COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63A
3e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 22 SEPTEMBRE 2022
N° RG 19/00542
N° Portalis DBV3-V-B7D-S5K3
AFFAIRE :
SA LA CLINIQUE [18]...
C/
[X] [D]
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Décembre 2018 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° chambre : 2
N° RG : 15/08465
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Stéphanie ASSUERUS-CARRASCO
Me Frédéric LE BONNOIS
Me Mélina PEDROLETTI
Me Oriane DONTOT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT DEUX SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
1/ SA LA CLINIQUE [18]
RCS N° 574.201.919
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 17]
2/ SA AXA ENTREPRISES
RCS n° 722.057.460
[Adresse 10]
[Localité 13]
Représentant : Me Stéphanie ASSUERUS-CARRASCO de la SCP FREZZA ET ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 81 N° du dossier 3170
Représentant : Représentant : Me Diane ROUSSEAU, plaidant du cabinet de Me Hélène FABRE de la SELARL FABRE-SAVARY-FABBRO, Société d'avocats, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0124
APPELANTES
****************
1/ Madame [X] [D]
née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 15]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 11]
2/ Monsieur [R] [G]
né le [Date naissance 1] 1972 à [Localité 14]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 11]
agissant tant leur nom personnel qu'en leur qualité de représentants légaux de [A] [G], née le [Date naissance 9] 2012 à [Localité 17] et de [Y] [D], né le [Date naissance 8] 2008
3/ Mademoiselle [S] [G]
née le [Date naissance 3] 2008 à [Localité 17]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 11]
Représentant : Me Frédéric LE BONNOIS de la SELARL CABINET REMY LE BONNOIS, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0299 - N° du dossier 120630
Représentant : Me Alice GUILLET, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
4/ Monsieur [V] [I]
né le [Date naissance 2] 1970
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Localité 17]
Représentant : Me Mélina PEDROLETTI, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626 - N° du dossier 24374
Représentant : Me Nicolas RUA de la SELARL CABINET ESTEVE-RUA, Plaidant, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 076
Représentant : Me Véronique ESTEVE, Plaidant, avocat au barreau de NICE, vestiaire : 076
INTIME
5/ CPAM DES PYRENEES ORIENTALES
Contentieux - Créances
[Adresse 7]
[Localité 17]
Représentant : Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20190160
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 02 Juin 2022, Madame Françoise BAZET, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Marie-José BOU, Président,
Madame Françoise BAZET, Conseiller,
Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT
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FAITS ET PROCÉDURE
Le 24 octobre 2012, dans la matinée, Mme [X] [D], mère d'un premier enfant, [Y], né par césarienne en 2008, et enceinte de son deuxième enfant, à terme dépassé de 6 jours, s'est présentée en raison de contractions utérines, à la clinique [18] à [Localité 17] où elle était suivie par son gynécologue obstétricien, le docteur [J].
Elle a alors été prise en charge par la sage-femme. Des enregistrements des paramètres et du rythme cardiaque f'tal ont été effectués à compter de 15h30, une anesthésie péridurale étant mise en place à 16 heures.
En raison de l'apparition de décélérations du rythme cardiaque foetal (le RCF) la sage-femme a informé à 16h55, le docteur [I], gynécologue obstétricien présent à la clinique et au bloc opératoire.
A 17h20, le docteur [I] étant toujours au bloc, le docteur [L] a été joint à son cabinet, du fait de nouveaux ralentissements, avec bonne récupération constatée du RCF. Il a préconisé de mettre la parturiente sur le côté.
A 19h30, le docteur [I], à nouveau appelé par la sage-femme, a examiné la patiente et poursuivi la surveillance du travail, après avoir constaté la progression de la dilatation.
A 21h30, il a décidé de débuter les efforts expulsifs, mais la patiente a ressenti une douleur abdominale aigüe concomitante d'une bradycardie f'tale à 60 battements minute. Il est alors décidé à 22h20 d'une césarienne en urgence, réalisée par le docteur [I], qui constate une franche rupture utérine.
L'enfant, [A], est extraite en état de mort apparente à 22h41, nécessitant une réanimation par ventilation, intubation et massage cardiaque, avant d'être transférée à 20 heures de vie au Centre Hospitalier de [Localité 17], puis de [Localité 16] en service de réanimation néonatale.
Au 7ème jour, une IRM cérébrale a mis en évidence des lésions diffuses des noyaux gris centraux, des lésions ischémiques et des lésions corticales droites qui sont gravissimes et prédictives de séquelles neurologiques profondes, motrices et cognitives.
Par ordonnance du 17 décembre 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné une expertise confiée au docteur [B], gynécologue obstétricien, et au professeur [U], pédiatre.
Le rapport des experts a été déposé le 1er décembre 2014.
Par ordonnance du 12 mai 2015, confirmée par arrêt du 16 juin 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a condamné in solidum la clinique Saint Pierre, M. [I] et la société Axa à verser aux parents de [A] [G] une provision de 200 000 euros à valoir sur l'indemnisation des préjudices de celle-ci.
Par actes des 8 et 9 juin 2015, Mme [X] [D] et M. [R] [G] agissant en leur nom personnel et en leur qualité de représentants légaux des enfants [A] [G], [S] [G] et [Y] [D] ont assigné devant le tribunal de grande instance de Nanterre la clinique Saint-Pierre, la société Axa France, M. [I] et la CPAM des Pyrénées Orientale ( ci-après la CPAM).
Par jugement du 13 décembre 2018, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- dit que la clinique [18] a commis des manquements lors de l'accouchement de Mme [D],
- dit que M. [I] a commis des manquements lors de l'accouchement de Mme [D],
- dit que ces manquements sont à l'origine d'une perte de chance évaluée à 90% d'éviter la rupture utérine directement à l'origine du dommage subi par l'enfant [A] [G],
- condamné la clinique et son assureur, la société Axa Entreprises (ci-après, la société Axa), d'une part, et M. [I], d'autre part, in solidum à payer aux consorts [D] [G] en réparation du dommage né de la perte de chance subie, les sommes suivantes à titre provisionnel :
à [A] [G] : 270 000 euros,
à Mme [X] [D] et M. [R] [G] : 13 500 euros chacun,
à [Y] [D] et [S] [G] : 4 500 euros chacun,
- condamné la clinique [18] et la société Axa, d'une part, et M. [I], d'autre part, in solidum, à payer à la CPAM la somme de 486 386, 46 euros à titre provisionnel au titre des débours provisoires,
- dit que cette somme produira intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du code civil,
- dit que la clinique [18] et M. [I] supporteront par moitié la charge finale du dommage imputable à leurs manquements,
- sursis à statuer sur la liquidation des préjudices définitifs,
- rejeté la demande de contre-expertise présentée par la clinique [18],
- condamné la clinique [18] et la société Axa, d'une part, et M. [I], d'autre part, in solidum, à payer aux consorts [D] [G] la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la clinique [18] et la société Axa, d'une part, et M. [I], d'autre part, in solidum, aux dépens avec recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire pour les 2/3 des sommes allouées à titre provisionnel et en totalité pour le reste, en particulier les sommes allouées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,
- ordonné le renvoi de l'affaire à la mise en état,
- débouté pour le surplus des demandes.
Par acte du 24 avril 2019, la clinique [18] et la société Axa Entreprises ont interjeté appel.
Par ordonnance du 9 décembre 2019, le conseiller de la mise en état a :
- ordonné une expertise médicale confiée à M. [H],
- ordonné une expertise architecturale confiée à Mme [M], avec pour mission de : étudier les possibilités d'un maintien à domicile de [A] [G] en indiquant les aménagements architecturaux spécifiques nécessaires (immobilier, mobilier, domotique, robotique et aide technique) en chiffrer le coût ; dire si ces aménagements sont compatibles avec le lieu de vie actuel de [A] [G] ; dans la négative, chiffrer le coût d'acquisition d'une maison adaptée aux besoins de [A] [G] en tenant compte de ce qu'elle vit avec sa famille,
- rejeté la demande de provision,
- condamné in solidum la clinique [18], la société Axa et M. [I] à verser à M. [G] et Mme [D] la somme de 10 000 euros à titre de provision pour frais de procès,
- condamné in solidum la clinique [18], la société Axa et M. [I] à verser à M. [G] et Mme [D] la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- dit que les dépens de l'incident suivront le sort de ceux de l'instance au fond.
Mme [M] a remis son rapport le 12 octobre 2020 et M. [H] le 25 novembre 2021.
Par dernières écritures du 5 mai 2022, la clinique [18] (ci-après la clinique) et la société Axa demandent à la cour de :
- infirmer le jugement déféré et, statuant à nouveau :
A titre principal,
- juger qu'aucun manquement n'est démontré à l'encontre de la clinique dans l'organisation du service qui a respecté ses obligations légales quant à la présence des obstétriciens libéraux de garde ou à l'existence de praticien d'astreinte opérationnelle,
- juger qu'aucun manquement n'est démontré à l'encontre des sages-femmes salariées dans la prise en charge de Mme [D],
- juger qu'en tout état de cause il appartenait à M. [I] de prendre la décision médicale de réaliser la césarienne à partir de 19h30, heure à laquelle il était en charge de la patiente et disposait de tous les éléments utiles à la prise de décision,
- juger qu'il n'existe en tout état de cause aucun lien de causalité entre un prétendu défaut d'organisation et le retard pris par M. [I] dans la décision de faire réaliser la césarienne,
En conséquence,
- juger que la preuve de l'engagement de la responsabilité de la clinique n'est pas rapportée,
- débouter les consorts [D]-[G] ainsi que la CPAM de l'ensemble de leurs demandes dirigées contre la clinique et la société Axa,
- débouter M. [I] de son appel incident visant à faire retenir la seule responsabilité de la clinique
- condamner les consorts [D]-[G] à verser à la clinique et à la société Axa la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens avec recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
A titre subsidiaire,
- infirmer le jugement déféré et statuant à nouveau :
- ordonner une nouvelle mesure d'expertise confiée à un collège d'experts composé d'un gynécologue obstétricien et d'un neuropédiatre
- surseoir à statuer dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise,
A défaut,
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a retenu une perte de chance d'éviter les séquelles présentées par [A],
- débouter les consorts [D]-[G], et partant la CPAM, de leur appel incident visant à faire reconnaître l'existence d'un lien de causalité direct, certain et exclusif entre l'état de santé de [A] et les manquements retenus à l'encontre de M. [I] et de la clinique
- juger que seule une perte de chance de 30% d'éviter les séquelles présentées par [A] pourrait être mise à la charge de M. [I] et de la clinique,
- réduire à de plus justes proportions le montant des provisions éventuellement allouées aux consorts [D]-[G] et à la CPAM compte tenu du taux de perte de chance qui sera retenu, des provisions d'ores et déjà perçues et des contestations sérieuses sur le montant réclamé,
- juger que la part de responsabilité de M. [I] dans la survenue de la complication est prépondérante,
- juger que M. [I] supportera 90 % de la responsabilité et la clinique 10 %,
En conséquence,
- juger que la clinique et la société Axa ne pourraient être condamnées au-delà de 3% de l'indemnisation des préjudices de [A] et des victimes par ricochet,
- juger que le taux de 3% s'imposera également à la CPAM,
En tant que de besoin
- condamner M. [I] à relever et garantir avec exécution provisoire la clinique et la société Axa dans les proportions ci-dessus des condamnations qui ont été prononcées à titre provisionnel ou pourraient être prononcées contre elles au bénéfice des consorts [D]-[G] et de la CPAM.
Par dernières écritures du 29 avril 2022, M. [I] demande à la cour de :
- recevoir son appel incident et l'en dire bien fondé,
- réformer le jugement querellé en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,
- juger que M. [I] n'a commis aucun manquement lors de la prise en charge de l'accouchement de Mme [D] ;
- juger en particulier que M. [I] n'a pas fait preuve d'imprudence ni manqué au principe de précaution,
- juger que la survenue d'une rupture utérine constitue un événement exceptionnel, imprévisible et non maîtrisable insusceptible d'engager la responsabilité de M. [I],
- juger que le lien de causalité direct, exclusif et certain entre la prise en charge de M. [I] (en particulier la réalisation d'un accouchement par voie basse tel que préalablement décidé par le gynécologue-traitant en accord avec la parturiente) et l'état de l'enfant [A] n'est pas démontré,
- juger que seule la clinique sera tenue à indemnisation, en raison de la désorganisation et des graves dysfonctionnements relevés par les experts,
En conséquence,
- débouter la clinique et son assureur, la société Axa de l'ensemble de leurs prétentions à l'encontre de M. [I], en ce compris leur appel en garantie,
- débouter les consorts [D]-[G] et la CPAM de leurs demandes à l'encontre de M. [I],
Subsidiairement,
Dans l'hypothèse où la cour devait retenir la responsabilité de M. [I],
- confirmer le jugement querellé en ce qu'il n'a pas fait droit au principe de réparation intégrale des préjudices sollicités par les consorts [D]-[G],
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a appliqué un taux de perte de chance de 90 %,
- fixer le taux de cette perte de chance à 30 %, en l'état de la littérature médicale applicable
Dans les rapports entre M. [I] et la clinique
- réformer le jugement dont appel en ce qu'il a retenu une participation de M. [I] de 50 % dans la perte de chance d'éviter la rupture utérine,
- juger que la quote-part imputable à M. [I] ne pourra excéder 25 % (dans le cadre d'une perte de chance elle-même limitée à 30%),
- juger en tout état de cause que la part de responsabilité de M. [I] ne pourra être supérieure à 50 %,
- réduire la demande provisionnelle formée par les représentants de [A] [G] à la somme de 1 000 000 euros avant application du taux de perte de chance (30%) et de la quote-part imputable à M. [I] (25%),
- réformer le jugement querellé sur la somme allouée à la CPAM, en faisant là encore application du nouveau taux de perte de chance de 30 %, et en limitant la quote-part de responsabilité de M. [I] à 25 %,
- débouter la CPAM de ses demandes au titre des frais médicaux, pharmaceutiques, d'appareillage et de transport, faute d'être justifiées,
- ramener la demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile tant par les consorts [D]-[G] que par la CPAM à de plus justes proportions, et limiter la prise en charge de M. [I] à 25 %,
- statuer ce que de droit sur les dépens.
Par dernières écritures du 21 décembre 2021, les consorts [D]-[G] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a établi que la clinique et M. [I] ont commis des manquements lors de l'accouchement de Mme [D],
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a établi que ces manquements sont à l'origine d'une perte de chance de 90% d'éviter la rupture utérine à l'origine du dommage subi par [A] [G],
- infirmer le jugement en ses dispositions concernant les indemnités provisionnelles revenant aux victimes,
- juger que 'les requérants' ont droit à l'indemnisation de leur entier préjudice à la suite de l'accident médical dont a été victime [A] [G],
- les juger recevables et bien fondés en l'ensemble de leurs prétentions,
- juger que la clinique et M. [I] sont responsables pour faute intégralement,
- constater que les experts ont retenu un partage de responsabilité à hauteur de 50% chacun,
- juger qu'il existe un lien de causalité directe, certain et exclusif entre les manquements de la clinique et de M. [I] et l'état de santé de [A] [G],
En conséquence,
- condamner in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] ou les uns à défaut de l'autre à prendre en charge l'intégralité des préjudices des requérants,
- ordonner un sursis à statuer concernant la liquidation des préjudices subis par 'les requérants' jusqu'au dépôt du rapport définitif d'expertise médicale,
- condamner in solidum la clinique , Axa France et M. [I] ou les uns à défaut de l'autre à verser les sommes provisionnelles suivantes :
à [A] [G] prise en la personne de ses représentants légaux : 3 000 000 euros,
à Mme [X] [D] : 15 000 euros,
à M. [R] [G] : 15 000 euros,
à [S] [G] prise en la personne de ses représentants légaux : 5 000 euros,
à [Y] [D] pris en la personne de ses représentants légaux : 5 000 euros,
au titre de l'article 700 du code de procédure civile : 20 000 euros,
les entiers dépens avec recouvrement direct en application des articles 699 et suivants du code de procédure civile,
- débouter la clinique et M. [I] de l'ensemble de leurs prétentions,
- rendre l'arrêt à intervenir commun à la CPAM.
Par dernières écritures du 12 avril 2022, la CPAM demande à la cour de :
- la juger recevable et bien fondée en son appel incident,
- infirmer la décision attaquée en ce qu'elle a limité la provision octroyée à la CPAM à la somme de 486 386,46 euros correspondant à 90% de sa créance compte tenu de la perte de chance retenue,
Statuant à nouveau et à titre principal :
- statuer ce que de droit sur le mérite de l'appel incident formé par les consorts [D]-[G],
- donner acte à la CPAM de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les demandes formulées par la victime,
- constater que la créance provisoire de la CPAM s'élève au 7 janvier 2022 à la somme de 1059673,91 euros au titre des prestations en nature et frais divers, et fixer cette créance à cette somme,
- juger que la CPAM a droit au remboursement de sa créance sur l'indemnité mise à la charge du tiers réparant l'atteinte à l'intégrité physique de la victime,
- dire qu'en application de la loi du 21 décembre 2006, le recours subrogatoire de la Caisse devra s'exercer poste par poste sur les seules indemnités réparant les préjudices pris en charge par ses soins :
les frais d'hospitalisation, les frais médicaux et assimilés doivent être imputés sur le poste de dépenses de santé actuelles (DSA),
les frais de transport doivent être imputés sur le poste des frais divers (FD),
- fixer le poste de préjudice des dépenses de santé actuelles à une somme qui ne saurait être inférieure à 1 025 080,32 euros (prestations prises en charge par la CPAM),
- fixer le poste de préjudice frais divers à une somme qui ne saurait être inférieure à 95817,65 euros (34 593,59 euros versés par la CPAM + 6 360 euros (couches) et 54 864,06 euros (matériel) sollicités par la victime),
- condamner in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] à payer en deniers ou quittances compte tenu du règlement partiel déjà intervenu, à la CPAM à titre de provision la somme de 1059673,91 euros correspondant aux prestations en nature et frais de transport d'ores et déjà exposés pour le compte de la victime,
Subsidiairement, si la cour ne faisait pas droit à l'appel incident formé par les consorts [D]-[G] et confirmait la décision attaquée sur la perte de chance évaluée à 90% :
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré en ce qu'il a condamné in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] à verser à la CPAM :
une provision à hauteur de 90% de sa créance, soit la somme de 486 386,46 euros avec intérêts et capitalisation conformément à l'article 1343-2 du code civil,
une indemnité forfaitaire de gestion de 1 055 euros
et la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles,
Ajoutant au jugement entrepris,
- condamner in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] à payer à la CPAM une provision complémentaire eu égard à l'actualisation de la créance de la sécurité sociale, soit une provision complémentaire de 467 320,06 euros (créance 1 059 673,91 euros x 90% - 486 386,46 euros provision déjà accordée par le premier juge) et correspondant aux prestations en nature et frais de transport d'ores et déjà exposés pour le compte de la victime,
En tout état de cause,
- juger que cette somme portera intérêts de droit à compter de la première demande pour les prestations servies antérieurement à celle-ci et à partir de leur règlement pour les débours effectués postérieurement,
- ordonner la capitalisation des intérêts échus pour une année en application de l'article 1343-2 du code civil,
- donner acte à la CPAM de ses réserves pour les prestations non connues à ce jour, et pour celles qui pourraient être versées ultérieurement,
- porter à la somme de 1 114 euros l'indemnité forfaitaire due en vertu de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale et condamner in solidum la clinique , la société Axa et M. [I] au paiement de cette somme,
- condamner in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] à payer à la CPAM la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel et non compris dans les dépens,
- condamner in solidum la clinique, la société Axa et M. [I] aux entiers dépens avec recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 12 mai 2022.
SUR QUOI, LA COUR
Sur les responsabilités encourues
Le tribunal, après avoir examiné les pièces relatives à l'organisation des gardes au sein de la clinique, a jugé, au vu du document versé aux débats par la clinique concernant l'organisation des gardes de jour des médecins accoucheurs, que la continuité des soins dépendait de la disponibilité des médecins et reposait sur leur implication personnelle. Il a jugé que cette absence d'organisation d'une garde effective et permanente de jour était critiquable et imputable à la clinique elle-même, tenue d'assurer dans ses services une continuité des soins.
Les premiers juges ont retenu qu'était imputable à la clinique la difficulté dans laquelle s'était trouvée la sage-femme de garde, au cours de la journée du 24 octobre 2012, de pouvoir identifier le médecin référent et qu'il était légitime d'imputer à l'établissement le temps écoulé avant que cette professionnelle de santé ne contacte le médecin présent afin de l'informer de la mise en travail de cette patiente, laquelle présentait un utérus cicatriciel, ce qui rendait possible la survenance d'une complication rendant l'accouchement dystocique, ce qu'aurait pu évaluer l'obstétricien.
La clinique et son assureur font valoir que lors de son arrivée, l'accouchement de Mme [D] ne présentait aucun caractère dystocique et que dès les premiers signes d'anomalie du RCF, la sage-femme a contacté les obstétriciens de garde ou d'astreinte par téléphone, conformément à ses obligations. Ils rappellent que ce n'est que lorsque l'accouchement devient dystocique qu'un obstétricien doit être présent et qu'au cas présent aucune urgence n'était décelée avant 19 heures.
La clinique rappelle qu'elle est un établissement assurant moins de 1500 naissances par an et que son organisation permettait que soit présent dans les locaux un gynécologue obstétricien de garde et que soit à tout instant joignable par téléphone un gynécologue obstétricien d'astreinte à son cabinet situé à une faible distance de la clinique. Elle conteste l'analyse des experts s'agissant du tableau des gardes et affirme qu'il permettait à la sage-femme de savoir que M. [I] était présent ce jour là dans les locaux. Elle ajoute que si les consorts [D] et M. [I] affirment que l'administration du Syntocinon était contraire aux règles de l'art, cela ne ressort aucunement du rapport d'expertise, les experts se contentant d'indiquer qu'une prescription médicale eut été préférable, et le docteur [I] ayant été informé de cette administration.
La clinique et son assureur soutiennent que le docteur [J], responsable du suivi de la grossesse, n'avait laissé au dossier de Mme [D] aucune recommandation particulière, que dès les premiers signes du ralentissement du RCF un obstétricien a été avisé en la personne du docteur [I], qui, informé de la situation, a pris l'initiative d'orienter la sage-femme vers un autre praticien qui n'a pas jugé utile de se déplacer. Ils en concluent que le fait que M. [I] ne se soit pas présenté au chevet de la patiente avant 19h20 ne saurait être reproché à l'établissement de soins ou aux sages-femmes salariées.
Ils affirment qu'à supposer établi le défaut d'organisation de la clinique, cette circonstance a été sans incidence sur la suite de la prise en charge de la patiente par M. [I], auquel il appartenait de prendre les décisions médicales qui s'imposaient, à savoir la réalisation d'une césarienne, aucun élément ne justifiant qu'il l'ait retardée de deux heures dans la mesure où aucune intervention prévue sur son planning ne lui interdisait de réaliser en urgence une césarienne.
M. [I] soutient qu'il résulte de l'absence d'organisation des gardes des obstétriciens une gestion hasardeuse et fautive de la patiente par les sage-femmes, totalement livrées à elles-mêmes. Il rappelle qu'il est intervenu en qualité d'obstétricien de garde le 24 octobre 2012 à partir de 20 heures et qu'il existait pour Mme [D] un projet d'accouchement par voie basse arrêté par le docteur [J] en concertation avec sa patiente. Il soutient que lorsqu'il a été rappelé à 21heures10 par la sage-femme, Mme [D] était à dilatation quasi-complète de sorte qu'une tentative d'accouchement par voie basse, telle que décidée initialement en accord avec le gynécologue traitant, a été entreprise. Quatre efforts expulsifs ont été réalisés et ce n'est qu'au cours du dernier effort que la parturiente a ressenti une douleur violente dans le ventre, associée pour la première fois à un ralentissement profond de la fréquence cardiaque f'tale sans aucune récupération, à partir de 22 heures 20. Le diagnostic de rupture utérine, complication rare et imprévisible, a alors été posé et la décision de césarienne prise sans délai.
M. [I] ajoute que si les experts évoquent des anomalies du RCF, ils omettent de prendre en compte que ces ralentissements successifs du rythme ont tous connu une bonne récupération, à l'exception de celui survenu à 22h20. Il souligne que c'est l'association de douleurs abdominales brutales et d'un ralentissement profond du RCF sans récupération qui a permis de poser le diagnostic de la rupture utérine et l'indication d'une césarienne sans délai.
M. [I] affirme que le manque de précaution retenu par les experts et le tribunal ressort d'un raisonnement purement rétrospectif, qui ne se posait pas au moment où il a pris en charge l'intéressée.
Enfin, il soutient que l'absence d'un tableau de garde de jour, en violation des obligations légales d'organisation de la clinique, n'a pas permis à la sage-femme d'obtenir l'attention particulière d'un gynécologue référent, pouvant analyser tout au long de la journée l'avancée du travail de Mme [D] prenant en considération l'ensemble des particularités de celui-ci.
Les consorts [D]-[G], qui s'opposent à toute nouvelle mesure d'expertise, soutiennent pour leur part que les investigations des experts ont mis en évidence la désorganisation de la clinique et qu'il en est découlé une prise en charge hasardeuse et fautive de la patiente par les sages-femmes, livrées à elles-mêmes. Ils précisent qu'ils ne reprochent pas à celles-ci d'avoir contacté 4 gynécologues mais d'avoir outrepassé leurs attributions, en administrant un suppositoire destiné à stopper les contractions, puis d'avoir fait poser une péridurale et enfin d'avoir posé une perfusion de Syntocinon afin de renforcer les contractions qui avaient ralenti et avaient diminué en intensité.
S'agissant de M. [I], ils affirment que, comme l'a retenu le tribunal, il aurait dû identifier les signes d'alertes en faveur d'une pré-rupture utérine, qu'il n'a pas commencé le travail de la patiente avant 21h20 en choisissant la voie basse à dilatation complète, ce qui était contre indiqué en raison des alertes et également de la tardiveté de la prise en charge.
Quant à la CPAM, elle ne développe pas d'observations concernant les responsabilités encourues.
* * *
Aux termes de l'article 1142-1 du code de la santé publique, hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute.
Aux termes de l'article D6124-44 du même code, quel que soit le nombre de naissances constatées dans un établissement de santé, celui-ci organise la continuité obstétricale et chirurgicale des soins tous les jours de l'année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, dans l'unité d'obstétrique.
Pour les unités réalisant moins de 1500 naissances par an, ce qui est le cas de la clinique Saint Pierre, la présence des médecins spécialistes est assurée par un gynécologue-obstétricien, sur place ou en astreinte opérationnelle exclusive, tous les jours de l'année, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour l'unité ou les unités d'obstétrique du même site. Le gynécologue-obstétricien intervient, sur appel, en cas de situation à risque pour la mère ou l'enfant dans des délais compatibles avec l'impératif de sécurité.
Le tribunal a très exactement observé que le tableau communiqué par la clinique ne répond nullement aux exigences précitées puisque sa consultation n'informe pas la sage-femme du nom du médecin assurant chaque jour daté la garde ou l'astreinte opérationnelle alors qu'il existe un planning pour les gardes de nuit des gynécologues obstétriciens et les gardes, de jour comme de nuit, des anesthésistes- réanimateurs et des pédiatres. Les experts ont indiqué - en page 12 de leur rapport - que le directeur de la clinique a confirmé l'absence de liste pour la garde de jour des gynécologues-obstétriciens et ont observé que les tableaux établis par la clinique ne correspondaient pas à un tableau de garde de jour conforme aux bonnes pratiques.
Quatre gynécologues ont été contactés par les sages-femmes au cours de cette journée du 24 octobre 2012, ce qui d'emblée signe une réelle désorganisation au sein de l'établissement. Au cours de l'expertise, il a été expliqué qu'en principe c'est le gynécologue qui suivait la parturiente qui prend en charge son accouchement si elle se présente en journée. Le docteur [J] est le médecin qui a suivi Mme [D] mais le 24 octobre 2012 il ne travaillait pas - il a pourtant été contacté téléphoniquement à deux reprises ce jour-là-. Dans un tel cas, c'est le médecin présent et disponible que les sages-femmes joignent pour la prise en charge d'une parturiente qui se présente à la clinique. M. [I] a écrit aux experts qu'il ne pouvait être de garde de jour car le planning de ses propres interventions le retenait de 8 heures à 19 heures. C'est lui qui est contacté à 16h45 lorsqu'une première décélération du RCF est enregistrée mais avec une bonne récupération puis une seconde à 16h55. Il est ensuite noté à 17h20, comme ces décélérations se reproduisent et alors que M. [I] est occupé au bloc pour ses propres interventions, que c'est le docteur [L] qui est contacté, lequel préconise de mettre Mme [D] sur le côté. Le travail se poursuit mais il est constaté sur le partogramme une stagnation de la dilatation à 4 centimètres durant deux heures. C'est alors qu'est posée une perfusion de Syntocinon à partir de 18h30 destinée à renforcer les contractions qui se sont arrêtées ou ont ralenti et les experts relèvent qu'on ignore s'il s'agit là d'une initiative de la sage-femme ou d'une prescription du médecin. M. [I] - qui est de garde pour la nuit - est noté présent aux côtés de Mme [D] à 19h30, en raison d'une succession de ralentissement du RCF, la dilatation du col est alors de 6 centimètres. M. [I] ne pose pas l'indication de césarienne. Les ralentissements du rythme se succèdent mais avec une bonne récupération. M. [I] est présent à 20h10 puis à 21h20. Les efforts expulsifs sont tentés en vue d'un accouchement par voie naturelle et c'est au cours du quatrième effort que Mme [D] ressent une violente douleur dans le ventre, associée à un ralentissement profond du RCF sans aucune récupération à partir de 22h20. M. [I] décide alors de pratiquer une césarienne du fait de cette rupture utérine évidente et la naissance de [A] a lieu à 22h41.
Les experts ont relevé que Mme [D] présentait un utérus cicatriciel, ce qui le fragilise et 'impose une certaine prudence pour préconiser un accouchement par voie basse lors d'une grossesse future'. L'examen de Mme [D] en fin de grossesse semblait favorable pour un accouchement par voie naturelle mais les experts notent l'absence de mention de la hauteur utérine qui est un élément pourtant utile et l'absence de radiopelvimétrie utile au diagnostic d'un bassin rétréci faisant courir un risque de rupture utérine.
Ils affirment que si à son arrivée le 24 octobre au matin il n'y avait pas lieu de réaliser d'emblée une césarienne, il faut noter deux remarques qu'ils qualifient d'essentielles:
- 'l'organisation de la garde de jour au sein de la clinique a fait qu'aucun des médecins contactés n'a pris réellement en charge Mme [D] en l'absence de critère urgent
- il existait à 19h30 suffisamment d'éléments objectifs pour proposer l'indication de césarienne. En effet, l'association d'une stagnation de la dilatation pendant deux heures, l'apparition de ralentissements tardifs du RCF répétés et l'arrêt de la dynamique des contractions de manière inexpliquée sont des signes qui en présence d'un utérus cicatriciel doivent faire préférer un accouchement par césarienne par prudence plutôt que de continuer un travail pour accoucher par voie naturelle. De surcroît les ralentissements du RCF sont de plus en plus fréquents, profonds à partir de 20heures et cela jusqu'à ce que Mme [D] soit à dilatation complète. Ces anomalies en fin de travail justifient à elles seules que la naissance soit rapide : soit par césarienne soit par voie basse mais dans ce cas l'option d'une extraction instrumentale d'emblée aurait été plus sage même s'il est plus facile d'en parler a posteriori'.
Les experts affirment que s'il est difficile de prévoir une rupture utérine, 'le fait d'avoir accepté un travail anormalement long avec une stagnation de la dilatation, des troubles du RCF, un arrêt de la dynamique sans faire le diagnostic à ce moment là de signe d'alerte en faveur d'une pré-rupture utérine mais aussi d'avoir fait faire à l'intéressée des efforts expulsifs à dilatation complète ont permis ou favorisé la rupture utérine qui est la cause indiscutable des séquelles de [A]'.
Les consorts [D] rappellent à raison que l'obstétrique est une activité peu programmable de sorte qu'il est important que l'obstétricien puisse voir évoluer sa patiente. La désorganisation flagrante du service a entraîné une prise en charge défaillante de la patiente, l'absence de suivi par un obstétricien depuis le début de l'admission de Mme [D] n'ayant pas permis un suivi rigoureux et une analyse précise de l'évolution de l'état de celle-ci.
Les experts concluent sans aucune hésitation qu'il existait à 19h30 suffisamment d'éléments objectifs pour proposer l'indication d'une césarienne. Répondant à un dire du conseil de M. [I], ils affirment qu'il y a eu à l'évidence dans ce dossier un manquement au principe de précaution qui découle de la prise en charge tardive de Mme [D] par M. [I] qui n'a pas eu le recul suffisant pour faire le bon choix alors qu'il avait le temps de proposer une césarienne. Dans cette même réponse, ils soutiennent que : 'une césarienne réalisée avant tout effort expulsif alors que les facteurs péjoratifs étaient déjà présents aurait certainement évité cette rupture'. 'il n'y a pas si longtemps la conduite habituelle devant un utérus cicatriciel était de faire une application instrumentale systématique. Cela n'est plus un dogme mais on peut accepter un accouchement avec une poussée classique si tous les facteurs obstétricaux sont favorables ce qui n'était pas le cas chez Mme [D]'.
Répondant à un dire du docteur [N] assistant la clinique, les experts ont souligné que l'obstétrique est un art où la situation évolue d'heure à heure. Il est indispensable que le médecin qui assurera le travail examine lui même la parturiente. Ce n'est pas l'organisation de la clinique qui est exclusivement responsable des séquelles de l'enfant, mais l'absence de référent identifiable qui a conduit la sage-femme à gérer un peu toute seule une situation à risque.
Il est ainsi mis en évidence des fautes commises par la clinique qui n'a pas organisé la continuité obstétricale et chirurgicale des soins ainsi que des fautes commises par M. [I] dans la prise en charge de Mme [D]. Il n'est nullement démontré par la clinique la nécessité de recourir à une nouvelle mesure d'expertise alors que les experts désignés le 17 décembre 2013 ont longuement et complètement répondu aux questions qui leur étaient posées ainsi qu'aux dires qui leur étaient soumis.
Ces fautes ont contribué à part égale à la réalisation du dommage, de sorte que la clinique et M. [I] doivent être tenus in solidum à sa réparation. Le jugement sera approuvé d'avoir jugé pour des motifs que la cour adopte sans réserve que dans leurs rapports entre eux la responsabilité sera partagée par moitié.
Ces fautes, ainsi que l'ont conclu les experts, sont en lien direct et certain avec les séquelles que présente [A] [G]. La cause de l'état clinique de l'enfant [A] à sa naissance est selon eux indubitablement liée à cette rupture utérine et il n'existait pas de grossesse pathologique ni de souffrance foetale chronique. Ils concluent que 'l'état de santé de l'enfant est en relation directe et certaine avec les circonstances de sa naissance sur la base d'un faisceau d'arguments concordants : état clinique du nouveau-né lors de l'extraction, manoeuvres de réanimation néonatale, imagerie cérébrale, évolution clinique dans les premières semaines de la vie".
A la suite des experts, la cour retient qu'il ne peut être affirmé avec certitude qu'une césarienne aurait empêché la rupture utérine survenue mais ce risque aurait été très largement diminué si une césarienne avait été pratiquée et ce d'autant plus si elle était intervenue avant les efforts expulsifs.
Il s'agit donc d'une perte de chance et le dommage résultant de la perte de chance doit être mesuré à la chance perdue et ne peut être égal à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée.
Le tribunal sera approuvé d'avoir évalué cette perte de chance à 90%.
Sur les demandes de provision
* pour [A] [G]
Le tribunal a rappelé qu'une provision de 200 000 euros avait été versée en exécution de l'arrêt de la cour d'appel du 16 juin 2016. Il a retenu que l'état de l'enfant ne serait consolidé qu'à sa majorité et au regard de la gravité de ses préjudices a fixé la provision à 300 000 euros soit 270 000 euros après imputation du taux de 90%
Les représentants légaux de [A] [G] demandent à la cour de fixer la provision à la somme de 3 000 000 euros et énumèrent les divers préjudices qui peuvent d'ores et déjà être évalués au vu du rapport d'expertise de M. [H] ainsi que de Mme [M], architecte. Ils soulignent qu'il est urgent que leur fille puisse vivre dans un logement adapté à son état.
La clinique, son assureur et M. [I] demandent à la cour de réduire le montant de la provision demandée, faisant valoir que certains postes sont contestés comme le coût du logement adapté et celui de la tierce personne.
* * *
L'état de [A] [G] ne sera pas consolidé avant ses 18 ans. Le rapport de l'expert désigné par la cour permet de retenir que le déficit fonctionnel permanent ne sera pas inférieur à 95%, que les souffrances endurées sont évaluées à 6,5 sur 7, que la nécessité d'une tierce personne est permanente et que l'incidence professionnelle est majeure. L'expert architecte a estimé que le maintien de [A] [G] au domicile actuel n'est pas envisageable, d'où des dépenses conséquentes d'acquisition et de construction d'une maison adaptée, que Mme [M] évalue à 1 189 847 euros.
Au regard de la gravité des préjudices subis par [A] [G], il y a lieu de fixer la provision allouée à ses représentants légaux à valoir sur ses préjudices à un million trois cent mille euros.
* les proches de [A] [G]
Le tribunal sera approuvé d'avoir alloué à titre provisionnel la somme de 13 500 euros à chacun des parents de [A] [G] et à [S] [G] et [Y] [D] celle de 4500 euros chacun.
* la CPAM
En application de l'article L376-1 du code de la sécurité sociale, la CPAM dispose d'un recours subrogatoire lui permettant d'obtenir le remboursement des prestations qu'elle a versées dans la limite de la part d'indemnité mise à la charge du tiers responsable. Ce recours s'exerce poste par poste sur les seules indemnités réparant les préjudices pris en charge par ses soins.
La CPAM verse aux débats un décompte du 7 janvier 2022 qui permet dévaluer à titre provisionnel sa créance comme suit :
Frais hospitaliers : 751 867,61 euros
Frais médicaux : 70 533,62 euros
Frais pharmaceutiques : 25782,25 euros
Frais d'appareillage : 176 869,84 euros
Frais de transport : 34 593,59 euros
lesquels s'imputent sur les postes de dépenses de santé actuelles et des frais divers,
soit la somme totale de 1 059 673,91 euros.
La CPAM verse également aux débats l'attestation d'imputabilité établie par le médecin conseil de cet organisme, étant rappelé que celui-ci appartient au service du contrôle médical qui est un service national, totalement indépendant et détaché des caisses primaires et dont les avis s'imposent à elles. Cette attestation et le décompte détaillé des débours constituent des éléments suffisamment probants et il y a lieu de condamner in solidum la clinique, son assureur et M. [I] au paiement d'une provision équivalant à 90% de sa créance, soit 953706,51 euros. Cette somme produira intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2017, date de la demande devant le tribunal pour la somme de 486 386,46 euros et à compter du 12 avril 2022, date de ses dernières conclusions pour le surplus, avec capitalisation dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil.
Les mesures accessoires
La somme de 1055 euros fixée par le tribunal au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion due à la CPAM prévue à l'article L376-1 du code de la sécurité sociale sera portée à 1114 euros en application de l'arrêté du 14 décembre 2021.
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux indemnités de procédure seront confirmées.
En remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel, il sera alloué à Mme [D] et M. [G] la somme de 4000 euros mise à la charge de la clinique et de son assureur.
La clinique, la société Axa et M. [I] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel avec recouvrement direct.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la clinique et la société Axa et M. [I] in solidum à payer aux consorts [D] -[G] à titre provisionnel la somme de 270000 euros à [A] [G], a condamné la clinique [18] et la société Axa, d'une part, et M. [I], d'autre part, in solidum, à payer à la CPAM la somme de 486 386, 46 euros à titre provisionnel et celle de 1055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Statuant à nouveau des chefs infirmés
Condamne in solidum la Clinique Saint Pierre et la société Axa Entreprises d'une part et M. [I] d'autre part à payer à [A] [G] représentée par M. [G] et Mme [D] la somme provisionnelle d'un million trois cent mille euros à valoir sur ses préjudices.
Condamne in solidum la Clinique Saint Pierre et la société Axa Entreprises d'une part et M. [I] d'autre part à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Orientales la somme provisionnelle de 953 706,51 euros avec intérêts au taux légal à compter du 8 mars 2017, sur la somme de 486 386,46 euros et à compter du 12 avril 2002 pour le surplus avec capitalisation dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du code civil.
Condamne in solidum la Clinique Saint Pierre et la société Axa Entreprises d'une part et M. [I] d'autre part à payer à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Orientales la somme de 1114 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Confirme le jugement pour le surplus.
Y ajoutant
Condamne in solidum la Clinique Saint Pierre et la société Axa Entreprises à payer à M. [G] et Mme [D] la somme de 4000 euros en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel.
Condamne in solidum la Clinique Saint Pierre, la société Axa Entreprises et M. [I] aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Françoise BAZET, Conseiller pour le Président empêché, et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier,Le Conseiller pour le Président empêché,