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29/09/2022 | FRANCE | N°20/00948

France | France, Cour d'appel de Versailles, 11e chambre, 29 septembre 2022, 20/00948


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



11e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/00948 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T23B



AFFAIRE :



[A] [R]



C/



S.A.R.L. DISTRICLAM









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : F18/00421<

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Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Roger DENOULET



Me Sandra CARNEREAU



Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI



le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT NEUF SEPTE...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

11e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00948 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T23B

AFFAIRE :

[A] [R]

C/

S.A.R.L. DISTRICLAM

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Février 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de BOULOGNE-BILLANCOURT

N° Section : C

N° RG : F18/00421

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Roger DENOULET

Me Sandra CARNEREAU

Expédition numérique délivrée à : PÔLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [A] [R]

née le 04 Août 1980 à [Localité 5] (ILE MAURICE)

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentant : Me Roger DENOULET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0285 substitué par Me Pauline ROUSSEAU, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

S.A.R.L. DISTRICLAM

N° SIRET : 439 027 814

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Sandra CARNEREAU, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E1981

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 13 Juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Hélène PRUDHOMME, Président,

Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,

Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

Mme [A] [R] était embauchée par la SARL Districlam dans le cadre d'un contrat de professionnalisation du 11 avril 2006 au 13 avril 2007. Le 14 avril 2007, elle était engagée par la SARL Districlam par contrat à durée indéterminée en qualité d'employée commerciale, puis était promue au poste d'adjointe de direction par avenant du 1er septembre 2007. Par avenants des 1er janvier et 1er mars 2014, Mme [R] était à nouveau et successivement promue aux postes de chef de magasin puis de directrice de magasin.

Le contrat de travail était régi par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le 21 mars 2014 Mme [R] se voyait notifier un avertissement en raison d'une tenue incorrecte du magasin constatée le 19 mars précédent lors d'une visite de son superviseur. Elle faisait l'objet d'un second avertissement le 8 décembre 2014 motivé par le non-respect des procédures de caisse.

Le 9 janvier 2015, Mme [R] était convoquée à un entretien préalable à une mesure disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement. L'entretien se déroulait le 16 janvier 2015.

Par courrier du 28 janvier 2015, la SARL Districlam notifiait à Mme [R] sa rétrogradation au poste d'adjointe de magasin à compter du 1er février 2015 et lui appliquait à partir de cette date une baisse de rémunération.

Le 19 février 2015, la salariée était placée en arrêt maladie, lequel se poursuivait jusqu'au début de son congé de maternité le 13 juin 2015. A l'issue de ce congé le 2 octobre 2015, Mme [R] bénéficiait d'un congé parental jusqu'au 25 juin 2017.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 16 mai 2017, Mme [R] prenait acte de la rupture de son contrat de travail. Elle contestait les avertissements, ainsi que sa rétrogradation et invoquait l'accomplissement de nombreuses heures supplémentaires non rémunérées, ayant conduit à son arrêt maladie pour surmenage le 19 février 2015.

Le 3 juillet 2017, Mme [R] saisissait le conseil des prud'hommes de Boulogne-Billancourt, afin de faire produire à sa prise d'acte les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Vu le jugement du 21 février 2020 rendu par le juge départiteur du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt qui a :

- Dit que la prise d'acte de Mme [R] en date du 16 mai 2017 reçue par la société Districlam le 17 mai 2017 produit les effets d'une démission

- Ordonné à la société Districlam de remettre à Mme [R] des bulletins de paie rectifiés portant sur la période du 1er février 2015 au 16 mai 2017 arec mention d'un salaire de base mensuel brut de 2 500 euros dans un délai de 15 jours à compter de la notification de la présente décision et ce sous astreinte provisoire de 20 euros par jour de retard et par document passé ce délai pendant une durée de 3 mois

- Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes

- Condamné Mme [R] à payer à la société Districlam la somme de 8 746,77 euros au titre du préavis non exécuté

- Débouté la société Districlam du surplus de ses demandes

- Rappelé que l'exécution provisoire est de droit en application de l'article R.1454-28 du code du travail s'agissant de la remise des bulletins de paie

- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire pour le surplus

- Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile

- Partagé les dépens de l'instance par moitié entre Mme [R] et la société Districlam.

Vu l'appel interjeté par Mme [R] le 14 avril 2020

Vu les conclusions de l'appelante, Mme [R], notifiées le 10 mars 2022 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :

- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt du 21 février 2020 en ce qu'il a :

- Dit que la prise d'acte de Mme [R] en date du 16 mai 2017, reçue par la société Districlam le 17 mai 2017, produit les effets d'une démission ;

- Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes ;

- Condamné Mme [R] à payer à la société Districlam la somme de 8 746,77 eurosau titre du préavis non exécuté ;

- Dit n'y avoir lieu à indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Partagé les dépens de l'instance par moitié entre Mme [R] et la société Districlam.

- Le confirmer pour le surplus ;

Et ce faisant :

- Débouter la société Districlam de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

- Dire que la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par Mme [R] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- Condamner la société Districlam à verser à Mme [R] les sommes suivantes :

- 8 523 euros au titre des heures supplémentaires non réglées,

- 8 746,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 874,67 euros au titre des congés payés y afférents,

- 10 301,74 euros au titre de l'indemnité de licenciement pour une ancienneté de 11 ans et 4 mois ou subsidiairement, 9 135,51 euros pour une ancienneté de 10 ans et 4 mois,

- 20 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et capitalisation des dits intérêts dans les termes de l'article 1343-3 du code civil ;

- Ordonner la remise, sous astreinte de 100 euros par jour de retrd et par document, passé le délai de 15 jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir :

- d'un certificat de travail

- d'un reçu pour solde de tout compte

- d'une attestation destinée à Pôle emploi

- des bulletins de paies rectifiés sur la période du 1er février 2015 au 16 mai 2017 sur une base mensuelle brute de 2 500 euros conformes à l'arrêt à intervenir ;

- Condamner la société Districlam à verser à Mme [R] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Districlam aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Roger Denoulet, avocat, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu les écritures de l'intimée, la SARL Districlam, notifiées le 26 octobre 2020 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :

- Confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt le 21 février 2020 en ce qu'il a :

- Dit que la prise d'acte de Mme [R] en date du 16 mai 2017 produit les effets d'une démission,

- Débouté Mme [R] du surplus de ses demandes,

- Condamné Mme [R] à payer à la Société la somme de 8 746,77 euros au titre du préavis non exécuté.

Y ajoutant :

- Condamner Mme [R] à payer à la Société la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Condamner Mme [R] aux entiers dépens.

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour infirmait le jugement rendu par le conseil de prud'hommes et considérait justifiée la prise d'acte de Mme [R] :

- Réduire la demande de Mme [R] au titre de l'indemnité de licenciement à hauteur de 9 135,51 euros,

- Réduire le montant des dommages-intérêts demandés par Mme [R] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à 6 mois de salaire, soit à la somme de 17 493,54 euros,

- Débouter Mme [R] de sa demande au titre des heures supplémentaires correspondant à la somme de 8 523 euros.

Vu l'ordonnance de clôture du 23 mai 2022.

SUR CE,

Sur la rupture du contrat de travail :

En cas de prise d'acte de la rupture du contrat de travail par le salarié, cette rupture produit, soit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, si les faits invoqués la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission.

Il résulte de la combinaison des articles L.1231-1, L.1237-2 et L.1235-1 du code du travail que la prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur qui empêche la poursuite du contrat de travail.

Il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de l'employeur.

Au soutien de sa prise d'acte, Mme [R] invoque les manquements suivants :

- Des conditions de travail déplorables

Mme [R] soutient avoir dû accomplir à compter du mois d'août 2008, lorsque le directeur du magasin a été licencié, le travail d'adjointe et de directeur de magasin, la contraignant à travailler de 7h à 20h30, alors que l'équipe du magasin était en sous-effectif notoire et que certains salariés étaient absents de manière injustifiée et répétée, perturbant le bon fonctionnement du magasin. Elle soutient avoir alerté l'employeur à propos des heures supplémentaires qu'elle était contrainte d'accomplir.

L'employeur répond que le fait invoqué par la salariée est très ancien et que Mme [R] n'a évoqué un prétendu manque de personnel à sa hiérarchie qu'à compter du moment où ses superviseurs lui ont fait part de nombreux manquements dans l'exécution de ses missions. Il soutient que l'absentéisme a augmenté au moment de la prise des fonctions de directrice de magasin par Mme [R] en raison d'un manque total d'organisation et de communication avec les salariés, ce qui a forcément eu des conséquences sur la gestion du magasin. Il estime que les pièces communiquées par la salariée ne démontrent pas l'existence d'un absentéisme problématique.

Pour justifier du sous-effectif invoqué, Mme [R] communique en pièce n°15 une fiche « incidents » listant les absences de ses collaborateurs entre le 1er septembre 2014 et le 18 janvier 2015, qui permet de confirmer un absentéisme régulier de ces derniers :

- M. [P] a été absent sans justification à 9 reprises, les 27/10/2014, 15, 16/11/2014, 16/12/2014, du 26 au 28/12/2014, 10 et 13/01/2015 ;

- M. [B] a été absent sans justification 10 fois, le 18/12/2014, du 27 au 31/12/2014, puis du 02 au 05/01/2015 puis du 12 au 18/01/2015,

- M. [J] a été absent sans justification à 7 reprises, du 22 au 25/09/2014, le 07/11/2014, le 24/12/2014, 31/12/2014 ; il a également été en retard à de nombreuses reprises,

- M. [N] été absent sans justification 2 fois, les 8 et 12/12/2014 ;

- M. [F] a été absent sans justification 1 fois le 29/09/2014,

- M. [C] a été absent sans justification 1 fois les 18 et 19/09/2014,

- M. [O] a été absent sans justification 1 fois, du 1er au 26/09/2014,

- M. [Y] a été absent sans justification 1 fois le 8 janvier 2015.

Néanmoins, la cour relève que l'effectif global du magasin était composé de 12 personnes à temps plein et que les absences précitées ne sont pas toutes simultanées. En outre, il doit être constaté que Mme [R], en tant que directrice du magasin, disposait du pouvoir de suppléer ces absences en recourant à l'intérim ou au contrat de travail à durée déterminée.

De surcroît, si par courrier du 25 mars 2014, Mme [R], dans le cadre de la contestation de l'avertissement du 25 mars 2014, a évoqué, de manière très générale, des « problèmes d'absences récurrents de certains salariés », la cour constate que l'employeur l'a convoquée à un entretien le 6 mai 2014 afin de discuter des points évoqués dans sa lettre et la salariée n'a plus fait part de difficultés sur ce point avant l'entretien préalable du 16 janvier 2015.

Enfin, à l'occasion du courrier précité du 25 mars 2014, Mme [R] n'a pas indiqué qu'elle accomplissait des heures supplémentaires, la première revendication de la salariée sur ce point n'ayant été formulée que lors de l'entretien préalable.

Dans ces conditions, le manquement de l'employeur n'est pas démontré.

- Le défaut de paiement des heures supplémentaires

Mme [R] invoque l'inopposabilité de la convention de forfait en jours à laquelle elle a été soumise en l'absence de suivi par l'employeur de sa charge de travail, à défaut notamment d'autonomie suffisante et d'entretien annuel portant sur l'équilibre entre sa vie privée et sa vie professionnelle. Elle soutient qu'elle était présente de l'ouverture du magasin à 7h à sa fermeture à 20h30 et réclame le paiement d'un rappel de salaire de 8 523 euros pour les années 2014 et 2015.

L'employeur considère que ce fait est également trop ancien pour justifier la prise d'acte. Il soutient que Mme [R] disposait de l'autonomie nécessaire pour recourir à une convention de forfait en jours, qu'il lui appartenait, aux termes de l'avenant du 1er mars 2014, d'établir un décompte mensuel des journées ou demi-journées de travail et de repos, afin de permettre à sa hiérarchie d'en assurer le suivi, alors qu'elle ne l'a jamais fait. Il relève que Mme [R] n'a jamais demandé à bénéficier de l'entretien annuel et qu'elle n'a jamais alerté sa hiérarchie sur une prétendue cadence infernale. Il rappelle la prescription triennale de l'action en rappel de salaire prévue par l'article L.3245-1 du code du travail et conclut à la prescription de l'action de Mme [R] pour la période antérieure au 3 juillet 2014. Il estime par ailleurs qu'elle n'apporte pas d'éléments suffisamment précis et fiables pour étayer sa demande.

Selon l'article L 3171-4 du code du travail, « En cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.

Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable ».

Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif a' l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

Par ailleurs, il doit être rappelé que le recours à une convention de forfait en jours nécessite :

- qu'elle soit établie par écrit et acceptée par le salarié (L. 3121-55 du code du travail) ;

- qu'elle précise le nombre de jours travaillés compris dans le forfait ;

- qu'elle soit conclue avec un cadre qui dispose d'une autonomie dans l'organisation de son emploi du temps et dont la nature des fonctions ne le conduit pas à suivre l'horaire collectif (L. 3121- 58 du code du travail) ;

- que l'employeur s'assure régulièrement que la charge de travail du salarié est raisonnable et permet une bonne répartition dans le temps (article L. 3121-60 du code du travail) notamment par l'établissement d'un document de contrôle faisant apparaitre le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées et en organisant un entretien une fois par an avec le salarié pour évoquer sa charge de travail (L. 3121-65 du code du travail).

En l'espèce, la SARL Districlam ne justifie pas avoir organisé l'entretien annuel portant sur la charge de travail visé par l'article L.3121-65 précité. Si Mme [R] a effectivement été soumise à un forfait en jours à partir du 1er mars 2014, puis placée en arrêt de travail à compter du 19 février 2015, la cour constate que l'employeur ne démontre pas que cet entretien était organisé lors du départ de Mme [R] en arrêt maladie alors qu'il ne lui restait que 10 jours pour respecter son obligation légale. En outre, la SARL Districlam ne saurait se prévaloir des dispositions de la convention collective et du contrat de travail mentionnant que le salarié doit établir un décompte des journées ou demi-journées travaillées afin d'assurer le suivi de son temps de travail, dès lors que ces dispositions ont pour effet de faire peser la charge du suivi du temps de travail sur le seul salarié.

Dans ces conditions, la convention de forfait en jours à laquelle Mme [R] a été soumise doit lui être déclarée inopposable.

Mme [R] soutient qu'elle travaillait de 7 heures à 20h30, c'est-à-dire de l'ouverture à la fermeture du magasin et qu'elle a accompli 120 heures en août 2014, puis 60 heures par mois entre septembre et décembre 2014 et enfin 71 heures en janvier 2015.

Elle communique un tableau détaillant le volume d'heures supplémentaires hebdomadaires en 2014 et deux attestations de clientes, Mmes [X] et [U], expliquant que Mme [R] faisait régulièrement l'ouverture et la fermeture du magasin.

La salariée présente ainsi, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies, permettant à l'employeur d'y répondre utilement.

Si la SARL Districlam soulève la prescription partielle des demandes, il ressort des écritures de la salariée qu'elle a circonscrit sa demande de rappel de salaire à la période courant du mois d'août 2014 à janvier 2015 qui apparaît non prescrite au regard des dispositions de l'article L.3245-1 du code du travail.

Néanmoins, comme le relève l'employeur, les témoignages produits par Mme [R] s'avèrent particulièrement peu précis et ne permettent pas de démontrer une présence constante de la salariée à son poste de 7h à 20h30, dès lors que ces clientes ne passaient que ponctuellement faire leurs courses.

Ainsi, la cour dispose des éléments suffisants pour évaluer le rappel de salaire dû à Mme [R] au titre des heures supplémentaires à la somme de 1 385 euros, outre les congés payés afférents, soit 138,50 euros.

Le manquement de l'employeur est établi. Toutefois, au regard du volume limité d'heures supplémentaires impayées, il n'empêchait pas la poursuite du contrat de travail, ne justifiant ainsi pas la prise d'acte.

- Des avertissements infondés et une rétrogradation illégale

Mme [R] fait valoir que l'avertissement qui lui a été notifié le 21 mars 2014 était injustifié dès lors que les manquements relevés n'étaient pas de son fait et qu'elle avait déjà alerté sa hiérarchie sur son impossibilité d'assurer certaines tâches sans son appui et sur sa surcharge de travail. Elle conteste également le bien-fondé de l'avertissement du 8 décembre 2014. La salariée soutient que la rétrogradation lui a été notifiée sans que l'employeur ne l'ait informée de la possibilité de refuser cette sanction. Elle considère que ce manquement justifie sa prise d'acte dès lors que la rétrogradation illicite est intervenue le 15 février 2015 et qu'elle a fait l'objet d'un arrêt de travail dès le 19 février 2015, suspendant son contrat de travail, de sorte qu'il ne peut être considéré que le manquement soit trop ancien. Elle souligne que la rétrogradation est intervenue alors qu'elle venait d'informer l'employeur de son état de grossesse le 13 janvier 2015. Elle souligne que la rétrogradation s'est accompagnée d'une baisse importante de son salaire qui l'a mise en difficulté sur le plan financier.

L'employeur répond que les avertissements sont justifiés. Il souligne que le second n'a pas été contesté. Il relève que la rétrogradation et la baisse de salaire sont intervenues plus de deux ans avant la prise d'acte. Il conteste que l'état de grossesse de la salariée ait été pris en compte dans sa décision de la rétrograder.

Concernant l'avertissement du 21 mars 2014, qui a sanctionné une mauvaise tenue du magasin, l'employeur communique un courriel du 19 mars 2014 adressé au service des ressources humaines par M. [S], superviseur, qui a réalisé le contrôle et qui recense différents manquements relatifs notamment au non-respect des directives concernant la propreté et la tenue du magasin, le désordre de la réserve, l'existence de sur-stocks, de nombreuses ruptures de produits en rayon, une mauvaise organisation du travail du personnel et le défaut de préparation de la promotion devant démarrer le lendemain.

Pour contester le bien-fondé de cette sanction, la salariée invoque les éléments suivants :

- elle était absente le jour de la visite de son superviseur, de sorte que la désorganisation du magasin était le fait de son assistante ; toutefois, en tant que directrice du magasin, Mme [R] était responsable des manquements constatés, dès lors qu'il lui appartenait de mettre en place une organisation permettant d'assurer la bonne marche du magasin y compris pendant son jour de repos ;

- s'agissant de l'entrée du magasin, "sale et encombrée de détritus" et des cartons qui étaient encore au sol, la salariée soutient que la livraison de fruits et légumes, le jour du contrôle, est arrivée plus tard qu'à l'habitude et contenait beaucoup de promotions, de sorte que, eu égard à l'absence de personnel, cette tâche avait pris plus de temps ; cependant, Mme [R] n'apporte au soutien de ses dires aucun élément de preuve permettant de les corroborer ;

- Sur le fait que le responsable du rayon fruits et légumes s'occupait du pain, la salariée indique que ce responsable était également en charge du rayon boulangerie, de sorte qu'en attendant que la cuisson du pain se termine, il s'occupait de ranger les fruits et légumes ; toutefois, à nouveau, aucun élément probant ne permet de conforter cette affirmation ;

- Sur le fait que de nombreux colis du rayon épicerie n'étaient pas mis en rayon alors qu'ils avaient été livrés la veille, Mme [R] explique que certains salariés étaient, de manière injustifiée, absents le jour de cette livraison, qu'elle était donc seule avec une autre salariée et débordée car elle devait passer les commandes, faire le "facing" du magasin, s'occuper des promotions et encore encaisser les clients ; cependant, la cour constate à nouveau que la salariée ne produit aucun élément de preuve au soutien de ses dires.

Concernant le problème relatif aux absences récurrentes de personnel, pour les motifs précités, il ne permet pas de justifier les manquements relevés.

Il ne peut être déduit du fait que l'employeur ait convoqué Mme [R] à la suite de son courrier de contestation, qu'il ait reconnu le caractère infondé de sa sanction, dès lors qu'il n'en a nullement notifié l'annulation.

Enfin, la liste des réparations que la salariée a sollicitées à M. [S] le 16 juin 2014 est sans lien avec les manquements sanctionnés.

En conséquence, l'avertissement notifié à Mme [R] le 21 mars 2014 doit être déclaré bien-fondé.

L'avertissement du 8 décembre 2014 est motivé par le non-respect des procédures de caisse, dès lors que le superviseur a constaté, lors de son passage en magasin, que des crédits étaient régulièrement faits aux salariés et que deux d'entre eux, accordés les 14 et 22 novembre 2014 pour des montant de 10,50 euros et 6,85 euros, n'avaient toujours pas été remboursés. La cour constate que Mme [R] n'a pas contesté cet avertissement et qu'il ressort du compte rendu établi par le conseiller du salarié au cours de l'entretien préalable du 16 janvier 2015 qu'elle a reconnu les faits.

Les sommes concernées sont certes très modestes, cependant, au regard de l'avertissement qui lui avait déjà été notifié en raison du non-respect des directives de l'employeur, cette nouvelle méconnaissance des procédures internes justifie la sanction notifiée.

Concernant la rétrogradation, il ressort du courrier du 28 janvier 2015 qu'elle est motivée par la persistance des manquements constatés le 8 janvier 2015 concernant la tenue des rayons et la propreté du magasin. Il a également été reproché à la salariée d'avoir quitté le magasin à 14h30, laissant le chef de rayon seul et sans directives.

L'employeur communique un email de M. [S] du 19 janvier 2015 portant compte rendu de la visite qu'il indique avoir menée au sein du magasin dirigé par Mme [R] et listant de nombreux problèmes relatifs à la tenue et à l'hygiène du magasin. M. [S] ajoute que Mme [R] et son adjointe avaient quitté le magasin à 14h30 en laissant le chef de rayon en formation seul sans instruction. La salariée répond qu'elle lui avait demandé de ne pas commencer à vider les palettes sans elle mais que, par manque d'expérience, il s'était tout de même exécuté, en croyant bien faire et n'avait pas osé expliquer la situation aux superviseurs. La cour constate que cette explication est sans lien avec le grief reproché. La salariée ajoute que le salarié chargé du nettoyage s'occupait également des rayons boulangerie et fruits et légumes et que la cadence infernale ne permettait pas de nettoyer le magasin avant 8h30. Toutefois, la cour constate que les dires de la salariée ne sont pas justifiés, ni cohérents avec l'effectif précité du magasin et surtout, que M. [S] avait précisé dans son courriel avoir réalisé sa visite du magasin à 18 heures. Enfin, la salariée communique quatre attestations de clients indiquant que le magasin était toujours propre et bien achalandé. Cependant, ces témoignages, rédigés en termes très généraux, ne sont pas suffisants pour remettre en cause le compte rendu de visite très détaillé établi par M. [S] et dont la salariée n'a pas contesté la matérialité lors de l'entretien préalable.

Dans ces conditions et au regard des deux avertissements préalablement notifiés, la rétrogradation apparaît bien fondée.

Néanmoins, comme le souligne Mme [R], l'employeur ne pouvait lui imposer une modification de son contrat de travail à titre disciplinaire. Il lui appartenait de notifier la proposition de rétrogradation en l'informant expressément de sa faculté de la refuser, auquel cas il était en droit de lui notifier une autre sanction. Or, la SARL Districlam ne justifie pas avoir respecté cette procédure.

La rétrogradation imposée à Mme [R] s'est accompagnée d'une baisse conséquente de sa rémunération de 2 500 euros à 1 648,65 euros.

Le manquement de l'employeur est caractérisé. Il est d'une gravité telle qu'il empêchait la poursuite du contrat de travail.

Comme l'ont relevé les premiers juges, la rétrogradation a été notifiée à Mme [R] le 1er février 2015, alors qu'elle n'a pris acte de la rupture que le 16 mai 2017. Toutefois, il doit être relevé que la salariée a fait l'objet d'un arrêt maladie à compter du 19 février 2015, puis d'un congé de maternité le 13 juin 2015, à l'issue duquel elle a pris un congé parental jusqu'au 25 juin 2017. Au regard de la suspension de son contrat de travail du fait de sa maternité, il ne peut être considéré que le manquement de la SARL Districlam n'a pas empêché la poursuite du contrat de travail, étant relevé que la salariée a pris acte de la rupture quelques jours avant sa reprise de poste.

Au regard des bulletins de paie, de l'ancienneté de la salariée, des dispositions de la convention collective et de l'article L.1225-54 du code du travail, la SARL Districlam doit être condamnée aux indemnités de rupture suivantes :

- 8 746,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 874,67 euros au titre des congés payés afférents,

- 9 135,51 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

Par ailleurs, à la date de la rupture du contrat de travail, la SARL Districlam employait de manière habituelle plus de 10 salariés et l'ancienneté de Mme [R] était au moins égale à deux ans.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé à celui-ci, à la charge de l'employeur, une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Lors de la prise d'acte, Mme [R] percevait une rémunération mensuelle moyenne de 2 915,59 euros. Elle était âgée de 37 ans et bénéficiait d'une ancienneté d'un peu plus de 10 ans au sein de l'entreprise. Elle indique avoir été confrontée à des problèmes de santé qui ont compliqué sa recherche d'emploi et n'avoir pu effectuer que quelques missions d'interim pour la société Leclerc. Elle précise être à nouveau au chômage depuis le 20 septembre 2020 et produit les attestations Pôle emploi qui le confirment.

En conséquence, il convient de lui allouer une indemnité de 20 000 euros au titre de l'article L.1235-3 du code du travail.

Sur la demande reconventionnelle au titre du préavis

A titre reconventionnel, l'employeur sollicite la condamnation de la salariée au paiement de l'indemnité compensatrice de préavis. Toutefois, compte tenu de la solution donnée au litige, cette demande ne peut prospérer. Le jugement déféré est infirmé sur ce point.

Sur le remboursement par l'employeur à l'organisme des indemnités de chômage

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur la remise des documents sociaux rectifiés

Il sera enjoint à la SARL Districlam de remettre à Mme [R], dans le mois de la signification de l'arrêt un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la décision, ainsi que des bulletins de paie mentionnant le salaire de 2 500 euros qu'elle percevait avant sa rétrogradation pour la période courant du 1er février 2015 au 16 mai 2017.

Sur les intérêts

Les intérêts au taux légal portant sur les condamnations de nature salariale seront dus à compter de la réception de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation. S'agissant des créances de nature indemnitaire, les intérêts au taux légal seront dus à compter de la décision les ayant prononcées.

Ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens

Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge de la SARL Districlam.

La demande formée par Mme [R] au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 4 000 euros.

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

statuant publiquement et contradictoirement

Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Dit que la prise d'acte de Mme [A] [R] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

Condamne la SARL Districlam à Payer à Mme [R] les sommes suivantes :

- 1 385 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,

- 138,50 euros au titre des congés payés afférents,

- 8 746,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 874,67 euros au titre des congés payés afférents,

- 9 135,51 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement.

- 20 000 euros de dommages et intérêts au titre de l'article L.1235-3 du code du travail ;

Déboute la la SARL Districlam de sa demande reconventionnelle au titre du préavis ;

Ordonne à la SARL Districlam de remettre à Mme [A] [R], dans le mois de la signification de l'arrêt, un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la decision, ainsi que des bulletins de paie mentionnant le salaire de 2 500 euros pour la période courant du 1er février 2015 au 16 mai 2017 ;

Ordonne le remboursement par la SARL Districlam, aux organismes concernés, des indemnités de chômage versées à Mme [A] [R] dans la limite de 6 mois d'indemnités en application des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail ;

Dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire produiront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

Dit que ces intérêts seront capitalisés dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil ;

Condamne la SARL Districlam aux dépens de première instance et d'appel ;

Condamne la SARL Districlam à payer à Mme [A] [R] la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIERLe PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 11e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00948
Date de la décision : 29/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-29;20.00948 ?
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