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28/09/2022 | FRANCE | N°20/00579

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 28 septembre 2022, 20/00579


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/00579

N° Portalis DBV3-V-B7E-TY2Y



AFFAIRE :



SAS GORON



C/



[E] [M]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de RAMBOUILLET

Section : AD

N° RG : F19/00022



Copies

exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me François TEYTAUD



Me Charlotte CHEVALLIER







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00579

N° Portalis DBV3-V-B7E-TY2Y

AFFAIRE :

SAS GORON

C/

[E] [M]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 janvier 2020 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de RAMBOUILLET

Section : AD

N° RG : F19/00022

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me François TEYTAUD

Me Charlotte CHEVALLIER

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS GORON

N° SIRET : 542 074 976

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représentant : Me Thomas CUQ de la SELARL AD HOC AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0309 et Me François TEYTAUD de l'AARPI TEYTAUD-SALEH, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J125

APPELANTE

****************

Monsieur [E] [M]

né le 7 janvier 1957 à [Localité 3]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Charlotte CHEVALLIER, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 129

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 31 janvier 2020, le conseil de prud'hommes de Rambouillet (section activités diverses) a :

- dit que le licenciement pour faute grave de M. [E] [M] est en fait dépourvu de cause réelle et sérieuse,

- fixé son salaire de référence à la somme de 2 261,17 euros,

- condamné la société Goron à verser à M. [M] les sommes suivantes :

. 31 656 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 522,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 452,23 euros au titre des congés payés afférents,

. 11 554,57 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. l 101,34 euros à titre de rappel de salaire de la mise à pied conservatoire,

. 110,13 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 652,92 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de bénéfice de l'indemnité de départ en retraite,

. l 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- ordonné à la société Goron de remettre à M. [M] l'ensemble de ses documents sociaux (attestation Pôle emploi et bulletins de paie) conformes au jugement et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard pour l'ensemble desdits documents à compter du l5ème jour après réception de la notification. Le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

- ordonné l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté la société Goron de sa demande reconventionnelle d'article 700 du code procédure civile,

- débouté M. [M] du surplus de ses demandes,

- condamné la société Goron aux entiers dépens y compris les frais éventuels d'exécution du jugement à intervenir.

Par déclaration adressée au greffe le 26 février 2020, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 29 mars 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 19 janvier 2021, la société Goron demande à la cour de':

- la dire recevable et bien fondée en son appel,

à titre principal,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré que le licenciement de M. [M] était dénué de cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- dire que licenciement pour faute grave de M. [M] est fondé,

- débouter M. [M] de l'ensemble de ses demandes, en ce compris celles formées au titre de son appel incident,

à titre subsidiaire,

si par extraordinaire, la Cour devait considérer que le licenciement de M. [M] ne repose pas sur une faute grave,

- dire que le licenciement de M. [M] repose sur une cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à M. [M] les sommes suivantes :

. 4 522,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 452,23 euros à titre de congés payés y afférents,

. 11 554,57 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- débouter M. [M] du surplus de ses demandes, en ce compris celles formées au titre de son appel incident,

reconventionnellement,

- condamner M. [M] à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [M] aux entiers dépens dont distraction au profit de Me François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe le 23 décembre 2020, M. [M] demande à la cour de':

- le recevoir en ses demandes et l'y déclarer bien fondé,

- confirmer le jugement rendu par le conseil de prud'hommes le 31 janvier 2020, en ce qu'il a:

. dit que le licenciement pour faute grave est en fait dépourvu de cause réelle et sérieuse,

. fixé son salaire de référence à la somme de 2 261,17 euros

. condamné la société Goron à lui verser les sommes suivantes :

. 31 656 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 522,34 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

. 452,23 euros au titre des congés payés afférents,

. 11 554,57 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. l 101,34 euros à titre de rappel de salaire de la mise à pied conservatoire,

. 110,13 euros au titre des congés payés afférents,

. 5 652,92 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de bénéfice de l'indemnité de départ en retraite,

. l 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

. ordonné à la société Goron de lui remettre l'ensemble de ses documents sociaux (attestation Pôle emploi et bulletins de paie) conformes au présent jugement et ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard pour l'ensemble desdits documents à compter du l5ème jour après réception de la notification,

. le conseil se réservant le droit de liquider l'astreinte,

. ordonné l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

. débouté la société Goron de sa demande reconventionnelle d'article 700 du code procédure civile,

. condamné la société Goron aux entiers dépens y compris les frais éventuels d'exécution du présent jugement à intervenir,

- infirmer le jugement pour le surplus et sur le quantum,

et statuant à nouveau,

- condamner la société Goron à lui verser une indemnité non plafonnée pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 54 268 euros

- condamner la société Goron à lui verser la somme de 1 043,84 euros au titre du solde des congés payés restant dû,

- condamner la société Goron à lui verser la somme de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner la capitalisation des intérêts.

LA COUR,

La société Goron a pour activité principale la surveillance et le gardiennage pour assurer la sécurité des biens et des personnes.

M. [E] [M] a été engagé par la société Group 4 Falck, en qualité d'agent de sécurité incendie, par contrat à durée indéterminée, à compter du 8 décembre 2000.

Le contrat de travail de M. [M] a été transféré le 15 février 2005 à la société Goron.

Au dernier état de son contrat de travail, M. [M] occupait le poste de chef d'équipe du service incendie en qualité d'agent de maîtrise.

Il était affecté sur le site TOTAL dans l'immeuble dit Spazio à Nanterre d'une surface de 36500m² répartie sur six étages.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité.

M. [M] percevait une rémunération brute mensuelle de 2 261,17 euros.

L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Le 9 mars 2016, la société Goron a notifié à M. [M] une mise à pied disciplinaire d'une journée pour avoir quitté le 18 janvier 2016 le poste de sécurité sans attacher les clés du site à sa ceinture de sorte qu'il n'a pas pu rejoindre le poste de sécurité à son retour ni accéder au système de sécurité incendie et aux alarmes.

Le 9 mai 2016, M. [M] a été sanctionné d'une nouvelle mise à pied de trois jours pour le même motif, l'employeur rappelant également au salarié qu'il devait adopter une véritable hygiène corporelle puisqu'il était en mesure d'assurer les premiers secours aux personnes.

Le 24 mai 2017, la société Goron a notifié à M. [M] une autre mise à pied de deux journées pour avoir refusé le 14 février 2017 d'ouvrir le parking à un salarié statutaire de Total afin qu'il puisse réaliser un exercice de sécurité dans la cellule de crise et pour avoir exercé son activité professionnelle sans respecter une véritable hygiène corporelle impliquant entre autre que ses ongles soient taillés et propres.

Le 10 août 2018, M. [M] a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire.

Par lettre du 10 août 2018, M. [M] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 22 août 2018.

M. [M] a été licencié par lettre du 28 août 2018 pour faute grave dans les termes suivants:

«'Monsieur,

Lors de votre vacation du 06 Août 2018, sur le site «'TOTAL SPAZIO'» en qualité d'Agent de Sécurité Incendie Chef de Poste, vous n'avez pas prévenu ni votre responsable, ni notre client, de la survenance de l'incendie d'un entrepôt de 4000 m2 situé à proximité du site (uniquement séparé par quelques dizaines de mètres).

L'incendie s'est déclaré à 23H45 lors de votre ronde. Vous avez alors, selon vos dires, constaté l'incendie et son ampleur et n'avez pas jugé opportun de rapporter 1'incident à la télésurveillance. Vous avez continué votre vacation comme si de rien n'était.

Ce manquement aurait pu avoir de graves répercussions sur le site «'TOTAL SPAZIO » notamment concernant 1e traitement de 1'air dans les locaux. En effet, le violent incendie a dégagé d'importantes fumées se déployant également vers le site SPAZIO.

Il s'agit là d'un manquement grave aux consignes spécifiques du site ! Il s'agit également d'un manquement à l'essence même de la profession de chef de poste en sécurité incendie puisque vous auriez dû être en capacité d'évaluer ce danger proche et imminent.

De plus, le 29 Juillet 2018, vous vous êtes enfermé dehors pendant plus d'une heure après avoir oublié les clés à l'intérieur du site. Votre attitude dilettante ne vous a pas permis d'accéder au SS1 et répondre au téléphone.

Il a fallu attendre la venue d'un contrôleur pour pallier à cette grave étourderie.

Ce dernier a donc été contraint d'interrompre sa tournée de site pour vous ouvrir en urgence.

Par vos manquements, vous avez laissé courir un risque gravissime pour la sécurité du site. En effet, durant votre absence, une alarme aurait pu se déclencher sans que vous ne puissiez intervenir.

Manifestement, l'ensemble de ces griefs démontrent que vous n'exercez pas sérieusement les missions de sécurité qui vous ont été confirmées. Nous ne pouvons tolérer plus longtemps ce comportement.

Par courrier recommandé du 10 Août 2018, nous vous avons notifié votre mise à pied à titre conservatoire et nous vous avons convoqué pour le 22 Août 2018 un entretien préalable à un éventuel licenciement afin d'entendre vos explications sur les faits qui vous étaient reprochés. Vous avez reconnu les griefs tout en estimant ne rien avoir à vous reprocher.

Par ailleurs, il ne s'agit pas là de vos premiers manquements. En effet, nous vous avions déjà notifié une mise à pied disciplinaire le 09 Mai 2016 pour des griefs similaires et le 24 mai 2017. Dans cette dernière sanction, nous vous précisions alors qu'i1 s'agissait de votre dernière chance. Manifestement, vous n'avez pas su la saisir et n'avez pas tenu compte de ces précédents rappels à l'ordre puisque vous avez persisté dans votre comportement.

En raison des faits décrits ci-dessus, votre attitude rendant, impossible le maintien de votre contrat de travail, nous vous notifions par la présente votre licenciement en faute grave.

Le licenciement prend donc effet immédiatement et votre solde de tout compte est arrêté ce jour, sans indemnité de licenciement ni de préavis.'»

Le 8 février 2019, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Rambouillet aux fins d'obtenir la requalification de son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Sur le rappel de solde de congés payés :

Le salarié indique qu'il reste un manque à gagner de 1 043,84 euros et qu'il a adressé à l'employeur deux lettres à ce sujet pour lui faire part des erreurs constatées sur le solde de tout compte au titre des congés payés.

L'employeur sollicite que la décision des premiers juges soit confirmée à ce titre.

. Sur les repos compensateurs de nuit

Le salarié réclame le paiement total de 100,99 heures de repos compensateurs de nuit figurant sur son bulletin de paie de juillet 2018 alors que le solde de tout compte n'en mentionne que 43h08 heures.

Toutefois, au soutien de sa demande tendant à voir dire les heures effectuées avant le mois de janvier 2015 non prescrites comme l'a retenu le premier juge le salarié ne soumet à la cour aucun moyen de fait ou de droit.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

. Sur les congés supplémentaires résultant de l'ancienneté

Le salarié réclame le paiement de 4 jours de congés payés en raison de son ancienneté supérieure à 12 ans, l'employeur ayant omis de le lui verser dans le solde de tout compte.

L'article 6 de l'annexe V de la convention collective relative aux agents de maîtrise prévoit l'attribution de 4 jours de congés supplémentaires après 12 ans d'ancienneté.

Le bulletin de paye du mois de juillet 2018 permet de constater que le salarié a acquis 34 jours de congés payés soit 30 jours de congés annuels et les 4 jours d'ancienneté auxquels il peut prétendre, jours qui ont été payés.

La demande sera donc rejetée à ce titre.

. Sur la base de calcul des congés payés

Le salarié retient une base de calcul différente pour le paiement des 34 jours, soit 87,4 euros par jour et pour le paiement de 6 jours complémentaires, soit 84,3 par jour qui apparaissent sur le bulletin de paye du mois d'août 2018 établi après la rupture, la différence portant sur la somme de 18,68 euros si le calcul est réalisé sur la base de 87,4.

L'employeur rappelle que le calcul des congés payés a été réalisé d'après la règle du ' dixième' de la rémunération totale perçue par le salarié sur l'exercice précédent, ce qu'ont également retenu les premiers juges.

Au cas présent, le calcul des congés payés respecte les dispositions applicables en la matière et le salarié sera également débouté de cette demande.

En définitive, confirmant le jugement, il ne sera pas fait droit à la demande de rappel du salarié au titre des congés payés restant dû à hauteur de 1 043,84 euros.

Sur la rupture :

Le salarié fait valoir qu'il ne conteste pas ne pas avoir averti la société Total de l'incendie survenu à proximité de l'immeuble puisqu'il a obtenu des pompiers l'information de l'absence de toute répercussion, donc risque, sur un quelconque site voisin, la société Goron ne versant d'ailleurs pas au dossier le rapport de sécurité d'incendie établi par les pompiers de [Localité 5] pour démontrer l'absence de tout risque sur le site Spazio.

Le salarié ajoute qu'il ' ne s'est pas enfermé dehors pendant plus d'une heure après avoir oublié les clés à l'intérieur du site' le 29 juillet 2018 car il a prévenu dès sa sortie du local de ce que les clés étaient restées à l'intérieur et qu'il avait le téléphone avec lui permettant la retransmission directe des alarmes et l'accès aux systèmes de sécurité incendie, ce qui n'a donc eu aucun impact sur les risques éventuels encourus.

Le salarié affirme que le licenciement pour faute grave est une sanction totalement disproportionnée par rapport aux faits reprochés.

L'employeur réplique que la relation contractuelle a été émaillée par de nombreux manquements fautifs commis par le salarié et qu'il s'est de nouveau illustré le 29 juillet 2018 et le 6 août 2018 par sa désinvolture et son manque de professionnalisme.

Il expose que le salarié n'a pas prévenu le client de la survenance d'un incendie juste à côté de l'immeuble, n'a pas prévenu son responsable hiérarchique et n'a pas renseigné la main courante de la télésurveillance, ne relayant aucune information permettant si besoin de prendre des mesures rendues nécessaires par l'incendie en raison d'un danger potentiel.

Il ajoute que le salarié a également oublié ses clés à l'intérieur des locaux et n'aurait pas pu intervenir en cas de déclenchement d'une alarme qu'il ne pouvait pas géolocaliser avec son seul téléphone portable.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

L'annonce de recrutement de la société Goron d'un chef d'équipe sécurité incendie en vacations de 12 heures de nuit décrit le poste occupé par M. [M] comme suivant : le salarié encadre une équipe d'agents de sécurité, assure la gestion du PC sécurité, des différents systèmes d'alarmes et des éventuelles interventions, tenant à jour la main courante électronique et les différents registres de sécurité.

Le salarié conteste cette description de son poste.

Toutefois, il n'est pas discuté qu'il était devenu chef d'équipe du service incendie et travaillait depuis plus de neuf années sur le site de Total Spazio, il avait donc une connaissance parfaite des consignes de sécurité et de ses responsabilités, plus importantes que celles d'un agent de sécurité.

S'agissant des faits du 6 août 2018, un incendie, qualifié d'impressionnant et visible à plusieurs kilomètres à la ronde par le journal Le Parisien, a ravagé un magasin de matériaux de 3 600 m² situé dans le quartier du [Adresse 4] avec menace de se propager aux bâtiments mitoyens.

L'incendie est survenu à moins de 100 mètres du site de Total Spazio et la brigade des Pompiers de [Localité 5] a mis en ligne un article évoquant la destruction de l'entrepôt totalement embrasé pendant plusieurs heures et d'importants moyens pour venir à bout du sinistre.

Il est avéré que le salarié a quitté le site dont il assurait la surveillance pour se rendre auprès des pompiers, sans prévenir quiconque de sa sortie des lieux, notamment la télésurveillance, ni en faire mention sur le cahier des événements.

Par ailleurs, si le salarié souligne qu'il a pris la mesure de la situation en interrogeant les pompiers d'un éventuel risque de propagation, qu'il a de lui-même exclu, il n'indique pas à quel moment il a été informé de l'absence de toute répercussion alors que l'incendie a perduré pendant six heures et a justifié l'intervention de 60 pompiers.

Le salarié n'a pas été en capacité sur un tel laps de temps d'apprécier de son propre chef l'importance de l'événement et il en a minimisé l'importance, aucun élément ne permettant d'affirmer que l'immeuble de la société Total ne courait aucun risque pendant toute la durée de l'incendie qui s'est produit à très grande proximité du site Total Spazio.

Enfin, l'employeur ne communique pas un rapport des pompiers qui conclut à l'absence de risque mais il n'est pas de leur ressort de remettre à la société Goron, a posteriori, un document sur la probabilité de la contagion de l'incendie aux bâtiments proches lors de la survenance de l'événement.

L'employeur ne pouvait donc pas produire ce document.

Aussi, le grief est établi.

S'agissant des faits du 29 juillet 2018, le salarié a oublié ses clés à l'intérieur du PC de sécurité à 19h50 et a été de retour dans le PC à 20h50, après l'intervention d'une personne sur place comme cela résulte du compte rendu de télésurveillance.

Il est donc établi que le salarié a été en dehors du PC de sécurité une heure et non un court instant comme il l'allègue.

Il est difficile pour le salarié de justifier son étourderie en indiquant qu'il disposait du téléphone lui permettant d'entendre les alarmes alors qu'un poste de contrôle de sécurité doit rester en permanence accessible au personnel de sécurité qui y est affecté et contient des dispositifs qui ne peuvent pas être utilisés avec un simple téléphone.

Ce fait n'est pas isolé et s'était déjà produit à deux reprises, le salarié ayant été déjà sanctionné lourdement par des mises à pied à ce sujet, l'employeur démontrant alors l'importance d'avoir accès en permanence au PC de sécurité.

La réitération des faits n'est donc pas excusable et la matérialité du second grief est tout autant rapporté par l'employeur.

Enfin, dans tous les cas, il ne suffit pas de constater qu'aucun dommage n'a résulté du comportement du salarié, ce dernier devant anticiper tout risque en adoptant une attitude professionnelle exempte de négligence et d'erreurs.

Le salarié n'a donc pas fait preuve du comportement professionnel attendu par l'employeur en ne respectant pas des consignes de base dont il ne pouvait ignorer l'importance en raison du poste à responsabilité qu'il occupait et de sa très grande ancienneté dans sa fonction d'agent de sécurité incendie, 18 années et du temps passé sur les lieux, 9 années, ce qui justifie le licenciement pour motif disciplinaire.

Toutefois, compte tenu de sa très grande ancienneté et de l'absence de toute sanction pendant plus de quinze ans, les manquement professionnels relevés ne rendaient pas impossible le maintien du salarié dans l'entreprise et ne justifiaient pas une rupture immédiate du contrat.

Infirmant le jugement, il convient de dire que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et de rejeter la demande de dommages et intérêts afférente.

Le salarié a donc droit aux indemnités de rupture dont il a été abusivement privé.

Il lui sera donc accordé les sommes de :

. 4 522,34 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents,

. 11 554,37 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 1 101,34 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire outre les congés payés afférents.

Ces sommes n'étant pas contestées en leur montant, le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné l'employeur à les verser au salarié.

Sur la demande de dommages et intérêts pour perte de bénéfice de l'indemnité de départ à la retraite :

Le salarié estime qu'il a perdu une chance de percevoir l'indemnité de départ à la retraite d'un montant de 5 652,92 euros à laquelle il pouvait prétendre alors qu'il ne lui manquait que 16 mois pour partir à la retraite lors de la rupture et percevoir une retraite à taux plein.

L'employeur s'oppose à la demande en indiquant que le salarié ne justifie pas qu'il ne lui restait que 16 mois à accomplir pour percevoir une retraite à taux plein après son licenciement, estimant à 43 mois le nombre de mois restant encore au salarié à travailler pour ce faire et il ajoute que rien ne permet d'affirmer que pendant cette période, il aurait continué à travailler pour la société Goron.

La perte de chance de percevoir une retraite complète par le salarié faute d'avoir terminé sa vie professionnelle au sein de la société Goron résulte de ses manquements professionnels qui ont conduit à la rupture anticipée du contrat.

En outre, la lettre de Humanis, l'organisme de retraite complémentaire, communiquée par le salarié sans aucune explication, n'indique pas explicitement qu'il percevra une retraite à taux plein le 1er avril 2019, comme l'affirme le salarié, ou le 31 mars 2022, comme le soutient l'employeur.

Aussi, faute de connaître la date exacte de départ à la retraite avec une pension à taux plein, le salarié ne communique pas les éléments suffisants pour estimer la perte de chance alléguée.

Infirmant le jugement de ce chef, il convient de débouter M. [M] de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la remise des documents:

Il conviendra d'enjoindre à la société Goron de remettre à M. [M] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision sans qu'il soit nécessaire de l'assortir d'une astreinte, infirmant le jugement à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens:

Succombant principalement, la société Goron sera condamnée aux dépens.

Il conviendra, confirmant le jugement, de condamner la société Goron à payer à M. [M] une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais de première instance.

L'équité commande de laisser à la charge de chaque partie ses frais irrépétibles en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS:

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

DIT le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse,

DÉBOUTE M. [E] [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

REJETTE la demande de dommages et intérêts pour perte de bénéfice de l'indemnité de depart à la retraite,

ORDONNE la remise des documents sans qu'il y ait lieu à astreinte,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

DÉBOUTE les parties de leur demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel

CONDAMNE la SA Goron aux entiers dépens.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00579
Date de la décision : 28/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-28;20.00579 ?
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