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14/09/2022 | FRANCE | N°20/00110

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 14 septembre 2022, 20/00110


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/00110

N° Portalis DBV3-V-B7E-TV6V



AFFAIRE :



SAS SEDIVER



C/



[E] [W] épouse [P]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : C

N° RG : F 17/03850

r>
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Stéphanie TERIITEHAU



Me Frédéric BENOIST



Copie numérique adressée à :



Pôle Emploi







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUATORZE SEPTEMBRE DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00110

N° Portalis DBV3-V-B7E-TV6V

AFFAIRE :

SAS SEDIVER

C/

[E] [W] épouse [P]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 décembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : C

N° RG : F 17/03850

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Stéphanie TERIITEHAU

Me Frédéric BENOIST

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SAS SEDIVER

N° SIRET : 542 035 761

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

Représentant : Me Bénédicte QUERENET HAHN de l'AARPI GGV Avocats - Rechtsanwälte, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : U0003 et Me Stéphanie TERIITEHAU de la SELEURL MINAULT TERIITEHAU, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619

APPELANTE

****************

Madame [E] [W] épouse [P]

née le 16 avril 1986 à [Localité 3] (SENEGAL)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Frédéric BENOIST, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0001

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 2 juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 11 décembre 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section commerce) a :

- dit que le licenciement de Mme [E] [W] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et ne caractérise pas la faute grave,

- condamné la société Sediver à verser à Mme [W] les sommes suivantes :

. avec intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2017,

. 5 333,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 533,33 euros au titre des congés payés afférents,

. 1 066,66 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. avec intérêts au taux légal à compter du 11 décembre 2019,

. 10 666,64 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 7 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de résultat,

. 15 999,96 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

. 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté Mme [W] du surplus de ses demandes,

- débouté la société Sediver de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure,

- dit qu'en application des dispositions de l'article 515 du code de procédure, l'exécution provisoire est ordonnée sur l'ensemble du jugement, ce nonobstant un éventuel appel,

- dit que la moyenne de la rémunération est fixée à 2 666,66 euros,

- dit qu'une copie certifiée conforme du jugement sera adressée au Pôle emploi du département des Yvelines,

- condamné la société Sediver à rembourser au Pôle emploi du lieu de résidence de Mme [W] le montant des indemnités journalières éventuellement versées par cette dernière au titre de l'assurance chômage du jour de son licenciement au jour du prononcé du jugement dans la limite de six mois d'indemnités,

- en application des dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile, mis les entiers dépens à la charge d la société Sediver comprenant la signification éventuelle du jugement par voie d'huissier de justice ainsi qu'à ses suites,

- dit qu'au cas de la mise en 'uvre d'une telle nécessité, il sera fait application des dispositions de l'article R. 1423-53 du code du travail par l'huissier de justice.

Par déclaration adressée au greffe le 10 janvier 2020, la société Sediver a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 22 mars 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 21 septembre 2020 la société Sediver demande à la cour de':

- infirmer le jugement intervenu le 11 décembre 2019 en ce qu'il a :

. dit que le licenciement de Mme [W] ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse et ne caractérise pas la faute grave et condamné la société à verser à Mme [W] les sommes suivantes:

. 5 333,33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 533,33 euros au titre des congés payés afférents,

. 1 066,66 euros à titre d'indemnité de licenciement,

. 10 666,64 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. considéré que la société aurait sollicité Mme [W] durant son congé maternité et aurait ainsi violé les dispositions de l'article L.1225-29 du code du travail et ce faisant aurait manqué à son obligation de sécurité et condamné la société à verser à Mme [W] les sommes suivantes :

. 7 000,00 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité et de résultat,

. 15 999,96 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé

. condamné la société à verser à Mme [W] 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- confirmer le jugement intervenu le 11 décembre 2019 en ce qu'il a débouté Mme [W] de ses demandes au titre d'un préjudice moral résultant d'un prétendu harcèlement moral ou d'une prétendue surcharge de travail ou de toute autre cause distincte,

- dire que le licenciement pour faute grave de Mme [W] est bien fondé,

- dire qu'elle n'a pas violé les dispositions de l'article L.1225-29 du code du travail et n'a pas manqué à son obligation de sécurité,

- dire qu'elle ne saurait par ailleurs être condamnée au titre du travail dissimulé,

en conséquence,

- débouter Mme [W] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner Mme [W] à lui payer une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de la SELARL Minault Teriitehau agissant par Me Stéphanie Teriitehau Avocat et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions remises au greffe le 26 juin 2020, Mme [W] demande à la cour de':

- confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement pour faute grave dénué de cause réelle et sérieuse,

- confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société à lui payer les sommes suivantes :

. 5 333,33 euros à titre d'indemnité de préavis,

. 533,33 euros à titre de congés payés,

. 1 066,66 euros à titre d'indemnité de licenciement,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société au titre de son manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Sediver à lui payer la somme de 15 999,96 euros au titre du travail dissimulé,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a assorti les condamnations prononcées des intérêts au taux légal à compter de sa saisine pour partie et de la décision rendue pour partie, avec capitalisation des intérêts,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Sediver aux entiers dépens ainsi qu'à lui payer une indemnité de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- infirmer le jugement en ce qu'il a limité le montant des dommages et intérêts alloués,

statuant à nouveau,

- condamner la société Sediver à lui payer la somme de 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement abusif,

- condamner la société Sediver à lui payer la somme de 15 000 euros au titre du préjudice moral,

- condamner la société Sediver à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement du manquement à l'obligation de sécurité de résultat,

- condamner la société Sediver à lui payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

LA COUR,

La société Sediver a pour activité principale la construction et la commercialisation de solutions techniques d'isolation électrique des lignes de hautes tensions.

Mme [E] [W] a été engagée par la société Sediver en qualité de Comptable Fournisseurs, par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er mars 2014.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective de la métallurgie région parisienne.

L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Par lettre du 19 septembre 2017, Mme [W] a été convoquée à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 2 octobre 2019, avec mise à pied conservatoire immédiate.

Mme [W] a été convoquée à une audition au commissariat de [Localité 2] fixée le 17 octobre 2017, étant soupçonnée d'avoir commis ou tenté de commettre un vol.

Elle a été licenciée par lettre du 20 octobre 2017 pour faute grave dans les termes suivants :

« Le jeudi 14 septembre vers 10h45, Madame [R], Responsable des Ressources Humaines s'aperçoit qu'elle a oublié son téléphone portable professionnel à la cafétéria.

Elle s'est alors rendue à la cafétéria et n'y a pas retrouvé son téléphone. Elle a donc fait le tour des bureaux et s'est rendue auprès de chaque salarié présent ce jour-là pour leur demander si l'un d'eux avait vu son téléphone. Tous les salariés, vous y compris, ont indiqué ne pas l'avoir vu.

Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué que Madame [R] n 'est pas passée dans votre bureau le jeudi 14 septembre, Pourtant, vos collègues de bureau, Madame [Z] [J], Comptable et Madame [C] [M], Responsable Comptable, nous ont confirmé que Madame [X] [R] est bien passée pour demander si l'une d'entre vous aviez vu le téléphone.

Madame [R] a ensuite fait plusieurs tentatives d'appels sur son téléphone. Force a été pour elle de constater que le téléphone avait été éteint.

Vers 11h30, le service informatique a constaté que le téléphone avait été éteint à 10h01.

A 13h20, Madame [R] a envoyé un email à tous les salariés du siège social pour indiquer qu'elle n'avait pas retrouvé son téléphone et demander à toute personne qui le retrouverait de se manifester auprès d'elle.

Lors de l'entretien préalable, vous avez indiqué qu'il ne vous était pas venu à l'idée de réagir à l'email que vous avez reçu de Madame [R].

Mardi 19 septembre au matin, le service informatique a attribué un nouveau téléphone professionnel à Madame [R] et lui a réinstallé la majorité des données qui figuraient sur son ancien téléphone (email, sms, photos).

Madame [R] a alors constaté que deux nouvelles photos figuraient dans les données de son téléphone dont une faisant apparaître distinctement votre visage de face, et la deuxième la table de la cafétéria sur laquelle Madame [R] avait oublié son téléphone le matin du 14 septembre 2017.

Nous vous avons alors présenté les photos en question, datées du jour de la disparition du téléphone, une minute avant son extinction. C'est alors que vous nous avez expliqué que vous aviez trouvé un téléphone sur la table de la cafétéria le matin du 14 septembre. Vous nous avez également indiqué que vous étiez alors en présence de deux autres salariées, Madame [I] [H] et Madame [U] [A] et que, ne sachant pas à qui il appartenait, Madame [H] vous a indiqué qu 'elle pensait qu 'il s'agissait du téléphone de Madame [O] [F] [T].

Madame [H], qui vous assistait à l'entretien préalable, a confirmé vous avoir donné cette indication.

Vous avez alors apporté le téléphone à Madame [O] [F] [T] dans son bureau qui est également le bureau de Madame [V] [G] qui était alors présente. Vous en êtes ensuite repartie sans savoir ce qu 'il est advenu du téléphone ni ce que vous a répondu Madame [F] [T], à la question de savoir s'il s'agissait de son téléphone.

Vous avez indiqué ne pas savoir pourquoi votre photo figurait parmi les photos du téléphone de Madame [R] et ne pas savoir qui a coupé le téléphone. Vous avez par ailleurs déclaré que vous ne vous souveniez plus comment était le téléphone que vous avez apporté à Madame [F] [T].

Nous vous avons ensuite demandé pourquoi, alors que le jour suivant, 15 septembre, Madame [R] avait cherché son téléphone dans tous les bureaux, vous n 'aviez pas fait part de ce que vous aviez trouvé le 14 septembre un téléphone à la cafétéria, que vous aviez apporté à Madame [F] [T]. Vous nous avez répondu que le 15 septembre, vous étiez absente. Vérification faite, cette affirmation est fausse. Vous étiez présente le 15 septembre.

Depuis le 14 septembre, jusqu'à votre entretien préalable, vous avez dissimulé les faits que vous avez fini par nous révéler lors de votre entretien préalable, après que nous vous ayons confondue, en vous montrant les photos figurant dans les données du téléphone de Madame [R].

Les faits ci-dessus relatés sont constitutifs d'une faute grave empêchant toute poursuite de votre contrat de travail. C'est pourquoi nous vous notifions par la présente votre licenciement pour faute grave, qui prendra effet à la date d'expédition de la présente lettre recommandée avec A.R., sans préavis ni indemnité. Nous vous précisons que toute contestation relative à votre licenciement se prescrit par 12 mois à compter de sa notification. »

Par lettre du 30 octobre 2017, Mme [W] a contesté le grief de son licenciement.

Le 28 décembre 2017, Mme [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir requalifier son licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Sur la rupture :

La salariée affirme n'avoir commis aucune faute en rapportant un téléphone portable à la personne qu'elle croyait en être le propriétaire, n'ayant pas à être sanctionnée, seule Mme [T] étant responsable de la disparition de ce téléphone.

L'employeur réplique que le licenciement repose sur des faits concrets et vérifiables dont le degré de gravité était suffisant pour rendre impossible la poursuite du contrat, la salariée ayant participé à la soustraction du téléphone de Mme [R] puisqu'elle l'a manipulé puis s'est abstenue volontairement et consciemment de toute réaction et a ainsi omis d'informer Mme [R] qu'elle avait retrouvé son téléphone et l'avait donné à Mme [T].

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits personnellement imputables au salarié, qui doivent être d'une importance telle qu'ils rendent impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.

La preuve des faits constitutifs de faute grave incombe exclusivement à l'employeur et il appartient au juge du contrat de travail d'apprécier, au vu des éléments de preuve figurant au dossier, si les faits invoqués dans la lettre de licenciement sont établis, imputables au salarié, à raison des fonctions qui lui sont confiées par son contrat individuel de travail, et d'une gravité suffisante pour justifier l'éviction immédiate du salarié de l'entreprise, le doute devant bénéficier au salarié.

La lettre de licenciement reproche à la salariée la dissimulation de faits constitutifs d'une faute grave concernant la disparition du téléphone portable de Mme [R], responsable RH, le 14 septembre 2017.

Il ressort des différentes attestations, Mme [J] ( pièce 3E), Mme [M] (pièce 4E) et des lettres de licenciement et sanctions de Mmes [T] (pièce 21E) et [A] (pièce 9E), que Mme [R] a oublié son téléphone portable professionnel sur une table de la cafétéria le 14 septembre 2017 et que ne l'ayant pas retrouvé, elle a adressé à ce sujet un mail général à l'ensemble des personnels de la société à 13h30 et a également fait le tour des bureaux le 15 septembre 2017 pour renouveler sa demande.

La société Sediver a remis à Mme [R] un nouveau portable professionnel le 19 septembre 2017 avec reprises de l'ensemble des données du portable égaré et une photographie de Mme [W] prise le 14 septembre 2017 à 10h01 s'y trouvait.

Entendue lors de l'entretien préalable, Mme [W] explique avoir trouvé le portable à la cafétéria le 14 septembre 2017, qu'une photographie de son visage a été prise sans qu'elle ne s'en aperçoive en manipulant le téléphone et que Mme [H] lui a alors indiqué que le portable appartenait à Mme [T].

Il n'est pas discuté que Mme [W] a effectivement remis le portable découvert dans la cafétéria à Mme [T] le 14 septembre 2017.

Mme [G], qui partage le bureau de Mme [T], présente lors de la remise du téléphone, atteste de cette remise par Mme [W] et précise que cette dernière avait déjà quitté le bureau quand Mme [T] a retiré la puce pour qu'il ne soit plus géolocalisé.

Peu important ensuite l'usage fait par Mme [T] du téléphone, qui a contesté en être la propriétaire de ce portable, il est établi que Mme [W] n'a eu aucune intention de le dérober et qu'elle a remis le portable à la personne qui lui a été présentée comme en étant le propriétaire.

Aussi, aucune pièce au dossier ne permet d'affirmer que Mme [W] a cherché à faire disparaître le téléphone portable de la responsable des Ressources Humaines.

Par ailleurs, Mme [J] et Mme [M] attestent que lorsque Mme [R] s'est rendue dans les bureaux le 15 septembre 2017, Mme [W] était présente et qu'elle a confirmé ne pas avoir vu le téléphone.

Toutefois, ces seules déclarations ne justifient pas que Mme [W] a volontairement omis de déclarer qu'elle a remis le téléphone trouvé le 14 septembre à Mme [T] tout en sachant qu'il appartenait à Mme [R].

Enfin, Mme [A] a seulement été sanctionnée le 7 novembre 2017 par un avertissement pour s'être concertée avec Mme [W] et Mme [T] afin de ne pas révéler la remise du téléphone à cette dernière.

Si ces faits sont véridiques, ce que conteste Mme [W] qui dénie toute dissimulation, ils ne justifient pas le licenciement pour faute grave prononcé à l'encontre de Mme [W], qui a adopté le même comportement que celui de Mme [A].

En définitive, il n'est pas établi de manière certaine que la salariée a voulu dissimuler à l'employeur qu'elle avait trouvé le téléphone de Mme [R] et avait délibérément caché ces faits à Mme [R] et son employeur pendant quinze jours.

La faute reprochée à la salariée n'est donc pas établie.

Au surplus, si la faute était rapportée quant à la dissimulation des évènements par la salariée, la réponse de l'employeur est disproportionnée par rapport aux faits reprochés, l'employeur n'établissant pas le trouble manifeste allégué dans l'entreprise à ce sujet, la lettre de la Délégation Unique du Personnel en décembre 2017 à ce propos ne valant pas reconnaissance de leur gravité concernant Mme [W].

Il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Confirmant également le jugement, il sera fait droit aux demandes relatives à l'indemnité légale de licenciement et l'indemnité compensatrice de préavis, non contestées en leurs montants.

En application du barème fixé à l'article L. 1235-3 du code du travail, Mme [W] qui a 3 années d'ancienneté, a droit à une indemnité brute comprise entre 3 mois et 4 mois de salaire brut.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 31 ans, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération moyenne sur les 12 derniers mois de 2 666,66 euros qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle de comptable, de ce qu' elle a retrouvé un emploi en octobre 2019 après une période chômée puis une formation professionnelle, le premier juge a justement évalué le préjudice matériel et moral subi en lui accordant la somme de 10 664 euros.'Le jugement sera confirmé de ce chef.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Sediver à verser cette somme à Mme [W] et a ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage versées à la salariée dans la limite de six mois.

Sur les dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité :

La salariée soutient que l'employeur l'a sollicitée à de nombreuses reprises durant son arrêt maladie puis son congé pathologique et maternité pour répondre à des demandes impliquant qu'elle y consacre du temps et de l'énergie, ce qui ne lui a pas permis de bénéficier du repos indispensable à son état de santé.

Elle explique qu'elle a été obligée de former son remplaçant à distance et a accouché prématurément à seulement cinq mois alors qu'elle aurait dû jouir d'un repos total et d'une sérénité d'esprit.

L'employeur conteste avoir exercé toute pression sur la salariée et toute surcharge de travail durant sa grossesse et soutient que son accouchement prématuré n'est aucunement lié au stress et à la pression dont elle prétend avoir fait l'objet, ayant pris toutes les mesures nécessaires pour pouvoir à son remplacement dans les meilleures conditions possibles.

L'employeur ajoute que les premiers juges ont fait une appréciation tronquée des faits qui se sont déroulés les 3 et 7 mars 2016, seule Mme [W] maîtrisant la procédure d'extraction nécessaire à la clôture mensuelle de la comptabilité. Il expose l'avoir uniquement sollicité le 3 mars 2016 à ce titre et a ensuite demandé à la salariée de se reposer puis de ne plus effectuer la moindre activité durant son arrêt maladie.

Le docteur [K], gynécologue, a certifié le 16 novembre 2015 que la grossesse de la salariée a débuté aux environs du 18 septembre 2015 pour une naissance prévue vers le 18 juin 2016.

Le 12 février 2016, la société Sediver a lancé un recrutement d'un comptable fournisseurs en intérim à pourvoir rapidement en raison d'un remplacement maternité pour une durée de sept mois.

Suivant échanges de mail entre Mme [R] et la société d'intérim, il a été prévu une arrivée pour ce poste pour un temps de passation du 7 mars au 22 avril 2016 puis pour le remplacement.

Par contrat du 7 mars 2016, M. [N] a été mis à dispositions de la société Sediver.

Mme [W] ne justifie pas de la date exacte de son arrêt maladie mais il est établi qu'elle était arrêtée le 2 mars 2016 et qu'elle a annoncé ce jour-là à son l'employeur qu'une hospitalisation était prochainement envisagée avec le risque d'un déclenchement de l'accouchement pour 'mettre en couveuse' l'enfant. Mme [W] a été hospitalisée le 7 mars 2016 et l'accouchement a été déclenché le 9 mars 2016, le retour à domicile de la salariée étant intervenu le 16 mars 2016.

Le 04 avril 2019, le docteur [B], gynécologue-obstréticien, a conclu que Mme [W] a semble présenté une pré-eclampsie au terme de 26 semaines et que les éléments de surveillance mater néo-foetaux ont été responsables d'une naissance prématurée sur décision médicale, soit à 5 mois et demi.

Mme [M], responsable comptable, atteste le 10 janvier 2019 avoir elle-même formé M. [N] à compter du 7 mars 2016, Mme [W] ayant proposé de les aider ' à distance'.

Mme [M] indique avoir expréssement et formellement refusé cette aide tout en ayant autorisé M. [N] à contacter Mme [W] pour faire un état des lieux, ' le PC portable qui lui a été apporté le 3 mars 2016 ne devant servir qu'à générer le payement des fournisseurs'.

Mme [M] ajoute que les interventions de Mme [W] ont perturbé la formation de M. [N], la salariée générant des paiements sans avertir l'équipe comptable et qu'elle a décidé d'écarter définitivement la salariée pour donner toute autonomie à M. [N].

Ces faits ne sont justifiés par la communication d'aucun élément complémentaire à ce témoignage et les pièces produites par la salariée démontrent l'inverse :

- Mme [G] atteste avoir déposé le 3 mars 2016 au domicile de Mme [W] un ordinateur portable à la demande de Mme [R],

- par du mail du dimanche 6 mars à 20h46 , Mme [W] a informé Mme [M] qu'elle traitait des dossiers de fournisseurs, indiquant qu'elle allait essayer d'en effectuer d'autres le lendemain, Mme [M] n'a alors pas répondu à la salariée qu'il fallait qu'elle cesse de travailler et se repose,

- M. [N] atteste que sa formation a eu lieu par téléphone avec Mme [W] à plusieurs reprises à la demande de Mme [M] et qu'il a appelé la salariée pendant plus de deux heures le jour de son accouchement alors elle était hospitalisée,

- par SMS le 16 mars 2016, soit le jour de la sortie d'hospitalisation de Mme [W], Mme [M] lui a demandé où se trouvaient des fichiers puis le 23 mars 2016 lui a également demandé d'aider M. [N] pour effectuer une opération comptable,

- par mail du 24 mars 2016, soit moins de deux semaines après son accouchement, Mme [W] communiquait un fichier à Mme [M] en précisant ' peut-être que cela pourra t'aider par ta saisie', répondant ainsi à une sollicitation de sa responsible,

- par SMS du 25 mars 2016, Mme [M] a demandé à Mme [W] de rappeler M. [N],

- par SMS du 10 mai 2016, Mme [M] a demandé à Mme [W] des informations sur un fichier.

Ces éléments viennent donc contredire le témoignage de Mme [M] en ce que l'employeur a tout mis en oeuvre pour permette une passation à distance avec M. [N] en limitant les interventions de Mme [W], laquelle a été au contraire, sollicitée à plusieurs reprises alors même qu'elle était hospitalisée puis qu'elle venait d'accoucher dans des conditions éprouvantes.

L'employeur ne peut donc s'exonérer en affirmant que l'intervention de la salariée sur l'ordinateur portable a été circonscrite à la journée du 3 mars 2016 et qu'elle a été contactée brièvement le 7 mars 2016 pour communiquer les identifiants à son remplaçant .

Le comportement de l'employeur, qui a favorisé le travail de la salariée enceinte à distance alors qu'elle était en congé maladie et avait annoncé un risque à très court terme d'un accouchement premature, caractérise un manquement à son obligation de sécurité.

Le manquement est également établi alors que la salariée a continué à être interrogée pendant son congé maternité après son accouchement.

Les premiers juges seront confirmés en ce qu'ils ont dit que l'employeur n'avait pas respecté l'obligation de sécurité et de prévention et ont alloué à la salariée en réparation de son préjudice une indemnité de 7 000 euros.

Sur les dommages et intérêts pour préjudice moral :

La salariée forme une demande de dommages et intérêts pour préjudice moral complémentaire à celle relative l'obligation de sécurité de l'employeur sans nouveau moyen.

La salariée n'apporte pas la démonstration d'un préjudice distinct de celui déjà réparé, pour les mêmes faits, par les dommages-intérêts qui lui ont été accordés précédemment.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a déboutée de ce chef de demande.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé :

La salariée fait valoir qu'elle a effectué une prestation de travail durant son congé maladie et maternité à la demande de l'employeur et que ce dernier s'est rendu coupable du délit de travail dissimulé, ce qu'il conteste.

La dissimulation d'emploi salarié prévue par l'article L.8221-5 du code du travail n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur s'est soustrait intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable d'embauche ou à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 3243-2 relatif à la délivrance d'un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

Le fait que la salariée a travaillé pendant son congé maladie puis maternité n'implique pas que l'employeur a voulu de se soustraire intentionnellement aux déclarations, légalement requises relatives aux salaires ou aux cotisations sociales.

Le jugement sera donc infirmé et la salariée sera déboutée de sa demande à ce titre.

Sur l'article 700 du code de procédure civile :

Il est inéquitable de laisser à la charge de Mme [W] les frais par elle exposés en première instance et en cause d'appel non compris dans les dépens à hauteur de 3 500 euros.

Sur les intérêts :

Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la date de la réception par l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et d'orientation et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter du jugement.

Les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE Mme [E] [W] de sa demande d'indemnité pour travail dissimulé,

DIT que les intérêts échus des capitaux porteront eux- mêmes intérêts au taux légal dès lors qu'ils seront dus pour une année entière à compter de la demande qui en a été faite,

CONFIRME pour le surplus le jugement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SAS Sediver à payer à Mme [E] [W] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d'appel,

DÉBOUTE la SAS Sediver de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la SAS Sediver aux dépens.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

                                                                                                             

La greffière La présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00110
Date de la décision : 14/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-14;20.00110 ?
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