La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

23/06/2022 | FRANCE | N°21/05225

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 23 juin 2022, 21/05225


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 23 JUIN 2022



N° RG 21/05225



N° Portalis DBV3-V-B7F-UWJU



AFFAIRE :



ASSOCIATION DU TRANSPORT AERIEN INTERNATIONAL (IATA)



C/



[V] [O] [J]

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 7

N

° RG : 15/03725



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Franck LAFON



Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 JUIN 2022

N° RG 21/05225

N° Portalis DBV3-V-B7F-UWJU

AFFAIRE :

ASSOCIATION DU TRANSPORT AERIEN INTERNATIONAL (IATA)

C/

[V] [O] [J]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Septembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° Chambre : 7

N° RG : 15/03725

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Franck LAFON

Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (chambre commerciale, financière et économique) du 9 juin 2021 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Versailles (1ère chambre 1ère section) le 17 septembre 2019

ASSOCIATION DU TRANSPORT AERIEN INTERNATIONAL (IATA) [Adresse 5]

[Localité 6]

Représentant : Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20210326

Représentant : Me Pierre-françois VEIL de l'ASSOCIATION VEIL JOURDE, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T06

Représentant : Me Christophe BOUCHEZ, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1468

****************

DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI

1/ Madame [V] [O] [J]

[Adresse 1]

[Localité 2]

2/ Maître [B] [G], agissant en qualité de mandataire liquidateur de la SARL CROISIERES & VOYAGES, désigné en cette qualité par jugement du Tribunal de Commerce de Marseille en date du 6 janvier 2014

Ci-devant [Adresse 3]

et actuellement [Adresse 4]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 2167270

Représentant : Me Stéphanie LEANDRI-CAMPANA, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Avril 2022, Madame Françoise BAZET, Conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN0

FAITS ET PROCÉDURE

La société Croisières et Voyages (la société Croisières), dont la gérante est Mme [O] [J], spécialisée dans les voyages d'affaires, dispose, depuis 1979, d'une accréditation auprès de l'Association internationale du transport aérien (l'IATA), représentant des compagnies aériennes, qui lui permet de bénéficier de tarifs préférentiels sur les billets vendus par ces dernières, les billets lui étant facturés dans son compte IATA, appelé le 'BSP' (billing and settlement plan), et les titres de transport émis le mois précédent devant obligatoirement être payés par elle, tous les quinze de chaque mois.

Après avoir, par courriel du 18 novembre 2013, demandé à la société Croisières de lui payer immédiatement la somme de 389 861,51 euros due au 15 novembre, l'IATA, estimant ne pas avoir été payée de l'intégralité de cette somme, a déclaré la société Croisières en défaut le 20 novembre 2013 et l'a privée ainsi, de fait, de la possibilité d'émettre des billets.

Par un courriel du 26 novembre 2013, transmis à l'IATA qui l'a réceptionné le 3 décembre suivant, la Société marseillaise de crédit (la SMC), qui gère les paiements de la société Croisières, a indiqué à celle-ci que le règlement du mois de novembre s'était fait avec un décalage de 48 heures 'suite à un retard technique de l'acheminement des fonds en provenance d'une autre banque sur votre compte'.

Après avoir, par un courriel du 9 décembre 2013, refusé de prendre en compte le paiement, les conditions concernant la lettre de la banque n'étant pas remplies, l'IATA a, le 13 décembre 2013, retiré, avec effet immédiat, sa déclaration de défaut, en indiquant que les circonstances l'ayant conduite à émettre un avis d'irrégularité avaient été causées par une erreur administrative.

Reprochant à l'IATA de l'avoir abusivement privée de la possibilité d'émettre des billets, entraînant l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire, la société Croisières et Mme [O] [J] l'ont assignée, par acte du 31 décembre 2013, devant le tribunal de grande instance de Marseille en réparation de leurs préjudices.

Le 6 janvier 2014, la société Croisières a été mise en liquidation judiciaire et Me [G] désigné liquidateur, lequel est intervenu volontairement à la procédure.

Par ordonnance du 16 février 2015, le juge de la mise en état a déclaré le tribunal incompétent au profit du tribunal de grande instance de Nanterre.

Par jugement du 21 septembre 2017, le tribunal de grande instance de Nanterre a :

- condamné l'IATA à payer à Me [G], ès qualités, la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire,

- condamné l'IATA à payer à Me [G], ès qualités, la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'image,

- condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 30 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas voir son engagement de caution actionné par les créanciers,

- condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral,

- débouté Me [G], ès qualités, de sa demande en paiement d'une somme de 1 345 443 euros au titre de l'insuffisance de l'actif constaté dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Croisières,

- débouté l'IATA de sa demande en indemnisation,

- condamné l'IATA à payer à Me [G], ès qualités, et Mme [O] [J] la somme totale de 3 000 euros en indemnisation de ses frais irrépétibles,

- condamné l'IATA aux dépens de l'instance,

- ordonné l'exécution provisoire.

Suivant déclaration du 17 octobre 2017, l'IATA a interjeté appel.

Par arrêt du 14 mai 2019, rectifié par arrêt du 17 septembre 2019, la cour d'appel de Versailles a :

- infirmé le jugement en ce qu'il a :

condamné l'IATA à payer à Me [G] ès qualités les sommes de 100 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire et de 25 000 euros au titre de son préjudice d'image,

condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] les sommes de 30 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas voir son engagement de caution actionné par les créanciers et de 10 000 euros au titre de son préjudice moral,

Statuant à nouveau :

- condamné l'IATA à payer à Me [G] ès qualités la somme de 150 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire,

- condamné l'IATA à payer à Me [G] ès qualités la somme de 50 000 euros au titre de son préjudice d'image,

- condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 50 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas voir son engagement de caution actionné par les créanciers,

- condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 15 000 euros au titre de son préjudice moral,

Y ajoutant :

- condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné l'IATA à payer à Me [G] ès qualités la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- condamné l'IATA aux dépens avec recouvrement direct.

Saisie d'un pourvoi formé par l'IATA, la Cour de cassation a, par arrêt du 9 juin 2021, au visa de l'article 4 du code de procédure civile, cassé et annulé en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 14 mai 2019 par la cour d'appel de Versailles, condamné Me [G], ès qualités, et Mme [O] [J] aux dépens, rejeté les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, remis l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Suivant déclaration du 10 août 2021, l'IATA a saisi la cour d'appel de Versailles sur renvoi après cassation.

Par dernières écritures du 15 mars 2022, elle demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté Me [G] de sa demande en paiement d'une somme de 13 145 443 euros au titre de l'insuffisance de l'actif constaté dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Croisières,

- déclarer l'IATA recevable et bien fondée en son appel,

Y faisant droit,

- infirmer l'ensemble des dispositions du jugement déféré, faisant grief à l'association IATA notamment en ce qu'il a retenu la responsabilité de l'IATA et en ce qu'elle a été condamnée en réparation à des dommages et intérêts à Me [G] et à Mme [O] [J],

Et statuant à nouveau

- débouter Me [G] et Mme [O] [J] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,

- ordonner à toutes fins la restitution à l'IATA des sommes au paiement desquelles elle a été condamnée par le jugement déféré et qu'elle a réglées au titre de l'exécution provisoire à Me [G] et Mme [V] [O] [J], ou subsidiairement rappeler que l'arrêt à intervenir vaudra titre de restitution,

- condamner Me [G], ès-qualités, ainsi que Mme [O] [J] à payer chacun à l'association IATA la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du caractère abusif de la présente procédure,

- condamner Me [G], ès-qualités de mandataire liquidateur de la société Croisières, ainsi que Mme [O] [J] à payer à l'IATA la somme de 45 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- les condamner aux dépens avec recouvrement direct, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières écritures du 17 mars 2022, Me [G] ès qualités et Mme [O] [J] demandent à la cour de :

- les juger recevables dans leur appel incident, le déclarer recevable et bien fondé,

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé que l'IATA avait engagé sa responsabilité contractuelle à l'égard de Me [G] ès-qualités et sa responsabilité délictuelle à l'encontre de Mme [O] [J],

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'IATA à payer à Me [G] ès qualités la somme de 100 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire et à la somme de 25 000 euros au titre de son préjudice d'image,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 30 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas voir son engagement de caution actionné par les créanciers et à la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral,

Et statuant à nouveau,

- condamner l'IATA à payer à Me [G] ès-qualités la somme de 550 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire et à la somme de 200 000 euros au titre de son préjudice d'image,

- condamner l'IATA à payer à Mme [O] [J] la somme de 700 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte d'une chance de ne pas voir sa caution solidaire actionnée et de son préjudice financier et 150 000 euros au titre de préjudice moral,

En tout état de cause,

- condamner l'IATA à payer à Me [G] ès-qualité et à Mme [O] [J] la somme de 5 000 euros chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouter l'IATA de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- condamner l'IATA aux entiers dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mars 2022.

SUR QUOI, LA COUR

La Cour de cassation a rappelé que pour retenir que l'IATA avait commis une faute en suspendant l'habilitation de la société Croisières, la cour d'appel avait constaté, dans un premier temps, que celle-ci ne s'était acquittée en totalité des sommes qu'elle devait au titre de l'échéance du 15 novembre 2013, que le 23 novembre, le règlement étant en valeur au 26 novembre, et qu'elle n'avait ainsi pas respecté les délais fixés par les résolutions de l'IATA, que l'arrêt avait également relevé que la banque avait expliqué par un retard technique dans l'acheminement des fonds le décalage de paiement de 48 heures mais avait retenu que le paiement ayant été retardé de plus d'une semaine, la lettre de la banque ne pouvait caractériser une erreur justifiant la levée du défaut; que, dans un second temps, la cour d'appel a toutefois retenu que, si l'IATA était, dès lors, fondée à procéder à la déclaration de défaut, à suspendre, le 20 novembre 2013, les connexions de la société Croisières et à ne pas les rétablir à la réception de la lettre de la banque, elle avait elle-même reconnu, dans sa lettre du 13 décembre 2013, que 'les circonstances ayant mené à l'avis d'irrégularité étaient causées par une erreur administrative', qu'elle avait donc, pour des raisons qui lui appartenaient, reconnu avoir commis une erreur en suspendant les connexions et que, nonobstant la notification de la levée de la déclaration de défaut, l'IATA était donc responsable, compte tenu de ses propres déclarations, de la perte par la société Croisières des avantages de l'agrément de l'IATA à compter du 20 novembre 2013 et ce, jusqu'à son dépôt de bilan.

Au visa de l'article 4 du code de procédure civile suivant lequel l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, la Cour de cassation a retenu qu'en statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions, l'IATA faisait valoir que la mise en défaut de paiement de la société le 20 novembre 2013 était fondée et légitime en raison du non-règlement partiel et tardif des sommes dues aux compagnies aériennes et que, si elle avait procédé au rétablissement de cette société le 13 décembre 2013, elle l'avait fait à titre exceptionnel et au bénéfice du doute, sans remettre en cause pour autant la légitimité de sa première décision, ce dont il résultait qu'elle n'avait pas reconnu avoir commis une erreur, la cour d'appel, qui avait méconnu l'objet du litige, avait violé le texte susvisé.

Après avoir rappelé les modalités de fonctionnement des relations entre elle et les agences de voyages titulaires d'une accréditation, l'IATA soutient que la société Croisières ne s'est pas acquittée en totalité, le 15 novembre 2013, de la somme de 389 861,51 euros qu'elle devait verser au titre des ventes de billets d'avion du mois d'octobre 2013 et que ce n'était que le 26 novembre 2013 que le règlement du solde, soit 17 467,28 euros, avait été effectué. L'IATA souligne qu'il a été notifié à la société Croisières le 20 novembre 2013, conformément aux dispositions contractuelles, une déclaration de mise en défaut qui a été étendue à la société Croisitour, que l'IATA considérait alors n'être qu'une succursale de la société Croisières, et ce en application de l'article 1.7.2.1 b de la Résolution 818g prévoyant en ce cas la mise en défaut de tous les points de vente.

L'IATA précise que si une mise en défaut peut être remise en cause par toute agence de voyages en cas d'erreur de la banque, elle doit produire dans un délai de 10 jours la lettre de la banque indiquant la nature de l'erreur et le motif du retard de règlement, le responsable de banque devant attester que l'agence de voyages disposait de fonds disponibles suffisants. Elle affirme que la société Croisières a entendu se prévaloir de ce droit dont dispose toute agence mais sans respecter les conditions d'exercice de cette faculté.

L'IATA rappelle ensuite que la société Croisières lui a fait valoir que la société Croisitour était en réalité une agence autonome. Elle affirme que bien que n'en ayant pas été informée dans les conditions contractuelles, elle a accepté à titre exceptionnel de rétablir avec effet immédiat les deux agences dans leurs privilèges de billetterie le 13 décembre 2013 pour tenir compte de l'erreur portant sur le statut de la société Croisitour mais sans reconnaître une quelconque irrégularité dans la déclaration de défaut.

Subsidiairement, l'IATA fait valoir que l'article 15.2 de la Résolution 818g figurant dans le manuel de l'agent de voyages énonce que la mise en 'uvre par l'IATA de ses pouvoirs contractuels de notifications, avertissements et sanctions ne saurait donner lieu à recours pour tout préjudice consécutif à un acte ou une omission commis de bonne foi par l'IATA dans le cadre de l'exécution du contrat.

Plus subsidiairement encore, l'IATA affirme qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la faute que la société Croisières et Mme [O] [J] lui imputent et les difficultés financières rencontrées par l'agence de voyage qui sont le fruit de la calamiteuse gestion de l'agence par sa gérante et de l'ancienneté de cette mauvaise gestion, rappelant que le tribunal de commerce avait considéré le même jour de la déclaration de cessation des paiements, le 6 janvier 2014, que tout redressement était impossible au regard de l'ampleur du passif social accumulé.

La société Croisières rappelle qu'elle avait une activité de billetterie d'affaires et appliquait des tarifs 'corporate et firmes' soit une tarification nette, dédiés exclusivement aux entreprises clientes avec une externalisation chez ces sociétés de l'outil informatique, identifiable à l'agence émettrice exclusivement par le code IATA. Elle soutient que ce mode de fonctionnement lié à cette activité spécifique nécessite l'accréditation IATA contrairement à une agence de voyages traditionnelle.

Elle affirme qu'en 34 années de collaboration avec l'IATA, qui est en situation de monopole absolu, elle n'a connu aucune défaillance.

Elle souligne que la Société Marseillaise de Crédit (La SMC, venant aux droits du Crédit du Nord) gérait de manière exclusive les relations et le paiement du BSP de l'agence de voyages, centralisant les virements des autres banques en période du BSP, a procédé au règlement du BSP d'octobre 2013 le 18 novembre 2013 et non le 15 novembre 2013, soit avec 48 heures de retard. Conformément aux exigences de l'IATA, la banque a adressé un mail faisant état d'un retard technique d'acheminement. La société Croisières affirme que comme ce mail ne convenait pas à l'IATA, la banque a adressé une lettre de régularisation qui comportait tous les éléments d'information exigés par l'IATA mais cette dernière a refusé de rétablir l'accès aux billets au motif que la lettre ne répondait pas au formalisme exigé, alors pourtant qu'elle était semblable à celle adressée par la banque à l'occasion d'un précédent incident et dont l'IATA s'était alors contentée.

La société Croisières souligne que le 13 décembre 2013, l'IATA lui adressait une correspondance l'informant que les circonstances ayant donné lieu à l'avis d'irrégularité avaient été causées par une erreur administrative. Elle reproche à l'IATA d'avoir tardé à rétablir l'accès aux billets qui n'a été effectif que le 30 décembre 2013, de sorte qu'après une interruption totale d'activité depuis le 20 novembre elle a été contrainte de cesser son activité.

La société Croisières représentée par Me [G] et Mme [O] [J] affirment que l'IATA a incontestablement engagé sa responsabilité contractuelle en supprimant l'accès de l'agence à la réservation et à l'émission des billets d'avion alors qu'elle avait obtenu le règlement intégral du BSP d'octobre 2013 et avait reçu un courrier de la banque de la concluante lui confirmant que le retard de paiement du BSP au 15 novembre 2013 avait pour origine un problème technique et en refusant de rétablir les connexions alors qu'elle s'était engagée à le faire par écrit. Elle soutient qu'ainsi et contrairement aux résolutions, l'IATA l'a mise en défaut alors qu'elle avait reçu le paiement de l'intégralité du BSP, ce qu'elle ne pouvait pas faire puisque la mise en défaut suppose une absence de paiement mais encore qu'elle n'a pas aussitôt retiré ce défaut alors qu'elle avait reçu le règlement du BSP et la lettre de la banque et a attendu le 13 décembre 2013 pour le faire.

La société Croisières observe que dans sa correspondance du 13 décembre 2013, l'IATA ne subordonne le rétablissement à aucune condition et ne précise pas qu'elle y procède au bénéfice du doute concernant Croisitour ou à titre exceptionnel.

S'agissant du lien de causalité entre les fautes qu'elle impute à l'IATA et leurs préjudices, les intimés soulignent que l'agence de voyage est tenue chaque année d'adresser à l'IATA son bilan, que cette dernière a, en septembre 2013, jugé satisfaisant le résultat de l'analyse financière que l'agence lui avait adressé et que l'IATA est aujourd'hui mal venue d'invoquer une mauvaise gestion qui serait à l'origine de la mise en liquidation judiciaire.

S'agissant de la clause dite de non-recours, la société Croisières soutient qu'elle n'est pas applicable car elle n'est pas connue du co-contractant, qu'elle est insuffisamment claire, trop étendue, qu'elle ne peut être opposée lorsque la faute commise par l'IATA est lourde et faite de mauvaise foi et enfin qu'elle crée un déséquilibre significatif entre les parties.

* * *

La société Croisières est liée à l'association IATA par un contrat 'd'agence de vente de passages' qui dispose que les termes et conditions régissant les rapports entre le transporteur et l'agent sont libellés dans des résolutions contenues dans le manuel de l'agent de voyage, auxquelles l'agent convient de se conformer.

En application de ces résolutions, toute agence de voyages agréée est tenue de régler l'IATA périodiquement, par le truchement de la banque de compensation, la somme correspondant aux titres de transport qu'elle a émis pour le compte de l'ensemble des transporteurs aériens et qui lui sont facturés via le service BSP.

L'agent doit régler auprès de la banque de compensation les sommes dues au titre de ces transactions au plus tard le 15ème jour du mois suivant le mois couvert par la facture lorsque, comme en l'espèce, la fréquence des paiements est mensuelle.

La résolution 818 dispose que lorsque la banque de compensation ne reçoit pas le règlement dû, elle en avise l'administrateur des agences et exigera aussitôt le paiement de l'agent, le délai limite pour la réception par la banque de compensation de ce paiement étant l'heure de fermeture des bureaux de la banque le premier jour ouvrable suivant le jour de la demande de l'administrateur.

S'il est établi que ce non-paiement ou le règlement non honoré résulte d'une erreur bancaire commise de bonne foi, et si le règlement de toutes les sommes dues est reçu sur demande, l'irrégularité, si elle a été consignée sera annulée.

S'il est démontré par la suite que le non-paiement ou le règlement non honoré résulte d'une erreur commise de bonne foi et si le règlement de toutes les sommes dues est reçu, mais après la mise en oeuvre de la procédure de défaut, l'administrateur des agences retirera aussitôt ce défaut ainsi que l'irrégularité si elle a été enregistrée. Le paragraphe 1.7.7 de la résolution 818 précise qu'est reconnue comme erreur bancaire commise de bonne foi toute erreur justifiée par la présentation de preuves satisfaisant l'administrateur des agences. En l'absence de paiement, même partiel, des titres de transport émis pour le compte des transporteurs ou en cas de paiement tardif, l'agence est mise en défaut de paiement ce qui emporte l'arrêt immédiat de l'émission des titres de transport via les services de l'IATA.

Il est constant que la société Croisières ne s'est pas acquittée en totalité le 15 novembre 2013 de la somme de 389 861,51 euros dont elle était redevable au titre des ventes de billets d'avion du mois d'octobre 2013. Conformément aux résolutions, un délai supplémentaire de 24 heures lui a été accordé par correspondance du 18 novembre 2013, délai expirant à la fermeture des bureaux de la banque de compensation le premier jour ouvrable suivant la date de la demande, soit le 19 novembre 2013. A cette date, aucun règlement n'est intervenu.

Le 20 novembre 2013, l'IATA a notifié à la société Croisières une mise en défaut l'empêchant d'émettre des titres de transport, cette interdiction visant également la société Croisitour que l'IATA tenait alors pour une filiale de la société Croisières.

Le 18 novembre 2013, la société Croisières avait adressé par l'intermédiaire de sa banque, la SMC, deux virements de 132 000 euros et 206 439,17 euros. Il est constant que ce n'est que le 26 novembre 2013 que la société Croisières s'est acquittée du solde de sa dette, s'élevant à 17 467,28 euros, soit 11 jours après la date contractuellement fixée et 6 jours après le délai supplémentaire accordé en exécution des dispositions contractuelles. Il est donc inexact de prétendre comme le font les intimés que l'IATA a procédé à la mise en défaut de l'agence alors que l'intégralité des fonds lui étaient versés. L'IATA a au contraire respecté les règles encadrant la mise en oeuvre de la procédure de mise en défaut le 20 novembre 2013.

Il sera observé que le virement de la somme de 17 467,28 euros a été émis d'un compte détenu non par la société Croisières mais par la société Croisitour dont Mme [O] [J] est aussi la gérante, ce qui évoque, même s'il s'agit de deux entités juridiques distinctes, une certaine porosité entre les deux sociétés. Une semblable porosité entre la société Croisières et l'agence de voyage Electra peut être observée lorsqu'on s'aperçoit que les ventes réalisées par la société Electra, dont le siège social est à la même adresse que la société Croisières et dont la gérante est également Mme [O] [J], ont été en novembre et décembre 2013 de 70 758 euros et 182 472 euros alors qu'elles étaient en novembre et décembre 2012 de 38 737 euros et 2916 euros, donnant ainsi à penser que certains clients de la société Croisières concernés par l'interruption de la faculté d'émettre des billets de cette dernière ont pu être utilement orientés vers l'agence Electra, nonobstant les dénégations de la société Croisières.

La résolution précitée indique qu'est considérée comme preuve de la bonne foi une lettre de la banque qui doit, dans tous les cas, être remise à l'IATA selon les modalités suivantes: la lettre de la banque doit être envoyée à l'IATA dans un délai de 10 jours ouvrables par courrier recommandé, indiquant la nature de l'erreur et le motif du retard de règlement, une copie de la lettre de banque peut être envoyée à l'IATA par fax ou comme copie scannée par e-mail. La lettre doit être signée par un responsable, précisant son nom, sa fonction ou sa désignation et elle doit préciser que l'agent disposait de fonds disponibles suffisants à la date de règlement sur les comptes bancaires stipulés, précisant l'intitulé du compte et les numéros de compte.

L'IATA a rappelé à la société Croisières ces conditions de forme dès le 18 novembre 2013 puis le 22 novembre. Elle a reçu le 3 décembre 2013 la copie - et non l'original - du courrier que la SMC a adressé à la société Croisières, ainsi rédigé 'faisant suite à votre demande, nous vous confirmons que le règlement des BSP du mois de Novembre s'est fait avec un décalage de 48h suite à un retard technique de l'acheminement des fonds en provenance d'une autre banque sur votre compte'. Or, les termes de cette correspondance ne font pas apparaître que la société Croisières disposait, le 15 novembre 2013, sur les comptes bancaires détenus par la SMC des fonds suffisants lui permettant de faire face à sa dette. L'IATA a donc légitimement informé la société Croisières le 9 décembre 2013 de l'insuffisance de cette correspondance.

L'IATA avait également notifié à la société Croisitour une mise en défaut le 20 novembre 2013, considérant à tort qu'elle était un point de vente de la société Croisières, ce qui s'est avéré inexact. Le 9 décembre 2013, la société Croisitour a fait valoir à l'IATA qu'elle avait réglé dès le 18 novembre 2013, soit dans le délai supplémentaire de 24 heures dont elle bénéficiait, la somme de 33 955,06 euros dont elle était personnellement redevable et qu'elle était depuis plusieurs années une entité juridique autonome, après n'avoir été qu'une filiale de la société Croisières, bénéficiant d'ailleurs d'une accréditation IATA distincte de celle de cette dernière.

Les intimés affirment que, par courrier du 13 décembre 2013, l'IATA a reconnu avoir commis une erreur en mettant en oeuvre la procédure de défaut et que ce n'est qu'a posteriori et artificiellement qu'elle a rattaché cette reconnaissance de responsabilité à l'erreur commise à l'égard de Croisitour. Or, s'il est exact que la lettre du 13 décembre n'évoque pas Croisitour et se réfère à une erreur administrative, il en va tout autrement du mail adressé le même jour à la société Croisitour qui évoque l'impossibilité de déterminer le responsable de l'absence de conformité de la base de données et qui indique avoir donc décidé de rétablir les connexions pour l'ensemble des agences du groupe.

Il sera rappelé que, par arrêt du 14 mai 2019, la cour d'appel de Versailles a jugé fautive la mise en défaut décidée par l'IATA à l'égard de la société Croisitour, l'a condamnée à payer à Maître [G] ès qualités de mandataire liquidateur de la société Croisitour la somme de 400 000 euros au titre du préjudice subi en raison de l'ouverture à son encontre d'une procédure de liquidation judiciaire, celle de 200 000 euros au titre de son préjudice d'image, à Mme [O] [J] la somme de 100 000 euros au titre de la perte de chance de ne pas voir son engagement de caution actionné par les créanciers et celle de 30 000 euros en réparation de son préjudice moral. Le pourvoi formé contre cet arrêt a été rejeté.

Ainsi la faute commise par l'IATA et la reconnaissance qu'elle en a faite concernent exclusivement la société Croisitour et les préjudices qui en sont résultés ont été réparés par l'arrêt précité. La société Croisières et Mme [O] [J] ne sauraient soutenir que l'IATA a reconnu une autre erreur que celle-ci.

Dans le cadre des relations entre la société Croisières et l'IATA, cette dernière n'a donc commis aucune faute dans sa décision de la mettre en défaut de paiement et la société Croisières a au contraire bénéficié de la décision de l'IATA de rétablir la connexion pour les agences du groupe et non pas seulement, comme elle aurait pu le faire, au profit de la société Croisitour.

La cour ajoute que si la SMC n'avait pas attesté de la disponibilité des fonds le 15 novembre 2013, ce n'était manifestement pas en raison d'un oubli de sa part mais du fait d'un refus délibéré puisque le 15 novembre 2013 elle écrivait : ' je suis au regret de vous informer que nous avons réglé les BSP Croisitour et Electra, mais que nous n'avons honoré que partiellement les BSP Croisières et Voyages. Nous avons été contraints de prendre cette position suite aux innombrables mises en garde effectuées par mes soins depuis plusieurs mois et récemment lors de notre entretien en vos locaux le 4 novembre dernier'.

Si, comme le soutiennent les intimés, l'IATA ne démontre pas avoir informé toutes les compagnies aériennes du rétablissement des connexions de la société Croisières le 13 décembre 2013 puisqu'elle ne verse aux débats que les attestations délivrées par les compagnies Emirates, Air Mauritius et Air France, ce point est sans incidence puisque dès le 15 décembre, la société Croisières était à nouveau en défaut de paiement et il ne peut être soutenu que ce nouveau défaut serait imputable à l'IATA puisqu'il est présentement jugé que celle-ci n'a pas commis de faute et n'a pas reconnu en avoir commis à l'égard de la société Croisières dans la procédure ayant abouti à l'arrêt des connexions la concernant.

Il y a lieu de juger en conséquence que les préjudices allégués par la société Croisières et Mme [O] [J] ne sont pas imputables à une faute commise par l'IATA et le jugement sera infirmé en toutes ses dispositions autres que celle rejetant la demande en paiement d'une somme de 1 345 443 euros au titre de l'insuffisance de l'actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Croisières.

L'IATA demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu'elle a versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire mais le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, les sommes versées devant être restituées avec intérêt au taux légal à compter de la notification de l'arrêt valant mise en demeure. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le mérite de la demande de l'IATA.

L'IATA ne démontre nullement le caractère abusif de l'action engagée par Me [G], ès qualités, et Mme [O] [J] qui serait de nature à fonder sa demande en dommages et intérêts, laquelle sera rejetée.

Me [G], ès qualités, et Mme [O] [J], qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens de première instance et d'appel avec recouvrement direct et verseront à l'IATA la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Vu l'arrêt de la Cour de cassation du 9 juin 2021.

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la demande en paiement d'une somme de 1 345 443 euros au titre de l'insuffisance de l'actif constatée dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société Croisières.

Infirme le jugement en toutes ses autres dispositions.

Statuant à nouveau des chefs infirmés.

Rejette l'ensemble des demandes formées par Me [B] [G], ès qualités, et Mme [O] [J].

Rejette la demande en dommages et intérêts formée par l'Association du transport aérien international.

Condamne in solidum Me [B] [G], ès qualités, et Mme [O] [J] à payer à l'Association internationale du transport aérien la somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne in solidum Me [B] [G], ès qualités, et Mme [O] [J] aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 21/05225
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-23;21.05225 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award