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07/09/2022 | FRANCE | N°20/00062

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 07 septembre 2022, 20/00062


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 07 SEPTEMBRE 2022



N° RG 20/00062



N° Portalis DBV3-V-B7E-TVU5



AFFAIRE :



[N] [T]





C/





SAS BEARINGPOINT FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

° Section : E

N° RG : F17/02400



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Vanessa DARGUEL



la SAS VOLTAIRE







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 07 SEPTEMBRE 2022

N° RG 20/00062

N° Portalis DBV3-V-B7E-TVU5

AFFAIRE :

[N] [T]

C/

SAS BEARINGPOINT FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 26 Novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Chambre :

N° Section : E

N° RG : F17/02400

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Vanessa DARGUEL

la SAS VOLTAIRE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [N] [T]

né le 26 Septembre 1986 à [Localité 3]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Vanessa DARGUEL, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1728

APPELANT

****************

SAS BEARINGPOINT FRANCE

N° SIRET : 443 02 1 2 41

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me François HUBERT de la SAS VOLTAIRE, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G668

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Juin 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,

EXPOSE DU LITIGE

[N] [T] a été engagé par la société Bearingpoint France suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 2 mars 2015 en qualité de chargé de mission expérimenté fonctionnel/sectoriel, statut cadre, niveau 3.1, coefficient 170, en référence aux dispositions de la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs conseils et des sociétés de conseil, dite Syntec.

Par lettre datée du 6 juin 2017, le salarié a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé au 21 juin suivant, reporté par lettre du 16 juin au 23 juin, puis par lettre datée du 3 juillet 2017, l'employeur lui a notifié son licenciement avec dispense d'exécution du préavis de trois mois qui lui a été rémunéré.

Par lettre datée du 11 août 2017, le salarié a contesté son licenciement en répondant à chacun des griefs de la lettre de licenciement.

Le 13 septembre 2017, [N] [T] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de la société Bearingpoint France à lui payer des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour exécution déloyale de son contrat de travail et pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité.

Par jugement mis à disposition le 26 novembre 2019, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, les premiers juges ont jugé que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, ont débouté [N] [T] de toutes ses demandes, ont débouté la société Bearingpoint France de sa demande reconventionnelle et ont laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.

Le 7 janvier 2020, [N] [T] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 11 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [N] [T] demande à la cour d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a débouté la société Bearingpoint France de toutes ses demandes reconventionnelles, statuant à nouveau, de requalifier le licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, de condamner la société Bearingpoint France à lui verser les sommes suivantes :

* 30 500 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale,

* 8 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de santé et de sécurité,

* 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et aux entiers dépens, et de débouter ladite société de ses demandes reconventionnelles.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 1er octobre 2021 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Bearingpoint France demande à la cour de confirmer le jugement, de débouter l'appelant de l'ensemble des demandes et de condamner celui-ci à lui verser la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 14 juin 2022.

MOTIVATION

Sur le bien-fondé du licenciement

La lettre de licenciement notifiée à [N] [T], aux termes de six pages, reproche à celui-ci :

- des difficultés persistantes à mener à bien les missions 'Sap' pour le client Daher et 'Gazpar' pour le client Grdf, générant le mécontentement de ces clients à l'origine de sa sortie anticipée desdits projets,

- l'absence de prise en compte des recommandations et alertes formulées par ses supérieurs hiérarchiques, portant notamment sur le suivi de formations en 2016 et 2017,

- son désengagement croissant vis-à-vis des responsabilités qui étaient les siennes en tant que 'senior consultant', aboutissant à une qualité de travail en-deçà des attentes de la société au regard notamment de son expérience professionnelle.

[N] [T] soutient que son licenciement n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse en ce qu'il estime que l'évaluation de sa performance qualitative a été injustement dégradée et n'est pas justifiée par des éléments objectifs ; qu'il a globalement atteint ses objectifs pour l'année 2016 et n'a pas reçu d'objectifs en 2017 ; que la mission 'Sap' ne relevait pas de son domaine de compétence ; qu'il a suivi un 'coaching' personnel validé par la société ; qu'il n'a pas été accompagné sur la mission 'Gazpar' alors que le client présentait une personnalité difficile, de l'aveu même de la société et qu'il s'est beaucoup investi sur cette mission ; que cette surcharge de travail a impacté sa santé ;qu'il a en dernier lieu rédigé trois propositions commerciales qui n'ont pas fait l'objet d'observations de l'employeur ; qu'il lui a été attribué un 'Business Award'.

La société Bearingpoint France fait valoir que le licenciement est justifié par l'insuffisance professionnelle du salarié ; qu'au regard des responsabilités attachées au poste de 'senior consultant' du salarié, qui présentait une expérience antérieure de cinq années, celui-ci a fait montre d'insuffisances professionnelles dans les missions confiées ; que s'il avait conscience de ses difficultés et s'était engagé à mettre en place un plan de formation en 2016, le salarié n'a cependant suivi aucune des formations qu'il avait identifiées ; qu'il s'est progressivement désinvesti de ses missions en 2017 ; qu'il ne s'est notamment pas suffisamment impliqué dans la rédaction d'une proposition commerciale au client Air France, qui a fait l'objet de nombreuses demandes de corrections par son manager, afin de pouvoir être proposée à la cliente.

En application de l'article L. 1232-1 du code du travail, un licenciement doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.

Si la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du licenciement n'appartient spécialement à aucune des parties, le juge formant sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et au besoin après toute mesure d'instruction qu'il juge utile, il appartient néanmoins à l'employeur de fournir au juge des éléments lui permettant de constater la réalité et le sérieux du motif invoqué.

L'insuffisance professionnelle, qui se manifeste par la difficulté du salarié à exercer correctement sa prestation de travail, quelle que soit sa bonne volonté, constitue un motif de licenciement dès lors qu'elle repose sur des éléments objectifs matériellement vérifiables au regard des responsabilités du salarié.

L'insuffisance professionnelle, sauf abstention volontaire ou mauvaise volonté délibérée du salarié, ne constitue pas une faute.

Au soutien des griefs de la lettre de licenciement, la société Bearingpoint produit devant la cour les évaluations de l'activité professionnelle du salarié ainsi qu'un courriel rédigé par [Z] [M], son supérieur hiérarchique le 7 juin 2017 faisant état de son jugement sur la qualité du travail du salarié. Ces pièces faisant état d'appréciations purement qualitatives sur les prestations de travail fournies par le salarié ne sont corroborées par aucune pièce se rapportant à des faits précis et datés, et matériellement vérifiables.

Alors que le salarié produit de son côté une attestation d'un collègue, [P] [W], qui a collaboré avec lui sur la mission Sap pour le client Daher et indique que le salarié ne possédait pas l'expertise nécessaire pour être crédible auprès de ce client et n'a pas eu le temps de les acquérir, d'où les difficultés rencontrées, ainsi que de nombreux échanges de courriels sur l'exécution de la mission Gazpar pour le client Grdf faisant ressortir son investissement et en particulier les remerciements du client qualifiant son investissement de 'remarquable' le 10 mars 2017, outre des échanges de courriels sur le travail accompli relatif aux propositions commerciales Air France et Mbda, force est de constater que les reproches énumérés dans la lettre de licenciement ne sont pas corroborés par des éléments objectifs matériellement vérifiables par la cour.

Par ailleurs, si le salarié justifie avoir demandé, par courriel du 16 mars 2016 un accompagnement au service des ressources humaines dans le cadre de formations, la cour ne peut que constater qu'il n'est produit aucune pièce émanant de l'employeur sur les suites données à cette demande. En outre, le salarié justifie avoir effectué des démarches afin de bénéficier d'un coaching. Il n'est démontré par aucune pièce que l'accompagnement demandé par le salarié sur des thématiques de communication a donné lieu à des mesures concrètes par l'employeur.

Il résulte de ce qui précède que le licenciement ne peut être considéré comme reposant sur une cause réelle et sérieuse contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges.

[N] [T] est par conséquent en droit d'obtenir une indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse dont le montant ne peut être inférieur aux salaires des six derniers mois en application des dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige.

Au regard des salaires des six derniers mois, de l'ancienneté dans l'entreprise d'un peu plus de deux ans et du fait que postérieurement au licenciement, le salarié a fait l'objet d'une prise en charge par Pôle emploi avant de retrouver un emploi le 1er juillet 2019 de consultant Etam avec un salaire inférieur de plus de 2 000 euros à celui qu'il percevait au sein de la société Bearingpoint, il convient de lui allouer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 30 500 euros à la charge de la société Bearingpoint.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

[N] [T] sollicite des dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par une exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur en invoquant les reproches injustifiés à son égard énumérés dans la lettre de licenciement. En tout état de cause, celui-ci ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui causé par le licenciement déjà réparé. Il sera débouté de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le manquement à l'obligation de santé et de sécurité

[N] [T] fait valoir qu'il a été contraint par l'employeur de travailler à plusieurs reprises durant ses arrêts de travail pour maladie ; qu'il a subi une charge de travail très importante sur la mission Grdf signalée à son supérieur hiérarchique, qui n'a pris aucune mesure pour y remédier ; qu'il a dû gérer seul cette mission sans soutien, ce qui a eu des répercussions sur sa santé psychique.

La société Bearingpoint France réplique que c'est le salarié qui a pris l'initiative des échanges noués pendant son arrêt de travail pour maladie relatifs à la proposition commerciale pour un nouveau client, identifié grâce à ses relations personnelles ; que le salarié n'a jamais fait état d'une surcharge de travail lors de son entretien de mi-année 2016 ; qu'il a été déclaré apte par le médecin du travail ; qu'il n'établit pas de lien entre son état de santé et ses conditions de travail.

En application des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment en matière de harcèlement moral, l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

S'il ressort d'échanges de courriels produits devant la cour que le salarié a effectivement accompli des prestations pour le compte de la société Bearingpoint pendant une période où celui-ci bénéficiait d'un arrêt de travail entre le 22 octobre 2015 et le 15 janvier 2016, force est cependant de constater qu'aucune directive n'a été donnée au salarié par sa hiérarchie et que c'est lui qui est à l'origine des échanges en invoquant une opportunité de mission auprès d'une connaissance de son oncle.

S'agissant de la surcharge de travail alléguée dans le cadre de l'exécution de la mission Grdf, aucune pièce ne vient objectiver une telle allégation.

Le médecin du travail a rendu les 23 juillet 2015 et 15 février 2016 des avis d'aptitude au poste concernant le salarié, sans émettre de restrictions.

Enfin, si les pièces médicales produites devant la cour démontrent que l'état de santé du salarié a nécessité un arrêt de travail, il ne ressort cependant de ces pièces aucun lien entre les conditions de travail et l'état de santé du salarié.

En tout état de cause, le salarié ne justifie pas d'un préjudice causé par le manquement à l'obligation de sécurité allégué.

Il convient de débouter [N] [T] de sa demande au titre du manquement à l'obligation de santé et de sécurité et de confirmer le jugement sur ce point.

Sur l'application de l'article L. 1234-5 du code du travail

En application d'office des dispositions de l'article L. 1234-5 du code du travail, il sera ordonné à la société Bearingpoint de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à [N] [T] et ce, dans la limite de six mois d'indemnités.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles.

Au regard de la solution du litige, la société Bearingpoint sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel et à payer à [N] [T] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement en ce qu'il a retenu que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a débouté [N] [T] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a statué sur les dépens et les frais irrépétibles,

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT que le licenciement n'est pas justifié par une cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Bearingpoint à payer à [N] [T] la somme de 30 500 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Y ajoutant,

ORDONNE à la société Bearingpoint de rembourser aux organismes concernés les indemnités de chômage versées à [N] [T] et ce, dans la limite de six mois d'indemnités,

CONDAMNE la société Bearingpoint à payer à [N] [T] la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE les parties des autres demandes,

CONDAMNE la société Bearingpoint aux entiers dépens,

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Morgane BACHE , greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 20/00062
Date de la décision : 07/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-07;20.00062 ?
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