] relatif au remboursement des frais d'obsèques, après imputation de la créance de la Fondation « Maison de la gendarmerie » à la somme de 855,10 euros,

- débouter Mme [I] [H] de sa demande au titre du préjudice d'affection,

- fixer le préjudice d'affection de Mme [B] [H] à la somme de 10 000 euros,

- fixer le préjudice économique de Mme [B] [H] à la somme de 15 790,56 euros, avant imputation des créances de l'agent judiciaire de l'État et de la Fondation « Maison de la gendarmerie »,

- juger qu'après imputation des créances de l'agent judiciaire de l'État et de la Fondation « Maison de la gendarmerie », il ne revient aucun solde à Mme [B] [H] au titre du préjudice économique,

- fixer le préjudice d'affection de M. [G] [H] à la somme de 10 000 euros,

- fixer le préjudice économique de M. [G] [H] à la somme de 15 790,56 euros, avant imputation des créances de l'agent judiciaire de l'État et de la Fondation « Maison de la gendarmerie »,

- juger qu'après imputation des créances de l'agent judiciaire de l'État et de la Fondation « Maison de la gendarmerie », il ne revient aucun solde à M. [G] [H] au titre du préjudice économique,

- débouter les consorts [H] de leurs demandes en leur qualité d'ayants droit de [T] [H] au titre des souffrances physiques et morales endurées par la victime directe,

- débouter l'agent judiciaire de l'État de sa demande de condamnation au titre de sa créance dirigée à l'encontre de la société MACIF et de Mme [U],

- fixer les créances de l'agent judiciaire de l'État et de la Fondation « Maison de la gendarmerie» à répartir selon le marc l'euro, à la somme totale de 235 946,01 euros, selon assiette du recours, se décomposant comme suit :

pour le préjudice économique de Mme [I] [H]..............204 364,89 euros,

pour le préjudice économique de Mme [B] [H]...................15 790,56 euros,

pour le préjudice économique de M. [G] [H].........................15 790,56 euros,

- débouter l'agent judiciaire de l'État de sa demande de majoration des intérêts de droit à compter de la date de notification de leurs écritures,

- débouter les consorts [H] de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter les consorts [H] de leur demande de condamnation aux entiers dépens de l'instance dirigée à l'encontre de la société MACIF et de Mme [U],

- débouter l'agent judiciaire de l'État de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter l'agent judiciaire de l'État de sa demande de condamnation aux entiers dépens de l'instance dirigée à l'encontre de la société MACIF et de Mme [U],

En tout état de cause,

- condamner in solidum les consorts [H] à payer à la société MACIF et à Mme [U] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les consorts [H] à payer à la société MACIF et à Mme [U] les entiers dépens de l'instance avec recouvrement direct, en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 22 juin 2022, les consorts [H] prient la cour de :

- les juger bien fondés à agir, en leur qualité de victimes par ricochet,

- constater l'existence de l'obligation de réparation de Mme [U],

- constater l'absence de faute inexcusable cause exclusive de l'accident de [T] [H],

- constater l'absence de volonté de M. [H] de causer le dommage qu'il a subi,

En conséquence,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que Mme [U] était tenue d'indemniser [T] [H] et ses ayants droit de l'intégralité de leurs préjudices,

- infirmer ledit jugement concernant l'évaluation des préjudices,

Et statuant à nouveau,

- condamner Mme [U] à payer aux consorts [H],en leur qualité d'ayants droit de [T] [H], les sommes de :

au titre du préjudice temporaire des souffrances morales endurées par la victime directe ...................................................................................................10 000 euros,

au titre du préjudice temporaire des souffrances physiques endurées par la victime directe ...................................................................................................10 000 euros,

au titre des frais d'obsèques.............................................................4 155,10 euros,

au titre de la perte de revenus des proches...................................847 942, 80 euros,

au titre de leur préjudice d'affection .........150 000 euros, soit 50 000 euros chacun,

- condamner Mme [U], au paiement de la somme de 6000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [U] aux entiers dépens.

Par dernières écritures du 1er février 2022, l'agent judiciaire de l'État prie la cour de :

Sur le droit à indemnisation des consorts [H],

- déclarer que l'agent judiciaire de l'État s'associe pleinement aux conclusions déposées par les consorts [H] tendant à retenir l'entière responsabilité de Mme [U] dans l'accident mortel survenu le 22 juin 2012, au préjudice de [T] [H],

Sur le recours subrogatoire de l'agent judiciaire de l'État,

- déclarer l'agent judiciaire de l'État bien fondé en son recours subrogatoire, en sa qualité de tiers-payeur,

- déclarer que l'agent judiciaire de l'État justifie d'une créance de 241 929,42 euros représentant le montant définitif du préjudice de l'État imputable sur le préjudice économique des consorts [H], pris en leur qualité d'ayants-droits de [T] [H],

En conséquence,

- condamner in solidum Mme [U] et la société MACIF à verser à l'agent judiciaire de l'État la somme de 241 929,42 euros au titre de sa créance,

- déclarer que la somme susvisée sera majorée des intérêts de droit à compter de la date de notification des présentes écritures, conformément aux dispositions de l'article 1231-6 du code civil (ancien article 1153),

- condamner in solidum Mme [U] et la société MACIF à verser à l'agent judiciaire de l'État la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens avec recouvrement direct.

Bien qu'assignée par acte du 14 septembre 2021 remis à personne habilitée, la CNMSS n'a pas constitué avocat.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 juillet 2022.

Par message RPVA du 29 septembre 2022 signifié après l'audience de plaidoiries, le conseil des consorts [H] a demandé à faire des observations relatives aux conclusions signifiées par M. l'agent judiciaire de l'Etat le 29 novembre 2021.

Les conseils de M. l'agent judiciaire de l'Etat et de Mme [U] se sont opposés à cette demande.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour n'a pas accueilli la demande du conseil des consorts [H] tendant à être autorisé à adresser une note en délibéré, aucun motif sérieux ne justifiant celle-ci.

Il sera rappelé que la cour statue après annulation du jugement entrepris, par arrêt du 27 mai 2021. Par effet de l'article 562 du code de procédure civile, la dévolution s'opère pour le tout.

' sur l'existence d'une faute inexcusable commise par la victime et l'exclusion du droit à réparation :

Mme [U] et la MACIF soutiennent que les circonstances du décès de [T] [H] établissent qu'il s'est suicidé et que son comportement dans le cadre de l'accident dénote un comportement suicidaire ou en tout cas une faute inexcusable.

Affirmant qu'il convient de déterminer si la victime s'est exposée sans raison valable à un danger dont elle aurait dû avoir conscience, elles relatent les différents témoignages des personnes ayant assisté à l'accident, tous concordants. Elles critiquent l'analyse faite par le tribunal, qui a considéré que [T] [H] n'avait pas souhaité sa mise en danger qui n'était pas délibérée, son comportement étant la conséquence d'un taux d'alcoolémie important et d'un traitement médicamenteux. Elles affirment au contraire que la concentration des antidépresseurs était faible et sans effet sur la victime et que le taux d'alcoolémie a été qualifié comme pouvant entraîner un état d'euphorie avec levée d'inhibition psychique, ajoutant ainsi que le médecin a évoqué une possibilité et non une certitude.

Elles soutiennent que [T] [H] âgé de 43 ans, en excellente condition physique compte tenu de sa profession, avait un comportement déterminé et ne titubait pas, ajoutant qu'il était nécessairement sensibilisé aux accidents de la route, de sorte qu'il ne pouvait penser être à l'abri du danger en traversant une autoroute à 4 voies à une heure de grande circulation. Elles estiment qu'il connaissait parfaitement les lieux, qu'il a fait le choix de passer les barrières de sécurité, puis la bande d'arrêt d'urgence puis les voies de circulation, de sorte que l'impact était inévitable.

Elles en déduisent que le comportement de [T] [H] est la cause exclusive de l'accident et qu'il ne peut être reproché à la conductrice de n'avoir pas réussi à l'éviter, alors que l'ensemble des voies de circulation étaient encombrées, ne lui permettant pas de changer de voie pour se dégager.

En réponse, les consorts [H] réfutent cette analyse des circonstances de l'accident, contestant l'existence d'une faute inexcusable. Ils soutiennent que la faute de la victime doit être objectivement constituée et relever d'une exceptionnelle gravité pour être inexcusable, la jurisprudence ayant ainsi le souci de prendre en compte la vulnérabilité des piétons. Selon eux, la jurisprudence considère de manière constante qu'en aucun cas le fait de braver un risque ne saurait être assimilé à la recherche volontaire par la victime du dommage qu'elle a subi. Ils soulignent que l'accident a eu lieu en plein jour, par temps clair, alors que [T] [H] a traversé en état d'ivresse la route nationale, cette circonstance ne caractérisant pas une faute inexcusable.

Ils observent que, même dans l'hypothèse où cette faute serait qualifiée de faute inexcusable, il n'en demeure pas moins qu'elle n'a pas été la cause exclusive de l'accident subi par la victime, relevant que la conductrice n'a pas su éviter le piéton, au contraire d'autres véhicules circulant sur la même voie.

Ils contestent que [T] [H] ait cherché volontairement le dommage, et affirment qu'il ne fait aucun doute qu'il n'a pas voulu se suicider. Ils arguent que l'état second dans lequel il se trouvait ne lui a pas permis de prendre conscience des risques encourus. Ils estiment qu'aucun élément concret ne permet de confirmer les impressions qu'ont eues certains témoins de ce qu'il souhaitait se suicider.

M. l'agent judiciaire de l'Etat s'associe aux conclusions des consorts [H] quant au droit à indemnisation de [T] [H].

Sur ce,

L'article 3 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 dispose que :

' Les victimes, hormis les conducteurs de véhicules terrestres à moteur, sont indemnisées des dommages résultant des atteintes à leur personne qu'elles ont subis, sans que puisse leur être opposée leur propre faute à l'exception de leur faute inexcusable si elle a été la cause exclusive de l'accident.

(...)

Toutefois, dans les cas visés aux deux alinéas précédents, la victime n'est pas indemnisée par l'auteur de l'accident des dommages résultant des atteintes à sa personne lorsqu'elle a volontairement recherché le dommage qu'elle a subi.'

Il est de principe que seule est inexcusable, au sens de la loi du 5 juillet 1985, la faute volontaire d'une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience.

Il n'est pas discuté que l'accident mortel dont a été victime [T] [H] a eu lieu le 22 juin 2012 en début de soirée (19h51) sur la route nationale 12, dans le sens [Localité 20]-[Localité 19], sur laquelle circulait le véhicule conduit par Mme [N] [U], qui a heurté le piéton qui se trouvait alors sur sa voie de circulation.

Il est établi que l'accident est survenu sur une route nationale de 2x2 ou 3 voies, rectiligne avec une vitesse maximum autorisée de 90 km/h, avec une bonne visibilité et par temps clair.

L'enquête menée par les services de police a permis d'établir que :

- Mme [U] circulait sur la voie centrale à une vitesse de 90 km/h, à une heure à laquelle la circulation était dense ; la voie centrale est séparée de l'autre sens de circulation par un muret central en béton,

- [T] [H] a décidé de quitter à pied la fête à laquelle il se trouvait avec son épouse et leurs enfants ; le lieu où il se trouvait était situé à environ 300 mètres de la RN12, qu'il a atteint en passant à travers des hautes herbes ;

- [T] [H], parvenu au bord de la RN12, a franchi la glissière de sécurité et a traversé perpendiculairement la RN12 ;

- il présentait un taux d'alcoolémie de 0.96 g/l de sang. Il est également relevé au cours de l'expertise la présence d'un anxiolytique et d'un antidépresseur, chacun à une concentration faible.

- Mme [U] a réduit sa vitesse en constatant la présence d'un homme se trouvant sur les pointillés entre la voie de droite et la voie centrale, avant de freiner brusquement pour essayer de l'éviter quand celui-ci a poursuivi sa traversée ; elle n'est pas parvenue à l'éviter et l'a percuté avec l'avant droit de son véhicule ;

La conductrice, entendue le soir même des faits, a déclaré qu'elle conduit habituellement ce véhicule depuis plusieurs années, qu'elle circulait à une vitesse de 90 km/h avant de freiner en voyant les feux stop des véhicules la précédant s'allumer, sans pour autant qu'ils ne fassent d'embardée ou de manoeuvre d'évitement, la circulation se rétablissant alors à plus faible vitesse, et ce compte tenu de la densité.

Elle a déclaré ensuite : 'j'ai alors remarqué un homme qui se trouvait sur les pointillés entre la voie de droite et la voie centrale. Cet homme se tenait bien droit face au terre-plein central en béton,' précisant ne pas l'avoir vu avant lorsqu'il traversait la voie de droite. Elle poursuit ses déclarations ainsi : 'j'ai vu cet homme nous regarder fixement , le visage grave. Il ne semblait pas avoir peur. Il s'est ensuite avancé en direction du terre-plein central en marchant tranquillement. J'ai freiné fortement et essayé de l'éviter mais je n'ai pas pu et j'ai percuté cet homme avec mon avant droit.'

Les deux personnes à bord du véhicule conduit par Mme [U], son époux et sa soeur, ont relaté dans les mêmes termes les circonstances de la collision.

Deux autres témoins, présents sur les lieux, à bord d'un véhicule qui circulait au même moment et dans le même sens sur la RN12, ont confirmé ce déroulement des faits. D'abord, Mme [O], dans un courrier adressé au service enquêteur, expose que, passagère avant droit d'un véhicule, elle a aperçu [T] [H], sur le côté droit de la voie de droite sur laquelle circulait le véhicule dans lequel elle se trouvait, et le décrit 'debout, a priori immobile, regardant la circulation', avant de le voir soudain 'qui s'avance et stoppe au milieu de notre voie. A notre allure, la distance est trop courte pour l'éviter, même en pilant. Je distingue très bien son allure et son visage : plutôt grand, mince, le visage rougi, son regard porté sur la circulation comme un piéton qui traverserait tranquillement à un passage piéton. Il semble calme et n'a pas l'air affolé par la situation (...) Nous l'évitons en nous déviant par la voie de droite (...) En me retournant, je constate qu'il franchit ensuite la voie du milieu. Tout se passe très vite alors que nous continuons de rouler sur notre voie : je distingue son corps, soulevé en l'air.'

Entendue par le service de police le 3 juillet suivant, elle a confirmé précisément son témoignage écrit. Elle dit en particulier ' il a fait deux pas en ligne droite devant lui et il s'est arrêté au milieu de notre voie de circulation, la voie la plus à droite, il a stoppé net sans nous regarder. Il regardait la voie du milieu un peu en biais (...) Mon amie a fait un écart de trajectoire sur la droite et a pu l'éviter.'

La conductrice de ce véhicule a décrit dans des termes similaires les circonstances de l'accident, également dans un témoignage écrit adressé au service enquêteur le 24 juin 2012. Elle a dit ainsi qu' 'un piéton a surgi sur la droite. Il a regardé les voies, et a commencé à s'engager sur ma voie. J'ai ralenti, sans freiner, pensant qu'il allait finir de traverser devant ma voie. Mais il s'est arrêté au milieu de ma voie, sur la trajectoire de mon véhicule et regardait mon véhicule. J'ai freiné et l'ai évité en contournant par la droite (...) J'ai vu dans mon rétro que ce piéton a continué la traversée des voies, sans avoir l'air de se préoccuper des véhicules qui circulaient ; il semblait même ne pas vouloir éviter les véhicules (...) Un peu plus tard un véhicule situé sur la file de gauche n'a pu l'éviter.'

Au cours de son audition par le service enquêteur le 3 juillet, elle a dit également: 'j'aperçois au loin un piéton (...) Pas sur les voies. Etant surprise, je décide de décélérer et porte mon attention sur lui. Avant d'arriver à sa hauteur, il commençait de façon assurée à traverser ma voie. Il décide de s'arrêter au milieu de la voie de droite, dans l'axe de mon véhicule, j'étais alors environ à 10 mètres de lui, il tourne la tête vers moi et me regarde sans bouger jusqu'à ce que je l'évite en le contournant par la droite.' Elle précise, au sujet de [T] [H] que 'sa démarche était calme, il ne titubait pas.'

Mme [H], l'épouse de la victime, a expliqué, lors de son audition effectuée le 24 juin 2012, que son mari avait quitté la fête après une dispute, et qu'il n'a pas pu prendre son véhicule, sa clé lui ayant été enlevée et donnée à son épouse dans le but d'éviter qu'il ne prenne le volant, en considérant l'état d'ébriété dans lequel il se trouvait. Elle a expliqué avoir pensé qu'il était parti à pied jusqu'à leur domicile, après avoir fait un tour pour se calmer. Elle a précisé en outre qu'il était suivi par le médecin de famille, qu'il avait eu un traitement médical, disant toutefois ne pas pouvoir préciser s'il le prenait encore. Évoquant que le couple avait décidé de se séparer depuis une année, et que la séparation s'organisait, elle a expliqué que son mari en était perturbé et avait des idées noires de temps en temps.

Si de ces éléments, il n'est sans doute pas possible d'affirmer avec la certitude requise que [T] [H] a cherché volontairement le dommage, pour en finir avec la vie, il n'en demeure pas moins que les circonstances ici relatées caractérisent une faute qui, sans conteste, peut être qualifiée d'inexcusable.

En effet, si la victime présentait un certain état d'ivresse, il n'avait pas un taux d'alcoolémie si important qu'il était privé de tout discernement, nonobstant la présence de produits antidépresseurs et anxiolytiques, compte tenu d'une quantité relevée particulièrement faible.

Or, sa qualité de gendarme l'avait nécessairement sensibilisé aux dangers de la route, et son comportement, relaté avec précision par plusieurs témoins directs de l'accident, témoigne d'une attitude délibérée et déterminée. Il est ainsi décrit traversant de façon décidée la RN12, à une heure de circulation dense certes, avec un flot de véhicules circulant à une vitesse soutenue voisine des 100 km/h. Il est également relaté que, d'abord à l'arrêt au bord d'une voie, il s'est mis en marche juste devant un véhicule, obligeant le premier à l'éviter en le contournant par la droite au dernier moment, cette manoeuvre d'évitement n'ayant été possible que parce que le véhicule a pu contourner le piéton par sa droite. Cette même attitude, consistant soudainement à s'engager sur la voie, a contraint le véhicule suivant à tenter de manoeuvrer pour changer de file, avant de freiner brutalement, sans toutefois pouvoir ni se déporter sur une autre voie compte tenu de l'importance de la circulation, ni s'immobiliser suffisamment rapidement, rendant ainsi inévitable la collision.

Le portrait du piéton, tel que dépeint par les témoins, qui, à plusieurs reprises au cours de leurs auditions, disent leur certitude que la victime a recherché le dommage, exprime surtout le ressenti de ces spectateurs impuissants face à la violence de la situation plus qu'il ne suffit à objectiver la volonté de mourir de [T] [H].

En revanche, il est certain que la relation factuelle des circonstances de l'accident caractérise suffisamment et certainement une faute qui ne peut être excusée.

Cette faute, est de façon incontestable, la cause exclusive de l'accident, en ce que Mme [U] a été empêchée, par la soudaineté de la situation, de toute possibilité d'évitement du fait de la densité de la circulation sur une voie rapide.

Dans ces circonstances, les consorts [H] sont privés de tout droit à réparation.

' sur les autres demandes

L'équité commande de dire que chaque partie conservera la charge des dépenses exposées et non comprises dans les dépens.

Les consorts [H] sont condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,

Vu l'arrêt du 27 mai 2021,

Dit que [T] [H] a commis une faute inexcusable cause exclusive de l'accident à l'origine de son décès survenu le [Date décès 6] 2012,

Déboute en conséquence les consorts [H] de toutes leurs demandes,

Dit que chaque partie conserve la charge des sommes exposées et non comprises dans les dépens,

Condamne in solidum les consorts [H] aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Florence PERRET, Président, et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 19/05467
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;19.05467 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award