COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
11e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 30 JUIN 2022
N° RG 20/01719 - N° Portalis DBV3-V-B7E-T7SQ
AFFAIRE :
[Z] [E]
C/
SAS MEUBLES IKEA FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Mai 2020 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de MONTMORENCY
N° Section : C
N° RG : 17/00603
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Vanessa COULOUMY
Me Leila HAMZAOUI de l'AARPI Studio Avocats
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TRENTE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [E]
né le 20 Avril 1982 à [Localité 5]
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Vanessa COULOUMY, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0197
APPELANT
****************
SAS MEUBLES IKEA FRANCE
N° SIRET : 351 745 724
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Leila HAMZAOUI de l'AARPI Studio Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R115
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Mars 2022, Madame Hélène PRUDHOMME, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Hélène PRUDHOMME, Président,
Monsieur Eric LEGRIS, Conseiller,
Madame Marie-Christine PLANTIN, Magistrat honoraire,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Madame Sophie RIVIERE
Le 1er juillet 2002, M. [E] était embauchée par la société Meubles Ikea France en qualité d'employé logistique débutant, par contrat à durée déterminée suivi d'un contrat à durée indéterminée. M. [E] était affecté au magasin de Paris Nord et est toujours en poste.
Le contrat de travail était régi par la convention collective nationale du négoce d'ameublement datée du 31 mai 1995.
M. [E] travaillait plusieurs années les dimanches, il ne s'estimait pas rempli de ses droits, considérant que l'accord d'entreprise privilégié était moins favorable que la convention collective nationale applicable.
Le 17 août 2017, M. [E] saisissait le conseil des prud'hommes de Montmorency.
Vu le jugement de départage du 22 mai 2020 rendu par le conseil de prud'hommes de Montmorency qui a':
- Rejeté la demande de la société Meubles Ikea France tendant à voir déclarer irrecevables les demandes nouvelles du salarié en raison de la suppression de l'unicité de l'instance ;
- Rejeté l'exception de nullité soulevée par la société Meubles Ikea France pour absence de conciliation ;
- Rejeté les demandes de M. [E] au titre des indemnités de repos compensateurs non pris sur les périodes du 01/01/2003 au 29/10/2007, ainsi que ses demandes au titre des congés payés afférents, qui sont prescrites ;
- Rejeté la demande de M. [E] en dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche sur les périodes du 01/01/2003 au 29/10/2007, qui est prescrite;
- Rejeté la demande de la société Meubles Ikea France la demande reconventionnelle en répétition des majorations de salaire au titre du travail le dimanche, qui est prescrite;
- Dit n'y avoir lieu à condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a débouté les parties de leurs demandes à ce titre ;
- Condamné M. [E] aux dépens ;
- Débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires au présent dispositif;
- Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire de la décision sur le fondement des dispositions de l'article 515 du code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté par M. [E] le 29 juillet 2020.
Vu les conclusions de l'appelant, M. [E], notifiées le 28 février 2022 et soutenues à l'audience par son avocat auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de :
- Déclarer recevable et bien fondé M. [E] en son appel,
Sur l'appel incident d'Ikea, la Cour dira qu'elle n'est saisie d'aucun chef du jugement et subsidiairement le déclarera sans objet ni intérêt,
- Infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- Statuant à nouveau,
- Sur la violation du repos dominical,
- Dire que la société Meubles Ikea France a occupé illicitement M. [E] le dimanche au sein de l'établissement Paris Nord II jusqu'au 29/10/2007,
- Dire que M. [E] n'a été en mesure de connaître ses droits consécutifs à la violation de l'interdiction du travail dominical que le 12 janvier 2017, date à laquelle la cour d'appel de Versailles a rendu un arrêt définitif sur l'illicéité du travail du dimanche avant 2008, à l'issue de la procédure initiée par le Syndicat FO en 2010,
- En conséquence, Condamner la société Meubles Ikea France à payer à titre de dommages et intérêts à M. [E] en réparation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche 2'100 euros
- Sur l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur,
- Constater que M. [E] n'a jamais eu connaissance de ses droits à repos compensateur ni
des modalités de son exercice que seul son employeur pouvait lui transmettre par un document annexé au bulletin de salaire,
- Rappeler la nature indemnitaire et non salariale de la demande formée au titre de l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur sur la période d'illicéité du 01/01/2003 au 29/10/2007,
- Déclarer irrecevable car prescrite la demande reconventionnelle en répétition de l'indu de la société Meubles Ikea France
- En conséquence,
- Condamner la société Meubles Ikea France à payer à M. [E] au titre de l'indemnisation des repos compensateurs non pris du fait de l'employeur en vertu de l'article 33 CCN et subsidiairement à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice économique consécutif au travail illicite du dimanche sur la période du 01/01/2003 au 29/10/2007 :
- l'indemnité de repos compensateurs proprement dite : 6'420,35 euros
- les congés payés afférents : 642,03 euros
- Ordonner la capitalisation des intérêts par application de l'article 1343-2 du code civil,
- Débouter la société Meubles Ikea France de toutes ses demandes, fins et conclusions,
Y ajoutant,
- Condamner la société Meubles Ikea France à payer à M. [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile la somme de 500,00 euros
- Condamner la société Meubles Ikea France aux entiers dépens.
Vu les écritures de l'intimée, la société Meubles Ikea France, notifiées le 11 février 2022 et développées à l'audience par son avocat auxquelles il est aussi renvoyé pour plus ample exposé, et par lesquelles il est demandé à la cour d'appel de':
Sur les demandes de repos compensateurs
- Sur la prescription
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai 2020 en ce qu'il a retenu que la demande du salarié au titre des repos compensateurs non pris était prescrite ;
- Infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai 2020 en ce qu'il a retenu que la prescription était triennale ; et statuant à nouveau, juger que la prescription était biennale ;
Subsidiairement, sur les demandes de condamnation
- Débouter le salarié de sa demande au titre des repos compensateurs non pris ;
Si le caractère plus favorable de la convention collective nationale, en comparaison avec l'accord interne est retenu, juger que cette interprétation n'aurait d'effet que pour l'avenir ;
- Plus subsidiairement, sur la demande reconventionnelle de la société Meubles Ikea France
- Infirmer le jugement qui l'a déclarée prescrite, et, statuant à nouveau, dire que le point de départ du délai de prescription ne commencerait à courir qu'à compter de sa décision ;
- Ordonner la restitution du trop-perçu par le salarié, ce dernier ayant indûment perçu, sur les périodes antérieures au 5 janvier 2008, une majoration de 125%, là où une majoration de 100% seulement aurait dû être appliquée, le cas échéant par compensation avec les condamnations éventuellement prononcées.
Sur les demandes fondées sur l'illicéité du travail dominical avant le 5 janvier 2008
- Sur la prescription
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai 2020 en ce qu'il a retenu que la demande du salarié en réparation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche était prescrite ;
- Infirmer partiellement le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai2020 en ce qu'il a retenu que l'action était prescrite en vertu de l'article L1471-1 du code du travail ; et statuant à nouveau, juger que l'action était prescrite le 19 juin 2013 ;
- Subsidiairement, sur les demandes de condamnation
- Débouter le salarié de sa demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical en violation de l'interdiction du travail du dimanche ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
- En première instance
- Infirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai 2020 en ce qu'il a débouté la société Meubles Ikea France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Confirmer le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency du 22 mai 2020 en ce qu'il a condamné le salarié aux entiers dépens ;
- Statuant à nouveau
- Condamner M. [E] à verser à la société Meubles Ikea France la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de la première instance ;
- En appel
- Débouter le salarié de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et tendant à la condamnation de la société Meubles Ikea France ;
- Condamner M. [E] à verser à la société Meubles Ikea France la somme de 1'500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Vu l'ordonnance de clôture du 7 mars 2022.
SUR CE,
Le salarié conteste la recevabilité de l'appel incident de la société Meubles Ikea France au motif que l'employeur n'a pas indiqué les chefs du jugement qui sont déférés à la cour de sorte qu'elle a confondu les motifs du jugement et les chefs du jugement et que se pose la question de l'intérêt à former appel qui en l'état n'existe pas et qui rend l'appel incident irrecevable.
La société Meubles Ikea France ne répond pas à cette contestation dans ses dernières écritures.
La cour relève que la société Meubles Ikea France a procédé à un appel incident par voie de conclusions en demandant l'infirmation du jugement entrepris et, en ce qui concerne les demandes du salarié portant sur les repos compensateurs non pris, a contesté la durée de la prescription retenue par le conseil de prud'hommes en sollicitant sa réduction à deux ans au lieu de trois ans retenus, et a présenté des demandes subsidiaires déjà présentées devant le premier juge en concluant à une infirmation partielle du jugement en ce qui concerne le travail illégal du dimanche en sollicitant que la prescription soit retenue à compter du 19 juin 2013 et a présenté des demandes subsidiaires à ce titre.
Ainsi, la société Meubles Ikea France a mis le salarié en état de connaître l'étendue et la portée de l'appel incident formé. Aussi, l'appel incident de l'employeur est recevable. Il convient de débouter le salarié de sa contestation.
Sur la demande d'indemnisation des dimanches travaillés et des repos compensateurs non pris
M. [E] réclame à titre principal l'indemnisation du préjudice subi en raison des repos compensateurs dont il n'a pas pu demander contrepartie en repos, en vertu de l'article 33 de la CCN pour la période du 01/01/2003 au 29/10/2007 durant laquelle il a été employé par la société Meubles Ikea France en qualité d'employé logistique, ce qui l'a amené à travailler régulièrement les dimanches, en raison de l'absence d'information reçue à ce titre de son employeur et, à titre subsidiaire, en raison du travail illicite du dimanche ayant perturbé sa vie privée et familiale.
Le salarié expose que sa demande ne porte pas sur l'exécution de son contrat de travail ni sur l'exécution forcée de son contrat de travail ou l'indemnisation par équivalent de son exécution déloyale mais affirme que son action a pour objet la réparation du préjudice dont il a souffert sur sa vie personnelle et familiale qui est la conséquence directe de son occupation illicite le dimanche par son employeur qui n'a pas respecté la réglementation d'ordre public applicable en violant l'article L. 221-5 devenu L. 3132-3 du code du travail de sorte qu'il se place sur la responsabilité délictuelle de l'employeur dont la prescription est de 5 ans telle que prévue par l'article 2224 du code civil, peu important qu'il ait été éventuellement volontaire à ce travail du dimanche. Il retient que le point de départ de son action est la connaissance effective des faits lui permettant d'exercer son droit, à savoir la révélation des faits pertinents et demande à ce titre la confirmation du jugement entrepris à ce titre. En effet, s'il n'ignorait pas la loi et savait que le travail du dimanche était en principe interdit, il indique que son employeur a donné au travail du dimanche une apparence de légitimité en lui présentant un dispositif conventionnel dérogatoire de l'interdiction légale, en indiquant dans son contrat de travail que toute heure effectivement travaillée le dimanche faisait l'objet d'une majoration de salaire conformément aux dispositions en vigueur prévues par l'accord interne dans l'entreprise, que les bulletins de salaire faisaient apparaître, d'abord forfaitairement jusqu'en décembre 1995, puis selon le nombre d'heures travaillées le dimanche, le taux et le montant de la majoration de salaire en application de l'accord interne, ensuite que l'accord d'entreprise organisait précisément le travail dominical au sein de l'entreprise et enfin, que la communication interne développée par Ikea l'a maintenu dans l'ignorance de son statut au titre du travail du dimanche. Aussi, il estime que la prescription de l'action ne court qu'à compter du jour où les salariés ont été informés que le travail du dimanche au sein de l'entreprise ne relevait pas d'une dérogation conventionnelle contrairement à ce qui leur était affirmé, de sorte qu'il était illicite. Il fonde son action à compter de la révélation du caractère illicite de son travail du dimanche, soit à compter de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles le 12 janvier 2017 dans un cas similaire au sien qui a porté à sa connaissance les faits pertinents l'informant de ses droits, puisque le statut collectif du travail du dimanche au sein de l'entreprise a été clarifié, soit au plus tôt au 12 mars 2017, jour où cette décision est devenue définitive. Il reproche à son employeur de l'avoir trompé sur le statut collectif applicable au travail du dimanche au sein de l'entreprise et la juridiction ne peut légitimement le blâmer d'avoir cru à la légitimité apparente de l'accord interne alors que la fraude est un obstacle au cours de la prescription. Aussi, par application des articles 2224 et 2234 du code civil, l'action en réparation présentée par lui se prescrit par 5 ans à compter du 12 mars 2017, de sorte qu'en ayant saisi le conseil de prud'hommes le 17 août 2017, son action au titre de la réparation du préjudice résultant du travail du dimanche n'est pas prescrite. Il demande l'infirmation du jugement et sollicite la condamnation de l'employeur à l'indemniser pour le préjudice résultant du travail illicite du dimanche (2'100 euros).
De même, il conclut à l'absence de prescription de sa demande d'indemnisation des repos compensateurs non pris, sa demande étant par nature indemnitaire, cette indemnité réparant le préjudice subi puisque, du fait de son employeur, il n'a pas pris ses repos. Il affirme qu'en raison de sa nature indemnitaire, l'indemnisation du repos compensateur non pris n'est pas soumise à cotisation sociale. Aussi, et en dépit de sa nature indemnitaire, sa demande de réparation est engagée à raison de sa privation d'un repos et de sa rémunération de substitution, de sorte que sa demande est soumise à la prescription des salaires de l'article L. 3245-1 du code du travail. Il sollicite donc l'indemnisation de repos compensateurs non pris dont le montant est équivalent à la perte de salaire parce qu'il ignorait, faute d'information par son employeur, qu'il bénéficiait d'un droit au repos compensateur d'origine conventionnelle qui aurait dû figurer sur un relevé annexé à son bulletin de salaire. Si il a reçu le versement des heures majorées au titre des heures de travail du dimanche, il n'a cependant pas été informé que ces heures travaillées le dimanche ouvraient également droit à un repos compensateur équivalent dans les termes de la convention collective applicable (article 33), la société Meubles Ikea France faisant prévaloir dans la communication interne de l'entreprise depuis 1996 des dispositions de l'accord interne présentées comme étant plus avantageuses pour la rémunération du travail du dimanche que celles de la convention collective. De sorte que le salarié étant dans l'ignorance de l'existence du principe de sa créance, aucun délai de prescription ne peut courir à son encontre. Aussi, il demande l'infirmation du jugement qui a considéré que l'indemnisation des repos compensateurs était prescrite alors qu'aucun délai n'a pu commencer à courir, la promulgation de la loi du 14 juin 2013 au 17 juin 2013 qui a réduit à deux ans le délai des actions relatives à l'exécution du contrat de travail ne constituant pas le point de départ du délai, celui-ci n'ayant pas plus commencé à courir en ce qui concerne le délai prévu pour le rappel de salaires (trois ans). En conséquence de quoi son action, quelque soit le régime de prescription applicable, n'est pas prescrite puisque cette prescription n'a jamais commencé à courir de sorte qu'il demande l'infirmation du jugement pour l'indemnisation des repos compensateurs non pris et la condamnation de la société Meubles Ikea France à lui verser la somme de 6'420,35 euros outre les congés payés afférents à ce titre.
La société Meubles Ikea France soulève à titre principal la prescription de l'action du salarié. Elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris qui a considéré que le point de départ du délai de prescription de la demande était fixé au 12 janvier 2017, date de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles à partir duquel le salarié a pu avoir connaissance de ses droits, de dire que le point de départ du délai de prescription est l'entrée en vigueur de la loi Châtel du 3 janvier 2008, soit le 5 janvier 2008, et qu'ainsi, les prétentions du salarié tendant à l'indemnisation du préjudice subi au titre de la privation de son repos dominical sont prescrites depuis le 19 juin 2013 et subsidiairement, que son action est prescrite depuis le 5 janvier 2016. Elle demande à titre subsidiaire à la cour de dire que l'article 33 de la convention collective n'est pas applicable au travail habituel le dimanche dans le secteur de l'ameublement issu de la loi Châtel. A titre subsidiaire encore, elle demande à la cour l'infirmation du jugement qui l'a déclarée prescrite et sollicite la restitution du trop perçu sur la période antérieure à 2008 de la majoration perçue à 125 %.
La cour relève que la demande principale du salarié repose sur une demande indemnitaire résultant de l'exécution du contrat de travail au motif que l'employeur lui aurait demandé de travailler, depuis son embauche, les dimanches, en contradiction avec les dispositions relatives au travail du dimanche applicables à l'époque des faits, avant l'autorisation donnée le 29 octobre 2007 par le préfet du Val d'Oise à la société Meubles Ikea France de déroger au principe du repos hebdomadaire du dimanche en raison de la zone d'affluence exceptionnelle de la plate forme aéro-portuaire de Roissy pour le magasin de Paris Nord, suivie du vote de la loi Châtel du 03/01/2008 entrée en vigueur le 05/01/2008 qui a introduit l'article L. 221-9 du code du travail devenu l'article L. 3132-12 du code du travail, qui a autorisé, seulement à compter de l'entrée en vigueur de cette loi, les établissements de négoce de meubles à déroger au principe du repos hebdomadaire dominical, en attribuant aux salariés le repos hebdomadaire par roulement. Le salarié réclame en outre une indemnité pour compenser des rémunérations qui ne lui auraient pas été versées au titre des repos compensateurs non pris.
Ainsi, et jusqu'à cette date, le principe était que le travail le dimanche était illégal (l'article L. 221-5 du code du travail qui disposait : «'le repos hebdomadaire doit être donné le dimanche'»), sauf arrêtés du maire ou du préfet autorisant un travail exceptionnel 5 dimanches par an, comme le préfet du Val d'Oise a instrumenté pour le magasin où il était affecté par arrêté du 29/10/2007, alors que les dispositions de la convention collective du négoce de l'ameublement du 31 mai 1995 prévoyait en son article 33 que «'pour tout travail exceptionnel du dimanche, les heures effectuées sont rémunérées sur la base des heures normales majorées à 100% ainsi qu'un repos équivalent aux heures travaillées le dimanche'» et que l'accord d'entreprise du 18 avril 1999 avait dérogé à cette règle en majorant tout d'abord à 115 % puis à 125 % les heures exceptionnellement travaillées le dimanche, sans prévoir de repos compensateur de sorte que le salarié invoque ces textes au soutien de sa demande.
Le salarié a travaillé dans l'entreprise à compter du 01/07/2002 jusqu'à ce jour où il occupe toujours ses fonctions et il n'est pas contesté par la société Meubles Ikea France qu'il a été amené à exercer régulièrement ses fonctions les dimanches ; il a saisi la juridiction prud'homale de sa réclamation le 17/08/2017 pour obtenir la réparation du préjudice qu'il disait avoir subi pour les repos compensateurs non pris sur les 5 dimanches des maires et à raison du travail illégal des dimanches et réclamait l'indemnisation des repos compensateurs non pris. Par conclusions ultérieures du 17/01/2018, le salarié sollicitait en sus l'indemnisation des repos compensateurs non pris sur toute la période du 01/01/2003 au 29/10/2007 et des dommages et intérêts pour la privation de son repos dominical.
La cour rappelle que l'article L. 1471-1 du code du travail disposait, à la date de la saisine du conseil de prud'hommes, que « toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour ou celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action'», le salarié ne pouvant utilement revendiquer les dispositions de droit commun de l'article 2224 du code civil en présence d'un texte spécial de droit du travail s'appliquant à la relation contractuelle entre les parties, tandis que l'article L. 3242-1 du même code a prévu dans sa rédaction applicable à la date de sa saisine que «'l'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture'».
Aussi, il est certain qu'antérieurement au 5 janvier 2008, date à partir de laquelle la loi a autorisé le travail dominical, la société Meubles Ikea France a fait travailler illégalement ses salariés le dimanche, à l'exception de ceux affectés dans les établissements pour lesquels elle avait pu obtenir une autorisation préfectorale, ce qui n'était pas le cas pour le magasin dans lequel ce salarié était affecté, avant le 29/10/2007.
Le point de départ de l'action relative à l'indemnisation du travail illégal du dimanche auquel a été soumis le salarié est donc bien le jour où il n'a plus été soumis à ce travail illégal, soit le jour de l'autorisation préfectorale, ou, en tout état de cause, le jour où la société Meubles Ikea France a été autorisée par la loi Châtel du 3 janvier 2008 entrée en application le 5 janvier 2008 à faire travailler ses salariés le dimanche.
En ce qui concerne le point de départ de l'action en indemnisation des repos compensateurs non pris, il remonte également à cette date à laquelle il n'a plus été soumis à un tel travail dominical illégal et, en tout état de cause, à compter de la loi Châtel ayant autorisé le travail dominical pour cette entreprise.
Le salarié pouvait agir pendant 30 ans à compter de cette date pour réclamer l'indemnisation du travail illégal du dimanche et des repos de compensation dont il n'aurait pas bénéficié ; ce délai a été ramené à 5 ans par la loi du 17 juin 2008 entrée en vigueur le 19 juin 2008 tandis que, postérieurement à cette date, une nouvelle loi du 14 juin 2013 a ramené à deux ans ce délai de prescription de l'action, ces lois de procédure étant d'application immédiate aux prescriptions en cours. Le salarié avait ainsi jusqu'au 19 juin 2013 pour saisir la justice de ses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail, les délais de prescription résultant de cette nouvelle loi s'appliquant à ceux qui étaient en cours à la date de sa promulgation, le 17 juin 2013, sans que la durée totale ne puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, de sorte qu'il avait effectivement jusqu'au 19 juin 2013 précédemment indiqué.
Ayant attendu le 17 août 2017, et alors que le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles le 12 janvier 2017, dans une instance dans laquelle il n'était pas partie, ne lui rouvrait pas un nouveau délai pour agir en justice, il apparaît que le salarié n'était plus recevable à réclamer une indemnisation du préjudice résultant de son travail illégal du dimanche ou de ses repos compensateurs non pris remontant à 2007.
Sa demande à ces titres est donc prescrite.
Le jugement du conseil de prud'hommes de Montmorency sera infirmé de ces chefs et le salarié déclaré irrecevable dans ses demandes.
En conséquence de cette fin de non recevoir tirée de la prescription de l'action du salarié au 19 juin 2013, la demande reconventionnelle de l'employeur sera de même jugée prescrite.
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Compte tenu de la solution du litige, la décision entreprise sera infirmée de ces deux chefs et par application de l'article 696 du code de procédure civile, les dépens de première instance et d'appel seront mis à la charge du salarié.
La demande formée par la société Meubles Ikea France au titre des frais irrépétibles en cause d'appel sera accueillie, à hauteur de 150 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
statuant publiquement et contradictoirement
Déclare recevable l'appel incident de la société Meubles Ikea France
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions
Déclare prescrite l'action de M. [Z] [E]
Déclare M. [E] irrecevable en ses demandes
Déclare prescrite la demande reconventionnelle de la société Meubles Ikea France
Condamne M. [E] aux dépens de première instance et d'appel
Condamne M. [E] à payer à la société Meubles Ikea France la somme de 150 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
Signé par Mme Hélène PRUDHOMME, président, et Mme'Sophie RIVIÈRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIERLe PRÉSIDENT