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10/11/2022 | FRANCE | N°19/04917

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 10 novembre 2022, 19/04917


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 30 SEPTEMBRE 2022



N° RG 19/04917

N° Portalis DBV3-V-B7D-TVIP



AFFAIRE :



[J] [D] [C]



C/



SARL TRANSPORTS [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Section : C

N° RG : F 18/00323
>













Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Mélina PEDROLETTI



Me Mathilde PUYENCHET



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Ver...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 30 SEPTEMBRE 2022

N° RG 19/04917

N° Portalis DBV3-V-B7D-TVIP

AFFAIRE :

[J] [D] [C]

C/

SARL TRANSPORTS [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CHARTRES

N° Section : C

N° RG : F 18/00323

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Mathilde PUYENCHET

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [J], [D] [C]

né le 13 juin 1974 à CHARTRES (28000)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 1]

Représentant : Me Sandra RENDA, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000018 et Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626

APPELANT

****************

SARL TRANSPORTS [T]

N° SIRET : 353 723 141

[Adresse 10]

Zone Industrielle

[Localité 3]

Représentant : Me Mathilde PUYENCHET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000034

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Stéphanie HEMERY

Greffier placé lors du prononcé : Madame Virginie BARCZUK

La société Transports [T] - dont le siège social se situe [Adresse 10] est spécialisée dans le secteur d'activité des transports routiers de fret interurbains. Elle emploie plus de dix salariés.

La convention collective nationale applicable est celle des transports routiers et activités auxiliaires du transport du 21 décembre 1950.

M. [J] [D] [C], né le 13 juin 1974, a été engagé par la société Transports [T] par contrat de travail à durée indéterminée à effet au 21 mars 2016 en qualité de conducteur.

Par courrier du 27 juin 2018, la société Transports [T] a convoqué M. [C] à un entretien préalable fixé au 5 juillet 2018 et l'a mis à pied à titre conservatoire.

Par courrier du 10 juillet 2018, la société Transports [T] a notifié à M. [C] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

« Nous faisons référence à notre entretien du jeudi 5 juillet 2018 et nous vous informons de notre décision de vous licencier pour faute grave.

Le travail que nous vous avions demandé de réaliser le mardi 26 juin 2018, était de livrer un bus à [Localité 7] (77) et de reprendre un autre bus sur place pour livrer à [Localité 9] (17) le Mercredi 27 juin 2018 avant midi. Enfin, vous deviez recharger à [Localité 8] (35) le jour même, le Mercredi 27 juin 2018 à destination de [Localité 6] (95).

Afin que vous soyez dans les temps pour une livraison à [Localité 9], j'ai demandé à notre commercial de prendre un 20m3 pour aller chercher le chargeur du bus à [Localité 4] (78) et de vous le déposer à [Localité 7] (77) afin que cela n'empiète pas sur votre temps de conduite et de temps de service.

Le vendredi 22 juin 2018, sachant que vous connaissiez votre programme de la semaine suivante, vous m'avez informé que le Vendredi suivant vous arrêteriez à midi de travailler car vous aviez besoin de garder vos filles. Je vous ai répondu qu'il n'y avait pas de problème et que nous organiserions un relais avec le conducteur [P] pour livrer le Bus à [Localité 8] (à chaque fois que vous avez eu besoin, nous vous avons laissé libre votre vendredi après-midi).

Le mardi 26 juin 2018 en fin d'après-midi vous avez décidé de stopper à votre domicile et de ne pas rouler les heures qu'il vous restait, prétextant que, à tort, vous n'aviez plus d'heure de service et que vous étiez arrivé à vos 12 heures d'amplitude. De ce fait [X] votre responsable, vous a demandé de rouler vos heures afin d'assurer le transport de [Localité 9] (17) et l'enlèvement de [Localité 8] (35). [X], voyant que vous ne l'écoutiez pas, m'a téléphoné et de là je vous ai appelé. Ne pouvant vous joindre, je vous ai envoyé un message vous demandant de rouler jusqu'au bout de vos heures, tout en respectant la réglementation. Vous m'avez rappelé en m'informant que vous étiez arrivé à vos 12 heures de service et que vous ne vouliez pas faire plus. Ce qui était faux, la loi vous permettait de poursuivre encore 2h07 de temps de service pour arriver effectivement à vos 12 heures et il vous reste 1h20 de conduite pour arriver à 10 heures de conduite donc vous nous avez menti sur vos heures restant à travailler.

Vous n'êtes pas sans savoir que le transport de bus est un nouveau marché dans lequel la société a beaucoup investi et que nous devions faire un sans-faute.

Effectivement afin d'assurer notre professionnalisme vis-à-vis de nos clients, à 2 heures du matin je fus contraint de devoir récupérer le camion à [Localité 5] afin d'assurer la livraison à [Localité 9] (17) et faire ensuite l'enlèvement à [Localité 8] (35) avant la fin de journée pour respecter le contrat vis-à-vis de nos clients chose que vous ne pouviez pas réaliser car vous n'avez pas roulé vos heures la veille.

L'autre critère qui a motivé cette décision est de savoir que le bus était stationné à proximité d'une zone sensible à [Localité 5], le bus ayant une valeur de 500.000 €, une fois encore par conscience professionnelle vis-à-vis du client.

Ce qui est anormal c'est que vous ayez décidé de gérer votre propre emploi du temps en négligeant les impératifs de nos clients et en bafouant les ordres de votre hiérarchie.

En regardant votre synthèse du mois on constate que vos heures d'interruptions c'est-à-dire vos nuits, sont comprises entre 11 heures et 12 heures de coupure il n'était donc pas impossible pour vous, afin de satisfaire nos clients et la société, de rouler 10 heures ce soir-là. Vous pouviez le faire sans infractions à la réglementation.

Compte tenu de l'ensemble de ces faits et de leur gravité, votre maintien dans l'entreprise est devenu impossible.

Votre licenciement pour faute grave prend donc effet immédiatement, dès réception de la présente, sans aucune indemnité que ce soit. »

Par requête reçue au greffe le 3 octobre 2018, M. [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres aux fins de contester la rupture de son contrat de travail et de voir condamner la société Transports [T] au versement de diverses sommes salariales et indemnitaires.

La société Transports [T] avait quant à elle conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 9 décembre 2019, la section commerce du conseil de prud'hommes de Chartres a :

En la forme,

- reçu M. [C] en ses demandes,

- reçu la société Transports [T] en ses demandes,

Au fond,

- confirmé le licenciement pour faute grave de M. [C] par la société Transports [T],

En conséquence,

- débouté M. [C] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la SARL Transports [T] de sa demande 'reconventionnelle',

- condamné M. [C] aux entiers dépens.

M. [C] a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 27 décembre 2019.

Par conclusions adressées par voie électronique le 5 février 2020, M. [C] demande à la cour de :

- déclarer M. [C] recevable et bien fondé en son appel,

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 9 décembre 2019 par le conseil de prud'hommes de Chartres,

et statuant à nouveau,

- dire et juger que le licenciement de M. [C] est dénué de toute cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

- condamner la SARL Transports [T] à payer à M. [C] les sommes suivantes :

. 834,13 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 83,41 euros,

. 1 256,05 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

. 5 024,28 euros à titre d'indemnité de préavis, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 502,42 euros,

. 25 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

. 555,83 euros à titre d'heures supplémentaires pour l'année 2018, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 55,58 euros,

. 753,78 euros à titre d'heures supplémentaires pour l'année 2017, outre des congés payés y afférents, soit la somme de 75,37 euros,

. 149,15 euros à titre d'heures supplémentaires pour le mois de juin 2016, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 14,91 euros,

. 150 euros au titre de la prime de qualité pour le mois de juillet 2018,

- dire et juger que l'intégralité des sommes sus énoncées sera assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la demande, soit le 4 octobre 2018,

- voir ordonner à la SARL Transports [T] la remise à M. [C] d'un certificat de travail portant mention du préavis et d'une attestation Pôle Emploi rectifiée sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt,

- dire et juger que la Cour se réservera expressément le droit de liquider ladite astreinte,

- dire qu'à défaut de règlement spontané des condamnations prononcées par la présente décision et qu'en cas d'exécution par voie extrajudiciaire, les sommes retenues par l'huissier instrumentaires en application des dispositions de l'article 10 du décret du 8 mars 2001 portant modifications du 12 décembre 1996, devront être supportées par la société intimée,

- condamner la SARL Transports [T] à payer à M. [C] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais et honoraires d'exécution de la présente décision.

Par conclusions adressées par voie électronique le 25 mars 2020, la société Transports [T] demande à la cour de :

- voir confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres en date du 9 décembre 2019,

Ce faisant,

- voir débouter purement et simplement M. [C] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

- voir condamner M. [C] à verser à la SARL Transports [T] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 28 septembre 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 30 septembre 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande en paiement d'heures supplémentaires

M. [C] soutient qu'il existe une différence entre ses heures supplémentaires effectuées et payées et réclame à ce titre paiement des sommes de 555,83 euros pour l'année 2018, 753,78 euros pour l'année 2017 et 149,15 euros pour le mois de juin 2016, outre les congés payés afférents.

La société Transports [T] fait valoir qu'elle a mis en place un forfait de 200 heures par mois afin de garantir un salaire stable à M. [C], avec des majorations en cas de dépassement ; que pour les années 2016 à 2018, elle a payé à M. [C] plus d'heures qu'il n'en a réellement réalisées, de sorte que sa demande n'est pas fondée.

Aux termes des articles L. 3121-27, L. 3121-28 et L. 31-21-36 du code du travail :

'La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est fixée à trente-cinq heures par semaine.

Toute heure accomplie au delà de la durée légale hebdomadaire ou de la durée considérée comme équivalente est une heure supplémentaire qui ouvre droit à une majoration salariale ou, le cas échéant, à un repos compensateur équivalent.

A défaut d'accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire fixée à l'article L. 3121-27 ou de la durée considérée comme équivalente donnent lieu à une majoration de salaire de 25 % pour chacune des huit premières heures supplémentaires. Les heures suivantes donnent lieu à une majoration de 50 %.'

L'article L. 3171-4 du même code dispose que, 'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.'

Au visa de ces textes, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales ainsi rappelées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Le contrat de travail de M. [C] prévoit en son article 5 que la rémunération à périodicité mensuelle est de 9,80 euros de l'heure pour une durée hebdomadaire de travail effectif de 35 heures à laquelle s'ajoutent les majorations des heures supplémentaires et les indemnités de frais de déplacement.

M. [C] demande des heures supplémentaires réalisées et non payées faites :

* pour le mois de juin 2016 : 15,22 heures représentant 149,15 euros.

Néanmoins, l'examen de l'ensemble des bulletins de salaire montre que l'employeur a le plus souvent lissé la rémunération de M. [C] sur la base de 200 heures par mois.

Il en ressort que, conformément aux calculs faits par l'employeur, M. [C] a été payé de mars à décembre 2016 sur la base de 1 861 heures alors qu'il n'en a réellement travaillé que 1 717,06. Il a donc été réglé des heures supplémentaires faites en juin 2016.

* au titre de l'année 2017 : pour les mois de mars, août, septembre, octobre et novembre, correspondant à 74,93 heures et 753,78 euros.

Or M. [C] ne retient que les mois durant lesquels il a fait des heures supplémentaires et ne prend pas en compte les mois où il a travaillé moins d'heures que celles qui lui ont été payées (en janvier, février, avril, mai, juin, juillet et décembre).

Sur l'année 2017, selon les bulletins de salaire repris dans les calculs de l'employeur, il a travaillé 2 130,92 heures et a été payé sur la base de 2 368,80 heures.

Il a donc été rempli de ses droits au titre des heures supplémentaires réalisées en 2017.

* au titre de l'année 2018 : pour les mois de mars, mai et juin correspondant à 50,53 heures et 553,83 euros.

Là encore, M. [C] ne tient pas compte des mois durant lesquels il a été payé plus d'heures qu'il n'a travaillé, le bilan étant, de janvier à juin 2018, de 811,80 heures travaillées pour 953,66 heures payées. M. [C] a donc été rempli de ses droits au titre des heures supplémentaires réalisées en 2018.

Le jugement du conseil de prud'hommes de Chartres sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté M. [C] de sa demande en paiement d'heures supplémentaires et de congés payés afférents.

Sur le licenciement

M. [C] conteste toute faute de sa part et soutient que son licenciement est abusif dès lors que s'il avait effectué le travail demandé par son employeur, il aurait dépassé le temps légal de conduite prévu par le règlement européen n°561/2006 et aurait mis en péril sa sécurité au travail.

La société Transports [T] réplique qu'au regard de ses temps de conduite, il était possible à M. [C] de faire une partie du trajet le 26 juin 2018 afin de satisfaire aux obligations contractuelles de son employeur vis-à-vis de la clientèle ; qu'il a cependant refusé de poursuivre son activité, n'a pas répondu aux appels téléphoniques de M. [T] et a regagné son domicile, indiquant plus tard dans la soirée à M. [T] qu'il refusait de poursuivre son activité professionnelle.

Il résulte de l'article L. 1232-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel est motivé et justifié par une cause réelle et sérieuse.

La cause du licenciement, qui s'apprécie au jour où la décision de rompre le contrat de travail est prise par l'employeur, doit se rapporter à des faits objectifs, existants et exacts, imputables au salarié, en relation avec sa vie professionnelle et d'une certaine gravité qui rend impossible la continuation du travail et nécessaire le licenciement.

L'article L. 1235-1 du code du travail prévoit que le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et justifie son départ immédiat. L'employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve.

Par ailleurs, le règlement (CE) n°561/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006, dans sa version applicable au jour du licenciement litigieux, établit les règles concernant les durées de conduite, les pauses et les temps de repos des conducteurs de camions, d'autocars et d'autobus afin d'améliorer leurs conditions de travail et la sécurité routière.

Il prévoit :

- en son article 6 que :

1. La durée de conduite journalière ne dépasse pas neuf heures.

La durée de conduite journalière peut, toutefois, être prolongée jusqu'à dix heures maximum, mais pas plus de deux fois au cours de la semaine.

2. La durée de conduite hebdomadaire ne dépasse pas cinquante-six heures ni n'entraîne un dépassement de la durée maximale de travail hebdomadaire définie dans la directive 2002/15/CE.

3. La durée de conduite totale accumulée au cours de deux semaines consécutives ne doit pas dépasser quatre-vingt-dix heures,

- en son article 7, qu'après un temps de conduite de quatre heures et demie, un conducteur observe une pause ininterrompue d'au moins quarante-cinq minutes, à moins qu'il ne prenne un temps de repos,

- en son article 8 que le conducteur prend des temps de repos journaliers et hebdomadaires et que dans chaque période de vingt-quatre heures écoulées après la fin de son temps de repos journalier ou hebdomadaire antérieur, le conducteur doit avoir pris un nouveau temps de repos journalier.

En l'espèce, la lettre de licenciement reproche à M. [C] d'avoir refusé de poursuivre son travail le 26 juin 2018 alors qu'il lui restait 2 h 07 de temps de service pour arriver à 12 heures et 1 h 20 pour arriver à 10 heures de conduite.

M. [C] a contesté son licenciement par courrier du 25 juillet 2018 (sa pièce n°4), en indiquant qu'il ne lui restait que 20 minutes de travail sur les heures journalières le 26 juin et que ce n'est pas à son employeur de décider quand il doit rouler ses 10 heures.

Il ressort de la synthèse conducteur du mois de juin 2018 (pièce n°15 de l'appelant) que M. [C] avait eu des temps de conduite de 8h42 le lundi 18 juin 2018, 8h21 le mardi 19 juin, 8h49 le mercredi 20, 6h22 le jeudi 21, 9h32 le vendredi 22, 1h06 le samedi 23 et 8h31 le lundi 25.

Après une interruption de travail de 11h52 depuis la veille, il a travaillé le mardi 26 juin 2018 de 5h30 à 17h13, sur une amplitude de 11h43, pour un temps de service de 9h53, avec des temps de conduite de 8h40 et de travail de 1h13.

M. [Z] [T], gérant de la société Transports [T] a indiqué à l'inspection du travail (pièce n°22 de l'intimée) qu'il avait demandé à M. [C] le mardi 26 juin 2018 de charger un bus à [Localité 7] (77) pour effectuer une livraison à [Localité 9] (17) avant 12 heures afin de pouvoir charger un autre bus sur [Localité 8] (35) le 27 juin 2018 avant 17h30, sans indiquer à quelle heure cette demande avait été faite, mais que cela n'avait pas posé de problème ; que M. [C] était passé au bureau à 15h28 pour repartir à 15h59 et que [X] [T], fils du gérant de la société, lui avait confirmé les impératifs horaires de livraison et lui avait demandé de rouler toutes ses heures, ce que M. [C] avait refusé.

M. [C], dans la main-courante qu'il a déposée le 27 juin 2016 (pièce 13 de l'appelant) confirme qu'il a refusé de rouler toutes ses heures pour avancer sur la livraison prévue le lendemain lorsque cela lui a été demandé vers 16 heures alors qu'il avait effectué 7h45 de conduite ; qu'il est rentré chez lui avec le camion sans faire de détour car c'était sa route.

Or pour atteindre 9 h de conduite, M. [C] pouvait encore rouler 1h45 depuis le bureau. Une fois rentré chez lui, il avait conduit 8h40 et il lui restait 20 minutes de conduite pour atteindre 9 heures. Dès lors qu'il n'avait pas déjà conduit pendant 10 heures dans la semaine, son employeur pouvait lui demander d'atteindre 10 heures de conduite le 26 juin 2018, afin de garantir le respect des heures de livraison prévues le lendemain.

M. [P] [G] (pièce n°17 de l'intimée), chauffeur de la société et ancien membre du CSE, atteste que l'employeur engageait ses chauffeurs à respecter la réglementation du temps de conduite mais leur demandait d'utiliser toutes leurs heures disponibles pour effectuer leur travail en temps et en heure, ce que n'a pas fait M. [C] car il lui restait 1h20 de conduite à faire pour assurer la journée du lendemain. Il souligne, pour en avoir été témoin, que M. [C] était au courant de l'investissement fait par la société Transports [T] sur le nouveau projet concernant le transport de bus et qu'il avait demandé à faire partie de ce projet. Il conclut que 'en refusant de rouler le temps qu'il lui restait, M. [C] savait pertinemment qu'il commettait une faute et qu'il ne parviendrait pas à répondre à la demande du client'.

M. [O] [S], également chauffeur au sein de la société et membre du CSE, confirme qu'à la lecture de la carte de M. [C], il a pu vérifier que : 'il pouvait encore conduire 1h20. Il devait donc poursuivre son trajet. Il est certain que s'il avait repris son camion le lendemain matin pour aller jusqu'à [Localité 9] puis [Localité 8], il n'aurait pas pu respecter ses horaires de retrait.'

Il est ainsi avéré que M. [C] a refusé de suivre les consignes données par son employeur et de poursuivre ses heures de conduite alors qu'il pouvait encore le faire pendant 1h20 sans violer la réglementation applicable, ce qui constitue une faute grave justifiant le licenciement.

Ce refus a conduit M. [T] à venir chercher le camion garé près de chez M. [C] vers 2 heures du matin le 27 juin 2018 pour assurer les livraisons dans les temps.

Le fait que M. [T] n'ait pas prévenu M. [C] de son intervention, ce qui a laissé craindre un vol du camion et qu'il soit malencontreusement parti avec la carte de conducteur de M. [C] qui était restée dans le véhicule, pour regrettable qu'il soit, est la conséquence du refus de M. [C] de continuer à conduire le 26 juin 2018 et n'entre pas dans l'appréciation des motifs du licenciement.

La décision du conseil de prud'hommes de Chartres sera en conséquence confirmée en ce qu'elle a confirmé le licenciement pour faute grave de M. [C].

Le licenciement étant fondé sur une faute grave, la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a débouté M. [C] de ses demandes formées au titre des rappels de salaire sur mise à pied et congés payés afférents, d'indemnité légale de licenciement, d'indemnité de préavis et congés payés afférents, de licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Sur la demande en paiement de la prime qualité

M. [C] demande paiement de la somme de 150 euros au titre de la prime qualité non perçue pour le mois de juillet 2018.

La société Transports [T] réplique que cette prime est versée aux salariés en fonction de leur présence et proratisée par rapport aux jours travaillés ; qu'elle n'est pas octroyée lorsque le salarié n'a pas pris soin du matériel mis à sa disposition ; qu'ainsi M. [C] n'a perçu aucune prime qualité en mars 2018 dès lors qu'il a abîmé la cabine du camion qu'il conduisait ainsi que la barre anti-encastrement ; qu'il n'a pas perçu la prime en avril 2018 compte-tenu de ses absences ; que compte-tenu des faits reprochés et de son licenciement, il n'était pas fondé à percevoir la prime qualité pour le mois de juillet 2018.

Il ressort des bulletins de salaire versés aux débats qu'une prime qualité mensuelle de 150 euros pouvait être versée à M. [C]. Ce dernier ne conteste pas les affirmations de son employeur sur les conditions de son attribution.

Il est établi que M. [C] n'a pas perçu de prime qualité en mars 2018 alors qu'il avait abîmé la cabine d'un camion lors d'un passage de pont et une barre anti-encastrement de porte (pièce n°13 de l'intimée) ; que sa prime qualité d'avril 2018 a été réduite à 127,50 euros et que s'il a perçu la prime qualité de 150 euros en mai 2018, il n'en a perçu aucune en juin 2018, ce qu'il ne conteste pas.

Compte-tenu du licenciement intervenu le 10 juillet 2018, il était justifié que M. [C] ne perçoive pas la prime qualité pour le mois de juillet 2018.

M. [C] sera débouté de sa demande, par confirmation du jugement de première instance.

Sur les demandes accessoires

Le jugement de première instance sera confirmé en ses dispositions concernant les dépens et frais irrépétibles.

M. [C] succombant en ses prétentions, il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes qu'il a formées au titre des intérêts, des frais d'exécution forcée et de la remise des documents salariaux sous astreinte.

M. [C] sera condamné aux dépens de l'instance d'appel et débouté de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Au regard de l'équité et de la situation économique respective des parties, il sera condamné à verser à la société Transports [T] une somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Chartres le 9 décembre 2019,

Y ajoutant

Condamne M. [J] [D] [C] aux dépens de l'instance d'appel,

Déboute M. [J] [D] [C] de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [J] [D] [C] à payer à la société [T] Transports la somme de 300 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Catherine BOLTEAU-SERRE, président, et par Mme Virginie BARCZUK, greffier placé, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER placé, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04917
Date de la décision : 10/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-10;19.04917 ?
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