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02/11/2022 | FRANCE | N°20/02108

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 02 novembre 2022, 20/02108


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 2 NOVEMBRE 2022



N° RG 20/02108

N° Portalis DBV3-V-B7E-UCJD



AFFAIRE :



[N] [D]



C/



SAS SP3









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 septembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 17/01833



Copies exé

cutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Laurence SOLOVIEFF



Me Franck LAFON



Copie numérique adressée à :



Pôle Emploi







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cou...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 2 NOVEMBRE 2022

N° RG 20/02108

N° Portalis DBV3-V-B7E-UCJD

AFFAIRE :

[N] [D]

C/

SAS SP3

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 septembre 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 17/01833

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Laurence SOLOVIEFF

Me Franck LAFON

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DEUX NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [N] [D]

né le 13 novembre 1958 à [Localité 5] (Maroc)

de nationalité marocaine

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Laurence SOLOVIEFF, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0007, substitué à l'audience par Laure VAYSSADE, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SAS SP3 anciennement dénommée SAS NETTOYAGE SERVICE DEVELOPPEMENT venant aux droits de la SAS SP3 NETTOYAGE

N° SIRET : 410 157 598

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représentant : Me Franck LAFON, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 et Me Sophie CAUBEL, Plaidant, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 472, substitué à l'audience par Me Célia DIEDISHEIM avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

RAPPEL DES FAITS ET PROCEDURE

M. [D] a été engagé en qualité d'ouvrier nettoyeur par contrat à durée déterminée à compter du 3 février 1994, puis sous contrat à durée indéterminée à partir du 8 août 1994, par la société SP3 Nettoyage. Il exerçait en dernier lieu les fonctions de directeur d'exploitation.

L'effectif de la société SP3 Nettoyage était, lors de la rupture, de plus de 10 salariés. Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des entreprises de propreté.

Convoqué par lettre du 4 mai 2012 à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 22 mai 2012, il a été licencié par lettre du 6 juin 2012 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants:

«Il est apparu que le département dont vous êtes responsables en votre qualité de directeur d'exploitation procédait à des embauches en contrevenant aux règles édictées par la législation en vigueur. Nous avons notamment découvert un système frauduleux de prêt de papier ayant pour finalité de faire travailler des salariés sous de fausses identités. La gravité des faits précités nous a d'ailleurs conduits récemment à mener une procédure de licenciement à l'encontre d'un membre de votre équipe. Les investigations réalisées dans ce cadre ainsi que le renforcement (par le service des Ressources Humaines) des contrôles de cohérence, ont révélé aux mois de mars et avril 2012 de nouveaux cas de salariés travaillant sous de fausses identités et pour lesquels vous aviez personnellement procédé aux embauches.

Lors de l'entretien préalable du 22 mai 2012, nous vous avons notamment fait état de la situation de deux salariées que vous avez embauchées et dont les postes de travail étaient assurés par des tiers.

Ainsi, nous vous avons précisément exposé le cas de Mme [L] [V], salariée embauchée par vos soins le 21 décembre 2010 en contrat à durée indéterminée et affectée au site METRO [Localité 4]. Nous avons découvert que cette salariée n'avait effectivement travaillé que pendant 2 mois, à la suite de quoi, vous avez demandé à M. [R] [C], chef d'équipe nettoyage du Magasin METRO Villeneuve d'assurer cette prestation en lieu et place de Mme [L]. Ce changement n'a jamais été déclaré à nos services et M.[R] a donc exercé une partie de son activité en utilisant l'identité de Mme [L].

Vous nous avons indiqué que vous saviez que M.[R] transportait Mme [L] sur le site METRO [Localité 4] mais vous n'aviez pas connaissance du fait qu'il assurait la prestation à la place de cette dernière. Vous avez ajouté que vous ne visitiez ce site qu'environ une fois par an et de ce fait, que vous ne vous étiez pas perçu du système frauduleux en place.

Nous vous avons également présenté les anomalies relevées dans le dossier de Mme [I] [A]. Cette salariée a été embauchée le 05 janvier 2011 en contrat à durée indéterminée, pour travailler en premier lieu sur le site YXIME Le Jade. La demande d'embauche a été faite par vos soins. La salariée a par la suite (mai 2011) été déclarée à nos services comme travaillant également sur le site CREDIT SUISSE et ce, sans que vous ayez pris la peine de lui faire signer un avenant à son contrat.

Il est, en fait, avéré que Mme [I] [A] n'a jamais exercé son activité dans notre entreprise. Les éléments matériels à notre disposition (qui vous ont été présentés lors de l'entretien préalable) prouvent que son époux, Monsieur [I] [E] travaillait en utilisant l'identité de sa femme.

Vous justifiez la situation par le fait que vous ne seriez pas à l'origine de l'embauche de Mme [I] sur le site CREDIT SUISSE. Vous auriez eu connaissance de cette situation frauduleuse entre le mois de juillet et août 2011 et auriez immédiatement demandé à M.[Y], Inspecteur, de mettre fin au contrat de Mme [I] [A].

Vos justifications nous semblent insuffisantes compte tenu de la gravité des faits.

Concernant le dossier de madame [L], elle s'est vue rémunérer des heures supplémentaires ainsi que des primes. Ce type de complément de rémunération ne peut se faire sans effectuer un suivi effectif du site.

Pour le cas de Mme [I], vous ne pouvez faire reposer une telle responsabilité sur un Inspecteur qui, de surcroît, n'intervenait sur le site que de manière ponctuelle et en remplacement sur cette période. De plus, un inspecteur ne peut procéder à une embauche sans obtenir votre aval. De surcroît, si comme vous le prétendez, vous avez exigé de M.[Y] qu'il mette fin au contrat de Mme [I], vous ne vous êtes manifestement pas assuré que votre directive était appliquée.

Selon la procédure en vigueur au sein du site Crédit Suisse, vous communiquiez personnellement la liste du personnel au client (accompagnée d'une copie des papiers d'identité). Vous réalisiez les pointages des salariés sur site. Vous ne pouviez, en conséquence, ignorer que M.[E] [I] exerçait une activité non déclarée sur le site CREDIT SUISSE. Activité pour laquelle son épouse Mme [I] a été rémunérée jusqu'au 20 février 2012.

En effet, Mme [I] a été déclarée à notre service paie comme étant en absence injustifiée à compter du 21 février 2012.

M.[I] [E] a donc exercé une activité sur le site CREDIT SUISSE pendant 10 mois de manière totalement illégale et avec votre assentiment.

Nous avons également relevé dans les dossiers précités des problèmes de concordance de signature :

- la lettre de démission de Mme [L] [V] est signée par une tierce personne.

- la signature apposée sur le contrat de travail initial de Mme [I] [A] est radicalement différente de la signature de son titre de séjour.

Force est de constater que ce type d'anomalie avait déjà été relevée lors des investigations relatives à la procédure de licenciement de M.[O], dont vous étiez le responsable direct. Lors de nos échanges sur ce sujet, notamment, lors de notre entretien du 24 février 2012, nous avions analysé la situation et conclu que le système délictueux mis en place par M.[O] révélait un manque de contrôle de votre part.

Les investigations menées depuis lors mettent en exergue que le travail dissimulé organisé sur les sites appartenant à votre périmètre n'a pu être instauré à votre insu et sans une volonté manifeste de votre part de détourner les procédures de l'entreprise et les règles de droit.

Compte tenu des éléments matériels dont nous disposons aujourd'hui, ainsi que des explications que vous nous avez apportées, nous concluons à l'emploi conscient et volontaire de votre part, de salariés déclarés sous de fausses identités.

Ces faits de nature délictuelle portent atteinte et préjudice à notre société en l'exposant notamment, à des sanctions pénales. Compte tenu de votre position hiérarchique dans l'entreprise (Directeur d'Exploitation), votre comportement en matière de respect de la législation se doit d'être exemplaire vis-à-vis de vos subordonnés comme de nos clients. Ces règles ont d'ailleurs fait l'objet de sensibilisations et de plusieurs actions de formation spécifiques auxquelles vous avez participé. Ainsi informé, le fait que vous ayez participé et cautionné la mise en place d'un travail dissimulé dans l'entreprise procède donc d'une démarche consciente en parfait connaissance des risques encourus.

Cette attitude aurait pu nuire très gravement à l'image de l'entreprise et de ses dirigeants. Pour ces motifs nous vous notifions votre licenciement pour cause réelle et sérieuse. »

Le salarié a été dispensé d'effectuer son préavis de trois mois, qui lui a été réglé.

Le 9 janvier 2013, il a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et obtenir le paiement des heures supplémentaires exécutées du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012 et de diverses sommes de nature indemnitaire.

Une ordonnance de radiation a été prononcée le 7 juillet 2015 pour défaut de diligences des parties et l'affaire a été réinscrite au rôle le 4 juillet 2017.

Par jugement du 14 septembre 2020, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

- débouté M. [D] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la société Mazars (sic) de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles.

Par déclaration adressée au greffe le 29 septembre 2020, le salarié a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 6 septembre 2022.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 4 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles, M. [D] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien-fondé en son appel principal du chef du jugement prononcé le 14 septembre 2020 par le conseil de prud'hommes de Nanterre aux termes duquel il a été débouté de l'ensemble de ses demandes,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes,

statuant à nouveau, de :

* sur la demande de rappel de salaires au titre des heures supplémentaires,

- condamner la société SP3 anciennement dénommée Nettoyage Service Développement venant aux droits de la société SP3 Nettoyage ou les deux sociétés in solidum à :

. lui payer au titre des heures supplémentaires exécutées du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012, la somme de 118 900 euros bruts ainsi que la somme de 11 890 euros bruts au titre de l'indemnité de congés payés afférente,

. lui payer la somme de 15 000 euros nets à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé tant par la violation de ses droits relatifs aux repos compensateurs, repos hebdomadaire qu'à ses droits à l'information correspondante,

.lui payer la somme 22 268 euros nets au titre de l'indemnité pour travail dissimulé prévue à l'article L. 8223-1 du code du travail,

. à procéder au paiement des charges correspondantes sur les sommes exprimées et lui remettre les bulletins de paie du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012 et attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

. à régulariser auprès du Pôle emploi, des caisses de retraite et de sécurité sociale les charges dues pour les mêmes périodes et ce, sous astreinte de 50 euros par jour de retard à compter de l'expiration d'un délai de 8 jours après la signification de l'arrêt à intervenir,

* sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement prononcé,

- dire le licenciement notifié le 6 juin 2012 sans cause réelle ni sérieuse,

- condamner, en conséquence, la société SP3 anciennement dénommée Nettoyage Service Développement venant aux droits de la société SP3 Nettoyage ou les deux sociétés in solidum à lui payer la somme de 102 377 euros nets au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

* sur les autres demandes,

- assortir les condamnations prononcées de l'intérêt légal à compter de la date de la convocation des parties devant le bureau de conciliation du conseil de Prud'hommes de Nanterre (10 janvier 2013) et en ordonner la capitalisation,

- débouter la société SP3 anciennement dénommée Nettoyage Service Développement venant aux droits de la société SP3 Nettoyage de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société SP3 anciennement dénommée Nettoyage Service Développement venant aux droits de la société SP3 Nettoyage ou les deux sociétés in solidum à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique également le 4 juillet 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, et aux termes desquelles la société SP3, anciennement dénommée Nettoyage Service Développement venant aux droits de la société SP3 Nettoyage, demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,

et y ajoutant,

- débouter M. [D] de toutes ses demandes, fins et conclusions.

- condamner M. [D] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [D] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur le licenciement

- Sur la prescription des faits fautifs

L'article L.1332-4 du code du travail prévoit qu'aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

C'est la date à laquelle les faits sanctionnés ont été portés à la connaissance de l'employeur qui marque le point de départ du délai de prescription de deux mois, et c'est la date de l'engagement des poursuites disciplinaires qui marque l'interruption du délai de deux mois (soit en l'espèce l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable, datée du 4 mai 2012).

Les dispositions de l'article L.1332-4 du code du travail ne font pas obstacle à la prise en considération d'un fait antérieur de plus de deux mois dans la mesure où le comportement fautif du salarié s'est poursuivi ou s'est réitéré dans les deux mois précédant l'engagement de la procédure de licenciement et s'il s'agit de faits de même nature.

Le salarié soutient que les faits reprochés dans la lettre de licenciement sont soit non datés soit prescrits à la date d'engagement de la procédure de licenciement, l'attestation de Mme [L] du 7 mars 2012 étant insuffisante à établir que l'employeur n'a eu connaissance des faits qu'à cette date, alors qu'il résulte au contraire de l'attestation d'une formatrice que celle-ci a constaté en septembre 2010 la présence de plusieurs salariés ne faisant pas partie de l'entreprise et en a alerté la société pour qu'elle fasse une enquête.

L'employeur objecte que ce n'est qu'à la date du 7 mars 2012 qu'il a eu connaissance de l'implication du salarié dans ces agissements et que jusque là il ne le pensait responsable que d'une simple négligence.

La cour constate en effet que dans le courriel du 28 février 2012 (pièce 13 de l'employeur), M. [Z] écrit au salarié 'concernant les procédures, je t'ai rappelé les dysfonctionnements suivants : (...)

- le manque de contrôles : pas de vérification, à ton niveau, concernant les embauches effectuées directement par les chargés d'affaire. Le démontage du système délictueux de [B] [O] a notamment révélé l'absence de contrôles de cohérence entre : papiers d'identité et personnes physiquement présente sur le site, signatures apposées sur les différents documents d'embauche (...).'

Ce document, qui fait état d'un manque de contrôle de cohérence par le salarié entre les pièces d'identité et les personnes sur site, n'évoque pas la situation de Mme [L], qui n'a été révélée à l'employeur que le 7 mars 2012 par l'attestation de cette dernière indiquant avoir travaillé à compter du 21 décembre 2010, seulement pour deux mois (pièce 16 de l'employeur) soit jusqu'en février 2011. Or, la lettre de démission de cette salariée date du 31 janvier 2012 (pièce 15) et comporte une écriture et une signature différentes de celles figurant sur ladite attestation, ces discordances révélant les faits imputés à faute du salarié n'étant donc connues de l'employeur que le 7 mars 2012.

Par ailleurs, il ressort de l'attestation du 1er juillet 2022 de la formatrice (pièce 29 de l'employeur) que, si celle-ci a constaté sur le site 'la présence sur le site [Métro à [Localité 6], suivi par M. [O]] de plusieurs salariés qui ne faisaient pas partie de l'entreprise, les noms figurant sur la liste de nos personnels n'étaient pas présents sur le site et inconnus du gardien', elle ne précise pas à quelle date elle a transmis ces informations à l'employeur.

Il en résulte que l'employeur établit n'avoir eu connaissance de ce que M. [D] lui-même faisait travailler des salariés sous une autre identité qu'à la date du 7 mars 2012, de sorte que, ces faits n'étant pas prescrits, l'employeur était bien fondé à invoquer un fait antérieur de plus de deux mois et de même nature, concernant cette fois la situation de Mme [I] dont le poste était en réalité occupé par son époux M. [I].

En conséquence, le moyen tiré de la prescription des faits fautifs étant rejeté, il y a lieu d'examiner si le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse.

- Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement

Selon les articles L.1232-1 et L.1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, énoncée dans une lettre notifiée au salarié.

Le salarié soutient que, si des anomalies ont pu être constatées, elles relevaient de la responsabilité du chargé d'affaires dont la société a prononcé le licenciement pour faute grave, les embauches des agents de propreté relevant des fonctions des chefs d'équipe et/ou chargés d'affaires, que dans ses conclusions dans le litige relatif à ce chargé d'affaires, la société a énoncé que l'intéressé devait 'assurer le suivi administratif des agents placés sous sa responsabilité (embauche, enregistrement des pointages, absences, reclassements) et manager ses équipes au quotidien' (pièce 33 du salarié). Il ajoute n'avoir quant à lui reçu aucune fiche de poste définissant ses fonctions de directeur d'exploitation, nonobstant les sommations délivrées y compris dans le cadre de la présente procédure, que l'attestation de Mme [L] ne vise pas une embauche dont il serait le signataire, et qu'il n'a contre-signé sa lettre de démission qu'en raison de l'absence du chargé d'affaires licencié peu avant, et, enfin, que l'employeur n'établit par aucune pièce le fait que M. [I] travaillait en lieu et place de son épouse.

En réplique, l'employeur soutient qu'au contraire M. [D] encadrait les embauches dans son secteur et était même sollicité pour des congés, qu'à l'appui de sa demande d'heures supplémentaires il indique lui-même qu'il devait se rendre sur les chantiers relevant de son secteur d'exploitation, qu'il a apposé sa signature sur la lettre du 31 janvier 2012, remise en mains propres, de démission de Mme [L] alors que celle-ci ne travaillait plus pour la société depuis février 2011, et qu'il a lui-même reconnu lors de l'entretien préalable qu'il savait que M. [I] travaillait à la place de son épouse.

Après examen de l'ensemble des pièces versées aux débats par les parties, la cour relève d'abord que l'employeur ne produit pas de compte-rendu de l'entretien préalable au cours duquel le salarié aurait reconnu être informé de la situation des époux [I], ni aucune pièce relative à cette embauche. Ce fait n'est pas établi.

Ensuite, la cour constate que l'employeur ne produit aucune fiche du poste de directeur d'exploitation occupé par le salarié, ni aucun avenant à son contrat de travail, le dernier datant de 2002 et portant sur un poste de chargé d'affaires. Pour établir que le salarié encadrait les embauches, l'employeur ne verse aux débats qu'une demande et attestation de congés, des courriels sur des changements de qualification, et la lettre de démission de Mme [L], éléments insuffisants à établir que le salarié intervenait dans le recrutement, la rédaction, la signature et le suivi des contrats de travail des sites gérés par M. [O], dont le licenciement pour faute grave a été validé par la juridiction prud'homale laquelle a retenu que 'il n'est pas sérieusement contestable qu'il appartenait à M. [O] de vérifier les pièces produites par les demandeurs d'emploi et leur identité avant l'envoi au service du personnel pour l'établissement des contrats' (pièce 34 du salarié).

Il en résulte que l'employeur n'établit pas que les faits reprochés sont imputables à M. [D].

En conséquence, le licenciement ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse, le jugement sera infirmé de ce chef ainsi qu'en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts afférents.

Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Le salarié qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement (54 ans), de son ancienneté (18 ans), du montant de la rémunération mensuelle brute moyenne qui lui était versée (4 685,98 euros - cf page 3 des conclusions de l'employeur), de ce qu'il justifie avoir été inscrit à Pôle emploi et perçu des indemnités chômage jusqu'au 28 décembre 2015, et justifie jusqu'en 2018 ne percevoir aucun salaire, il convient d'allouer au salarié une somme de 50 000 euros au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, au paiement de laquelle il convient de condamner l'employeur, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation des parties devant le bureau de conciliation (10 janvier 2013) et capitalisation.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur les heures supplémentaires exécutées du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012

Il résulte des dispositions de l'article L. 3171-4 du code du travail, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Au cas présent, le salarié soutient qu'alors que son contrat de travail mentionnait 151,67 heures de travail effectif, il travaillait tous les jours ouvrables de 6h à 13h et de 14h à 20h, soit 5 heures supplémentaires par jour après déduction de la pause déjeuner, ainsi que six samedis par an, et au cours de nuits et samedis supplémentaires.

A l'appui de sa demande de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires rémunérées, il produit ses bulletins de paie de directeur d'exploitation depuis 2007, aucun n'indiquant la réalisation d'heures supplémentaires, et seulement deux attestations de salariés indiquant le voir ou le croiser sur les sites vers 6h, ou entre 6h30 et 7h, celle de son épouse étant dépourvue de force probante en l'état du lien de parenté entre les intéressés. Il ne verse aucun tableau récapitulatif de ses heures de travail ni des lieux de chantiers sur lesquels il était amené à se rendre. Sa demande repose sur un calcul théorique, figurant dans ses écritures, de 5 heures supplémentaires par jour travaillé sur 47 semaines qui ne tient pas compte de ses jours d'absence, ni des jours fériés ni des samedis revendiqués.

Ces éléments sontsuffisamment précis pour permettre à l'employeur, qui assure le contrôle de la durée du travail, d'y répondre en produisant ses propres éléments.

En l'espèce, l'employeur justifie seulement de ce que le salarié ne travaillait pas le samedi, était convié à des réunions aux horaires de bureau, et soutient pour le reste qu'il était soumis à l'horaire collectif applicable dans l'entreprise, sans en justifier par la production de l'avenant au contrat de travail du salarié en qualité de directeur d'exploitation.

Après examen des pièces produites tant par le salarié que par l'employeur, il y a lieu de considérer que le salarié a accompli des heures supplémentaires n'ayant pas donné lieu à rémunération ou récupération, mais dans une proportion moindre que ce qu'il invoque, au vu de l'absence de tableau récapitulatif des heures effectuées sur l'ensemble de la période tenant compte des jours d'absence, de congés et jours fériés nécessairement non travaillés.

Par voie d'infirmation du jugement, et compte tenu des majorations applicables, il y a lieu de condamner en conséquence la société SP3 à payer au salarié une somme à titre de rappel d'heures supplémentaires pour la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012, que la cour évalue à 24 883,76 brute, outre 2 488,37 euros brute de congés payés afférents.

Il convient d'ordonner à la société SP3 de remettre à M. [D] les bulletins de paie du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012 et attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, sans qu'il y ait lieu d'assortir ce délai d'une astreinte.

Sur violation des règles relatives au repos compensateur

Le salarié sollicite la somme de 15 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé tant par la violation de ses droits relatifs aux repos compensateurs, repos hebdomadaire qu'à ses droits à l'information correspondante.

Il n'est pas démontré et il ne résulte pas des montants alloués au titre des heures supplémentaires que le contingent annuel de 220 heures a été dépassé entre janvier 2010 et mai 2012, ni que le salarié n'a pas bénéficié des jours de repos prévus par la convention collective de sorte qu'aucun manquement relatif au repos n'étant imputable à la société, le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé

L'article L.8221-5 du code du travail,dans sa rédaction applicable au litige, énonce qu' est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Aucune pièce ne permet d'établir que l'employeur avait connaissance de l'importance des heures de travail effectuées par le salarié et qu'il ait eu l'intention de se soustraire à ses obligations déclaratives en ne faisant pas figurer sur les bulletins de paie des heures de travail qu'il savait avoir été été accomplies.

En conséquence, l'élément intentionnel n'étant pas caractérisé, il y a lieu, par voie de confirmation du jugement, de débouter le salarié de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé.

La cour confirme le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande d''indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.

Sur les intérêts et leur capitalisation

Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation.

Les sommes allouées à titre indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé de la présente décision.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

Sur l'article 700 et les dépens

La société SP3, succombant à l'instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande en outre de la condamner à payer au salarié une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

INFIRME le jugement sauf en ce qu'il déboute M. [D] de ses demandes de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé tant par la violation de ses droits relatifs aux repos compensateurs, repos hebdomadaire qu'à ses droits à l'information correspondante, et au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,

Statuant à nouveau des chefs infirmés,

DIT le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société SP3 à payer à M. [D] la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt,

ORDONNE le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

CONDAMNE la société SP3 à payer à M. [D] la somme de 24 883,76 euros bruts à titre de rappel de salaire sur les heures supplémentaires pour la période du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012, outre 2 488,37 euros bruts de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation à comparaître à l'audience de conciliation (10 janvier 2013),

ORDONNE la capitalisation des intérêts,

ORDONNE à la société SP3 de remettre à M. [D] les bulletins de paie du 1er janvier 2010 au 31 mai 2012 et attestation Pôle emploi conformes à l'arrêt à intervenir dans un délai de huit jours à compter de sa signification, sans assortir ce délai d'une astreinte,

DÉBOUTE les parties du surplus de leurs demandes,

Y ajoutant,

CONDAMNE la société SP3 à payer à M. [D] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société SP3 aux dépens de première instance et d'appel.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Aurélie Prache, président et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier Le président


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 20/02108
Date de la décision : 02/11/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-11-02;20.02108 ?
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