La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/09/2022 | FRANCE | N°19/04338

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 22 septembre 2022, 19/04338


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 SEPTEMBRE 2022



N° RG 19/04338

N° Portalis DBV3-V-B7D-TTKS



AFFAIRE :



[P] [L]



C/



SAS MANPOWER FRANCE



Société OTIS











Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 06 Novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre

:

N° Section : I

N° RG : 19/00067













Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Damien BUSQUET



Me Florence FARABET ROUVIER



Me Cyrille FRANCO



le :







Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi

le :





RÉPU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 SEPTEMBRE 2022

N° RG 19/04338

N° Portalis DBV3-V-B7D-TTKS

AFFAIRE :

[P] [L]

C/

SAS MANPOWER FRANCE

Société OTIS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 06 Novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

N° Chambre :

N° Section : I

N° RG : 19/00067

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Damien BUSQUET

Me Florence FARABET ROUVIER

Me Cyrille FRANCO

le :

Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 07 juillet 2022, puis prorogé au 22 septembre 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [P] [L]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par : Me Damien BUSQUET, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0067

APPELANT

****************

SAS MANPOWER FRANCE

N° SIRET : 429 955 297

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]

Représentée par : Me Florence FARABET ROUVIER de la SELARL AUMONT FARABET ROUVIER AVOCATS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0628

Société OTIS

N° SIRET : 542 107 800

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Cyrille FRANCO de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 substitué par Me TURET Marie-Sophie, avocate au barreau de PARIS.

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 mai 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Présidente,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseillère,

Greffière lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Greffière placée lors de la mise à disposition : Mme VirginieBARCZUK

RAPPEL DES FAITS CONSTANTS

La SCS OTIS, dont le siège social est situé à [Localité 7] dans les [Localité 4], est spécialisée dans la fabrication, l'installation, la maintenance et la réparation d'ascenseurs et de portes automatiques. Elle emploie plus de dix salariés.

La SAS Manpower France, dont le siège social est situé à [Localité 6] dans les [Localité 4], est une société de travail intérimaire.

M. [P] [L] a été mis à disposition de la société OTIS, entreprise utilisatrice, par la société Manpower, entreprise d'intérim, en qualité d'opérateur de centre d'appels, au titre de différentes missions, sur une période s'étendant du 20 avril 2010 au 25 mars 2018.

Par requête reçue au greffe le 21 mars 2019, M. [L] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil aux fins de voir requalifier la relation de travail le liant aux sociétés OTIS et Manpower France en contrat de travail à durée indéterminée (CDI) et de les voir condamner solidairement à lui verser diverses sommes salariales et indemnitaires.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 06 novembre 2019, la section industrie du conseil de prud'hommes d'Argenteuil a :

- dit que l'action de M. [L] portant sur la rupture du contrat de travail n'était pas prescrite et que ses demandes à ce titre étaient recevables,

- débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté la SAS Manpower France et la SCS OTIS de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- fixé la moyenne des salaires à 2 376,33 euros bruts,

- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.

M. [L] avait demandé au conseil de prud'hommes :

- requalifier sa relation de travail avec la société OTIS en CDI,

- condamner en conséquence solidairement les sociétés OTIS et Manpower France à lui payer les sommes suivantes :

. indemnité pour non-respect de la procédure de licenciement (1 mois) : 2 376,33 euros,

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois) : 19 010,64 euros,

. indemnité légale de licenciement : 4 752,66 euros,

. indemnité de requalification : 2 376,33 euros,

. indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros,

. dommages-intérêts au titre du préjudice correspondant à la perte de chance de bénéficier des mesures prévues au plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) : 20 000 euros,

. maintien du salaire durant les périodes d'inter-contrat : 20 000 euros,

. indemnité de congés payés sur rappel de salaire : 2 000 euros,

. indemnité de préavis (2 mois) : 4 752,66 euros,

. indemnité de congés payés sur préavis : 475,26 euros,

. rappel de prime de participation et prime d'intéressement : 10 000 euros,

. rappel de salaire pour travail le dimanche et le week-end : 5 000 euros,

. indemnités de congés payés sur rappel de salaire : 500 euros,

- attestation Pôle emploi sous astreinte journalière de 100 euros,

- certificat de travail sous astreinte journalière de 100 euros,

- bulletins de paie sous astreinte journalière de 100 euros,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- article 700 du code de procédure civile : 3 000 euros,

- exécution provisoire,

- dire que les condamnations à des sommes ayant la nature de salaires seront majorées de l'intérêt légal à compter du 21 mars 2019, date de la saisine, avec capitalisation annuelle des intérêts,

- dire que les condamnations à caractère indemnitaire seront majorées de l'intérêt légal à compter de la notification de la décision à intervenir.

La société OTIS avait conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Manpower France avait également conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

M. [L] a interjeté appel du jugement par déclaration du 05 décembre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/04338.

Prétentions de M. [L], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 30 septembre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [L] conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel, statuant de nouveau, de :

à titre principal,

- requalifier la relation de travail le liant à la société OTIS en CDI,

- condamner en conséquence in solidum les sociétés OTIS et Manpower France à lui payer les sommes suivantes :

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois) : 19 010,64 euros,

. indemnité légale de licenciement : 4 752,66 euros,

. indemnité de requalification : 2 376,33 euros,

. indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros,

. dommages-intérêts au titre du préjudice correspondant à la perte de chance de bénéficier des mesures prévues au PSE : 20 000 euros,

. maintien du salaire durant les périodes d'inter-contrat : 41 371,49 euros,

. indemnités de congés payés sur rappel de salaire : 4 137,14 euros,

. indemnité de préavis (2 mois) : 4 752,66 euros,

. indemnité de congés payés sur préavis : 475,26 euros,

. rappel de prime d'intéressement : 15 779,79 euros,

. rappel de salaire pour travail le dimanche : 1 294,72 euros et 129,47 euros au titre des congés payés,

. indemnités de congés payés sur rappel de salaire : 500 euros,

. remise des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant le pouvoir de liquider ladite astreinte,

à titre subsidiaire,

- requalifier sa relation de travail avec la société Manpower France en CDI du fait de l'absence de contrats de mission écrits,

- en conséquence, condamner la société Manpower France à lui payer les sommes suivantes :

. indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois) : 19 010,64 euros,

. indemnité légale de licenciement : 4 752,66 euros,

. indemnité de requalification : 2 376,33 euros,

. indemnisation pour exécution déloyale du contrat de travail : 10 000 euros,

. maintien du salaire durant les périodes d'inter-contrat : 41 371,49 euros,

. indemnité de congés payés sur rappel de salaires : 4 137,14 euros,

. indemnité de préavis (2 mois) : 4 752,66 euros,

. indemnité de congés payés sur préavis : 475,26 euros.

L'appelant sollicite en outre à l'égard de la société Manpower France les intérêts de retard au taux légal à compter du 21 mars 2019, leur capitalisation, la remise des bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation destinée à Pôle emploi conformes sous astreinte de 100 euros par jour de retard et par document à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, la cour se réservant le pouvoir de liquider ladite astreinte et une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Prétentions de la société OTIS, intimée

Par conclusions adressées par voie électronique le 03 juin 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société OTIS demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement entrepris,

- dire et juger qu'il n'y a pas lieu de procéder à la requalification des missions de travail temporaire de M. [L] à son égard,

- débouter en conséquence M. [L] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [L] à la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [L] aux entiers dépens de l'instance.

Prétentions de la société Manpower France, intimée

Par conclusions adressées par voie électronique le 9 juillet 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Manpower France demande à la cour d'appel de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [L] de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre,

- condamner M. [L] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- réformer le jugement en ce qu'il a fixé le salaire de M. [L] à la somme de 2 376,33 euros,

en tout état de cause,

- dire et juger que l'entreprise de travail temporaire n'est pas visée par les dispositions des articles L. 1251-40 et L. 1251-41 du code du travail relatifs à la requalification,

- dire et juger qu'aucune disposition légale ne prévoit la requalification du contrat de travail temporaire à l'encontre de l'entreprise de travail temporaire,

- dire et juger que la seule sanction applicable à l'entreprise de travail temporaire est prévue par l'article L. 1251-40 du code du travail, relative à la violation démontrée, du défaut de transmission des contrats dans les délais et qui ne peut être supérieure à un mois de salaire brut du salarié,

- dire et juger que la législation spécifique au travail temporaire ne prévoit pas la requalification du contrat de travail temporaire en cas de manquement aux dispositions des articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail,

- dire et juger que M. [L] ne rapporte pas la preuve des préjudices qu'il revendique et qu'il ne verse aucun élément de preuve relatif au préjudice qu'il prétend avoir subi,

- dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement à ses obligations légales,

- débouter M. [L] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions relatives tant à la requalification de contrat de travail temporaire en CDI qu'aux conséquences financières qui en découlent.

Par ordonnance rendue le 20 avril 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 19 mai 2022.

À l'issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu'elles ont décliné.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Aux termes de ses conclusions, M. [L] demande, à titre principal, la requalification de la relation contractuelle le liant à la société OTIS en un CDI sur deux fondements, le recours au travail temporaire pour pourvoir un emploi permanent de l'entreprise et l'absence de contrat de mise à disposition, et, à titre subsidiaire, la requalification de sa relation de travail avec la société Manpower France en CDI, du fait de l'absence de contrats de mission écrits. Il sollicite également la condamnation in solidum de la société utilisatrice avec la société de travail temporaire, faisant état une collusion frauduleuse entre elles.

Il convient d'examiner en premier lieu la demande de requalification de la relation contractuelle à l'égard de l'entreprise utilisatrice, en deuxième lieu la demande de condamnation in solidum des deux sociétés et en troisième lieu, le cas échéant, la demande subsidiaire à l'égard de la société de travail temporaire.

Sur la requalification de la relation contractuelle à l'égard de la société utilisatrice

A l'appui de sa demande de requalification de la relation contractuelle le liant à la société OTIS, M. [L] invoque d'abord le non-respect de la condition de fond tenant au recours au travail temporaire pour pourvoir un emploi permanent de l'entreprise.

L'article L. 1251-5 du même code dispose : « Le contrat de mission, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice ».

L'article L. 1251-40, alinéa 1er, du code du travail dispose : « Lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié d'une entreprise de travail temporaire en méconnaissance des dispositions des articles L. 1251-5 à L. 1251-7, L. 1251-10, L. 1251-11, L. 1251-12-1, L. 1251-30 et L. 1251-35-1, et des stipulations des conventions ou des accords de branche conclus en application des articles L. 1251-12 et L. 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée prenant effet au premier jour de sa mission. »

M. [L] justifie, par la production de ses bulletins de paie, avoir travaillé pour la société OTIS en qualité de salarié intérimaire occupant toujours le même poste, pendant 18 mois, du 20 avril 2010 au 18 octobre 2011, pendant 18 mois, du 10 septembre 2013 au 10 mars 2015, pendant 16 mois, du 21 décembre 2015 au 21 avril 2017 et pendant 3 mois, du 02 janvier 2018 au 25 mars 2018.

La relation contractuelle s'est ainsi étendue sur une période de 7 ans et 11 mois, du 20 avril 2010 au 25 mars 2018.

Il est expliqué que la société OTIS est un ascensoriste qui offre à ses clients, après la livraison de l'ascenseur, un service client sous le forme d'un centre d'appel ayant vocation à répondre aux appels téléphoniques des usagers de l'ascenseur signalant des pannes, que le centre d'appel OTIS reçoit l'ensemble de ces appels et enregistre les pannes sur un logiciel qui fait l'interface avec les réparateurs, que le centre d'appel « Otis Line » se situe à [Localité 3] pour l'ensemble de la France et occupe entre 15 et 25 téléopérateurs par tranche horaire en journée, soit une cinquantaine de téléopérateurs par 24 heures.

M. [L] indique, sans être démenti sur ce point, que la société OTIS a recours à trois types de travailleurs, à savoir ses propres téléopérateurs, un prestataire sous-traitant dénommé Bosch et des intérimaires.

Il est cependant établi un recours aux travailleurs intérimaires, en nombre important, de façon continue et structurelle, qui n'est justifié ni par des impératifs d'accroissement temporaire d'activité, non invoqués par la société OTIS, ni par la nécessité de remplacement de salariés absents.

M. [L] prétend en effet que, depuis plus de dix ans, la société OTIS refuse de recruter des salariés pour pourvoir les emplois nécessaires à son activité de centre d'appel. Il prétend que la politique RH consiste, pour des raisons strictement budgétaires, à externaliser les ressources nécessaires à cette activité, soit en confiant un volume d'appels à une société prestataire, soit en ayant recours massivement à l'intérim sous couvert de l'absence de certains salariés, qui apparaît ici un cas de recours artificiel.

Il produit un extrait d'un procès-verbal du CE d'avril 2015, en ce sens (sa pièce 6-1). il verse encore aux débats pour la période 2014/2018, des graphiques, des tableaux récapitulatifs, des extraits des PV du CE et des questions des délégués du personnel qui mettent en évidence le recours excessif aux travailleurs intérimaires et l'inquiétude induite des représentants du personnel.

Les graphiques communiqués aux élus du personnel en 2016 et 2017 indiquent également que le centre d'appels qui compte moins de 50 salariés, emploie en permanence une quinzaine d'intérimaires (pièce 3-23 du salarié). De façon générale, il est justifié que les intérimaires représentaient environ un tiers de l'effectif.

Il est justifié qu'en 2015, l'employeur a répondu aux élus du personnel qui l'interrogent sur le recours jugé excessif à l'intérim en ces termes : « nous avons 12 intérimaires chez OTIS Line (') Nous continuerons de travailler avec ces intérimaires jusqu'à ce que l'application du projet de réorganisation commence » laissant supposer que l'employeur a recours à l'intérim comme une solution de facilité avant de mettre en place une réorganisation (pièce 4 bis du salarié).

Il est encore justifié que les élus du personnel se sont plaints du recours massif aux intérimaires alors que la société OTIS a subi un PSE en juillet 2015 (pièce 4-17 du salarié).

Il est également produit un échange entre les élus du personnel et le représentant de l'employeur intervenu en novembre 2017, en ces termes :

« Les élus CGT : allez-vous proposer les 8 postes permanents à OTIS Line actuellement occupés par des intérimaires '

M. [N] : il faudrait des créations de postes pour pouvoir les proposer. » (pièce 4-21 du salarié).

Il se déduit de cet échange que le représentant de l'employeur ne dément pas le représentant du personnel quand ce dernier présente les postes d'intérimaires comme des postes permanents, confirmant cette situation, et qu'il indique que ces postes ne sont pas rendus pérennes parce que la Direction en refuse le principe.

Au regard de l'ensemble de ces éléments concordants, il est établi que le recours au travail intérimaire était un mode habituel de gestion du personnel, qu'il avait pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise.

Compte tenu de la durée et du nombre des missions qui lui ont été attribuées, d'un emploi toujours strictement identique, de la régularité et du volume de travail qui lui était fourni dans le cadre de chaque mission et de la surreprésentation des salariés intérimaires, il sera retenu que l'emploi de M. [L] avait pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice.

Il y a dès lors lieu à requalification de la relation contractuelle à l'égard de la société OTIS, sans examen du deuxième argument aboutissant au même résultat.

Sur la condamnation in solidum de la société utilisatrice et de la société d'intérim

M. [L] fonde cette demande sur l'existence d'une collusion frauduleuse entre la société utilisatrice et la société de travail intérimaire, sans toutefois démontrer l'existence d'une telle collusion entre la société OTIS et la société Manpower France, cette collusion ne pouvant se déduire de la seule collaboration entre les deux entreprises ayant conduit à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, mais supposant que soit en outre démontrée une intention frauduleuse, ce que n'établit pas le salarié en l'espèce.

Il sera dès lors débouté de cette demande.

Il n'y a pas lieu d'examiner les demandes formulées, à titre subsidiaire, à l'encontre de la société de travail temporaire.

Sur l'indemnisation du salarié

Conséquence de la requalification de la relation contractuelle, M. [L] est en droit de prétendre à différentes indemnités, tant au titre de l'exécution du contrat de travail que de sa rupture intervenue sans respect de la procédure de licenciement.

Son ancienneté remonte au jour de la première mission, le 20 avril 2010, jusqu'au dernier jour travaillé, le 25 mars 2018, augmenté du préavis, soit 8 ans et 1 mois et son salaire de référence sera fixé à 2 376,33 euros, correspondant au salaire du mois de janvier 2018.

Concernant l'exécution du contrat de travail

Indemnité de requalification : conformément aux dispositions de l'article L. 1251-41 du code du travail, M. [L] a le droit à une indemnité de requalification de 2 376,33 euros correspondant à un mois de salaire.

Maintien du salaire pendant les périodes interstitielles  :

S'agissant de la prescription de la demande

La société OTIS soulève ici la prescription des demandes antérieures au 21 mars 2016, soit trois ans avant la saisine du conseil de prud'hommes intervenue le 21 mars 2019.

L'article L. 3245-1 du code du travail dispose : « L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat. ».

M. [L] a eu connaissance des faits lui permettant d'exercer l'action en paiement des salaires au jour de la rupture des relations contractuelles, soit le 25 mars 2018, ce qui l'autorise à réclamer paiement des salaires des périodes interstitielles, depuis le 25 mars 2015 jusqu'au 25 mars 2018.

Sa demande se limitant à cette période, il convient donc de rejeter le moyen tiré de la prescription de l'action, par confirmation du jugement entrepris sur ce point.

S'agissant du bien-fondé de la demande

M. [L] verse aux débats ses attestations de paiement Pôle emploi ainsi que ses avis d'imposition (ses pièces 10 et 11), dont le rapprochement permet de retenir qu'il n'a travaillé pour aucun autre employeur durant la période considérée. Il prétend, sans être démenti par ses contradicteurs, qu'il était prévenu de son embauche au dernier moment, souvent le premier jour du début de la mission, de sorte qu'il s'est tenu à la disposition permanente de la société OTIS.

Le salarié a connu deux périodes interstitielles sur la période non prescrite, à savoir :

- du 25 mars 2015 au 20 décembre 2015, soit pendant 8 mois et 25 jours, sur la base d'un salaire mensuel moyen de la période de travail précédente de 2 325,90 euros, ce qui donne un rappel de salaire de 20 545,45 euros outre les congés payés afférents,

- du 22 avril 2017 au 1er janvier 2018, soit 8 mois et 8 jours (après déduction d'une journée de travail le 09 décembre 2017), sur la base d'un salaire mensuel moyen de la période de travail précédente de 2 519,28 euros, ce qui donne un rappel de salaire de 20 826,04 euros outre les congés payés afférents, soit un rappel de salaires total de 41 371,49 euros outre les congés payés afférents.

Exécution déloyale du contrat de travail : M. [L] réclame l'allocation d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, faisant valoir que la société OTIS a abusé de l'usage du contrat d'intérim en le laissant dans l'incertitude et dans la précarité durant les périodes d'inter-contrat.

Ce faisant, il ne démontre pas avoir subi un préjudice qui ne soit déjà indemnisé par la condamnation de la société OTIS aux titres de la requalification et des périodes interstitielles.

Il sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Au titre de l'épargne salariale : M. [L] fait valoir que, du fait de la requalification, il était éligible au dispositif d'épargne salariale de la société OTIS. Il demande à la société OTIS de produire les documents lui permettant de chiffrer sa demande et à défaut, sur la base d'un relevé de versement au profit d'un salarié selon lui de même catégorie qu'il a pu se procurer pour les années 2017 et 2018 (sa pièce 14), il sollicite la somme de 15 779,79 euros pour la période allant de 2012 à juin 2018.

La société OTIS s'oppose à la demande, faisant valoir que M. [L] n'a jamais été son salarié, qu'il n'a donc pas à bénéficier de l'épargne salariale tandis que la société Manpower France souligne qu'il a perçu la participation et l'intéressement de la société de travail temporaire.

M. [L] est toutefois bien fondé à obtenir de la société OTIS le versement des sommes auxquelles il aurait pu prétendre en application du CDI au sein de cette entreprise, sans que puissent lui être opposés les éventuels versements reçus de la part de l'entreprise de travail temporaire.

Faute pour la société OTIS de produire des éléments permettant de déterminer le montant de l'épargne salariale à laquelle peut prétendre le salarié, alors qu'elle y était invitée, il sera fait droit à la demande de M. [L] sur la base du document présenté, à hauteur de 15 779,79 euros.

Au titre de la majoration du travail le dimanche : M. [L] justifie, au travers de questions posées par les délégués du personnel en avril 2017 (sa pièce 16) que les salariés engagés par OTIS en CDI travaillent dans le cadre de cycles horaires qui englobent a minima un dimanche travaillé par mois et que ce travail le dimanche leur ouvre droit au paiement d'une prime, également versée aux intérimaires, mais également au paiement du salaire à 200 % en cas de travail de plus d'un dimanche par mois, dispositif auquel les intérimaires ne sont pas éligibles.

Du fait de la requalification, il est légitime à réclamer le bénéfice de cette majoration, à hauteur de 1 294,72 euros outre les congés payés afférents, selon le tableau qu'il a établi (sa pièce 16-3).

Au titre de la perte de chance de bénéficier des mesures d'un PSE  : M. [L] prétend avoir subi un préjudice distinct constitué par la perte d'une chance de bénéficier des mesures d'un PSE et réclame à ce titre 20 000 euros de dommages-intérêts.

Faute toutefois de rapporter la preuve d'avoir été susceptible d'être concerné par le PSE invoqué, il sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.

Concernant la rupture du contrat de travail

Indemnité compensatrice de préavis  : M. [L] peut prétendre à ce titre, en application des dispositions de l'article L. 1234-1 du code du travail, à la somme de 4 752,66 euros correspondant à deux mois de salaire pour une ancienneté supérieure à deux ans, outre les congés payés afférents.

Indemnité légale de licenciement : elle s'élève à 4 802,16 euros, selon le calcul proposé par le salarié que la cour adopte.

Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : calculée conformément aux dispositions de l'article L. 1235-1 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, qui prévoit, pour un salarié justifiant d'une ancienneté de 8 ans, une indemnité minimale de 3 mois de salaire brut et une indemnité maximale de 8 mois, et retenue au regard des circonstances de la cause, à hauteur de 11 881,65 euros.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le conseil de prud'hommes pour les créances contractuelles et à compter de l'arrêt, qui en fixe le principe et le montant, pour les créances indemnitaires.

En application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Sur la remise des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt

M. [L] est bien fondé à solliciter la remise par la société OTIS d'un certificat de travail, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un bulletin de paie récapitulatif, l'ensemble de ces documents devant être conformes au présent arrêt.

Il n'y a pas lieu, en l'état des informations fournies par les parties, d'assortir cette obligation d'une astreinte comminatoire. Il n'est en effet pas démontré qu'il existe des risques que la société OTIS puisse se soustraire à ses obligations.

Sur les indemnités de chômage versées au salarié

L'article L. 1235-4 du code du travail, dans sa version résultant de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, énonce : « Dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.

Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées. ».

En application de ces dispositions, il y a lieu d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur aux organismes concernés du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de trois mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société OTIS, qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [L] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 4 000 euros.

Les sociétés OTIS et Manpower France seront déboutées de leurs demandes présentées sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire ;

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Argenteuil le 06 novembre 2019, excepté en ce qu'il a débouté M. [P] [L] de ses demandes dirigées à l'encontre de la SAS Manpower France, de sa demande de condamnation solidaire à l'encontre des sociétés OTIS et Manpower France et de ses demandes au titre de l'exécution déloyale du contrat de travail et au titre de la perte de chance de bénéficier d'un PSE à l'encontre de la SCS OTIS, en ce qu'il a débouté la SCS OTIS de son moyen de prescription concernant le rappel de salaires au titre des périodes interstitielles ;

Statuant à nouveau et y ajoutant ;

REQUALIFIE la relation de travail entre M. [P] [L] et la SCS OTIS en contrat de travail à durée indéterminée ;

CONDAMNE la SCS OTIS à payer à M. [P] [L] les sommes suivantes :

- 2 376,33 euros à titre d'indemnité de requalification,

- 41 371,49 euros à titre de rappel de salaires correspondant aux périodes interstitielles,

- 4 137,15 euros au titre des congés payés afférents,

- 15 779,79 euros au titre de l'épargne salariale,

- 1 294,72 euros au titre de la majoration du travail le dimanche,

- 129,47 euros au titre des congés payés afférents,

- 4 752,66 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 475,26 euros au titre des congés payés afférents,

- 4 802,16 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 11 881,65 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la SCS OTIS à payer à M. [P] [L] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de sa convocation devant le conseil de prud'hommes sur les créances contractuelles et à compter de l'arrêt sur les créances indemnitaires ;

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt ;

ORDONNE à la SCS OTIS de remettre à M. [P] [L] un certificat de travail, une attestation destinée à Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt ;

DÉBOUTE M. [L] de sa demande d'astreinte ;

ORDONNE le remboursement par la SCS OTIS aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à M. [L] dans la limite de trois mois d'indemnités ;

DIT qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l'article R. 1235-2 du code du travail ;

CONDAMNE la SCS OTIS à payer à M. [L] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

DÉBOUTE la SCS OTIS et la SAS Manpower France de leurs demandes présentées sur le même fondement ;

CONDAMNE la SCS OTIS au paiement des entiers dépens.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT, Conseillère, en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES, Présidente, légitimement empêchée, et par Madame Virginie BARCZUK, Greffière placée, à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.

LA GREFFIERE placée, P/ LA PRESIDENTE empêchée,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04338
Date de la décision : 22/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-22;19.04338 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award