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23/06/2022 | FRANCE | N°18/01697

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 23 juin 2022, 18/01697


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 23 JUIN 2022



N° RG 18/01697

N° Portalis DBV3-V-B7C-SJAN



AFFAIRE :



[K] [Y]



C/



Société BIEN A LA MAISON









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 mars 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 14/03480



Cop

ies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Isabelle NARBONI



Me Emmanuel MOREAU





le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 23 JUIN 2022

N° RG 18/01697

N° Portalis DBV3-V-B7C-SJAN

AFFAIRE :

[K] [Y]

C/

Société BIEN A LA MAISON

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 6 mars 2018 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 14/03480

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Isabelle NARBONI

Me Emmanuel MOREAU

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT TROIS JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant, fixé au 12 Mai 2022, puis prorogé au 23 Juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Madame [K] [Y]

née le 28 juillet 1985 à [Localité 4]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par : Me Isabelle NARBONI, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, vestiaire : PC 339

APPELANTE

****************

Société BIEN A LA MAISON

N° SIRET : 489 375 691

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par : Me Denis FERRE de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de MARSEILLE ; et Me Emmanuel MOREAU de la SCP MOREAU E. & ASSOCIES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 147.

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller

Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Greffier lors de la mise à disposition: Mme Dorothée MARCINEK

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

La société Bien à la Maison a pour activité principale l'aide à domicile de personnes âgées. Elle emploie plus de dix salariés et applique la convention collective nationale des organismes d'aide ou de maintien à domicile.

Mme [K] [Y], née le 28 juillet 1985, a été engagée par la société Bien à la Maison, à compter du 31 mars 2008, en qualité de commerciale, selon contrat de travail à durée indéterminée.

Elle occupait en dernier lieu et depuis le 1er septembre 2012, le poste de directeur régional, statut cadre, sur le secteur de [Localité 7], [Localité 6] et [Localité 5].

Par courrier du 29 janvier 2014, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable fixé au 6 février 2014, auquel elle ne s'est pas présentée. Elle a fait l'objet d'une mise à pied à titre conservatoire par courrier du 31 janvier 2014. Elle s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par lettre du 21 février 2014 ainsi rédigée :

« (...) En qualité de Directrice Régionale, vous aviez la responsabilité de l'encadrement et du développement des agences de [Localité 7], [Localité 6] et [Localité 5].

Vous devez assurer la gestion des agences, en animant et dirigeant une équipe de conseillers et de coordinateurs, en respectant les objectifs commerciaux arrêtés avec la Direction Générale. Il vous appartient d'assurer le développement de l'activité par la mise en place de partenariats avec les structures et interlocuteurs du secteur d'activité, ceci par la mise en 'uvre de votre plan d'action régional.

S'agissant des faits qui vous sont reprochés, les manquements dans l'exercice de vos fonctions liés à une mauvaise volonté manifestement délibérée sont les suivants :

Tout d'abord, plusieurs dysfonctionnements liés à votre négligence fautive en matière de gestion du personnel en agence ont été constatés.

Le 16 janvier 2014, Monsieur [P] [X], Directeur Général et Madame [E] [H], Directrice des Ressources Humaines, se rendaient à l'agence de [Localité 6], visite au cours de laquelle Monsieur [B] [N], conseiller social, Madame [A] [O], coordinatrice sociale, nous informaient qu'ils n'avaient aucune directive relative à leur travail. Pour exemple, Monsieur [N] nous informait qu'il n'avait pas connaissance de ses objectifs commerciaux. Il ne présentait aucune structure dans ses démarches de travail et ne possédait pas les connaissances fondamentales au bon développement d'un secteur. Madame [A] [O] nous informe, quant à elle, 'se débrouiller toujours toute seule' et qu'en cas de questionnements, elle contactait la Responsable d'agence actuellement en congé maternité.

L'équipe décrit être livrée à elle-même dans l'exercice de ses fonctions, sans aucune formation ni assistance de votre part. Les deux salariés nous expliquent ne pas être guidés ni épaulés face à leurs problématiques rencontrées avec leurs différents interlocuteurs. En cas de difficultés, notamment en matière de prospection, vous ne procédez à aucun accompagnement des salariés pour démarcher les importants prescripteurs, vous avez même interdit aux équipes de programmer des rendez-vous professionnels lors de vos visites au sein de l'agence. Vous procédiez uniquement à un contrôle ponctuel de leur activité via la demande du nombre de contrats signés et le montant du chiffre réalisé.

Votre grande autonomie ne vous permettait pourtant pas de vous abstenir volontairement et à plusieurs reprises d'effectuer votre travail, portant ainsi préjudice à Bien à la Maison. En effet, vos négligences dans l'accomplissement de vos missions et votre manque d'intérêt flagrant pour votre travail ont mis en danger l'avenir des agences par la perte de clients.

L'équipe nous informe, ensuite, que vous vous rendiez à l'agence une à deux fois par mois au maximum, qu'il était difficile de vous joindre par téléphone même en cas d'urgence, malgré leurs relances et demandes de vos nouvelles. Néanmoins, la pression morale que vous exerciez sur l'équipe - à l'occasion de chacune de vos visites - nuisant si fortement à leurs conditions de travail et portant atteinte à leur santé morale, que ces derniers nous ont indiqué 'préférer encore votre absence'. Plus grave encore, lorsque l'équipe tentait de rendre compte à la Direction de ses difficultés, vous leurs demandiez alors de vous envoyer un e-mail contredisant les propos tenus en vous mettant hors de cause pour appuyer votre position vis-à-vis de la Direction.

Votre comportement inutilement oppressant et inadapté d'un manager, caractérisé par des invectives et réprimandes injustifiées, le tout conduisant à un climat délétère pénalise le bon fonctionnement des agences.

Vos manquements ont engendré d'importantes difficultés pour la stabilisation des équipes en agence : en 2013, l'agence de [Localité 7] a compté six départs de salariés de l'équipe Back office, l'agence de Gif sur Yvette quatre départs sur la période au cours de laquelle vous assuriez sa gestion (janvier à juin), l'agence du Mans a compté deux départs.

Votre attitude très négative et critique a démotivé les salariés au point qu'ils décident de quitter la société. Votre mauvaise gestion des équipes tant sur le plan des relations que sur celui de l'organisation se traduisant par des plaintes, des démissions ou des demandes de changement de service des personnes travaillant avec vous, met en péril le bon fonctionnement des agences et entrave la bonne marche de l'entreprise. La société Bien à la Maison ne saurait aujourd'hui tolérer un tel turn-over au sein des équipes back office du fait des agissements des managers.

De plus, votre comportement empreint d'insubordination et ce de manière répétitive rend très difficile les relations de travail.

D'une part, durant l'exercice de vos fonctions, vous vous opposiez aux directives nationales de votre hiérarchie quant à l'application des process de recrutement auxquels vous vouliez déroger.

Vous avez été informée à plusieurs reprises que les procédures de recrutement des salariés Back Office s'effectuaient par le service Ressources Humaines du siège de la société et non par vous-même, ceci afin d'assurer une meilleure gestion de la sélection et des entrées du personnel, vous ne deviez intervenir qu'en fin de recrutement lors de la validation définitive de la candidature. Or vous vous opposiez à ces directives rendant difficile le bon déroulement des recrutements au sein des agences dont vous aviez la responsabilité.

En effet, par e-mail en date du 2 décembre 2013, vous nous informiez que vous recrutiez une candidate pour l'agence du Mans dont le processus de recrutement avait été opéré par vos équipes puis vous nous informiez par e-mail du 20 décembre 2013 que la candidate ne souhaitait pas poursuivre au sein de la société. Face au turn-over engendré au sein de vos agences, Monsieur [P] [X] vous somme à nouveau par courriel de 'veiller au bon respect des procédures'.

Malgré les multiples rappels de la Direction, vous demandiez par e-mail le 9 janvier 2014, à nouveau d'opérer un recrutement par vous-même, refusant de vous conformer aux instructions. Monsieur [L] [G], Président, vous a alors rappelé par e-mail le même jour que vous n'aviez pas à procéder de la sorte, face à votre insistance, Madame [E] [H] a été contrainte à son tour de vous adresser à nouveau un rappel par e-mail en date du 10 janvier 2014.

La réitération de vos actes témoigne du fait que vous n'avez tenu aucun compte de nos injonctions relatives à la désinvolture de votre comportement.

D'autre part vous avez une nouvelle fois fait preuve d'insubordination en refusant qu'un système de géolocalisation soit installé sur votre véhicule de société.

L'ensemble des véhicules de la société de Bien à la Maison sont équipés à ce jour en vue d'une restriction de coûts de la flotte automobile. Après autorisation numéro 1726592 de la CNIL, vous avez été informée dans un premier temps que les véhicules des conseillers sociaux - les plus nombreux - seront équipés à ce titre. Puis, dans un second temps, les autres véhicules devant l'être également, Monsieur [Z] [T], Directeur du Développement, Logistique et Achats vous a informé de cette mesure par e-mail du 14 janvier 2014, vous avez répondu par e-mail le même jour : '[W] [Z], il n'était pas question que j'en ai une. Cf mail du mois dernier'. Le Directeur Général vous a, à son tour, sommé par e-mail du 15 janvier 2014 d'accepter cette installation, sommation à laquelle vous n'avez pas donné suite ne répondant ni à votre supérieur hiérarchique ni même à la société mandatée pour l'installation qui vous a contactée à plusieurs reprises en vain. A ce jour, vous êtes notre seule salariée s'étant opposée à cette mesure.

Vous faisant juge des priorités de l'entreprise malgré des directives formelles de respecter les procédures mises en places, vous mainteniez un non-respect volontaire des directives de manière persistante.

De surcroit, votre désintérêt total pour votre travail a engendré d'importants freins à la croissance des agences dont vous aviez la responsabilité.

D'une part, votre hiérarchie éprouvait d'importantes difficultés à vous contacter. Vous ne répondiez que très rarement à votre téléphone professionnel rendant les relations de travail très compliquées et entrainant une perte notable de réactivité, d'application des directives et des consignes. Vous refusiez régulièrement de participer aux réunions, vous évoquiez votre doute quant à la nécessité de votre présence, vous refusiez encore des rendez-vous avec le Président lui sommant de se déplacer lui-même au motif que vous aviez des obligations par ailleurs.

D'autre part, nous étions totalement dans l'expectative de la réalité de vos tâches quotidiennes. Votre agenda mentionnait une activité professionnelle anormalement faible puisque vous avez eu au mois de novembre quatre rendez-vous professionnels pour la mise en place de partenariats, aucun rendez-vous au mois de décembre, un seul rendez-vous au mois de janvier.

Vous avez eu donc cinq rendez-vous sur une période de 3 mois alors que comparativement sur le même nombre d'agences, les autres Directeurs de régions ont au minimum 5 rendez-vous professionnels par semaine.

Votre faible investissement professionnel, votre manque de sérieux, l'absence de communication de direction stratégique commerciale à vos équipes ainsi que votre désintérêt pour le développement des agences dont vous aviez la responsabilité a causé un préjudice certain au niveau de la croissance de la société.

Les objectifs demandés par la Direction étaient pourtant adaptés à chaque agence. Le défaut de développement était anormal. En effet, les objectifs étaient réalisables et vous aviez à votre disposition les moyens nécessaires à leur réalisation, moyens identiques aux autres Directeurs de régions. Monsieur [L] [G] vous communiquait régulièrement l'état d'avancement de votre activité lors - entre autres - des réunions de Directeurs de région, données auxquelles vous aviez accès en temps réel sur l'intranet de la société. Vous étiez informée des informations relatives aux pertes générées par vos agences vous expliquant de façon détaillée les montants de marges et les chiffres d'affaires à atteindre afin que les agences atteignent leurs seuils de rentabilité, en vous informant de l'objectif en termes de nombre d'heures à des dates déterminées.

Aussi, nous vous avons retiré la gestion de l'agence de [Localité 3] en août 2013 constatant les trop importantes difficultés de l'agence afin de vous permettre ainsi de vous concentrer sur les autres agences. Entre mars et août 2013, le nombre d'heures facturées aux clients diminuait de 25%. De septembre 2013 à janvier 2014, l'agence a été placée sous la responsabilité d'un autre Directeur, le nombre d'heure facturées augmentait alors de 20%.

Nous déplorons également une croissance très faible pour l'ouverture de l'agence du Mans. La société avait pourtant déployé de nombreux moyens de communication et de publicité pour une ouverture optimale. Vous avez été soutenue par l'intervention sur place de Madame [I] [S], Directrice régionale Ouest et de Monsieur [L] [G] lui-même pour une mise en relation avec les organismes partenaires.

L'agence de [Localité 6] connait une absence totale de développement depuis début 2012.

Enfin, nous avons constaté un manquement grave à votre obligation de loyauté envers votre employeur.

Nous avons découvert que vous communiquiez par courriel à des personnes tierces à Bien à la Maison des informations internes à la société et confidentielles.

Le 27 janvier 2014, vous transmettiez à une personne tierce à l'entreprise par e-mail les directives que vous aviez reçues de votre hiérarchie le 8 janvier 2014 à 10h55 relatives à l'affichage obligatoire en matière d'élections professionnelles. Cette personne vous répondait alors le 30 janvier 2014 'Pour info regarde ce que peut faire l'inspecteur du travail. Il faut pas désespérer mais ont va se taper ensemble t inkiete jusqu'au bout. Appelle l'inspecteur dans un premier temps et prends rdv avec lui avant le 6 et dès lundi ce serait bien je viens avec toi en sortant j'appelle [V] pour le voir demain'.

Suite à cela, nous recevions un courrier de Monsieur [V] [U], secrétaire fédéral de la CGT Commerce Distribution et Services, en date du 29 janvier 2014 reprochant à la société Bien à la Maison des manquements graves à l'organisation de ses élections professionnelles, copie envoyée à l'inspection du travail.

Ces allégations étant mensongères, la communication de mails professionnels a causé un préjudice certain à la société Bien à la Maison, notamment une atteinte à l'image de celle-ci.

Outre votre obligation de loyauté, il n'en demeure pas moins que vous n'avez pas respecté les dispositions de votre contrat de travail faisant état en son article 12 d'une clause de discrétion, selon laquelle vous vous engagiez 'à conserver, de la façon la plus stricte, une discrétion absolue sur l'ensemble des informations se rapportant aux activités de la société qu'elle pourra recueillir à l'occasion de ses fonctions ou du fait de sa présence dans l'entreprise'.

L'ensemble de ces faits constitue une faute grave.

Nous sommes donc contraints de mettre fin à votre contrat de travail, votre attitude rendant impossible la poursuite de votre activité professionnelle au sein de la société Bien à la Maison.

Par la présente, il vous est donc notifié votre licenciement, pour faute grave, sans préavis ni indemnités de rupture. La période de votre mise à pied à titre conservatoire ne vous sera pas rémunérée. (...) »

Par requête reçue au greffe le 28 novembre 2014, Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins de voir notamment prononcer la nullité de son licenciement.

Elle demandait en dernier lieu la résiliation judiciaire de son contrat de travail du fait du défaut de réintégration.

Par jugement rendu le 6 mars 2018, le conseil de prud'hommes a :

- dit et jugé que Mme [Y] ne bénéficiait d'aucune protection au moment de son licenciement,

- constaté que le comportement de la société n'est pas constitutif d'un délit d'entrave,

- débouté Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes à ce titre,

- dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,

- fixé le salaire moyen à 3 102,33 euros,

- condamné la société à verser à Mme [Y] la somme de 3 679,11 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 12 409,32 euros au titre du préavis, 1 240,93 euros au titre des congés payés y afférents,

- condamné la société à verser à Mme [Y] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- limité l'exécution provisoire à celle de droit fixée par l'article R. 1454-28 du code du travail,

- débouté Mme [Y] du reste de ses demandes,

- dit que les éventuels dépens seront à la charge de la société.

Mme [Y] a interjeté appel de la décision par déclaration du 29 mars 2018.

Par conclusions adressées par voie électronique le 1er mars 2022, elle demande à la cour de :

- infirmer la décision du conseil de prud'hommes,

- rejeter toutes les demandes formées par l'intimée,

- constater que le licenciement de Mme [Y] est nul,

- constater que le comportement de la société Bien à la Maison est constitutif d'un délit d'entrave au visa de l'article L. 2146-1 du code du travail,

- condamner la société au paiement des sommes suivantes :

* indemnisation résultant de la nullité du licenciement : 148 911,84 euros,

Si par extraordinaire la cour ne constatait pas la nullité du licenciement,

- constater en revanche qu'il est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et en conséquence condamner la société Bien à la Maison à payer les sommes suivantes :

* mise à pied conservatoire : 2 326,74 euros,

* congés sur mise à pied conservatoire : 232,67 euros,

* indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse : 74 455,92 euros,

* article 700 du code de procédure civile : 5 000 euros,

* intérêts légaux depuis la saisine du conseil de prud'hommes.

Par conclusions adressées par voie électronique le 1er mars 2022, la société Bien à la Maison demande à la cour de :

- infirmer la décision de première instance uniquement en ce que le conseil de prud'hommes de Nanterre a :

* dit et jugé que le licenciement de Mme [Y] reposait sur une cause réelle et sérieuse, alors que les fautes sanctionnées sont graves,

* condamné la société à verser à Mme [Y] les sommes de 3 679,11 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 12 409,32 euros au titre du préavis et 1 240,93 euros au titre des congés payés afférents,

* condamné la société à verser à Mme [Y] la somme de 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* dit et jugé que les éventuels dépens seront à charge de la société,

statuant à nouveau,

- confirmer la décision pour le surplus en déboutant Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes réitérées en cause d'appel ainsi formulées :

* constater que le licenciement de Mme [Y] est nul,

* constater que le comportement de la société Bien à la Maison est constitutif d'un délit d'entrave au visa de l'article L. 2146-1 du code du travail,

* condamner la société au paiement des sommes suivantes :

' indemnité résultant de la nullité du licenciement : 148 911,84 euros,

- confirmer le jugement et débouter Mme [Y] de ses demandes subsidiaires concernant le licenciement prétendument dépourvu de cause réelle et sérieuse et la condamnation de la société Bien à la Maison, à titre subsidiaire, au paiement des sommes suivantes :

* mise à pied conservatoire : 2 326,74 euros,

* congé sur mise à pied conservatoire : 232,67 euros,

* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 74 455,92 euros,

* article 700 : 5 000 euros,

* intérêts depuis la saisine,

en conséquence,

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions comme étant injustifiées et infondées,

- condamner Mme [Y] au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Par ordonnance rendue le 2 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 18 mars 2022.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS

Sur la qualité de salariée protégée

Mme [Y] fait valoir que sa désignation en qualité de déléguée syndicale CGT est antérieure à la mise en oeuvre de la procédure de licenciement, que dès le jour de sa désignation elle bénéficiait de la protection attachée au statut de salarié protégé de sorte que la société Bien à la Maison aurait dû solliciter l'autorisation préalable de l'inspection du travail, ce qu'elle n'a pas fait, quand bien même elle a contesté la validité de sa désignation devant le tribunal d'instance de Courbevoie, qui lui a de toute façon donné tort par jugement du 15 mai 2014. Ainsi, elle indique que la lettre de désignation a été postée le 29 janvier 2014 et réceptionnée par la société Bien à la Maison le 30 janvier 2014, que la lettre de convocation à entretien préalable adressée par l'employeur le 29 janvier 2014 ne lui a été distribuée que le 3 février 2014, qu'alors qu'elle avait poursuivi ses fonctions les 29, 30 et 31 janvier, elle a eu la surprise de recevoir le 3 février 2014 une lettre recommandée avec accusé de réception du 31 janvier 2014 lui notifiant sa mise à pied conservatoire. Elle ajoute que l'employeur avait 'eu vent' depuis novembre 2013 du fait qu'elle souhaitait s'investir dans des fonctions représentatives des salariés, qu'il savait pertinemment que sa désignation en qualité de déléguée syndicale était imminente et que la précipitation avec laquelle il l'a licenciée le 21 février 2014, sans attendre la décision du tribunal d'instance de Courbevoie, démontre qu'il voulait échapper aux règles protectrices offertes aux salariés protégés. Elle en déduit la nullité de son licenciement pour faute grave.

La société Bien à la Maison rétorque que la salariée ne peut bénéficier de la protection attachée au statut de salarié protégé dès lors que la notification de sa désignation a été reçue par l'employeur postérieurement à l'engagement de la procédure de licenciement.

Il est constant que l'existence ou non du statut protecteur, et la nécessité par conséquent d'en tenir compte, s'apprécie au moment de l'engagement de la procédure de licenciement, c'est-à-dire à la date d'envoi de la convocation à l'entretien préalable au licenciement, et qu'à cette date l'employeur doit avoir connaissance de la qualité de salarié protégé.

En l'espèce, il est établi que la convocation à un entretien préalable à un éventuel licenciement a été adressée à la salariée le 29 janvier 2014 par lettre recommandée avec accusé de réception. Or, la lettre de désignation de Mme [Y] en qualité de déléguée syndicale CGT, envoyée le même jour, n'a été réceptionnée par la société Bien à la Maison que le 30 janvier 2014.

Ainsi, lorsque la procédure de licenciement a été initiée, l'employeur n'avait pas connaissance de la qualité de salariée protégée de l'intéressée et aucun élément ne permet de retenir, comme le soutient l'appelante, qu'il était informé de l'imminence de sa désignation. Il n'avait donc pas à saisir l'inspection du travail d'une quelconque demande d'autorisation.

Le jugement entrepris doit en conséquence être confirmé en ce qu'il a débouté Mme [Y] de sa demande de nullité du licenciement.

Sur le bien-fondé du licenciement

Il convient de rappeler que Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes, par requête reçue au greffe le 24 novembre 2014, aux fins de voir constater à titre principal que son licenciement est nul et de voir ordonner la résiliation de son contrat de travail à raison du refus de l'employeur de la réintégrer dans l'entreprise.

Cependant, les premiers juges ont justement constaté que la salariée ne pouvait solliciter la résiliation judiciaire d'un contrat de travail qui était déjà rompu, suite à son licenciement pour faute grave par lettre du 21 février 2014.

Seuls seront donc examinés les motifs ayant fondé le licenciement, étant au surplus observé qu'aux termes de ses conclusions d'intimée, Mme [Y] ne sollicite plus la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Aux termes de la lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, il est fait état des griefs suivants :

- Absence de suivi des équipes, déstabilisation,

- Absence de suivi des procédures,

- Actes d'insubordination,

- Abandon des fonctions,

- Quasi absence d'investissement et pertes,

- Comportement inadapté et déloyal.

Mme [Y] se limite à énoncer que ces griefs sont tous aussi inconsistants que non fondés, que du fait de ses grandes aptitudes professionnelles, elle avait pu, en cinq ans, évoluer au sein de la société de manière spectaculaire, donnant toute satisfaction à son employeur, qu'en réalité, ce dernier n'a eu comme seul objectif en la licenciant que de se débarrasser d'une salariée prenant fait et cause pour la collectivité.

La société Bien à la Maison démontre cependant que durant l'exercice de ses fonctions de directrice régionale, en charge du secteur de [Localité 7], [Localité 6] et [Localité 5], la salariée ne suivait pas les procédures de recrutement en vigueur dans l'entreprise, et ce alors qu'elle avait été informée à plusieurs reprises que le recrutement des salariés 'back office' s'effectuaient par l'intermédiaire du service ressources humaines du siège de la société et qu'elle ne devait intervenir qu'en fin de recrutement lors de la validation définitive de la candidature.

Ainsi, lors d'un échange de courriels du 2 décembre 2013, la directrice des ressources humaines, Mme [E] [H], s'étonnait que Mme [R] [J], responsable d'agence du Mans placée sous la responsabilité hiérarchique de Mme [Y], procède directement au recrutement d'une candidate. Elle rappelait à Mme [Y] que toutes les candidatures 'BO France' devaient être gérées par le siège et validées. Elle lui demandait de ne plus laisser ses équipes gérer les recrutements en direct. Mme [Y] lui envoyait néanmoins le CV de Mme [F], dont la candidature n'avait pas même été transmise au siège pour information, en lui indiquant que celle-ci devait prendre ses fonctions deux jours plus tard.

Or, le 20 décembre 2013, la direction des ressources humaines apprenait que Mme [F], qui avait commencé à travailler dans la société le 4 décembre 2013, venait seulement de recevoir son contrat de travail, qu'elle refusait de signer, ayant décidé de démissionner.

Le directeur général, M. [P] [X], interrogeait Mme [Y] sur les raisons de ce départ et lui demandait de veiller au bon respect des procédures. Mme [H] lui rappelait également la nécessité d'une validation par le siège.

Pour autant, le 9 janvier 2014 et alors que Mme [Y] envisageait de procéder directement à un recrutement pour l'agence de [Localité 7], Mme [H] était contrainte, par un courriel du 10 janvier 2014, de réitérer les consignes en matière de recrutement, à savoir que la sélection des candidats se faisait au siège et que les opérationnels intervenaient en fin de cursus.

La société Bien à la Maison démontre encore que Mme [Y] a une nouvelle fois fait preuve d'insubordination en refusant qu'un système de géolocalisation soit installé sur son véhicule de société, et ce alors qu'il avait été décidé que l'ensemble des véhicules de la société en seraient équipés, en vue d'une réduction des coûts de la flotte automobile, en ce compris les véhicules de la direction, l'employeur produisant les attestations de consentement du système de géolocalisation signées le 20 décembre 2013 par M. [L] [G], président de la société, par M. [C] [D], directeur administratif et financier, par M. [P] [X], directeur général, par M. [Z] [T], directeur développement, logistique et achats, ainsi que l'avis de conformité de la CNIL en date du 19 décembre 2013. Lorsque, par courriel du 14 janvier 2014, M. [T] l'a informée de l'installation prochaine du système sur son véhicule de fonction et qu'il lui a adressé le document de consentement à retourner signé, Mme [Y] a répondu par courriel du même jour : « [W] [Z], il n'était pas question que j'en ai une. Cf mail du mois dernier ».

La société Bien à la Maison reproche également à Mme [Y] un comportement inadapté et déloyal. Elle justifie de la transmission par la salariée, le 27 janvier 2014, à un tiers employé par la société Sanofi, d'un courriel de la directrice des ressources humaines concernant l'organisation des élections des délégués du personnel et du comité d'entreprise et plus particulièrement l'affichage obligatoire en matière d'élections professionnelles. Outre un manquement à son obligation de loyauté vis-à-vis de son employeur, il apparaît que la salariée n'a pas respecté les dispositions de son contrat de travail faisant état en son article 12 d'une clause de discrétion, selon laquelle elle s'engageait 'à conserver, de la façon la plus stricte, une discrétion absolue sur l'ensemble des informations se rapportant aux activités de la société qu'elle pourra recueillir à l'occasion de ses fonctions ou du fait de sa présence dans l'entreprise'. Surtout, suite à cet envoi, le président de la société Bien à la Maison, M. [G], a reçu le 31 janvier 2014 un courrier de M. [V] [U], secrétaire fédéral de la CGT Commerce Distribution et Services, en date du 29 janvier 2014, lui reprochant des manquements graves à l'organisation des élections des institutions représentatives du personnel, une copie de cette lettre étant par ailleurs envoyée à l'inspection du travail.

Ces griefs, qui sont matériellement établis, outre un turn-over important dans les agences dont la salariée avait la responsabilité, tel qu'attesté par les extraits du registre unique du personnel des agences de Versailles, Lille et [Localité 5], suffisent à établir le caractère réel et sérieux du licenciement notifié à Mme [Y], sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres griefs visés dans la lettre de rupture.

Au regard de ses fonctions de directrice régionale, ayant autorité sur plusieurs agences, son insubordination et sa volonté de ne pas respecter les procédures en vigueur dans l'entreprise, rendaient impossible le maintien de la salariée dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Le jugement entrepris mérite en conséquence infirmation en ce qu'il s'est limité à retenir la cause réelle et sérieuse du licenciement. Compte tenu de la faute grave ici retenue, Mme [Y] sera ainsi déboutée de l'intégralité de ses demandes afférentes à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dépens de l'instance et les frais irrépétibles

Mme [Y] supportera les dépens en application des dispositions de l'article'696 du code de procédure civile.

Il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu le 6 mars 2018 par le conseil de prud'hommes de Nanterre sauf en ce qu'il a dit que le licenciement de Mme [K] [Y] reposait sur une cause réelle et sérieuse, en ce qu'il a condamné la société Bien à la Maison à verser à Mme [K] [Y] des sommes à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de frais irrépétibles et en ce qu'il a condamné la société Bien à la Maison aux dépens ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

DIT que le licenciement de Mme [K] [Y] repose sur une faute grave ;

DÉBOUTE Mme [K] [Y] de ses demandes au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents ;

DÉBOUTE les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme [K] [Y] aux dépens.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d'appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Isabelle Vendryes, présidente, et par Mme Dorothée Marcinek, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 18/01697
Date de la décision : 23/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-23;18.01697 ?
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