La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

16/06/2022 | FRANCE | N°21/02651

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 16 juin 2022, 21/02651


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 4DC



12e chambre



ARRET N°



REPUTE CONTRADICTOIRE



DU 16 JUIN 2022



N° RG 21/02651 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UOXE







AFFAIRE :



M. [N] [T]

...



C/



Mme [U] [E]



S.E.L.A.R.L. [K][R]







Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 30 Juin 2017 par la chambre des procédures collectives du Tribunal de Grande Instance de N

ANTERRE

N° RG : 16/00006



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Sophie RIVIERE- MARIETTE



Me Catherine LEGRANDGERARD









RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VING...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4DC

12e chambre

ARRET N°

REPUTE CONTRADICTOIRE

DU 16 JUIN 2022

N° RG 21/02651 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UOXE

AFFAIRE :

M. [N] [T]

...

C/

Mme [U] [E]

S.E.L.A.R.L. [K][R]

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 30 Juin 2017 par la chambre des procédures collectives du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

N° RG : 16/00006

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Sophie RIVIERE- MARIETTE

Me Catherine LEGRANDGERARD

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDEURS devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation du 22 octobre 2020 cassant et annulant l'arrêt rendu par la 13ème chambre de la cour d'appel de Versailles le 11 juin 2019

Monsieur [N] [T]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 9] (30)

de nationalité Française

[Adresse 4]

[Localité 6]

S.C.I. [I]

RCS Nanterre : n° 479 329 658

[Adresse 4]

[Localité 6]

Autre(s) qualité(s) : Demandeur dans 21/02740 (Fond)

Représentés Me Sophie RIVIERE-MARIETTE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 275 et par Me Olivier BAULAC de la SCP CABINET BAULAC & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0207

****************

DEFENDERESSES DEVANT LA COUR DE RENVOI

Madame [U] [E]

née le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 11]

de nationalité Française

[Adresse 5]

[Localité 7]

Autre(s) qualité(s) : Défendeur dans 21/02740 (Fond)

Représentée par Me Catherine LEGRANDGERARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 391 et par Me Jean-Christophe BLANCHIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0410,

****************

S.E.L.A.R.L. [K][R] prise en la personne de Maître [K] [R] en qualité de Commissaire à l'exécution du plan de redressement par voie de continuation de la SCI [I] selon jugement rendu le 10 Février 2017 par le TGI de NANTERRE (Déclaration de saisine signifiée le 28.09.2021 à personne habilitée)

[Adresse 3]

[Localité 8]

Défaillante

PARTIE INTERVENANTE

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 Avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Mme Véronique MULLER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,

EXPOSE DU LITIGE

Mme [U] [E] et M. [N] [T] ont vécu en concubinage durant plus de 10 années, et sont associés de la société civile immobilière [I] qu'ils ont créée pour l'achat d'un bien immobilier situé à [Adresse 10].

Par jugement du 24 février 2016, le tribunal de grande instance de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire au profit de la société [I], et désigné la société [R], prise en la personne de M. [K] [R], en qualité de mandataire judiciaire.

La liste des créances déclarées - comportant celle déclarée par M. [T] à hauteur de 707.976,49 euros à titre chirographaire au titre de son compte courant d'associé dans la SCI [I] - a été déposée au greffe le 7 novembre 2016.

Par courrier du 28 novembre 2016 adressé au mandataire judiciaire, M. [T] a déclaré abandonner sa créance jusqu'à retour de la société à bonne fortune.

Par ordonnance du 25 janvier 2017 le juge-commissaire a admis les créances figurant dans la liste déposée au greffe.

Le plan de redressement par voie de continuation de la SCI [I] a été adopté par jugement du 10 février 2017, la société [R], prise en la personne de maître [K] [R], étant désignée en qualité de commissaire à l'exécution du plan. Ce plan prévoit l'apurement en dix annuités progressives du passif vérifié et admis d'un montant de 388.949,35 euros, diminué de la créance de M. [T] de 707.976,49 euros abandonnée pour les besoins du plan jusqu'à retour à meilleur fortune.

Mme [E] a formé une tierce opposition au jugement adoptant le plan de redressement. Cette tierce opposition a été rejetée par jugement du 12 mai 2017, confirmé par arrêt de cette cour du 7 novembre 2017.

Par requête formée le 14 avril 2017, Mme [E] a saisi le juge-commissaire d'une contestation de l'état des créances publié au Bodacc le 22 mars 2017, en ce que la créance de compte courant d'associé de M. [T] d'un montant de 707.976,49 euros a été admise, alors qu'il s'agit selon elle d'une créance fictive.

Par ordonnance du 30 juin 2017, le juge-commissaire du tribunal de grande instance de Nanterre a rejeté la créance de 707.976,49 euros déclarée par M. [N] [T], au motif, d'une part que le mandataire n'en avait pas vérifié la sincérité, d'autre part que l'engagement de remboursement de la dette par la société n'avait pas été mentionné dans le rapport spécial de l'assemblée générale annuelle.

La société [I] a interjeté appel de cette décision. M. [T] est intervenu volontairement à l'instance.

Par arrêt du 11 juin 2019, la cour d'appel de Versailles a :

- Déclaré l'appel de la société [I] irrecevable ;

- Déclaré l'intervention volontaire de M. [N] [T] irrecevable ;

- Condamné la société [I], en procédure collective, aux dépens de la procédure d'appel ;

- Rejeté les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par arrêt du 22 octobre 2020, la Cour de cassation a cassé l'arrêt du 11 juin 2019 au motif que la société [I], qui avait sollicité le rejet de la réclamation de Mme [E] et succombé en sa demande, avait un intérêt à interjeter appel et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles autrement composée.

Vu la déclaration de saisine du 22 avril 2021 formée par la société [I] à l'encontre de Mme [E].

Vu la déclaration de saisine du 27avril 2021 formée par M. [N] [T] et la SCI [I] à l'encontre de Mme [E] et de la société [R], en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan.

Par ordonnance du 28 octobre 2021, le conseiller de la mise en état de la cour d'appel de Versailles a ordonné la jonction de ces procédures.

Par arrêt du 3 mars 2022, la cour d'appel de Versailles a :

- Ordonné la réouverture des débats pour permettre :

/ à M. [T] de produire les grand-livres comptables de la société [I] sur les années 2010 à 2016 ;

/ à chacune des parties de former toutes observations utiles, sur le fondement de l'article L.624-2 du code de commerce, sur le pouvoir juridictionnel du juge commissaire et de la cour d'appel, et le caractère sérieux ou non de la contestation de créance émise par Mme [E];

- Dit que l'affaire sera à nouveau appelée à l'audience du 31 mars 2022 pour clôture, et à l'audience du 14 avril 2022 pour plaidoiries ;

- Réservé les dépens.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 31 mars 2022, la société [I] et M. [N] [T] demandent à la cour de :

- Recevoir M. [N] [T] dans son intervention volontaire ;

- Déclarer recevable la société [I] en son appel ;

- Infirmer l'ordonnance du 30 juin 2017 en toutes ses dispositions et par voie de conséquence, admettre la créance de M. [N] [T] au passif de la société [I] en principal à concurrence de 707.976,49 euros ;

- Débouter Mme [U] [E] de ses demandes de caducité ou d'irrecevabilité;

Très subsidiairement,

- Ordonner avant dire droit une expertise comptable aux frais avancés de Mme [U] [E] à l'origine de la contestation ;

Dans tous les cas,

- Condamner Mme [U] [E] à la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.

Par dernières conclusions notifiées le 29 mars 2022, Mme [U] [E] demande à la cour de :

In limine litis,

- Déclarer irrecevable la déclaration de saisine sur renvoi de la société [I] faute d'avoir intimé le commissaire à l'exécution du plan ;

À titre principal,

- Rejeter la demande d'intervention volontaire de M. [N] [T] ;

- Déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société [I] pour défaut d'intérêt à agir ;

À titre subsidiaire,

- Confirmer intégralement l'ordonnance du juge-commissaire près du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 30 juin 2017 ;

À titre plus subsidiaire,

- Surseoir à statuer sur la créance déclarée par Monsieur [N] [T] au passif de la société [I] et le renvoyer à se pourvoir devant la juridiction compétente afin de faire reconnaître sa prétendue créance de compte courant d'associé ;

En tout état de cause,

- Condamner la société [I] au paiement de la somme de 5.000 euros à Mme [U] [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner M. [N] [T] au paiement de la somme de 5.000 euros à Mme [U] [E] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner solidairement la société [I] et M. [N] [T] aux entiers dépens de l'instance.

Bien que la déclaration de saisine ait été signifiée le 28 septembre 2021 à la société [K] [R], prise en la personne de M. [K] [R], ès qualités de commissaire à l'exécution du plan par voie de continuation de la société [I] selon jugement du 10 février 2017, en ayant été remise à personne habilitée, la société [K] [R] n'a pas constitué avocat. La décision sera rendue par arrêt réputé contradictoire.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 31 mars 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

1 - Sur la régularité de la déclaration de saisine

Mme [E] soutient en premier lieu, sur le fondement de l'article 553 du code de procédure civile, que la déclaration de saisine de la société [I] datée du 22 avril 2021 est irrecevable en ce que cette société a omis d'intimer le commissaire à l'exécution du plan.

Ainsi que le fait observer la société [I], la première déclaration de saisine du 22 avril 2021 était incomplète, mais cette société a régularisé, le 27 avril 2021, une nouvelle déclaration de saisine intimant la société [R] en qualité de commissaire à l'exécution du plan, de sorte que la procédure est désormais régulière.

2 - sur les fins de non-recevoir soulevées par Mme [E]

Mme [E] forme, au terme du dispositif de ses conclusions, la prétention  suivante : 'déclarer irrecevable l'appel interjeté par la société [I] pour défaut d'intérêt à agir'.

Dans les motifs de ses conclusions, Mme [E] soutient tantôt l'irrecevabilité de l'appel, sur le fondement de l'article 546 du code de procédure civile, au motif que la société [I] ne se serait pas opposée à la contestation qu'elle avait émise devant le juge commissaire, tantôt l'irrecevabilité de l'action de la société [I], sur le fondement de l'article 122 du code de procédure civile et du principe 'pas d'intérêt, pas d'action' au motif que la demande de la société [I] d'admettre à son passif la créance contestée de M. [T] est contraire à son intérêt propre en ce qu'elle vient augmenter ce passif.

Force est ainsi de constater que les prétentions de Mme [E] doivent s'analyser, d'une part en une irrecevabilité de l'appel, d'autre part en une irrecevabilité de l'action exercée par la société [I], de sorte qu'il convient de statuer sur ces deux fins de non-recevoir.

* sur la recevabilité de l'appel formé par la société [I]

Contrairement à ce que soutient Mme [E], la société [I] s'était bien opposée, devant le juge commissaire, à la réclamation que Mme [E] avait émise.

En tout état de cause, la Cour de cassation a définitivement jugé que 'la société [I], qui avait sollicité le rejet de la réclamation de Mme [E] et succombé en sa demande en première instance, avait un intérêt à interjeter appel', de sorte que cet intérêt ne peut plus être remis en cause.

* sur la recevabilité de l'action exercée par la société [I]

Force est ici de constater que Mme [E] avait la qualité de requérante devant le juge commissaire pour s'opposer à l'admission de la créance de son ex-concubin, la société [I] n'étant présente qu'en qualité de débitrice dans la procédure collective, de sorte qu'elle n'était que défenderesse à cette action. En sa qualité de débitrice, la société [I] disposait bien d'un intérêt à se défendre sur la requête formée par Mme [E], la question de savoir si elle était fondée à solliciter l'admission de la créance de M. [T] à son passif étant une question de fond et non pas une question de recevabilité.

Il convient donc de déclarer recevable l'appel exercé par la société [I], et de dire que celle-ci dispose d'un intérêt à agir.

* sur la recevabilité de l'intervention volontaire de M. [T]

Mme [E] sollicite le rejet de l'intervention volontaire de M. [T] au motif qu'il ne forme aucune demande en son nom.

M. [T] soutient que son intervention volontaire est légitime dès lors que la créance contestée le concerne directement.

***

Il résulte de l'article 329 du code de procédure civile que l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.

En l'espèce, M. [T] sollicite l'infirmation de l'ordonnance du juge commissaire et l'admission de sa créance au passif de la liquidation de la société [I], de sorte qu'il forme ainsi une prétention à son profit, ce qui établit son droit d'agir et donc la recevabilité de son intervention volontaire.

3 - sur l'admission de la créance de M. [T] au passif du redressement de la société [I]

Le premier juge a rejeté l'admission de la créance de M. [T] au passif de la société [I] au double motif, d'une part que le mandataire n'en avait pas vérifié la sincérité, d'autre part que l'engagement de remboursement lors du retour à meilleure fortune n'avait pas été mentionné dans le rapport spécial de l'assemblée générale de la société.

La société [I] et M. [T] soutiennent que la créance contestée a bien été vérifiée et certifiée par un expert comptable. M. [T] indique que son compte courant est constitué des dépenses qu'il règle à titre personnel pour le compte de la société, et notamment les frais de justice et d'avocats relatifs aux nombreux contentieux engagés par Mme [E]. Il ajoute que la motivation du premier juge quant à l'absence de rapport spécial ne répond à aucune prétention de Mme [E], de sorte que le juge a statué extra petita, ajoutant qu'un tel rapport, bien que non prévu pour une SCI familiale, a bien été déposé et approuvé par l'assemblée qui s'est tenue en 2018. Il ajoute que la créance qu'il invoque n'est pas sérieusement contestable, de sorte que le juge commissaire et la cour d'appel ont bien compétence pour statuer sur son admission. Il soutient, à titre subsidiaire, si le caractère sérieux de la contestation de Mme [E] était retenu, que la cour devrait alors se déclarer incompétente et renvoyer Mme [E] à se pourvoir devant la juridiction du fond.

Mme [E] rappelle qu'elle a apporté des fonds à la société [I] au moment de l'acquisition du bien immobilier, indiquant que M. [T] a omis d'inscrire cette créance dans un compte courant au nom de Mme [E], ce qui a abouti à l'arrêt de la cour d'appel du 17 décembre 2015 condamnant la société à lui verser la somme de 136.000 euros. Elle soutient que les comptes sociaux n'ont jamais fait mention d'un compte courant d'associé au profit de M. [T] jusqu'à l'ouverture de la procédure collective. Elle conteste toute avance en compte courant que M. [T] aurait pu faire, rappelant notamment qu'il bénéficiait du RSA à compter de juin 2012. Elle soutient en outre que les documents comptables faisant état d'un compte courant au nom de M. [T] sont contestables. Elle observe que la dette bancaire est demeurée identique sur les exercices 2014 et 2015, de sorte que l'emprunt - qui constitue la principale charge - n'est pas remboursé, faisant ainsi valoir que les prétendus apports en compte courant sont totalement injustifiés et purement fictifs. Elle relève enfin le caractère exorbitant et disproportionné du compte courant de M. [T]. Elle affirme que sa contestation est parfaitement sérieuse, et soutient dès lors qu'elle ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, ni de la cour statuant sur ce recours, soutenant que cette dernière doit surseoir à statuer dans l'attente que M. [T] saisisse le tribunal compétent pour statuer sur sa créance.

******

Sur le caractère sérieux de la contestation formée par Mme [E]

Il résulte de l'article L. 624-2 du code de commerce que, au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge-commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge-commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission.

Il résulte de l'article R.624-5 du même code que, lorsque le juge-commissaire se déclare incompétent ou constate l'existence d'une contestation sérieuse, il renvoie, par ordonnance spécialement motivée, les parties à mieux se pourvoir et invite, selon le cas, le créancier, le débiteur ou le mandataire judiciaire à saisir la juridiction compétente dans un délai d'un mois à compter de la notification ou de la réception de l'avis délivré à cette fin, à peine de forclusion à moins d'appel dans les cas où cette voie de recours est ouverte.

Il résulte de ces dispositions que l'exercice, par le juge commissaire, et la cour d'appel à sa suite, de leur pouvoir de statuer sur une demande d'admission d'une créance contestée - sans renvoyer l'examen de la contestation devant le juge du fond - est subordonné à la condition que la contestation soit dépourvue de sérieux et ne soit pas susceptible d'exercer une influence sur l'existence ou le montant de la créance.

Pour justifier de la réalité et du montant de sa créance en compte courant, déclarée à hauteur de 707.976,49 euros, M. [T] produit aux débats :

- les comptes annuels 2016, mentionnant au passif du bilan, des 'emprunts et dettes financières diverses' pour un montant de 753.388 euros (parmi lesquels figurerait sa créance en compte courant),

- le procès-verbal de l'assemblée générale du 30 juin 2017 approuvant les comptes annuels au 31 décembre 2016,

- une attestation du 19 juin 2017 de l'expert comptable de la société [I] selon laquelle le compte courant de M. [T] s'élève à la somme de 705.095 euros au 28 février 2016,

- un avis d'inscription sur la liste des créances daté du 10 novembre 2016 pour un montant de 707.976,49 euros.

La cour observe en premier lieu que le montant déclaré, à hauteur de 707.976,49 euros ne correspond ni à l'attestation délivrée par l'expert comptable, ni au montant figurant dans les comptes annuels (le détail des 'emprunts et dettes diverses' n'étant pas produit).

Le plus ancien bilan produit aux débats est celui au 31 décembre 2008, faisant apparaître, à la rubrique 'autres dettes' un montant de 329.846 euros pouvant correspondre au compte courant de M. [T] à cette date. Ce montant n'a cessé d'augmenter (environ 30.000 euros par an) jusqu'en 2012 où il a subitement augmenté de plus de 150.000 euros en une année (passé de 392.794 euros en 2011 à 547.358 euros en 2012).

Ainsi que le fait observer Mme [E], il ressort du grand livre 2012 (produit au cours de la réouverture des débats) que cette subite augmentation est motivée par les intérêts crédités sur le compte courant de M. [T] pour une somme de 139.192 euros (intérêts depuis 2005). Il est produit aux débats le procès-verbal d'assemblée générale du 2 mars 2013 qui décide notamment d'approuver la modification des statuts permettant la rémunération des comptes courants d'associés, par le biais d'intérêts calculés au taux légal majoré de 3%. Cette résolution de l'assemblée générale ne peut toutefois avoir d'effet rétroactif, de sorte que la cour s'étonne que le compte courant d'associé de M. [T] ait été crédité, sur l'exercice comptable 2012, d'un montant très conséquent de près de 140.000 euros au titre d'intérêts, alors que les grand-livres 2010 et 2011 ne mentionnaient aucun intérêt.

Ainsi que le fait également observer Mme [E], le compte courant associé de M. [T] a régulièrement continué d'augmenter (pour atteindre plus de 750.000 euros en 2016, soit une augmentation de 200.000 euros environ en 4 ans), alors même que la dépense principale de la SCI constituée du remboursement de l'emprunt immobilier n'était plus honorée (dette bancaire identique au 31 décembre 2014 et 31 décembre 2015), ce qui reste inexpliqué, sauf à observer que l'augmentation du compte courant associé résulte pour une part non négligeable des intérêts dûs sur compte courant (34.351 euros en 2015).

Le fait que les comptes annuels de la société [I] soient, chaque année, globalement approuvés par l'assemblée générale, ne fait pas pour autant obstacle à toute contestation de ces comptes, étant observé que Mme [E] invoque diverses irrégularités, voire fraudes, et qu'il n'est pas justifié que les délibérations des assemblées générales soient définitives.

Ces éléments suffisent à établir que la contestation formée par Mme [E] est sérieuse, susceptible d'exercer une influence sur l'existence ou le montant de la créance, de sorte qu'en application des dispositions précitées, elle ne relève pas du pouvoir juridictionnel du juge commissaire, ni de la cour d'appel à sa suite. Il convient donc d'infirmer l'ordonnance du juge commissaire en ce qu'il a rejeté la créance déclarée par M. [T], de surseoir à statuer sur l'admission de cette créance, et d'inviter M. [T], créancier, à saisir le juge du fond.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :

L'ordonnance du juge commissaire sera infirmée en ses dispositions relatives aux dépens.

Il convient de réserver les dépens et frais irrépétibles de la présente instance.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt réputé contradictoire,

Infirme, en toutes ses dispositions, l'ordonnance du juge commissaire du tribunal de grande instance de Nanterre du 30 juin 2017,

Et statuant à nouveau,

Dit que la contestation de la créance déclarée par M. [N] [T] n'entre pas dans les pouvoirs juridictionnels du juge-commissaire et de la cour d'appel statuant à sa suite ;

Dit que M. [N] [T] devra saisir le juge compétent quant à l'existence et au montant de sa créance à l'égard de la société [I] dans le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

Dit qu'à défaut d'une telle saisine, la forclusion prévue par l'article R.624-5 du code de commerce sera encourue ;

Surseoit à statuer sur l'admission ou le rejet de la créance jusqu'à ce qu'une décision irrévocable soit rendue par le juge compétent ou, en cas de défaut de saisine du juge compétent par M. [N] [T] jusqu'à l'expiration du délai imparti ;

Renvoie l'affaire à la mise en état du jeudi 6 octobre 2022 pour justification par M. [N] [T] des diligences accomplies ;

Réserve les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 21/02651
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;21.02651 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award