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05/10/2022 | FRANCE | N°20/01175

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 05 octobre 2022, 20/01175


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 5 OCTOBRE 2022



N° RG 20/01175

N° Portalis DBV3-V-B7E-T4QZ



AFFAIRE :



SA ENI GAS & POWER FRANCE



C/



[T] [S]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 mai 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F19/01582



Co

pies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA



Me Ariane SOSTRAS







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 5 OCTOBRE 2022

N° RG 20/01175

N° Portalis DBV3-V-B7E-T4QZ

AFFAIRE :

SA ENI GAS & POWER FRANCE

C/

[T] [S]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 mai 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F19/01582

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA

Me Ariane SOSTRAS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE CINQ OCTOBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SA ENI GAS & POWER FRANCE

N° SIRET : 451 225 692

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 et Me Arnaud TEISSIER de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

APPELANTE

****************

Monsieur [T] [S]

né le 18 août 1980 à [Localité 5] (75)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Ariane SOSTRAS, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1818

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 8 septembre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Aurélie PRACHE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Aurélie PRACHE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

M. [S] a été engagé en qualité de technicien/agent de maîtrise par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 11 mars 2008 par la société Altergaz. Par un avenant du 20 avril 2009, le salarié a été promu au poste d'ingénieur commercial et soumis à un forfait annuel en jours.

En 2013, à la suite du rachat de la société Altergaz par le groupe italien Eni, un nouvel avenant a été régularisé entre M. [S] et la société Eni Gas & Power France.

Cette société applique la convention collective du négoce et de distribution de combustibles solides, liquides, gazeux, produits pétroliers du 20 décembre 1985 et emploie plus de 10 salariés.

Le salarié percevait une rémunération annuelle brute comportant une part fixe forfaitaire et une part variable dite « prime d'objectifs » fixés unilatéralement par la société et due au salarié en contrepartie de l'atteinte d'objectifs fixés par l'entreprise.

Cette rémunération variable, dénommée MBO, était décomposée en trois éléments :

- un plan de rémunération variable indiquant la proportion des objectifs à réaliser pour voir le droit à rémunération variable ouvert,

- une grille de performance décrivant les objectifs à atteindre propres à chaque salarié,

- « une annexe 1 » décrivant des objectifs communs à toute la direction commerciale.

En juillet 2017, le salarié a été élu membre de la délégation unique du personnel pour une durée de deux ans.

Il a alerté à plusieurs reprises sa hiérarchie sur son absence d'objectifs en 2017. Il a sollicité la transmission du barème de rémunération variable pour l'année 2017, par lettre du 5 juin 2018, puis en l'absence de réponse de son employeur, par lettre recommandée avec accusé de réception du 8 juin 2018. Le 12 juillet 2018, la délégation unique du personnel a alerté l'entreprise de l'absence de fixation d'objectifs en 2017 pour les salariés. Le salarié a de nouveau interrogé l'employeur par courriel du 26 juillet 2018.

Par courriel du 7 janvier 2019, le salarié a pris acte de la rupture de son contrat de travail dans les termes suivants le défaut de fixation de ses objectifs et son non-paiement de la prime sur objectifs en 2017, manquement de l'employeyr à son obligation de loyauté et absence de formation et de promotion professionnelle.

Le 24 juin 2019, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la requalification de sa prise d'acte en licenciement sans cause réelle et sérieuse et le paiement de rappels de salaires sur rémunération variable pour les années 2017 et 2018, ainsi que de diverses sommes de nature indemnitaire.

Par jugement du 29 mai 2020, le conseil de prud'hommes a:

- dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [S] en date du 7 janvier 2019 produit les effets d'un licenciement nul en violation du statut protecteur,

- fixé le salaire de M. [S] à 5 559,88 euros,

- condamné la société à verser à M. [S] les sommes suivantes :

* 12 625,00 euros à titre de salaires sur rémunération variable pour l'année 2017,

* 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 12 625,00 euros à titre de salaires sur rémunération variable pour l'année 2018,

* 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 12 625,00 à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 22 228,41 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 66 718,59 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur sur le fondement de l'article L2411-5 du code du travail,

* 27 046,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L1235-3-2 du code du travail,

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- n'a pas fait droit au surplus des demandes de M. [S],

- n'a pas fait droit aux demandes de la société Eni Gas & Power France,

- mis les entiers dépens à la charge de la société Eni Gas & Power France.

Par déclaration adressée au greffe le 19 juin 2020, la société Eni Gas & Power France a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 31 mai 2022.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 23 février 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles la société Eni Gas & Power France demande à la cour de :

- infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 29 mai 2020 en ce qu'il a :

. dit que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [S] en date du 7 janvier 2019 produit les effets d'un licenciement nul en violation du statut protecteur,

. fixé le salaire de M. [S] à 5 559,88 euros,

. condamné la société à verser à M. [S] les sommes suivantes :

* 12 625,00 euros à titre de salaires sur rémunération variable pour l'année 2017,

* 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 12 625,00 euros à titre de salaires sur rémunération variable pour l'année 2018,

* 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 12 625,00 à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 1 262,50 euros au titre des congés payés afférents,

* 22 228,41 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 66 718,59 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur sur le fondement de l'article L2411-5 du code du travail,

* 27 046,80 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul sur le fondement de l'article L1235-3-2 du code du travail,

* 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

. débouté les demandes de la société Eni Gas & Power France,

Et, statuant à nouveau, de:

- condamner M. [S] à rembourser l'intégralité des sommes perçues en application de l'exécution provisoire du jugement du 29 mai 2020,

- dire que la prise du contrat de travail de M. [S] en date du 7 janvier 2019 produit les effets d'une démission,

En conséquence,

- débouter M. [S] de l'intégralité de ses demandes,

- débouter M. [S] de son appel incident,

En tout état de cause, de condamner M. [S] à verser les sommes de :

- 13 625 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de son préavis de démission,

- 2 500 euros au titre de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- les entiers dépens.

Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 1er décembre 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile et aux termes desquelles M. [S] demande à la cour de :

- le dire recevable et bien fondé en son appel incident,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a:

. débouté de sa demande de dommages et intérêts, à hauteur de 15 000 euros, en raison de la violation par l'employeur de son obligation de bonne foi,

- reformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité :

. la fixation du salaire de référence à la somme de 5 559,88 euros,

. la condamnation au titre des salaires sur l'année 2017 à la somme de 12 625 euros,

. les congés payés sur le rappel de salaire sur l'année 2017 à la somme de 1 262,50 euros,

. la condamnation au titre des salaires sur l'année 2018 à la somme de 12 625 euros,

. les congés payés sur le rappel de salaire sur l'année 2018 à la somme de 1 262,50 euros,

. l'indemnité compensatrice de préavis à la somme de 12 625 euros,

. le montant des congés payés sur préavis à la somme de 1 262,50 euros,

. l'indemnité conventionnelle de licenciement à la somme de 22 228,41 euros,

. l'indemnité pour violation du statut protecteur à la somme de 66 718,59 euros,

. les dommages et intérêts pour licenciement nul à la somme de 27 046,80 euros,

Et statuant de nouveau, de:

- dire qu'il bénéficiait, au jour de la rupture du contrat de travail, du statut protecteur des représentants du personnel,

- dire que sa rémunération variable aurait dû lui être versée par la société Eni Gas & Power France,

- dire que la société Eni Gas & Power France a violé son obligation de loyauté dans l'exécution du contrat de travail,

En conséquence, de :

- fixer le salaire de référence à la somme de 5 611,97 euros bruts mensuels,

- dire que la prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement nul,

- condamner la société Eni Gas & Power France à lui verser les sommes de :

* 16 835,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 683,59 euros à titre de congés payés sur préavis,

* 23 345,77 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

* 67 343,58 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

* 67 343,58 euros à titre de dommages et intérêts pour violation du statut protecteur,

* 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de bonne foi,

* 13 250 euros à titre de rappel de salaire sur l'année 2017,

* 1 325 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire de l'année 2017,

* 13 250 euros à titre de rappel de salaire de l'année 2018,

* 1 325 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire de l'année 2018,

* 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal et ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner la société Eni Gas & Power France aux entiers dépens et la débouter de l'intégralité de ses demandes, fins, conclusions et prétentions.

MOTIFS

Sur la prise d'acte

La prise d'acte est un acte par lequel le salarié prend l'initiative de rompre son contrat de travail en imputant la responsabilité de cette rupture à son employeur, en raison de manquements de ce dernier à ses obligations, de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié qui prend acte de la rupture de son contrat de travail de démontrer les manquements reprochés à l'employeur. A l'appui de la prise d'acte, le salarié est admis à invoquer d'autres faits que ceux avancés dans le courrier de rupture.

Au cas présent, à l'appui de sa prise d'acte, le salarié reproche la transmission tardive de ses objectifs, le non-paiement de la rémunération variable des années 2017 et 2018, la violation par l'employeur de son obligation de loyauté, et l'absence de formation et de promotion professionnelle.

- sur la transmission tardive de ses objectifs et le non-paiement de la rémunération variable des années 2017 et 2018

Le salarié expose qu'il a eu connaissance des éléments déterminant le montant de sa rémunération variable 2017 trois mois après l'expiration de la période de référence, que les objectifs fixés n'étaient pas en adéquation avec l'état du marché, et qu'il pouvait prétendre, pour ses résultats de l'année 2017, à une somme de 13 250 euros, soit 25 % de sa rémunération annuelle brute de base.

S'agissant de l'année 2018, le salarié soutient que l'entreprise ne peut se prévaloir du courriel adressé le 5 février 2018 comme valant transmission des éléments de calculs de la rémunération variable, le document remis n'étant qu'un simple projet (« draft ») uniquement au directeur commercial jamais adressé au salarié qui n'en n'a jamais eu connaissance, dans la mesure où ce n'est qu'en remettant au salarié la version définitive de ses objectifs et du mode de calcul de la rémunération variable que l'employeur satisfait à ses obligations, ce dernier reconnaissant d'ailleurs que les objectifs à réaliser n'étaient pas transmis au salarié avant le mois d'avril de l'année en cours.

L'employeur objecte que la définition des objectifs des salariés de la société suit un processus initié par le siège du groupe en Italie, fondé sur des échanges entre la direction générale et la direction commerciale et connu de tous au sein de l'entreprise, que la communication à ce sujet est totalement transparente, qu'il en résulte que l'ensemble des salariés concernés connaissent suffisamment tôt dans l'année les objectifs qu'ils auront à réaliser. Il précise que les MBO (objectifs) sont transmis par la direction générale à la direction commerciale au cours du mois de février de l'année N à compter de la clôture des comptes de l'année N-1 et de la validation par le conseil d'administration du budget de l'année, que cet évènement permet à la direction générale de disposer d'éléments stabilisés pour définir les objectifs de l'année à venir, afin d'être crédibles et d'avoir des objectifs pertinents. A compter de cette date le responsable du contrôle de gestion peut alors découper de façon mathématique les objectifs selon le « Business Plan » et transmettre au début du mois de février la pré-assignation des objectifs à la Direction commerciale. Dès le mois d'avril de l'année N, les objectifs sont arrêtés, et à compter de la réception de la pré-assignation, les responsables commerciaux transmettent à leurs équipes les objectifs fixés par la société, les objectifs individuels n'étant qu'une déclinaison de cet objectif collectif.

**

Selon l'article 1315, devenu 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré, doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.

Par ailleurs, lorsque les objectifs sont définis unilatéralement par l'employeur dans le cadre de son pouvoir de direction, celui-ci peut les modifier dès lors qu'ils sont réalisables et qu'ils ont été portés à la connaissance du salarié en début d'exercice.

Au cas présent, l'avenant au contrat de travail du salarié en date du 24 janvier 2013 (pièce 3 de l'employeur) indique à l'article 'Rémunération' : 'votre rémunération fixe est de 4 166,66 bruts forfaitaires par mois de travail complet effectif dans l'entreprise.

En supplément de votre salaire fixe, vous pourriez, en fonction de certains critères ou de certaines circonstances, être amené à bénéficier de rémunérations complémentaires au titre par exemple d'une gratification ou d'un plan de rémunération variable. Les facteurs conditionnant le versement de tels éléments sont définis par la société et peuvent être modifiés d'une période à l'autre à sa seule discrétion. Par ailleurs, le versement de tout élément de rémunération complémentaire ne confère aucun droit acquis à le recevoir à quelque période et pour quelque montant que ce soit.'

Une lettre-accord concernant la rémunération, du même jour, indique :

'(...) b. la société s'engage, au titre de la présente, à ce que votre nouvelle rémunération globale atteignable (c'est à dire votre nouvelle rémunération fixe à la date d'effet du contrat-avenant + votre nouvelle rémunération variable non contractuelle à objectifs atteints, résultant de plans périodiques mis en place par la société) à compter de la date d'effet du contrat-avenant (c'est à dire au titre de 2013 et des années qui suivent) ne puisse être inférieure à la rémunération globale atteignable par vous à objectifs entièrement atteints en considération de votre rémunération fixe en vigueur au 1er janvier 2012, soit 60 000 euros.

En d'autres termes, la conclusion du contrat-avenant ne peut impacter négativement à l'avenir votre rémunération globale atteignable à la date ci-dessus.'

Contrairement à ce qu'indique le conseil de prud'hommes, il ne s'agit donc pas d'objectifs fixés 'd'un commun accord' entre le salarié et l'employeur ni d'un niveau de rémunération acquis.

En premier lieu, pour justifier de la chronologie précitée relative à la finalisation des objectifs par la société, l'employeur produit, s'agissant de la transmission des objectifs 2017 et 2018 au(x) salarié(s):

- la présentation des objectifs de la société lors du Staff Meeting les 2 février 2017 (pièce n°9 de l'employeur) et 26 janvier 2018 (pièce n°8 de l'employeur) au cours duquel l'ensemble de l'effectif de l'entreprise est informé des objectifs pour l'année à venir, équipe par équipe,

- un courriel de la direction du 5 février 2018 adressant au directeur commercial un 'premier draft MBO 2018" dans lequel est attendu le retour des managers sur l'un des items

- un courriel du directeur commercial à la direction du 30 mars 2017 indiquant qu'il laisse chaque manager revenir vers elle pour d'éventuelles précisions sur la MBO 2017 (pièce 11 de l'employeur),

- un courriel de la responsable des ressources humaines du 19 avril 2017 aux responsables commerciaux indiquant avoir déposé sur leurs bureaux les grilles d'objectifs 2017 de leurs équipes (pièce 28 de l'employeur)

- le PRV et la grille de performance 2017, qui indique la signature du salarié à la date du 18 mai 2017, dont il n'est pas contesté qu'elle n'est pas exacte, au regard du procès-verbal de la réunion des délégués du personnel produit par le salarié (p. 11 de la pièce n°13 du salarié)

- le PRV et la grille de performance 2018 qui indique la signature du salarié à la date du 26 juin 2018 (pièce 33).

Pour les exercices antérieurs, l'employeur produit :

- le plan de rémunération variable (PRV) et la grille de performance 2014 signé du salarié le 15 septembre 2014 (pièce 29 de l'employeur)

- le PRV et la grille de performance 2015 signé du salarié le 16 septembre 2015 (pièce 30 de l'employeur)

- la grille de performance 2016 non signé du salarié (pièce 31 de l'employeur)

Le salarié verse quant à lui le plan de rémunération variable 2016 portant sa signature à la date du 21 juillet 2016 (pièce 10), et le bulletin de paie d'avril 2017 portant paiement de ladite prime d'objectif à hauteur de 13 250 euros (pièce 8 du salarié), ainsi que le procès-verbal de la réunion des délégués du personnel dans lequel il est indiqué, pour les objectifs 2017, que 'la direction précise que le plan de rémunération n'a subi aucun changement. L'existence de la grille d'objectifs prouve que le plan a été renouvelé.'

Si la transmission tardive au salarié de ses objectifs 2017 et 2018 est établie, en revanche, compte tenu du processus de finalisation des objectifs, et du fait que ces objectifs, dont les éléments de calcul étaient identiques d'une année sur l'autre, ainsi que cela ressort de la lecture des différents PRV produits aux débats, n'étaient habituellement notifiés aux salariés qu'au cours du premier semestre de l'année considérée, ce manquement reproché à l'employeur pour les années 2017 et 2018 n'était pas de nature à empêcher la poursuite de la relation de travail.

En second lieu, pour justifier du non-paiement de la rémunération variable des années 2017 et 2018, l'employeur invoque une insuffisance professionnelle du salarié pour ces deux années et produit:

- les objectifs 2017 de M. [S] (pièce 32 de l'employeur) précisant que 'la rémunération variable sur plan, pour l'exercice 2017, s'élève à 25 % de votre rémunération fixe annuelle brute 2017 en cas de réalisation à 100 % des objectifs' et que 'en cas total inférieur à 85 points sur l'ensemble de la grille, aucune rémunération variable sur plan n'est touchée'.

- la grille de performance 2017 complétée des résultats atteints par le salarié indiquant un total de 76 points (pièce 34 de l'employeur)

- un courriel de la responsable des ressources humaines, Mme [G], du 3 août 2018 (pièce 14 de l'employeur), dans lequel elle indique ne pas contester 'la régularité, constance et fixité de notre politique de rémunération variable' mais rappelle que 'cela est conditionné à l'atteinte des objectifs' et qu'en l'espèce, 'le résultat de 76/100 que tu as obtenu ne permet pas le déclenchement de la rémunération variable, il faut un minimum de 85/100"

- des échanges de mail entre le salarié et des clients se plaignant de devoir relancer leur fournisseur (pièces 15 à 23)

Toutefois, l'employeur ne produit pas la grille de performance complétée des résultats atteints en 2018 ni aucun élément chiffré permettant d'établir que le salarié n'aurait pas atteint les objectifs définis pour les années 2017 et 2018, le courriel de la responsable des ressources humaines, pour la seule période 2017, n'étant, en tout état de cause, pas suffisant pour justifier cette allégation, et les autres pièces produites n'apportant que des éléments subjectifs d'appréciation des qualités professionnelles du salarié.

Il y a donc de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu que ce manquement est établi . En revanche, il y a lieu de l'infirmer s'agissant du quantum des condamnations prononcées sur ce point, en fixant, en l'absence de toute critique de l'employeur sur le montant revendiqué à ce titre par le salarié, à la somme perçue au titre de la rémunération variable 2016, soit 13 250 euros, la somme due au salarié au titre de sa rémunération variable pour chacune des années 2017 et 2018, outre les congés payés y afférents, ainsi qu'il sera dit au dispositif.

Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs formulés par le salarié à l'encontre de son employeur, que le non paiement de sa rémunération variable, représentant 25 % de son salaire brut, pendant deux années consécutives, pour un montant représentant une somme totale de 29 150 euros brute, rendait impossible la poursuite de son contrat de travail.

En conséquence, le jugement sera également confirmé en ce qu'il a dit que la prise d'acte s'analyse en un licenciement aux torts de l'employeur.

Sur les conséquences de la requalification de la prise d'acte en licenciement

Selon l'article L. 1235-3-2 du code du travail, 'lorsque la rupture du contrat de travail est prononcée par le juge aux torts de l'employeur ou fait suite à une demande du salarié dans le cadre de la procédure mentionnée à l'article L. 1451-1, le montant de l'indemnité octroyée est déterminé selon les règles fixées à l'article L. 1235-3, sauf lorsque cette rupture produit les effets d'un licenciement nul afférent aux cas mentionnés au 1° à 6° de l'article L. 1235-3-1, pour lesquels il est fait application du premier alinéa du même article L. 1235-3-1.'

Selon ce dernier article, 'l'article L. 1235-3 n'est pas applicable lorsque le juge constate que le licenciement est entaché d'une des nullités prévues au deuxième alinéa du présent article. Dans ce cas, lorsque le salarié ne demande pas la poursuite de l'exécution de son contrat de travail ou que sa réintégration est impossible, le juge lui octroie une indemnité, à la charge de l'employeur, qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Les nullités mentionnées au premier alinéa sont celles qui sont afférentes à :

1° La violation d'une liberté fondamentale ;

2° Des faits de harcèlement moral ou sexuel dans les conditions mentionnées aux articles L. 1152-3 et L. 1153-4 ;

3° Un licenciement discriminatoire dans les conditions mentionnées aux articles L. 1132-4 et L. 1134-4 ;

4° Un licenciement consécutif à une action en justice en matière d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans les conditions mentionnées à l'article L. 1144-3, ou à une dénonciation de crimes et délits ;

5° Un licenciement d'un salarié protégé mentionné aux articles L. 2411-1 et L. 2412-1 en raison de l'exercice de son mandat ;

6° Un licenciement d'un salarié en méconnaissance des protections mentionnées aux articles L. 1225-71 et L. 1226-13.

L'indemnité est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu'il est dû en application des dispositions de l'article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du Titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l'indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.'

Il est ainsi constant que lorsqu'un salarié titulaire d'un mandat de représentant du personnel prend acte de la rupture du contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur quand les faits invoqués le justifient, de sorte que le salarié peut prétendre à une indemnité pour violation du statut protecteur égale au salaire qu'il aurait dû percevoir jusqu'à la fin de la période de protection en cours, indemnité qui ne peut être supérieure à 30 mois de salaire.

En l'espèce, le salarié, invoquant son statut protecteur en sa qualité de membre de la DUP depuis juillet 2017 pour un mandat de deux ans, sollicite, sur le fondement de l'article L. 1235-3-2 précité une somme correspondant à douze mois de salaire et la même somme sur le fondement de l'article L. 2411-5 du code du travail.

L'employeur objecte simplement que la prise d'acte devant s'analyser en une démission, il est mal fondé en ses demandes, et, s'il indique critiquer le chef de dispositif portant sur la fixation de salaire dans le dispositif de ses conclusions, celles-ci ne contiennent pas de réfutation des calculs opérés par le salarié à l'appui de sa demande de fixation de son salaire brut mensuel à la somme de 5 611,97 euros, après réintégration du montant de la rémunération variable précitée.

Par voie d'infirmation de la décision déférée, le salaire mensuel brut sera fixé à la somme de 5 611,97 euros, qui sera donc la base de calcul des indemnités qui seront allouées ci-après au salarié.

Le salarié étant membre titulaire de la DUP depuis juillet 2017 pour deux ans, il bénéficiait du statut protecteur jusqu'au mois de février 2020 (2 ans de mandat + 6 mois de protection ultérieure), soit pendant une période de 12 mois, de sorte que sa prise d'acte de la rupture du contrat de travail doit produire les effets d'un licenciement nul pour violation du statut protecteur. C'est dès lors à bon droit qu'il sollicite une indemnité correspondant aux salaires qu'il aurait perçu en l'absence de licenciement jusqu'à la fin de la période de protection.

Il convient en conséquence de faire droit à sa demande à ce titre et, par voie d'infirmation s'agissant du quantum de la somme allouée, de condamner l'employeur à verser au salarié la somme de 67 343,58 euros à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur.

En outre, le licenciement produisant les effets d'un licenciement nul justifiant l'octroi, en application de l'article L. 1235-3-2 précité, d'une indemnité qui ne peut être inférieure à six mois de salaire, il y a lieu de fixer cette indemnité, compte tenu de l'ancienneté du salarié dans la société, à six mois de salaire, soit la somme de 33 671.82 euros, au paiement de laquelle l'employeur sera condamné, par voie d'infirmation du jugement déféré.

Sur les autres demandes relatives à la rupture du contrat de travail

La prise d'acte produisant les effets d'un licenciement nul ainsi qu'il a été dit, le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes du salarié en paiement d'une indemnité compensatrice de préavis, congés payés afférents et indemnité conventionnelle de licenciement, mais infirmé dans le quantum des sommes allouées, qu'il convient de fixer ainsi qu'il sera dit au dispositif, sur la base du salaire mensuel brut précité.

La prise d'acte ne s'analysant pas en une démission, la demande de l'employeur tendant au paiement d'une indemnité de préavis n'est pas fondée. De la même façon, dans ces conditions, l'amende civile qu'il sollicite n'est pas justifiée.

Sur

la demande de dommages-intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de bonne foi,

Cette demande visant à réparer le même préjudice que celui qui est déjà indemnisé par l'octroi de l'indemnité allouée en réparation de la rupture prononcée aux torts de l'employeur, le salarié sera débouté de sa demande à ce titre.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné l'employeur aux dépens de première instance et au paiement de la somme de 1 200 euros au titre des frais irrépétibles.

Il y a lieu de condamner l'employeur aux dépens d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme de 1 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt contradictoire, en dernier ressort et prononcé par mise à disposition au greffe :

CONFIRME le jugement, mais seulement en ce qu'il a jugé que la prise d'acte de rupture du contrat de travail de M. [S] en date du 7 janvier 2019 produit les effets d'un licenciement nul en violation du statut protecteur et condamné la société Eni Gas & Power France SA à payer à M. [S] la somme de 1200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

L'INFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

FIXE le salaire mensuel brut de M. [S] à la somme de 5 611,97 euros,

CONDAMNE la société Eni Gas & Power France à payer à M. [S] les sommes suivantes:

- 13 250 euros bruts à titre de rappel de salaire sur l'année 2017,

- 1 325 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 13 250 euros bruts à titre de rappel de salaire de l'année 2018,

- 1 325 euros bruts à titre de congés payés afférents,

- 67 343,58 euros bruts à titre d'indemnité pour violation du statut protecteur,

- 33 671,82 euros de dommages-intérêts en application de l'article L.1235-3-2 du code du travail,

- 16 835,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 683,59 euros à titre de congés payés afférents,

- 23 345,77 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1 800 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE M. [S] de sa demande de dommages-intérêts pour violation de l'employeur de son obligation de bonne foi,

DÉBOUTE la société Eni Gas & Power France de l'ensemble de ses demandes.

CONDAMNE la société Eni Gas & Power France aux dépens d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Aurélie Prache, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 20/01175
Date de la décision : 05/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-05;20.01175 ?
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