COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
6e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 23 JUIN 2022
N° RG 19/04099
N° Portalis DBV3-V-B7D-TR7C
AFFAIRE :
[M] [U]
C/
SAS POLY PREST EUROPE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 7 octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE
Section : E
N° RG : F 17/03098
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Benjamin MARKOWICZ
Me Mélina PEDROLETTI
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [M] [U]
né le 6 août 1969 à [Localité 6]
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représenté par : Me Benjamin MARKOWICZ, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0127
APPELANT
****************
SAS POLY PREST EUROPE
N° SIRET : 434 132 569
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par : Me Isilde QUENAULT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1515 , substituée par Me DE CASTRO Mathilde,avocate au barreau de Paris ; et Me Mélina PEDROLETTI, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 626.
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Valérie
DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,
Greffier lors de la mise à disposition: Mme Dorothée MARCINEK
Rappel des faits constants
La SAS Poly Prest Europe (PPE), dont le siège social est situé à [Localité 5] dans les Hauts-de-Seine, est spécialisée dans le nettoyage. Elle emploie plus de cent salariés et applique la convention collective nationale des entreprises de propreté et services associés du 26 juillet 2011.
Cette société a été créée par M. [X] [U], père de M. [M] [U] et était dirigée en dernier lieu par Mme [I], mère de M. [M] [U].
M. [M] [U], né le 6 août 1969, y a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée, en qualité d'attaché commercial.
Par courrier du 10 septembre 2015, la société Poly Prest Europe a convoqué M. [U] à un entretien préalable qui s'est déroulé le 21 septembre 2015, cette convocation étant assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.
Puis par courrier du 30 septembre 2015, la société Poly Prest Europe a notifié à M. [U] son licenciement pour faute grave.
Par requête reçue au greffe le 2 octobre 2017, M. [U] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre en contestation de son licenciement.
La décision contestée
Par jugement contradictoire rendu le 7 octobre 2019, la section encadrement du conseil de prud'hommes de Nanterre a :
- dit que le contrat de travail de M. [U] présente des erreurs manifestes et jugé qu'il n'a exercé une activité salariée pour la SAS Poly Prest Europe qu'à compter du 1er janvier 2014,
- dit que l'existence d'une faute grave n'est pas prouvée,
- jugé le licenciement de M. [U] justifié par une cause réelle et sérieuse,
- condamné la SAS Poly Prest Europe au versement à M. [U] des sommes de :
. 12 209,73 euros à titre d'indemnité de préavis,
. 1 220,98 euros au titre des congés payés afférents,
. 821,76 euros à titre d'indemnité de licenciement,
- débouté M. [U] du surplus de ses demandes,
- rappelé que la condamnation de l'employeur au paiement des sommes visées par les articles R. 1454-14 et R. 1454-15 du code du travail est exécutoire de plein droit dans la limite de neuf mois de salaire, calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire dans les conditions prévues par l'article R. 1454-28 du code du travail,
- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 4 069,91 euros brut,
- condamné la SAS Poly Prest Europe à payer à M. [U] la somme de 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SAS Poly Prest Europe de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- laissé à chaque partie la charge de ses propres dépens.
M. [U] avait demandé au conseil de prud'hommes de :
- le dire et juger recevable et bien fondé en ses demandes,
- dire et juger valide le contrat de travail signé le 6 février 2013 et qu'il était salarié de la société Poly Prest Europe en 2013,
- dire et juger les arguments de la société Poly Prest Europe se fondant sur des écritures précédentes irrecevables en application de l'article R. 1453-5 du code du travail,
- dire et juger qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée,
- dire et juger en conséquence le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- rappel de salaire (absences injustifiées) : 2 790,51 euros,
- congés payés afférents : 279 euros,
- indemnité compensatrice de préavis (3 mois de salaire, article 4-11 de la convention collective) : 12 326,40 euros,
- congés payés afférents : 1 232,64 euros,
- indemnité de licenciement (1/10 de mois par année d'ancienneté, article 4-11-3 de la convention collective) : 821,76 euros,
- congés payés afférents : 82,17 euros,
- dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (8 mois de salaires brut) : 32 870,40 euros,
- dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral (3 mois de salaire brut) : 12 326,40 euros,
- article 700 du code de procédure civile : 4 000 euros,
- entiers dépens,
- exécution provisoire.
La société Poly Prest Europe avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
La procédure d'appel
M. [U] a interjeté appel du jugement par déclaration du 14 novembre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/04099.
Prétentions de M. [U], appelant
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 12 février 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [U] demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement dont appel sur les dispositions suivantes :
. jugé qu'il n'a exercé une activité salariée qu'à compter du 1er janvier 2014,
. jugé le licenciement de M. [U] fondé sur une cause réelle et sérieuse,
. débouté M. [U] du surplus de ses demandes,
- confirmer les dispositions suivantes :
. dit que le contrat de travail de M. [U] présente des erreurs manifestes,
. dit que l'existence d'une faute grave n'est pas prouvée,
. condamné la société Poly Prest Europe à lui verser :
. indemnité compensatrice de préavis,
. congés payés y afférents,
. indemnités de licenciement,
y faisant droit,
- dire et juger valide le contrat de travail signé le 6 février 2013 et que M. [U] était salarié de la société Poly Prest Europe en 2013,
- dire et juger les arguments de la société Poly Prest Europe se fondant sur des écritures précédentes irrecevables en application de l'article R. 1453-5 du code du travail,
- dire et juger qu'aucune faute grave ne peut lui être reprochée,
- dire et juger en conséquence le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Poly Prest Europe à lui verser la somme de 2 790,51 euros, à titre de rappel de salaires (absences injustifiées), outre les congés payés afférents à hauteur de 279 euros,
- condamner la société Poly Prest Europe à lui verser la somme de 12 326,40 euros (3 mois de salaire article 4.11 de la convention collective) à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre les congés payés sur préavis à hauteur de 1 232,64 euros,
- condamner la société Poly Prest Europe à lui verser la somme de 821,76 euros à titre d'indemnité de licenciement (1/10 de mois par année d'ancienneté, article 4.11.3 convention collective) outre les congés payés afférents à hauteur de 82,17 euros,
- condamner la société Poly Prest Europe à lui verser la somme de 32 870,40 euros (8 mois de salaires brut) à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Poly Prest Europe à lui verser la somme de 12 326,40 euros (3 mois de salaire brut) à titre de dommages-intérêts, en réparation de son préjudice moral.
Le salarié appelant sollicite en outre une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Prétentions de la société Poly Prest Europe, intimée
Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 7 mai 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société Poly Prest Europe demande à la cour d'appel de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'existence d'une faute grave n'était pas prouvée et en ce qu'il a condamné la société Poly Prest Europe à payer les sommes de 12 209,73 euros à titre d'indemnité de préavis, 1 220,98 euros au titre des congés payés afférents, 821,76 euros à titre d'indemnité de licenciement et 600 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
subsidiairement,
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé le licenciement de M. [U] justifié par une cause réelle et sérieuse et débouté M. [U] du surplus de ses demandes,
en toute hypothèse,
- déclarer M. [U] irrecevable en sa demande de rappel de salaire à hauteur de 2 790,51 euros, outre les congés afférents de 279 euros, cette demande étant prescrite,
- débouter M. [U] de ses demandes de rappel de salaire et congés payés afférents, congés payés sur indemnité de licenciement, dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et dommages-intérêts au titre du préjudice moral.
La société intimée sollicite une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance rendue le 23 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 21 avril 2022.
À l'issue des débats, il a été proposé aux parties de recourir à la médiation, ce qu'elles ont décliné.
MOTIFS DE L'ARRÊT
La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de « constatations » ou de « dire et juger » qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.
Sur le licenciement pour faute grave
L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.
La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
Par courrier du 30 septembre 2015, la société Poly Prest Europe a notifié à M. [U] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :
"Le 9 septembre 2015 j'ai été alertée par e-mail de notre client la Chancellerie des Universités et Rectorat de l'Académie de Paris, qui s'est plaint de votre visite inopinée dans ses locaux au [Adresse 3] le 9 septembre 2015 à 15h25 et de votre attitude surprenante et inappropriée à l'égard de l'une de ses collaboratrices en charge du suivi de l'entretien du site Sorbonne.
Vous avez en effet insisté auprès de cette dernière afin qu'elle déjeune avec vous, d'une manière particulièrement déplacée et indélicate, en la tutoyant de manière intempestive, faisant état de vos problèmes personnels et de prétendues difficultés dans l'entreprise.
Le client m'a immédiatement fait part de son mécontentement quant à votre attitude, qu'il a jugée non professionnelle et inacceptable, me demandant si un changement dans l'organisation de la société était intervenu.
Cette attitude auprès de notre client est intolérable, car outre le fait que vous avez importuné le client dans ses locaux et provoqué un profond malaise chez cette collaboratrice, vous avez nuit à l'image de la société aussi bien par votre attitude que par vos propos sur de prétendues difficultés de l'entreprise de nature à dénigrer et discréditer cette dernière aux yeux du client.
Cet incident n'est pas isolé, mais s'inscrit au contraire dans une ligne de conduite généralisée et inacceptable que vous avez adoptée depuis la fin du mois d'août 2015 particulièrement préjudiciable à la société.
J'ai en effet parallèlement été informée du fait que, sur les sites de la Bibliothèque Sainte Geneviève et Petit Navire, vous aviez demandé à une autre entreprise de nettoyage, concurrente de notre société, de vous établir un devis pour réaliser les prestations de nettoyage aux lieu et place de notre personnel, en prétextant que « nos employés n'étaient pas capables ».
J'ai également été informée du fait qu'à la fin du mois d'août 2015 vous aviez demandé à notre DRH de vous établir un bulletin de salaire de 6 000 euros brut, ce qui vous a été refusé puisque cela ne correspondait pas à votre salaire. Vous avez donc tenté, à mon insu, d'obtenir le paiement de sommes indues, en faisant pression sur le personnel au motif que vous étiez mon fils.
Cette attitude s'est accompagnée de nombreuses absences injustifiées à votre poste de travail les 17, 18, 19, 20, 21, 27, 28, 31 août 2015, 1er, 2, 3, 4, 10 et 11 septembre 2015 étant précisé que le 9 septembre 2015 vous n'êtes pas venu travailler non plus, préférant vous rendre chez notre client pour y avoir l'attitude ci-dessus décrite.
Au cours de ces absences, pour lesquelles vous n'avez donné aucune explication en dépit de mes interrogations, vous avez utilisé de manière abusive la carte de l'entreprise pour effectuer des achats personnels (courses alimentaires, frais d'essence, parking) et utilisé le téléphone professionnel depuis l'étranger (voyage en Allemagne). Ces dépenses ne sont pas justifiées et ne sont pas rattachées à l'activité de la société. Vous avez également multiplié les emails et appels totalement incohérents, inquiétants et inappropriés auprès d'autres salariés de l'entreprise, faisant circuler de fausses informations et me dénigrant totalement, ce qui a créé un trouble au sein de l'entreprise et alarmé les salariés.
Alors qu'une mise à pied conservatoire vous avait été notifiée par courrier recommandé reçu le 12 septembre 2015, vous avez contacté, le 17 septembre 2015, la société de géolocalisation Océan afin de lui demander de modifier des informations sur les véhicules de l'entreprise et de réintégrer le vôtre."
Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, la société Poly Prest Europe reproche à M. [U] plusieurs manquements.
S'agissant de l'incident du 9 septembre 2015 chez le client La Chancellerie des Universités
La société Poly Prest Europe produit le courriel qu'elle a reçu le 9 septembre 2015, émanant de la Chancellerie des Universités, en ces termes : « M. [U] s'est présenté à ma collaboratrice en charge du suivi de l'entretien du site de [7], Mme [K] [G]. Étonnée par cette visite, Mme [G] nous a ensuite fait part de l'attitude surprenante et inappropriée de M. [U] qui souhaitait l'inviter à déjeuner, invitation qu'elle a déclinée. Aussi, au-delà du tutoiement intempestif, d'un discours sur ses problèmes personnels, il aurait évoqué des difficultés dans l'entreprise. Cette attitude semble hors contexte professionnel et n'est pas acceptable. Un changement dans l'organisation de votre société est-il intervenu ' » (pièce 2 de la société).
Nonobstant les explications inopérantes du salarié, la cour retient que M. [U] a adopté une attitude non professionnelle à l'égard de son interlocutrice chez un client, ce dont ce dernier s'est plaint auprès de l'employeur, portant ainsi atteinte à l'image de la société.
Ce grief est matériellement établi.
S'agissant des incidents sur les sites de la bibliothèque Sainte-Geneviève et Petit Navire.
La société Poly Prest Europe reproche à M. [U] d'avoir demandé à une entreprise concurrente d'établir un devis pour effectuer, à la place de PPE, des prestations de nettoyage, chez deux clients.
Elle démontre que le 20 juillet 2015, le client Petit Navire (MW Brant) a demandé à M. [U] de lui adresser un devis pour le nettoyage de la moquette et que celui-ci, ainsi qu'il en justifie aux termes de ses propres pièces 9 et 11, a saisi une entreprise concurrente, qui a établi un devis.
Pour justifier avoir fait appel à l'entreprise de nettoyage Carpetcare, M. [U] indique que la société PPE utilisait une technique de nettoyage de moquette par injection/extraction, incompatible avec des dalles de moquettes collées. Il ne produit aucun élément de preuve permettant d'apprécier la pertinence de son allégation, alors que de son côté, la société Poly Prest Europe explique qu'elle a pour activité le nettoyage, y compris le nettoyage de la moquette, que le client s'est d'ailleurs adressé à elle pour cette prestation, qu'il n'appartenait pas à M. [U] de mettre en relation le client avec une société de nettoyage concurrente, que la société Petit Navire est sa cliente depuis 2006 et qu'elle a toujours réalisé le nettoyage de sa moquette.
Il est par ailleurs démontré que, le 22 juillet 2015, M. [U] a demandé un devis à une autre société concurrente, la société HTP Centre Est, afin de réaliser, à la place de PPE, une prestation de nettoyage des combles de la bibliothèque Sainte-Geneviève client de la société PPE depuis 1988 pour les vitres et 2007 pour le nettoyage.
M. [U] oppose ici que le travail à effectuer n'était pas du nettoyage classique mais de la manutention de chantier car il était nécessaire d'enlever du sable sous la coupole. Cette justification, au demeurant non démontrée, ne peut être retenue, dès lors que, comme le souligne la société Poly Prest Europe, la société choisie a bien pour activité le nettoyage et non le BTP (pièce 5 de l'employeur) et que la société PPE soutient qu'elle aurait pu faire le travail elle-même, sans que la preuve contraire ne soit rapportée.
Ainsi, M. [U] ne pouvait, sans manquer à ses obligations professionnelles, faire appel à des entreprises concurrentes, alors que son employeur avait les compétences techniques pour réaliser les prestations demandées.
S'agissant de la demande à la DRH d'établir un bulletin de paie de 6 000 euros brut
La société Poly Prest Europe prétend qu'à la fin du mois d'août 2015, M. [U], profitant du fait qu'il était le fils de la dirigeante, a fait pression auprès de la DRH, à l'insu de la direction, afin qu'elle lui établisse un bulletin de salaire de 6 000 euros brut, ce qui lui a été refusé puisque cela ne correspondait pas à son salaire.
La société soutient que M. [U] avait reconnu avoir fait cette demande, dans ses écritures n°1 de première instance, même s'il tentait de se justifier par le fait que cette somme lui était due au titre de primes dont la société était redevable et se prévaut donc d'un aveu judiciaire.
Conformément à l'article 1383-2 du code civil, « L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. Il fait foi contre celui qui l'a fait. Il ne peut être divisé contre son auteur. Il est irrévocable, sauf en cas d'erreur de fait. ».
Cette allégation ne peut toutefois pas prospérer en l'espèce, la déclaration prêtée à M. [U] étant nécessairement équivoque puisque conditionnée à la revendication de primes et, quoi qu'il en soit, ne résultant pas des termes du jugement attaqué.
Ce fait n'est pas matériellement établi.
S'agissant des absences injustifiées
La société Poly Prest Europe soutient que M. [U] a été absent de manière injustifiée à quinze reprises, entre le 17 août et le 11 septembre 2015 et produit le bulletin de salaire de septembre 2015, faisant état de ces absences.
M. [U] conteste ces absences injustifiées. Il soutient que le fait que Mme [I] ne l'ait pas vu physiquement aux dates indiquées ne signifie nullement qu'il n'a pas été présent au sein de l'entreprise ou qu'il n'a pas effectué son travail, puisque ses fonctions consistaient à se rendre chez les clients.
M. [U] entend expliciter qu'il est atteint de la maladie de Lyme chronique, l'ayant contraint à abandonner sa profession de kiné-osthéopathe, que dans un esprit de grand professionnalisme, il n'a cependant déposé qu'un seul arrêt de travail du 27 juillet 2015 au 2 août 2015, que lors d'un stade extrême de sa maladie, il a été contraint de prendre le train pour l'Allemagne, le 19 août 2015 et revenir le 23 août 2015, qu'aucun arrêt de travail n'a pu lui être délivré en Allemagne mais que différents échanges professionnels attestent de son travail aux dates indiquées.
Comme le souligne toutefois pertinemment la société Poly Prest Europe, M. [U] ne peut, sans se contredire, faire état d'un stade extrême de sa maladie pour justifier être parti en Allemagne et en même temps, prétendre avoir continué à travailler pour la société.
La société Poly Prest Europe souligne n'avoir aucune activité en Allemagne, aucun client, son activité étant située exclusivement en région parisienne de sorte que ce déplacement en Allemagne ne revêtait pas de caractère professionnel.
Le grief tenant à des absences injustifiées est matériellement établi.
S'agissant de l'utilisation abusive de la carte Total pour prendre du carburant et de la carte bancaire de l'entreprise
La société Poly Prest Europe reproche à M. [U] d'avoir, au cours de ses absences injustifiées, utilisé les moyens de paiement de la société pour effectuer des achats personnels, comme par exemple, au mois d'août 2015, du carburant pour le véhicule Yaris CS 230 JC dont il reconnaît qu'il s'agit du véhicule qui lui a été attribué, des courses alimentaires et des frais de parking pour une somme de 120 euros, jusqu 'au dimanche 23 août 2015.
L'employeur fait par ailleurs état de la prise en charge par ses soins le 10 septembre 2015, de l'achat d'un casque de moto pour la somme de 589 euros, alors que M. [U] bénéficiait d'une voiture.
Il en déduit à juste titre que ces achats ne pouvaient être rattachés à l'exercice de son activité professionnelle.
Ce grief est matériellement établi.
S'agissant de courriels et d'appels téléphoniques incohérents, inquiétants et inappropriés auprès des autres salariés
La société Poly Prest Europe indique à ce sujet que M. [U] a multiplié les appels téléphoniques totalement incohérents et inappropriés auprès d'autres salariés de l'entreprise, ce qui a apeuré ces derniers, qu'encore aujourd'hui, les salariés ont peur de M. [U] et refusent de témoigner.
Elle ne produit cependant qu'un unique courriel que M. [U] a adressé à sa mère le jeudi 19 novembre 2015 en ces termes : « Maman, ce midi je ne peux pas venir au RDV proposé car je suis convoqué ' Je suis disponible pour venir récupérer les documents demain midi à ta convenance. En tant que dirigeant, il ne se fait pas de raccrocher au [nez] lors d'une demande de documents. Je tiens à ce que tu saches que je cherche avant tout un arrangement de ma situation, que tu sois ou non responsable. Il en va de tes petits enfants qui risquent de se retrouver à la DASS avec toutes ces âneries puériles »(sa pièce 11), dont il ne se déduit pas le grief reproché, lequel ne sera donc pas retenu.
S'agissant de la demande de modification des données de géolocalisation
La société Poly Prest Europe prétend, qu'alors qu'il venait de recevoir sa convocation à l'entretien préalable, M. [U] a pris contact avec la société Océan afin de faire modifier les données et réintégrer son véhicule dans la liste des véhicules géolocalisés.
Ce grief est établi par le courriel adressé par la société Océan à la société Poly Prest Europe le 17 septembre 2015 (pièce 7 de l'employeur) et constitue un acte de déloyauté vis-à-vis de son employeur, puisqu'il implique que le salarié avait préalablement exclu son véhicule de la géolocalisation, interdisant à son employeur de savoir où il se trouvait.
Les faits retenus comme établis, par leur nature et au regard de leur nombre, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il s'ensuit le bien-fondé du licenciement pour faute grave prononcé par la société Poly Prest Europe à l'égard de M. [U] et le rejet de toutes ses demandes subséquentes.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé, à l'exception du rejet de la demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur les conditions vexatoires du licenciement et le préjudice moral en ayant résulté
M. [U] sollicite l'allocation d'une somme de 12 326,40 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral. Il fait état du refus de rendez-vous que lui a opposé Mme [I], de la consultation de sa messagerie professionnelle et du changement de son mot de passe. Il fait encore état du fait qu'il a été rétrogradé dans ses fonctions. Il se prévaut sur ces points de l'attestation d'un ancien salarié. Il considère que ces faits constitue un véritable harcèlement moral lui ayant occasionné un préjudice moral.
La société Poly Prest Europe s'oppose à la demande, qu'elle considère non prouvée.
Il est constant qu'un licenciement pour autant fondé peut néanmoins ouvrir droit à une indemnisation au profit du salarié du fait des circonstances brutales et vexatoires ayant accompagné ce licenciement, à la condition de justifier d'une faute de l'employeur dans les circonstances entourant le licenciement.
Il est ici relevé que le salarié ne formule aucune demande au titre d'un harcèlement moral, même s'il en fait état dans le cadre de ses explications.
M. [U] fait état, en premier lieu de mesures prises par son employeur, telles que le refus de rendez-vous avec la dirigeante, la consultation de sa messagerie professionnelle et le changement de mot de passe de celle-ci, lesquelles ne sont pas établies et, en toute hypothèse, s'inscrivent dans le cadre de l'organisation du départ du salarié, de surcroît fondé sur une faute grave, et ne constituent donc pas une faute de la part de l'employeur.
M. [U] fait état, en deuxième lieu, du fait qu'il aurait été victime d'une mesure de rétrogradation en juillet 2015. Il prétend qu'il est devenu directeur à la suite du départ du précédent directeur et qu'il a été ensuite rétrogradé au poste d'attaché commercial.
Il sera cependant constaté que M. [U] a été engagé en qualité d'attaché commercial et qu'il ne justifie, par aucune pièce utile, avoir été nommé aux fonctions de directeur, de sorte que son argumentation à ce sujet doit être écartée.
Au demeurant, Mme [P] [U], s'ur du salarié, témoigne du comportement de son frère en ces termes : « [M] a quitté femme et enfants puis a décidé d'arrêter son activité d'ostéopathe. Ma mère l'a embauché pour qu'il ait un revenu. Un jour, il a voulu aller en Allemagne rencontrer un Chaman. Après nous avoir tous laissés sans nouvelles il est revenu persuadé d'être lui-même un chaman. Depuis ce jour, je ne reconnais pas mon frère dont le comportement est aussi ignoble qu'incohérent. » (pièce 24 de la société).
Quant à Mme [I], elle indique qu'alors qu'elle est âgée de 81 ans, elle aurait effectivement aimé pouvoir confier les rênes de sa société à son fils et l'a même envisagé mais malheureusement, eu égard à l'attitude de son fils durant l'été 2015, elle a dû y renoncer et n'a donc pas donné suite à ce projet.
M. [U] sera en conséquence débouté de sa demande de dommages-intérêts, par confirmation du jugement entrepris.
Sur le rappel de salaires
M. [U] sollicite le paiement d'un rappel de salaires au titre des absences retenues sur son salaire du mois de septembre 2015, à hauteur de 2 790,51 euros.
La société Poly Prest Europe oppose la prescription de la demande.
L'article L. 3245-1 du code du travail fixe un délai de prescription de trois ans pour les actions en paiement ou en répétition du salaire.
Les retenues sur salaire contestées ont été effectuées sur le salaire de septembre 2015 payé le 30 septembre 2015, de sorte que M. [U] devait présenter sa demande au plus tard le 29 septembre 2018.
M. [U] a certes réclamé pour la première fois ce rappel de salaire le 12 décembre 2018 mais, dans la mesure où la demande concerne l'exécution du même contrat de travail au cours de la même instance, c'est la saisine du conseil de prud'hommes qu'il convient de retenir comme date interruptive de la prescription, soit le 2 octobre 2017, de sorte que la demande n'est pas prescrite.
Elle est cependant mal fondée dès lors que la cour a précédemment dit injustifiées les absences de M. [U], ce qui autorisait l'employeur à opérer une retenue sur salaire.
M. [U] sera débouté de cette demande, par confirmation du jugement entrepris.
Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure
M. [U], qui succombe dans ses prétentions, supportera les dépens en application des dispositions de l'article 696 du code de procédure civile.
M. [U] sera en outre condamné à payer à la société Poly Prest Europe une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 1 000 euros.
M. [U] sera débouté de sa demande présentée sur le même fondement.
Le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS,
La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,
DIT non prescrite la demande de rappel de salaires de M. [M] [U],
INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 7 octobre 2019, excepté en ce qu'il a débouté M. [M] [U] de sa demande au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral et de sa demande de rappels de salaire outre congés payés afférents,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT le licenciement prononcé par la SAS Poly Prest Europe à l'encontre de M. [M] [U] fondé sur une faute grave,
DEBOUTE en conséquence M. [M] [U] de l'ensemble de ses demandes subséquentes,
CONDAMNE M. [M] [U] à payer à la SAS Poly Prest Europe une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE M. [M] [U] de sa demande présentée sur le même fondement,
CONDAMNE M. [M] [U] au paiement des entiers dépens.
Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT