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22/06/2022 | FRANCE | N°19/04880

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 22 juin 2022, 19/04880


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80C



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 22 JUIN 2022



N° RG 19/04880

N° Portalis DBV3-V-B7D-TVDG



AFFAIRE :



Société CERNER FRANCE



C/



[F] [C]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 17/03299



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Claire RICARD



Me Virginie DOMAIN



Copie numérique adressée à :



Pôle Emploi







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 22 JUIN 2022

N° RG 19/04880

N° Portalis DBV3-V-B7D-TVDG

AFFAIRE :

Société CERNER FRANCE

C/

[F] [C]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 29 novembre 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 17/03299

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Claire RICARD

Me Virginie DOMAIN

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société CERNER FRANCE

N° SIRET : 350 383 253

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 et Me Tamar LOUBATON de la SELEURL TAMAR LOUBATON AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2221, substitué à l'audience par Me Maud FAUCHON, avocat au barreau de Paris

APPELANTE

****************

Madame [F] [C]

née le 30 avril 1988 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Véronique VIOT de l'AARPI RASPAIL AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L219 et Me Virginie DOMAIN, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2440

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Laurent BABY, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 29 novembre 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

- dit que la démission est bien une démission,

- fixé le salaire de Mme [F] [C] à 3 291,67 euros,

- condamné la société Cerner France à payer à Mme [C] les sommes suivantes :

. 9 000 euros au titre du non-respect de l'obligation de sécurité,

. 300,76 euros au titre du rappel de salaire, en deniers ou quittance,

. 2 500,00 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles relatives au régime de prévoyance obligatoire,

. 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné de refaire le bulletin de salaire de septembre 2016 en conformité avec le jugement,

- ne fait pas droit au surplus des demandes de Mme [C],

- ne fait pas droit aux demandes de la société Cerner France,

- dit que l'exécution provisoire est de droit,

- condamné la société Cerner France aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 20 décembre 2019, la société Cerner France a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 8 février 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 4 novembre 2020, la société Cerner France demande à la cour de :

- la déclarer recevable et bien fondée en son appel,

- constater que la démission de Mme [C] est claire et non équivoque,

en conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la rupture du contrat de travail de

Mme [C] à son initiative, s'analyse en une démission,

- constater qu'aucun manquement ne peut lui être reproché dans le cadre de l'exécution du contrat de travail de Mme [C],

- constater que Mme [C] a été intégralement remplie de ses droits au titre de l'exécution et de la cessation du contrat de travail l'ayant liée à la société,

en conséquence,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à payer à Mme [C] les sommes de :

. 9 000 euros au titre du non-respect de l'obligation de sécurité,

. 300,76 euros au titre du rappel de salaire,

. 2 500 euros au titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles relatives au régime de prévoyance obligatoire,

. 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

- dire que les demandes de Mme [C] sont infondées,

- constater qu'en l'assignant devant le conseil de prud'hommes de Nanterre, Mme [C] a abusé de son droit d'ester en justice,

- réformer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à refaire le bulletin de salaire de

Mme [C] de septembre 2016 en conformité avec ledit jugement,

- débouter Mme [C] de l'ensemble de ses demandes, pièces et conclusions,

- condamner Mme [C] condamner la somme de 3 000 euros en application de l'article 32-1 du code de procédure civile,

- condamner Mme [C] condamner la somme de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [C] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe le 4 février 2021, Mme [C] demande à la cour de :

- la recevoir en son appel incident,

- confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- réformer le jugement conseil de prud'hommes de Nanterre en date du 29 novembre 2019, en qu'il l'a déboutée de sa demande de requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

et statuant à nouveau sur ce chef,

- requalifier sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

en conséquence,

- condamner la société Cerner France à lui verser les sommes suivantes :

. 5 666,62 euros à titre d'indemnité de préavis,

. 566,66 euros au titre de congés payés y afférent,

. 3 200,22 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

. 19 200 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- dire que les créances de nature salariale (indemnité de préavis, congés payés y afférent et indemnité conventionnelle de licenciement) produiront intérêt au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation et les créances à caractère indemnitaire (dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse) produiront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition de l'arrêt à intervenir,

- ordonner à la société Cerner France de lui délivrer des documents de fin de contrat rectifiés conformément à la décision à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard et par document dans un délai de 15 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- débouter la société Cerner France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

- condamner la société Cerner France à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Cerner France aux entiers dépens, en ce compris les frais éventuellement exposés pour l'exécution de l'arrêt à intervenir.

LA COUR,

La société Cerner France a pour activité l'édition de progiciels intégrés dans le secteur de la santé.

Mme [F] [C] a été engagée par la société société Cerner France, en qualité de consultant fonctionnel, par contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 7 janvier 2014.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective dite Syntec.

L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Mme [C] a bénéficié d'un premier arrêt de travail pour maladie du 9 au 11 février 2015. Elle a eu un nouvel arrêt de travail du 25 août 2015 (date de son admission à l'hôpital [7]) au 13 septembre 2015.

A compter du 16 février 2016, Mme [C] a été placée en arrêt de travail jusqu'au 6 mars 2016, puis du 8 mars 2016 au 1er juin 2016.

Par lettre du 11 septembre 2016, Mme [C] a signifié à la société Cerner France sa démission dans les termes suivants :

« Je vous informe par la présente de ma décision de démissionner de mes fonctions de Delivery Consultant au Service Consulting que j'occupe depuis le 07/01/2014 de l'entreprise CERNER FRANCE.

J'ai bien noté que ma convention collective prévoit un préavis d'une durée de 3 mois me conduisant à quitter mon travail le 11/12/2016.

Cependant, je sollicite par dérogation une dispense partielle de ce préavis visant à le ramener à une durée de 1,5 mois. Dans cette hypothèse, ma démission sera effective le 20 octobre 2016.

Je vous remercie de bien vouloir me remettre à cette date un reçu pour solde de tout compte, un certificat de travail, ainsi qu'une attestation Pôle Emploi '

Dans l'attente d'une réponse favorable de votre part, je vous prie d'agréer, Madame, Monsieur, mes salutations les plus distinguées. »

Mme [C] a de nouveau été placée en arrêt de travail du 21 septembre 2016 au 27 septembre 2016 puis du 28 septembre 2016 au 19 octobre 2016.

Par courrier du 28 septembre 2016, la société Cerner France a dispensé Mme [C] de la totalité de son préavis qui lui a été réglé jusqu'à sa demande de départ anticipée au 20 octobre 2016.

Le 6 novembre 2017, Mme [C] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'obtenir la requalification de sa démission en une prise d'acte de la rupture aux torts exclusifs de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, de constater que la société l'a privée sans droit du bénéfice du régime de prévoyance auquel elle pouvait prétendre, de dire que la société a failli à son obligation de sécurité de résultat et d'obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et de nature indemnitaire.

SUR CE,

Sur l'obligation de sécurité :

La salariée, qui présente l'obligation de sécurité comme une obligation de résultat, fait valoir qu'elle a été contrainte de démissionner en raison d'un épuisement professionnel, conséquence d'un stress intense et continu généré par une surcharge de travail. Elle ajoute que les préconisations du médecin du travail n'ont pas été observées ce qui a eu pour conséquence la dégradation de son état de santé.

La société conteste tout manquement.

En vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité qui n'est pas une obligation de résultat mais une obligation de moyen renforcée, l'employeur pouvant s'exonérer de sa responsabilité s'il justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.

En l'espèce, après son arrêt de travail du 9 au 11 février 2015 prescrit pour un mal de dos, la salariée a été examinée par le médecin du travail lequel, le 29 avril 2015, la déclarait apte « avec étude de la posture au travail par l'assistante de prévention » (pièce 15 S). Ladite assistante établissait un rapport comportant des préconisations le 15 juillet 2015 (pièce 16 S). Au rang de ces préconisations figuraient :

. la mise à disposition d'un siège ergonomique,

. l'aménagement du poste de travail : mise à disposition d'un casque monoral et mise à disposition d'un sac à dos ou à roulettes suffisamment grand pour y placer son portable, la salariée effectuant des déplacements chez des clients, notamment à [Localité 8] et [Localité 5],

. ceci, tant au siège que chez les clients.

Ce rapport a été communiqué à l'employeur le 17 juillet 2015 (pièce 17 S). La salariée en a rappelé le contenu par un courriel du 26 avril 2016 (pièce 45 S). Elle l'a aussi rappelé par courriel du 11 juillet 2016 (pièce 31 S), répondant en cela au courriel de son supérieur hiérarchique dont il ressort en substance que des vérifications sur le siège ergonomique étaient en cours, que le casque avait été commandé et que le sac devait encore l'être, soit autant de signes montrant que l'employeur a tardé à se conformer aux préconisations de la médecine du travail.

Ce manquement est dès lors établi.

La salariée invoque aussi une surcharge de travail ayant conduit à son burn out. La salariée, qui ne demande pas l'annulation ou l'inopposabilité du forfait en jours (218 jours) à laquelle elle était soumise et qui ne demande pas non plus de rappel d'heures supplémentaires doit établir la réalité de la surcharge qu'elle invoque.

A cet égard, la salariée justifie d'un suivi par son psychiatre, lequel certifiait en février 2017 (pièce 43 S) qu'il la suivait régulièrement depuis le 29 février 2016 pour un état anxio-dépressif. Le psychiatre indique que la salariée reliait alors son état avec ce qu'elle présentait comme des « pressions multiples et une surcharge de travail ».

De fait, le travail de la salariée l'amenait à effectuer de fréquents déplacements depuis [Localité 6] vers les sites sur lesquels elle était affectée à [Localité 8] ou à [Localité 5] ce qui la conduisait à se lever tôt le matin pour prendre son train et à rentrer tardivement (pièce 9 S). La salariée montre qu'il lui arrivait de rédiger des courriels professionnels à des horaires très tardifs (pièces 10 et 13 S) courant 2015 et 2016 ; parfois même le week-end.

Il ressort par ailleurs d'une réunion extraordinaire du comité d'entreprise en date du 24 février 2016 que « Lors de la précédente réunion ordinaire du CE le 17 février 2016, nous avons attiré l'attention de la direction sur des risques réels relevés au sein du groupe consulting ainsi que notre inquiétude sur le besoin d'actions rapides afin d'assurer le bien-être et le succès des projets en cours. Suite à cette alerte, [le directeur général Cerner France / président du CE] nous a proposé de faire un retour écrit des problèmes et de mettre en place une réunion de travail ou d'échanges avec les managers du consulting/PMO et CRE afin d'améliorer la situation. Au moment où cette réunion a lieu, 3 salariés sont en arrêt maladie (note de la cour : dont Mme [C]). Ces arrêts sont directement liés aux différents problèmes soulevés par le comité d'entreprise » (pièce 25 S). Plus loin, le compte-rendu ajoute : « Nous lui (note de la cour : « lui » pour Mme [P], CRE et représentante des CREs) confirmons que la majorité des situations qui nous ont été remontées sont des situations liées au projet de [Localité 5] (') ».

Ces divers éléments sont en lien avec les informations communiquées à certains membres du comité d'entreprise ; informations consignées dans la pièce 30 de la salariée (document intitulé « transcription des remontées sur les conditions de travail au consulting, ces derniers mois [entretiens des 9 et 15 février 2016] »). Il en ressort notamment que :

. les problèmes essentiels « gravitent spécifiquement au tour du projet [Localité 5] » et que « les déplacements répétés (et trop souvent inutiles), associés aux points évoqués plus haut, ont provoqué des arrêts de travail pour LB+NH+MG. Ces trois professionnelles souffrent aujourd'hui d'insomnies, de cauchemars et d'épuisement. Leurs proches affirment ne pas les reconnaître » ;

. du fait des déplacements à [Localité 5], « l'amplitude horaire est importante : lever 5h du matin pour un départ par le train de 6h53 à Montparnasse. Retour par le train de 18h/18h30 pour un retour au domicile à 22h. NB : l'amplitude horaire étant trop grande (') elles ne peuvent pas non plus déclarer leurs heures correctement dans ADP. Elles ont un message d'erreur (nb d'heures maximal dépassé). Elles enregistrent donc l'horaire habituel, plus leur temps de déplacement. (') ».

L'organisation du travail de la salariée, amenée à effectuer des déplacements notamment à [Localité 5], impliquait par elle-même la surcharge qu'elle dénonce. Peu importe que, comme le soutient l'employeur, la salariée ait pu prendre ses RTT ou qu'elle ait bénéficié de journées de télétravail.

Pour les motifs exposés ci-dessus, il convient de tenir pour établi le fait que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité et que l'employeur n'a pas mis en 'uvre les mesures propres à éviter la dégradation de l'état de santé de la salariée, dégradation qui présente un lien avec ses conditions de travail.

Au regard du préjudice subi par la salariée, il convient, infirmant le jugement, de lui allouer en réparation du préjudice subi la somme de 4 000 euros.

Sur la prévoyance :

La salariée reproche à l'employeur d'avoir fait une application lacunaire du régime de prévoyance ce qui l'a privée d'une partie de sa rémunération de mai à août 2016 ; elle précise en effet qu'elle a totalisé un arrêt de travail de plus de 90 jours - non interrompus par un jour de RTT posé avant l'arrêt de travail - et que la société n'a pas mis en 'uvre la garantie conventionnelle prévue dans ce cas.

En réplique, la société expose que la salariée n'a pas eu un arrêt de travail de plus de 90 jours consécutifs puisqu'elle l'évalue à 86 jours.

Il ressort de l'article 43 de la convention collective Syntec que le relais des garanties est assuré par l'accord de prévoyance pour les incapacités temporaires de travail supérieures à 90 jours. L'article 43 renvoie aux « conditions prévues par l'accord "Prévoyance" annexé à la présente convention collective. » L'accord en question prévoit un délai de carence de « 90 jours consécutifs d'arrêt de travail ».

En l'espèce, la salariée a bénéficié des arrêts de travail suivants (pièce 6 E) :

. du 16 au 23 février 2016 (avis d'arrêt de travail initial),

. du 24 février au 6 mars 2016 (avis d'arrêt de travail de prolongation),

. du 8 mars au 12 mars 2016 selon un avis d'arrêt de travail initial qui a été prolongé par la suite jusqu'au 1er juin 2016.

Les parties sont en discussion sur la période qui a séparé la fin de l'arrêt de travail finissant le 6 mars et le nouvel arrêt de travail débutant à compter du 8 mars.

En pratique, la discussion porte sur la journée du lundi 7 mars 2016 qui - ce n'est pas discuté- avait été posée par la salariée au titre de ses RTT.

Si est incluse dans la période d'arrêt de travail la journée du 7 mars 2016, alors l'arrêt de travail de la salariée a duré du 16 février au 1er juin 2016 ce qui représente plus de 90 jours ; 106 en l'occurrence. Si au contraire cette journée litigieuse n'y est pas incluse, alors deux périodes d'arrêts de travail se sont succédé : l'une du 16 février au 6 mars (20 jours) et l'autre du 8 mars au 1er juin inclus (86 jours).

Force est de constater que deux périodes se sont succédé dans le temps. Le médecin traitant de la salariée a d'ailleurs pris soin de lui délivrer un avis d'arrêt de travail initial le 8 mars et non un avis de travail de prolongation. Il ne peut donc qu'être constaté qu'une interruption a bien eu lieu le 7 mars de sorte que l'arrêt de travail de la salariée n'a pas été continu et qu'elle ne peut donc justifier d'un arrêt de travail de plus de 90 jours consécutifs.

Par conséquent, le jugement sera infirmé en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité de

2 500 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles relatives au régime de prévoyance obligatoire. Statuant à nouveau, la salariée sera déboutée de cette demande.

Sur la demande de rappel de salaire pour les journées des 21 et 28 septembre 2016 :

La salariée reproche à la société de ne pas avoir géré comme elle le devait ses arrêts de travail. Elle explique avoir été présente à son poste de travail les 21 et 28 septembre 2016 ; qu'il appartient donc à l'employeur de lui rémunérer lesdites journées, même si elle a été contrainte de quitter son emploi pour raisons médicales.

En réplique, la société objecte que les arrêts de travail de la salariée ont été prescrits les jours revendiqués par la salariée de sorte que le contrat de travail était suspendu les 21 et 28 septembre 2016 et qu'elle n'avait pas à rémunérer la salariée ces jours-là.

En l'espèce, il n'est pas discuté et il est au demeurant démontré (pièces 30 et 31 E) que la salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie du 21 septembre 2016 au 27 septembre 2016 (avis d'arrêt de travail initial) puis du 28 septembre 2016 au 19 octobre 2016 (avis d'arrêt de travail de prolongation).

Toutefois, il n'est pas contesté que les 21 et 28 septembre 2016, la salariée s'est présentée sur son lieu de travail et que ce n'est qu'au cours de la journée qu'elle l'a quitté pour aller consulter son médecin, lequel a prescrit à chaque fois un arrêt de travail. Or, toute journée de travail débutée est due par l'employeur.

Il en résulte que les salaires des 21 et 28 septembre 2016 sont dus à la salariée. Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il lui a accordé le rappel de salaire litigieux.

Sur la rupture :

La salariée soutient que sa démission est équivoque ; qu'elle doit produire les effets d'une prise d'acte ; que cette prise d'acte doit produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse en raison des manquements de l'employeur qui, selon elle, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail ; au titre des manquements de l'employeur, elle invoque la violation par ce dernier de son obligation de sécurité et le fait qu'il lui a imposé une surcharge de travail sans jamais évaluer cette charge de travail alors qu'il aurait dû le faire en application de l'article L. 3121-46 du code du travail.

En réplique, l'employeur tient pour claire et non équivoque la démission litigieuse ; il explique cela par le contenu même de la lettre de démission et par le fait qu'en réalité, la salariée avait déjà négocié un nouveau contrat de travail auprès d'une autre société. Il fait observer que la salariée n'a saisi le conseil de prud'hommes que plus d'un an après la rupture et objecte qu'elle ne rapporte pas la preuve des griefs qu'elle invoque.

La démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

Lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, il appartient au juge, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, la démission du salarié était équivoque, analyser la démission en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire analyser cette rupture comme une démission.

En l'espèce, la salariée a présenté sa démission par lettre du 11 septembre 2016. Dans sa lettre, reproduite supra dans les faits constants, la salariée ne fait état d'aucun grief ni manquement imputable à l'employeur. Elle demande seulement la réduction de son préavis de 3 à 1,5 mois.

Toutefois, comme jugé plus haut, la salariée avait, à une époque contemporaine de la démission, des griefs à faire valoir à l'endroit de l'employeur : en particulier des griefs tenant à l'obligation de sécurité qui pèse sur lui.

Au surplus, il doit être observé que le 8 mars 2016, la salariée écrivait à son supérieur hiérarchique pour lui indiquer : « Pour lever le doute sur la raison de mon arrêt de travail actuel, je vous informe que cet arrêt (depuis le 16/02/2016) est totalement lié au travail. (') C'était aussi le cas pour l'arrêt de travail du mois d'août/septembre 2015 (épuisement physique dû à l'enchaînement des projets BB1 et BB2 de [Localité 5]). Depuis le mois de septembre dernier, j'ai remonté plusieurs alertes sur mon état de santé ainsi que sur les conditions de travail associées au projet de [Localité 5] (') et malgré cela, très peu de changements ont été appliqués. Aujourd'hui, mon état de santé s'est dégradé (') » (pièce 29 S).

Enfin, dans le courriel qu'elle adressait à ses collègues pour les saluer avant son départ, la salariée écrivait notamment : « Je pense que vous savez tous à quel point ces derniers mois et semaines ont été difficiles au sein du service consulting. Si cela n'avait tenu qu'à moi, je ferais encore partie de ce service (') ».

Ces éléments démontrent le caractère équivoque de la démission. Peu importe que la salariée ait trouvé un nouvel emploi peu après ladite démission et peu importe aussi qu'elle ait recherché cet emploi avant la rupture, ces éléments n'étant pas de nature à ôter à la démission son caractère équivoque.

Elle doit en conséquence s'analyser comme une prise d'acte de la rupture.

La prise d'acte de la rupture se définit comme un mode de rupture du contrat de travail par le biais duquel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu'il impute à son employeur. Si les manquements invoqués par le salarié sont établis et empêchent la poursuite du contrat de travail, alors la rupture produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans le cas contraire, la prise d'acte doit être requalifiée en démission.

En l'espèce, la salariée invoque des manquements à l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur.

Ces manquements ont été admis par la cour tant en ce qui concerne les prescriptions médicales visant à prévenir les douleurs dorsales de la salariée qu'en ce qui concerne sa surcharge de travail.

Sur ce dernier point, la salariée invoque au soutien de sa prise d'acte le fait que l'employeur n'a pas respecté l'obligation découlant de l'article L. 3121-46. Cette disposition prévoit qu'un entretien annuel est organisé par l'employeur avec chaque salarié ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année, ce qui était le cas de l'intimée. Dès lors, des entretiens portant sur sa charge de travail, l'organisation du travail dans l'entreprise, l'articulation entre l'activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale ainsi que sur sa rémunération auraient dû être mis en 'uvre.

Or la société ne justifie pas avoir organisé d'entretien sur la charge de travail, alors pourtant que la salariée s'était plainte d'une surcharge et de l'organisation de son travail (trajets vers [Localité 5]) notamment en février 2016 lorsqu'elle a été interrogée par certains membres du comité d'entreprise (cf. supra).

Compte tenu de la dégradation de l'état de santé de la salariée, qui présente un lien avec ses conditions de travail, les manquements qu'elle invoque empêchaient la poursuite du contrat de travail. Il conviendra par conséquent de réformer le jugement et, statuant à nouveau, de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La salariée peut donc prétendre à ses indemnités de rupture ainsi qu'à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'employeur ne discute pas le quantum des demandes que la salariée forme au titre de l'indemnité de préavis (5 666,62 euros outre 566,66 euros au titre de congés payés y afférent) et au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement (3 200,22 euros).

En ce qui concerne l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa version applicable au présent litige : compte tenu de l'âge de la salariée lors de la rupture (28 ans), de son ancienneté (2 ans et 10 mois), de son niveau de rémunération (environ 3300 euros par mois), de ce qu'elle a retrouvé un emploi le 7 novembre 2016 lui procurant une rémunération moindre (environ 2 700 euros par mois), il convient, statuant à nouveau et dans les limites de la demande de condamner l'employeur à lui payer une indemnité de 19 200 euros.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive :

L'exercice d'une action en justice, de même que la défense à une telle action, ne dégénère en abus que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi ou s'il s'agit d'une erreur grave équipollente au dol.

En l'espèce, les demandes de la salariée ayant été en partie accueillies, elle n'a manifestement pas commis d'abus dans l'exercice de l'action qu'elle a intentée contre son employeur.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté l'employeur de ce chef de demande.

Sur les intérêts :

Les condamnations au paiement de sommes ayant une vocation indemnitaire seront assorties des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ou à compter du jugement du conseil de prud'hommes s'agissant des confirmations.

Les condamnations au paiement des indemnités de rupture et des rappels de salaire produiront quant à elles intérêts au taux légal à compter de la réception, par l'employeur de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes.

Sur la remise des documents :

Il conviendra de donner injonction à l'employeur de remettre à la salariée un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette mesure d'une astreinte.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

Succombant, l'employeur sera condamné aux dépens.

Il conviendra de condamner l'employeur à payer à la salariée une indemnité de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d'appel.

Le jugement sera par ailleurs confirmé en ce qu'il a alloué à la salariée une indemnité de

1 200 euros pour les frais engagés devant le premier juge.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, la cour :

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

DÉBOUTE Mme [C] de sa demande tendant à la condamnation de la société Cerner France à lui payer une indemnité à titre de dommages et intérêts pour non-respect des dispositions conventionnelles relatives au régime de prévoyance obligatoire,

DIT que la démission s'analyse en une prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

CONDAMNE la société Cerner France à payer à Mme [C] :

. 5 666,62 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis outre 566,66 euros au titre de congés payés y afférent, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Nanterre,

. 3 200,22 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, avec intérêts au taux légal à compter de la convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation du conseil de prud'hommes de Nanterre,

. 19 200 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de sécurité,

ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

DONNE injonction à la société Cerner France de remettre à Mme [C] un certificat de travail, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif conformes à la présente décision,

REJETTE la demande d'astreinte,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Cerner France à payer à Mme [C] la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais engagés en cause d'appel,

CONDAMNE la société Cerner France aux dépens.

. prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

. signé par Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente et par Madame Dorothée MARCINEK, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04880
Date de la décision : 22/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-22;19.04880 ?
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