COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 07 JUILLET 2022
N° RG 19/00449 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S6UA
AFFAIRE :
[N] [F]
C/
SA ELIS SERVICES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 17 Décembre 2018 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
N° Chambre :
N° Section : E
N° RG : 16/00579
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Marion LOMBARD
Me Pauline BLANDIN
le : 08 Juillet 2022
Expédition numérique délivrée à Pôle Emploi, le 08 Juillet 2022
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT JUILLET DEUX MILLE VINGT DEUX ,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 19 Mai 2022,puis prorogé au 30 Juin 2022,puis au 07 Juillet 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Madame [N] [F]
née le 05 Février 1976 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par : Me Marion LOMBARD de l'AARPI M2A AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R067
APPELANTE
****************
SA ELIS SERVICES
N° SIRET : 693 001 091
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par : Me Pauline BLANDIN, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0586
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 25 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société Elis Services a pour activité le service aux entreprises et aux collectivités au travers notamment de la fourniture/location de linge, vêtements de travail et produits d'hygiène. Elle emploie environ 450 salariés et applique la convention collective nationale de la blanchisserie-teinturerie et nettoyage du 17 novembre 1997.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 9 mars 2012, Mme [N] [F], née le 5 février 1976, a été engagée par la société Elis Services, à compter du 17 septembre 2012, en qualité de chef de produit senior (expert habillement) au sein de la direction marketing. En octobre 2013, elle a évolué au poste de responsable de pôle.
En dernier lieu, elle occupait le poste de chef de marché, à la direction des grands comptes, basée à [Localité 6] (Hauts-de-Seine).
Par courrier du 8 décembre 2015, Mme [F] a été convoquée à un entretien préalable qui s'est tenu le 18 décembre 2015. Elle s'est vu notifier son licenciement pour insuffisance professionnelle par lettre du 28 décembre 2015 ainsi rédigée :
« (...) Nous vous rappelons ci-dessous les motifs de ce licenciement qui vous ont été exposés lors de l'entretien préalable :
1) Insuffisance dans le suivi des clients :
En votre qualité de chef de marché, vous êtes notamment chargée du suivi des dossiers des clients : ainsi, vous devez piloter les intervenants des différentes directions et/ou des différents centres, vous assurer que les informations soient correctement transmises, les instructions, plans d'actions suivis d'effet dans les délais fixés, afin de garantir la satisfaction des clients.
Or, vous faites preuve d'un manque de réactivité pour traiter les demandes de clients et leur apporter les réponses nécessaires. Votre supérieur hiérarchique ou moi-même sommes fréquemment contraints de vous relancer pour que les dossiers soient traités.
Des clients se plaignent sur le fait que vous n'êtes pas facilement joignable ou que vous ne leur apportez pas les réponses demandées. Ainsi, par exemple, Arcelor s'est plaint que vous étiez invisible sur le dossier et que vous ne faisiez pas fonctionner les bons leviers pour améliorer les différents processus. [I] nous a fait part de son insatisfaction sur la façon dont vous les suiviez, votre manque de réactivité et l'absence d'actions pour faire avancer leur dossier.
Vous transmettez des mails aux Directeurs de Centre, sans explications ou demandes particulières, ce qui suscite des interrogations de la part des destinataires ou leur mécontentement car ils doivent se débrouiller tout seul pour gérer les problèmes.
Vous n'assurez pas le suivi des points traités avec d'autres collaborateurs de l'entreprise, ce qui les empêche d'avancer et crée là encore des mécontentements.
Vous êtes en charge du dossier SNCF : nous vous avons demandé d'apporter le plus grand sérieux à ce dossier compte tenu des enjeux et de sa complexité. Or, vous ne répondez pas aux demandes du client (comme par exemple le mail du 17 septembre 2015 sur les problèmes rencontrés ou la transmission d'un mail de la SNCF le 2 octobre à la Direction des Achats et des Approvisionnements 10 jours après que le client demandait une réponse le 9 octobre) ou vous ne faites pas le nécessaire auprès des centres (comme par exemple l'envoi d'une note sur les process spécifiques).
Le 6 novembre 2015, vous avez assisté à une réunion avec [R] [E], [P] [B], [H] [T] et moi-même, au cours de laquelle nous devions examiner le problème des 25 000 vêtements de travail en écart d'inventaire. Vous auriez dû préparer vous-même cette réunion en rédigeant/pilotant la présentation qui a pourtant été faite uniquement par [P] [B]. Vous n'êtes pas intervenue pendant la réunion. Vous n'avez donc pas assuré votre rôle dans le suivi de ce client.
En juin 2015, le client DS Smith qui représente le chiffre d'affaires de 600 000 € par an, a été transféré sur votre portefeuille. Vous n'avez pas réagi à la réception de deux courriers consécutifs de résiliation du contrat de la part du client. Dès le premier courrier, vous auriez dû prendre les mesures qui s'imposent comme une visite du client, une analyse des causes, la proposition d'un plan d'actions '
Vous ne préparez pas suffisamment les rendez-vous clients : Les présentations/soutenances clients sont faites à la dernière minute, en faisant des copier/coller, sans personnalisation au client, à ses enjeux et demandes.
2) Vous ne vous conformez pas aux directives qui vous sont données :
Vous avez remis une offre de prix d'un montant de 400 K€/an sans la faire valider par votre supérieur hiérarchique, alors que toutes les offres doivent nécessairement faire l'objet d'une telle validation. Vous ne l'avez pas non plus mis en copie de votre réponse, ce qui l'a mis en difficulté lorsque le prospect a appelé pendant vos vacances pour obtenir des renseignements.
Vous refusez de vous conformer à la demande de votre supérieur hiérarchique d'effectuer systématiquement un compte-rendu de vos rendez-vous clients et ce, malgré la réitération de cette demande notamment les 24 juillet 2015 et 1er septembre 2015. Ce n'est qu'après plusieurs relances que vous avez transmis à votre supérieur hiérarchique quelques comptes-rendus. Or, ces comptes-rendus sont nécessaires au suivi de votre activité et nous permettent d'avoir une visibilité sur les dossiers à votre charge.
Ces différentes insuffisances dans l'exercice de votre fonction ont une conséquence directe sur vos résultats : votre objectif pour 2015, ajusté suite aux difficultés rencontrées avec la SNCF, est de 110 K€. A date, et alors qu'aucun chiffre d'affaires significatif n'est prévu d'ici le 31 décembre 2015, le chiffre d'affaires signé par vous représente moins de 50% de votre objectif.
Dans ces conditions, nous nous voyons contraints de mettre fin à notre relation contractuelle.
Par ailleurs, nous vous informons que nous vous libérons de votre obligation de non-concurrence figurant dans votre contrat. (...) »
Par requête reçue au greffe le 8 mars 2016, Mme [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de contester son licenciement et de voir condamner la société Elis Services au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
Par jugement rendu le 17 décembre 2018, le conseil de prud'hommes a :
- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,
- débouté Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses propres dépens.
Mme [F] a interjeté appel de la décision par déclaration du 14 février 2019.
Par conclusions adressées par voie électronique le 19 septembre 2019, elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le licenciement qui lui a été notifié le 28 décembre 2015 repose sur une cause réelle et sérieuse,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit valable la convention de forfaits jours,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,
et statuant à nouveau,
- fixer le salaire de référence de Mme [F] à hauteur de 8 142 euros bruts,
- juger que la convention de forfait annuel en jours est privée d'effet,
en conséquence,
- condamner la société Elis Services à verser à Mme [F] les sommes suivantes :
* rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : 85 083,48 euros bruts,
* congés payés afférents : 8 508,34 euros bruts,
* rappel de salaire au titre des majorations du travail le dimanche et des jours fériés : 7 201,07 euros bruts,
* congés payés afférents : 720,10 euros bruts,
* indemnité pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos : 45 660,67 euros,
* congés payés afférents : 4 566,06 euros,
* dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, des repos quotidiens et hebdomadaires (1 mois) : 8 142 euros nets,
* indemnité pour travail dissimulé (6 mois) : 48 852 euros nets,
- juger que le licenciement notifié le 28 décembre 2015 est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
en conséquence,
- condamner la société Elis Services au paiement d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse d'un montant de 73 278 euros nets,
- juger que Mme [F] est fondée à réclamer des rappels de salaire au titre de ses bonus 2014 et 2015,
en conséquence,
- condamner également la société Elis Services au paiement des sommes suivantes :
* rappel de bonus 2014 : 2 381 euros bruts,
* congés payés afférents : 238,10 euros bruts,
* rappel de bonus 2015 : 6 322 euros bruts,
* congés payés afférents : 632,20 euros bruts,
- ordonner la remise des bulletins de paye et des documents rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour,
- assortir les condamnations des intérêts aux taux légaux à compter de la saisine prud'homale et ordonner la capitalisation des intérêts,
- condamner la société Elis au paiement d'une somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner également aux entiers dépens.
Par conclusions adressées par voie électronique le 3 juin 2019, la société Elis Services demande à la cour de :
- débouter Mme [F] de son appel,
en conséquence,
- confirmer en tous points le jugement entrepris,
- débouter Mme [F] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner Mme [F] à payer à la société Elis Services une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Mme [F] aux entiers dépens.
Par ordonnance rendue le 2 juin 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 10 septembre 2021.
Une médiation a été tentée dans cette affaire, avec l'accord des deux parties, qui n'a cependant pas abouti.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
Sur la durée du travail
- sur la convention de forfait jours
Mme [F] soutient que la convention individuelle de forfait annuel en jours à laquelle elle a été soumise durant la relation de travail doit être considérée comme privée d'effet dès lors que les dispositions contenues dans le contrat de travail sont insuffisantes par rapport aux exigences légales et jurisprudentielles, que le contrat ne fait référence à aucun accord d'entreprise qui mettrait en place une telle organisation du temps de travail, qu'elle n'a bénéficié d'aucun suivi de sa charge de travail, que l'employeur n'a pas cru devoir assurer un quelconque contrôle de la durée du travail en s'abstenant d'établir un décompte des journées travaillées, que le nombre de jours travaillés a dépassé le nombre légal de jours prévus par le forfait, qu'elle a été régulièrement privée de ses repos légaux tant quotidiens qu'hebdomadaires.
Elle en déduit qu'elle peut prétendre au paiement des heures de travail accomplies au-delà de la durée légale du travail de 35 heures.
Elle revendique le paiement de 1 711 heures et 11 minutes supplémentaires accomplies entre janvier 2014 et décembre 2015, soit la somme de 85 083,48 euros tenant compte des majorations à 25% ou à 50%, outre les congés payés afférents, les sommes dues au titre des dimanches et jours fériés travaillés, du dépassement du contingent annuel des heures supplémentaires, du non-respect des durées maximales de travail et des repos quotidiens et hebdomadaires, ainsi qu'une indemnité pour travail dissimulé.
La société Elis Services fait valoir en réplique qu'elle a pris des dispositions sur le forfait-jours dans un accord d'entreprise du 13 mars 2000, modifié par des avenants du 19 décembre 2008 et du 24 novembre 2011, lesquels prévoient bien, conformément aux obligations légales, des mesures fixant les modalités de prise de repos et de suivi de l'organisation du travail, que les modalités de contrôle du temps de travail ont été rappelées dans le contrat de travail de la salariée valant convention de forfait et dans l'avenant du 10 juin 2013 à ce contrat, qu'un suivi informatique de l'activité de chaque cadre soumis au forfait jours a été mis en place au sein de l'entreprise, ce suivi justifiant que Mme [F] n'a pas dépassé le plafond de 218 jours par an, que sa charge de travail était abordée mensuellement lors des business reviews avec son supérieur hiérarchique et annuellement lors des entretiens annuels d'évaluation, ainsi qu'à l'occasion de points particuliers, que lors de l'entretien annuel du 9 février 2015, Mme [F] a évoqué pour la première fois « une charge de travail extrêmement importante pas de vie sociale + vie de famille complètement mise de côté », ce point d'insatisfaction faisant néanmoins suite aux remarques qui lui étaient faites sur la qualité de son travail et l'annonce qu'elle ne percevrait qu'une partie de sa prime annuelle.
Elle s'oppose à la demande en paiement d'heures supplémentaires et aux demandes subséquentes.
Sur ce, il sera rappelé que la conclusion d'une convention de forfait jours requiert que :
- le salarié dispose d'une réelle autonomie dans l'organisation de son emploi du temps ;
- un accord collectif d'entreprise ou, à défaut, une convention ou un accord de branche autorise et réglemente la conclusion de conventions de forfait jours en application de l'article L. 3121-39 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits ;
- un accord soit mis en place sur le forfait jours prévoyant des règles de suivi de la charge du travail du salarié. L'employeur est tenu d'établir un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées, ainsi que le positionnement et la qualification des jours de repos en repos hebdomadaires, congés payés, congés conventionnels ou jours de repos au titre de la réduction du temps de travail ; ce document peut être tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur ; le supérieur hiérarchique du salarié ayant conclu une convention de forfait défini en jours assure le suivi régulier de l'organisation du travail de l'intéressé et de sa charge de travail ;
- une convention individuelle de forfait soit rédigée et acceptée par le salarié en application de l'article L. 3121-40 du code du travail dans sa version en vigueur lors des faits ;
- un entretien annuel soit organisé en application de l'article L. 3121-46 du code du travail, dans sa version en vigueur lors des faits, qui dispose : « Un entretien annuel individuel est organisé par l'employeur, avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année. Il porte sur la charge de travail du salarié, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, ainsi que sur la rémunération du salarié » ; l'entretien d'évaluation annuelle ne peut suffire à respecter ces prescriptions légales.
Ces conditions sont cumulatives. Par conséquent, si l'une d'entre elles fait défaut, le forfait annuel en jours encourt la nullité ou n'est pas opposable au salarié qui peut réclamer le paiement d'heures supplémentaires.
En l'espèce, l'article 3.4 de l'accord concernant la réduction et l'aménagement du temps de travail, modifié en dernier lieu par avenant du 24 novembre 2011 prévoit que :
« (...) Sont instaurées des convention de forfait en jours travaillés dans l'année, ces forfaits incluant la journée de solidarité.
Le nombre de jours travaillés dans une année est de 218 (...).
Les jours de repos pris font l'objet d'une auto-déclaration par chaque cadre dans le système informatique de gestion des temps et d'un suivi sous la responsabilité du supérieur hiérarchique.
Les cadres visés au présent § doivent bénéficier :
- d'un repos quotidien de 11 heures consécutives ;
- d'un repos hebdomadaire en conformité avec la convention collective et, en tout état de cause, d'au moins 35 heures consécutives ;
- d'une interdiction de travailler sur plus de 6 jours par semaine ;
Le cadre en forfait jours doit par ailleurs pouvoir organiser son temps de travail de manière à ne pas dépasser, sur une semaine, 48 heures de travail.
Le supérieur hiérarchique du collaborateur s'assure que l'amplitude des journées de travail et la charge de travail du collaborateur soient raisonnables et veille à une bonne répartition dans le temps du travail du collaborateur.
L'exécution du forfait jours sera abordée lors de l'entretien annuel individuel organisé avec chaque cadre, conformément aux dispositions de l'article L. 3121-46 du code du travail. »
Le contrat de travail du 9 mars 2012, qui ne fait aucune référence à l'accord d'entreprise susvisé du 13 mars 2000, comme le souligne justement la salariée, est ainsi rédigé :
« Vous effectuerez, dans le cadre d'une convention individuelle de forfait, 218 jours de travail par année civile (en faisant l'hypothèse d'un droit intégral à congés payés).
Dans ce cadre de vos missions, vous disposez de l'autonomie nécessaire pour organiser l'amplitude de vos journées de travail, ceci dans le respect des règles légales et dans un souci de bon fonctionnement du service auquel vous appartenez.
A cet effet, vous vous engagez à tout mettre en 'uvre de façon à respecter les durées maximales de travail qui vous sont applicables, à savoir :
- un repos quotidien de 11 heures consécutives ;
- un repos hebdomadaire en conformité avec la convention collective et en tout état de cause d'au moins 35 heures consécutives ;
- une interdiction de travailler sur plus de six jours par semaine.
Par ailleurs, du fait de votre pleine autonomie, vous devez pouvoir organiser votre activité afin de ne pas dépasser la limite hebdomadaire de 48 h de travail.
(...) Compte tenu de la nature de votre fonction et de votre indépendance dans la gestion de votre temps de travail, votre rémunération brute globale est indépendante du nombre d'heures de travail réellement effectuées.
Elle correspond au nombre de jours travaillés ci-dessus mentionné. »
La lettre-avenant à ce contrat, signée le 10 juin 2013 par les parties, a pour objet le forfait jours et les congés payés. Elle ne fait pas plus référence à l'accord d'entreprise du 13 mars 2000 et elle précise :
« Faisant suite au passage du décompte des congés payés de jours ouvrables à jours ouvrés, nous vous confirmons que votre forfait jours n'est pas modifié du fait de ce changement.
Pour mémoire, depuis le 17 septembre 2012, vous effectuez, dans le cadre d'une convention individuelle de forfait, 218 jours de travail par année civile (en faisant l'hypothèse d'un droit intégral à congés payés).
Les jours de repos dégagés par cette organisation du travail intègrent les jours conventionnels d'ancienneté dont vous pourriez bénéficier. Nous vous rappelons que ces jours de repos font l'objet de votre part d'une auto-déclaration dans le système informatique de gestion des temps (SAP), et d'un suivi par votre supérieur hiérarchique. »
L'employeur se prévaut de la mise en place au sein de l'entreprise d'un dispositif de suivi informatique de l'activité de chaque cadre soumis au forfait jours et il produit une impression des données relatives à l'activité de Mme [F], faisant apparaître pour chaque semaine le nombre de jours travaillés par la salariée entre le 27 décembre 2012 et le 30 décembre 2015, avec mention d'une validation par le supérieur hiérarchique.
Cet outil de suivi, reposant sur un système auto-déclaratif des jours travaillés, ne permet cependant pas à l'employeur de vérifier si la salariée a travaillé au-delà de la durée maximale quotidienne de travail et/ou de la durée maximale hebdomadaire de travail.
L'employeur indique ensuite que la charge de travail de Mme [F] était abordée mensuellement lors des business reviews avec son supérieur hiérarchique, M. [L] [K]. Toutefois, les comptes-rendus des business reviews des 24 juillet et 8 septembre 2015 que la société intimée verse aux débats se limitent à faire état de l'avancement des objectifs assignés à la salariée et des actions 'prospects et clients' à mener d'ici la prochaine business review, outre différentes instructions de son supérieur hiérarchique, aucun point n'ayant manifestement été fait sur la charge de travail de la salariée à l'occasion de ces réunions.
Les formulaires d'entretiens annuels d'évaluation comportent certes un cadre intitulé 'Organisation du travail' à l'intérieur duquel sont mentionnées les questions suivantes : « Comment évaluez-vous votre charge de travail ' », « Comment évaluez-vous l'organisation du travail dans votre centre/service ' », « Comment évaluez-vous l'articulation entre votre activité professionnelle et votre vie personnelle et familiale ' ».
Si, lors des entretiens du 11 janvier 2013 et du 16 janvier 2014, la salariée n'a pas signalé de difficulté particulière quant à sa charge de travail, se contentant de répondre 'Ok' aux questions, voire en 2013 'Ok pour l'instant' à la dernière question, le compte-rendu de l'entretien annuel d'évaluation qui s'est tenu le 9 février 2015 n'a donné lieu à aucune indication sur ce point, et ce alors que dans le 'Support collaborateur' renseigné par Mme [F], l'intéressée a mentionné parmi les points d'insatisfaction : « charge de travail extrêmement importante : pas de vie sociale + vie de famille complètement mise de côté (travail matin et/ou soir, week-ends et vacances) », ce qui n'a au demeurant donné lieu à aucune réponse du supérieur hiérarchique, destinataire de ce document.
Il convient dès lors de constater que l'employeur a été défaillant dans le suivi effectif de la charge de travail de sa salariée, laquelle s'est plainte d'un alourdissement de sa charge de travail consécutivement à sa nomination, en 2014, au poste de chef de marché à la direction des grands comptes, ce que les éléments produits par la société Elis Services, en particulier l'attestation de M. [K], sont insuffisants à démentir.
Il en résulte que la convention de forfait en jours à laquelle Mme [F] a été soumise durant la relation de travail est privée d'effet. La salariée est donc en droit de se prévaloir de l'application de la durée légale du travail de 35 heures par semaine et de réclamer le paiement des heures supplémentaires effectuées.
- sur le rappel de salaire pour heures supplémentaires
Selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences légales ainsi rappelées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Au soutien de sa demande de rappel de salaire, Mme [F] produit :
- un tableau récapitulatif des heures supplémentaires qu'elle prétend avoir effectuées entre janvier 2014 et décembre 2015, indiquant pour chaque jour l'heure d'arrivée et l'heure de départ, la pause déjeuner, le total des heures travaillées chaque jour et chaque semaine, le nombre d'heures supplémentaires réalisées chaque semaine ainsi que les majorations applicables, outre des observations sur ses rendez-vous et déplacements ;
- de nombreux courriels destinés à démontrer l'amplitude des journées de travail.
La salariée fournit ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Or, la société Elis Services se limite essentiellement à critiquer le tableau établi par la salariée, lequel soutient-elle ne reflète en rien la réalité, et à indiquer que les courriels dont elle se prévaut ne démontrent en rien l'existence des très nombreuses heures supplémentaires alléguées. Elle soutient que Mme [F] n'a jamais sollicité auprès de son employeur l'autorisation d'effectuer des heures supplémentaires, qu'en tout état de cause il ne lui a jamais été demandé de répondre à des courriels tard le soir ou le week-end.
Il résulte cependant des éléments et explications fournis par la salariée que l'employeur ne pouvait ignorer l'accomplissement des heures supplémentaires effectuées par elle, nonobstant ses contraintes familiales, avec l'accord à tout le moins implicite de sa hiérarchie compte tenu de la charge de travail induite par le poste occupé.
Il y a donc lieu de retenir le principe d'heures supplémentaires, dans une moindre mesure cependant que celle revendiquée.
Les heures supplémentaires effectuées de janvier 2014 à décembre 2015 seront évaluées à la somme de 48 762,40 euros, outre la somme de 4 876,24 euros au titre des congés payés afférents.
- sur les heures effectuées les dimanches et jours fériés
Le rappel de salaire pour les heures de travail effectuées les dimanches et jours fériés sera évalué à la somme de 5 046,87 euros, outre la somme de 504,68 euros au titre des congés payés afférents.
- sur la contrepartie obligatoire en repos
Compte tenu du nombre d'heures supplémentaires retenues pour la période considérée et du dépassement du contingent annuel de 220 heures pour les années 2014 et 2015, Mme [F] a droit à une indemnité réparant le préjudice résultant de ce qu'elle n'a pas été en mesure de prendre sa contrepartie obligatoire en repos du fait de l'employeur. Cette indemnité sera fixée à la somme de 20 825,66 euros à laquelle s'ajoutera une indemnité compensatrice de congés payés afférents de 2 082,56 euros.
- sur le non-respect des durées maximales de travail et des repos quotidiens et hebdomadaires
Dans l'appréciation qu'elle a fait des heures supplémentaires, la cour a retenu que Mme [F] avait travaillé le soir et le week-end à plusieurs reprises.
Le préjudice qui en est résulté pour la salariée sera indemnisé par l'allocation de la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts.
- sur le travail dissimulé
L'article'L. 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L. 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L. 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié.
Aux termes de l'article L. 8223-1 du code du travail, le salarié auquel l'employeur a recours dans les conditions de l'article'L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article'L. 8221-5 du même code relatifs au travail dissimulé a droit, en cas de rupture de la relation de travail, à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
L'article'L. 8221-5, 2° du code du travail dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.
Il résulte des développements précédents que la société Elis Services s'est crue liée à Mme [F] par une convention de forfait en jours. Cette convention ayant été considérée comme privée d'effet, l'intention de dissimuler le travail de la salariée pendant la relation contractuelle n'est pas caractérisée.
Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [F] de sa demande indemnitaire.
Sur le licenciement
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
L'article L. 1235-1 du même code dispose qu'en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute persiste, il profite au salarié.
Ainsi l'administration de la preuve en ce qui concerne le caractère réel et sérieux des motifs du licenciement n'incombe pas spécialement à l'une ou l'autre des parties. En application de l'article L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé de faits matériellement vérifiables, à défaut de quoi le licenciement doit être jugé sans cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, la société Elis Services reproche à Mme [F] une insuffisance professionnelle.
Pour constituer une cause légitime de rupture, l'insuffisance professionnelle doit être établie par des éléments objectifs, constatée sur une période suffisamment longue pour ne pas apparaître comme passagère ou purement conjoncturelle, directement imputable au salarié et non la conséquence d'une conjoncture économique difficile ou du propre comportement de l'employeur.
Il appartient à l'employeur d'établir que l'insuffisance professionnelle reprochée au salarié repose sur des éléments objectifs, précis et imputables à celui-ci.
La salariée conteste le bien-fondé de son licenciement. Elle considère que les circonstances entourant sa collaboration et la rupture de son contrat de travail ne permettent pas à l'employeur de se prévaloir valablement d'une insuffisance professionnelle à son encontre. Elle invoque l'évolution significative de ses fonctions en moins de deux ans, ce qui l'a amenée à prendre la responsabilité de deux postes stratégiques, démontrant la confiance et la satisfaction de la société Elis, l'absence d'un quelconque reproche et encore moins d'une quelconque sanction, le fait que son chiffre d'affaires était en progression, que deux des comptes clients qu'elle gérait se sont retrouvés dans le top 10 des comptes ayant connu la plus belle évolution de chiffre d'affaires sur une année. Elle fait valoir qu'à partir de janvier 2014, elle a occupé une double fonction, conservant le poste de responsable de pôle tout en prenant celui de chef de marché grands comptes, cette double responsabilité ayant entraîné une augmentation particulièrement importante de sa charge de travail, sans être accompagnée des moyens nécessaires, ce qui l'a conduite à alerter son supérieur hiérarchique, sans que celui-ci réagisse, puis à être arrêtée pour surmenage au mois d'octobre 2015.
L'employeur rétorque que les entretiens annuels de Mme [F], antérieurs à son licenciement, démontrent que celle-ci n'atteignait pas les résultats escomptés, que courant 2015, il a été contraint de constater que son travail, loin d'assurer la satisfaction de la clientèle, générait au contraire de nombreuses réclamations.
Aux termes de la lettre de licenciement, il est reproché à la salariée une insuffisance dans le suivi des clients et son refus de se conformer aux directives de travail.
Il sera tout d'abord noté que Mme [F] a été engagée par la société Elis Services, en septembre 2012, en qualité de chef de produit senior (expert habillement) au sein de la direction marketing, qu'elle a très vite progressé au sein de l'entreprise, en étant nommée responsable de pôle au sein de la même direction en octobre 2013, puis chef de marché à la direction des grands comptes en avril 2014. Il ne résulte en effet pas des éléments de la procédure que la salariée a occupé ce dernier poste dès janvier 2014 comme elle le prétend.
Ses entretiens d'évaluation réalisés le 11 janvier 2013 et le 16 janvier 2014 par Mme [V] [Y], directrice marketing, font état de résultats conformes aux attentes, avec s'agissant du bilan de l'année 2013, une très bonne expertise technique, une orientation client (interne et externe) très forte, une très bonne gestion des dossiers image, un esprit d'initiative prononcé et fiable, Mme [F] étant très appréciée par les opérationnels et par les commerciaux. Le compte-rendu indique que ces compétences ont 'poussé' la volonté de l'employeur de lui proposer une évolution vers un poste de chef de marché à la direction des grands comptes.
Mme [F] s'est vu confier, dans ce nouveau poste, le suivi de plusieurs clients, le plus important étant la SNCF, en termes d'enjeux financiers et de complexité, comme le souligne lui-même l'employeur, lequel reproche à l'intéressée son inertie et ses insuffisances dans la gestion de ce client, ce qui a généré l'insatisfaction de ce dernier et la nécessité pour ses supérieurs hiérarchiques d'intervenir en lieu et place de la salariée.
La complexité du dossier SNCF est établie par les attestations versées aux débats par l'employeur. M. [P] [B], responsable du back office grands comptes, écrit ainsi que : « Le contrat était particulièrement complexe car il portait sur plus de 40 000 personnes à habiller avec des équipements de protection individuelle pour un nombre importants de sites. Les vêtements étaient la propriété de la SNCF et le contrat avait pour objet le blanchissage des vêtements, alors que nos contrats sont en principe des contrats de location-entretien de vêtement de travail. (...) Le process connaissait des difficultés : les demandes d'approvisionnement passées par les centres Elis à Gafides ne correspondaient pas aux commandes passées par les sites SNCF au confectionneur. La SNCF s'adressait directement aux centres Elis qui commandaient des vêtements à Gafides sans passer par le processus de commande du confectionneur. Cela a généré de nombreux écarts impactant la livraison et la facturation, et des tensions entre la SNCF, le confectionneur, les centres Elis, la DGC [direction grands comptes] et la DAA. » M. [W] [A] indique quant à lui : « Une grande confusion a régné sur cette mise en place atypique. La quasi-totalité des contrats Elis sont des contrats de location-entretien du linge. Le linge qui nous appartient est loué aux clients et entretenu dans nos usines. Pour la SNCF, les vêtements de travail appartiennent à la SNCF et sont entretenus par nous. Les vêtements, plus de 100 000 pour mon centre, étaient achetés par la SNCF directement à Cepovett qui les envoyaient pour marquage à Gafides (Centre Elis au Portugal en charge de mise à la taille et de marquage des vêtements de travail), qui nous les renvoyait pour distribution. Cette façon de faire est inhabituelle (...) ».
Or, il ressort des courriels versés aux débats par Mme [F] que, déjà, le 5 septembre 2014, elle avait listé les tâches principales sur lesquelles elle pourrait être secondée sur les contrats SNCF, que le 12 décembre 2014, elle interrogeait M. [K] sur l'état d'avancement du recrutement d'un collaborateur, validé par son supérieur hiérarchique, pour la 'soulager' sur le dossier SNCF, en indiquant « je passe de plus en plus de temps sur ce dossier, au détriment non seulement des prospects que je pourrais mettre en oeuvre pour alimenter mon portefeuille en 2015, mais aussi pour le suivi de mes clients existants », que cependant le 5 janvier 2015, Mme [F] relançait M. [K], le recrutement n'étant toujours pas effectif, que lors de son entretien d'évaluation elle a fait état de sa charge de travail particulièrement importante, ce que confirme la condamnation de l'employeur au paiement d'un grand nombre d'heures supplémentaires, outre notamment l'absence de fiche de poste, l'absence d'historique des dossiers (PC 100 % vierge), les outils de travail peu performants, le manque de formation, l'accompagnement très limité dont elle avait bénéficié lors de sa prise poste.
Si l'employeur fait état de demandes de la SNCF restées sans réponse ou de réponses tardives de la salariée (dont une demande du client le 2 octobre 2015 alors que l'intéressée était pourtant en arrêt maladie), celle-ci justifie de son côté des difficultés rencontrées dans la gestion de ce dossier atypique, sur lequel intervenaient, à différents niveaux, d'autres collaborateurs de la société Elis, de sorte que l'insatisfaction du client ne saurait être entièrement imputée à Mme [F], étant au surplus observé que la société Elis Services ne démontre pas, comme elle le prétend, que l'inertie et les insuffisances de la salariée ont nécessité pour ses supérieurs hiérarchiques d'intervenir en ses lieu et place.
La société Elis Services se prévaut par ailleurs de courriels de clients manifestant leur insatisfaction du service rendu. En ce qui concerne le client [I], elle produit un unique courriel d'avril 2014 relatif à des délais de livraison dans lequel Mme [F] n'est même pas visée. Si dans un courriel du 6 octobre 2015, le client Arcelor Mittal se plaint de ce que Mme [F] est « invisible et ne fait pas fonctionner les bons leviers en interne pour améliorer les différents processus », il indique aussi dans le même message : « il ne faut pas focaliser sur son cas car l'impression générale - càd ArcelorMittal et Aperam - est que l'entreprise Elis ne consacre plus les moyens adéquats pour piloter activement les clients de taille moyenne voire des clients industriels de taille moyenne. Donc on déduit qu'Elis ne serait plus intéressé par ce type de client. Il y a une très grande lassitude qui s'est installée et donc la concurrence est consultée activement. C'est un sujet sensible socialement comme vous le savez fort bien », et ce tandis que les échanges de la salariée avec le client en novembre 2015 témoignent au contraire de son implication.
Outre que les compte-rendus des business review des 24 juillet et 1er septembre 2015 ne font état d'aucune remarque particulière s'agissant du suivi des clients, l'entretien annuel d'évaluation réalisé le 9 février 2015 par M. [K] mentionne s'agissant de l'année 2014 : « [N] a fait une belle année concernant la partie organique : renégo + gestion des réclamations (Verralia, Constellium, Arcelor Mittal) ».
La société Elis Services reproche également à Mme [F] de ne pas avoir réagi à la réception de deux courriers consécutifs de résiliation du contrat de la part du client DS Smith Packaging France, cette résiliation ayant été effective le 30 novembre 2015.
La salariée justifie cependant avoir repris la gestion de ce client au mois d'octobre 2015 et fait valoir que le mécontentement de la société DS Smith Packaging France était antérieur à son arrivée sur le dossier. La cour observe en effet que les courriers de ce client font état d'une absence de réponse et d'actions d'Elis à l'ensemble de ses réclamations depuis janvier 2015, dont Mme [F] ne peut dès lors être tenue responsable, et que le dernier courrier du 16 novembre 2015 démontre que la situation n'était pas rattrapable, le client écrivant : « Nous avons accusé réception le 10/11/2015 de votre correspondance datée du 28/10/2015. Nous vous informons que la résiliation du contrat citée en objet interviendra bien à effet du 30/11/2015 et que notre courrier recommandé du 20/10 n'avait pas pour objet de solliciter un quelconque accord de votre part ».
Les autres éléments fournis par la société intimée au soutien de sa thèse de la prétendue insuffisance professionnelle dont Mme [F] aurait fait preuve, relatifs à la transmission de courriels aux directeurs de centre, sans explications ou demandes particulières, ou encore à l'insuffisante préparation des rendez-vous clients ne sont pas davantage pertinents.
La société Elis Services reproche enfin à Mme [F] de ne pas se conformer aux directives qui lui sont données. Elle vise un seul exemple dans la lettre de licenciement : la salariée aurait ainsi envoyé le 19 octobre 2015 au groupe ADF une offre de prix d'un montant de 400 000 euros par an sans la faire valider au préalable par son supérieur hiérarchique et elle n'aurait pas non plus mis M. [K] en copie de la réponse du client, ce qui l'aurait mis en difficulté lorsque le client a appelé pendant les vacances de Mme [F] pour obtenir des renseignements.
Outre que la salariée fait valoir en réplique que M. [K] a lui-même reconnu lors de l'entretien préalable que l'offre lui avait effectivement été soumise et qu'elle verse aux débats plusieurs compte-rendus adressés à son responsable pour validation avant envoi, ce seul manquement, à le supposer établi, est insuffisant à motiver le licenciement.
La cour relève au surplus que lors du dernier entretien d'évaluation, le 9 février 2015, il a été noté que Mme [F] avait réalisé une très bonne année 2014 sans perte de 'CMC' majeur, dépassant son objectif 'organique' à hauteur de 121 % et que l'objectif 'Vente' a été quand même atteint à hauteur de 92,7 % même si le supérieur hiérarchique a indiqué que la salariée devait engager plus d'affaires afin d'être à l'objectif.
La société Elis Services n'apportant pas la preuve de l'insuffisance professionnelle alléguée, le jugement entrepris mérite infirmation en ce qu'il a retenu que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse.
Compte tenu du rappel de salaire sur heures supplémentaires, la moyenne des salaires bruts mensuels de Mme [F] sera retenue au montant de 7 771,80 euros.
Au vu des pièces et des explications fournies, compte tenu des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à l'appelante, de son âge, de son ancienneté depuis le 17 septembre 2012 et des conséquences de la rupture à son égard, la société Elis Services sera condamnée à lui régler la somme de 47 000 euros à titre indemnitaire.
Sur la réalisation des objectifs et le rappel de bonus
- au titre de l'année 2014
Mme [F] sollicite un rappel de prime à hauteur de 2 381 euros au titre de l'année 2014, au motif qu'elle a été nommée au poste de chef de marché à compter du 1er janvier 2014, qu'elle a travaillé sur toute la période de référence et qu'elle a néanmoins perçu au mois de février 2015 une prime de 7 289 euros proratisée sur 70 %.
Ainsi que le fait cependant observer en réplique la société Elis Services, Mme [F] n'est devenue chef de marché que le 1er avril 2014, comme le démontrent ses fiches de paie et le certificat de travail qui lui a été délivré le 30 mars 2016, de sorte qu'elle avait droit à une prime sur objectifs sur trois trimestres, ainsi que le lui a confirmé son supérieur hiérarchique, M. [K], dans un courriel du 19 février 2015.
Il ressort de la fiche d'objectifs pour l'année 2014 qu'à objectifs atteints, la prime s'élevait à 9 670 euros pour la totalité de l'année. En percevant la somme de 7 289 euros, Mme [F] a donc été remplie de ses droits.
Elle sera déboutée de sa demande de ce chef, par confirmation du jugement entrepris.
- au titre de l'année 2015
Mme [F] sollicite un rappel de prime à hauteur de 6 322 euros au titre de l'année 2015, faisant valoir qu'elle n'a eu connaissance des objectifs qui lui avaient été fixés qu'au moment du versement de ladite prime, en février 2016, soit postérieurement à son licenciement, qu'au regard du caractère particulièrement tardif de la fixation des objectifs, elle est donc fondée à se voir verser l'intégralité de cette prime.
En réplique, la société Elis Services se limite à indiquer que Mme [F] n'a pas rempli ses objectifs, réalisant 51 998 euros de chiffre d'affaires de vente alors que son objectif était de 110 000 euros, et ce alors que son objectif de vente avait été diminué par rapport à l'année précédente en raison des difficultés rencontrées par la salariée dans la gestion du client SNCF.
L'employeur ne s'explique toutefois pas sur la fixation tardive des objectifs 2015, tandis que la salariée verse aux débats un courriel en date du 29 février 2016 par lequel M. [K] lui a transmis le 'fichier incentive' pour l'année 2015.
Au vu de ces éléments, Mme [F] est bien fondée à obtenir le versement de l'intégralité de la prime de 9 727 euros fixée par la fiche d'objectifs 2015. Dans la mesure où elle a déjà perçu la somme de 3 405 euros, la société Elis Services sera condamnée à lui verser, par infirmation du jugement entrepris, la somme de 6 322 euros à titre de rappel de bonus 2015, outre les congés payés afférents.
Sur les intérêts moratoires
Les créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la présente décision en fixant tout à la fois le principe et le montant.
En application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.
Sur les documents de fin de contrat
Mme [F] est bien fondée à se voir remettre par la société Elis Services un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la décision, les circonstances de l'espèce ne nécessitant pas d'assortir cette obligation d'une astreinte.
Sur le remboursement des indemnités de chômage
En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par la société Elis France aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'ils ont versées à Mme [F] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de trois mois.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
La société Elis Services supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.
Elle sera en outre condamnée à payer à Mme [F] une indemnité sur le fondement de l'article'700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme réclamée de 2 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement rendu le 17 décembre 2018 par le conseil de prud'hommes de Nanterre sauf en ce qu'il a débouté Mme [N] [F] de ses demandes d'indemnité pour travail dissimulé et de rappel de bonus 2014 ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT le licenciement de Mme [N] [F] dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
DIT que la convention de forfait annuel en jours à laquelle était soumise Mme [N] [F] est privée d'effet ;
CONDAMNE la société Elis Services à verser à Mme [N] [F] les sommes suivantes :
- 48 762,40 euros de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires,
- 4 876,24 euros au titre des congés payés afférents,
- 5 046,87 euros de rappel de salaire au titre du travail les dimanches et jours fériés,
- 504,68 euros au titre des congés payés afférents,
- 20 825,66 euros à titre d'indemnité pour non-respect de la contrepartie obligatoire en repos,
- 2 082,56 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des durées maximales de travail, des repos quotidiens et hebdomadaires,
- 47 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 6 322 euros à titre de rappel de bonus 2015,
- 632,20 euros au titre des congés payés afférents ;
DIT que les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter du présent arrêt ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts en application de l'article 1343-2 du code civil ;
ORDONNE à la société Elis Services de remettre à Mme [N] [F] un bulletin de paie récapitulatif, un certificat de travail, un solde de tout compte et une attestation Pôle emploi conformes à la décision ;
DIT n'y avoir lieu d'assortir cette obligation d'une astreinte ;
ORDONNE le remboursement par la société Elis Services à Pôle emploi des indemnités de chômage payées à la suite du licenciement de Mme [N] [F] dans la limite de trois mois et dit qu'une copie certifiée conforme du présent arrêt sera adressée par le greffe par lettre simple à la direction générale de Pôle emploi conformément aux dispositions de l'article R. 1235-2 du code du travail;
CONDAMNE la société Elis Services à verser à Mme [N] [F] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société Elis Services de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société Elis Services aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Valérie DE LARMINAT,Conseiller,en remplacement de Madame Isabelle VENDRYES,Président,légitimement empêché, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER P/ LE PRESIDENT empêché