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16/06/2022 | FRANCE | N°20/06321

France | France, Cour d'appel de Versailles, 3e chambre, 16 juin 2022, 20/06321


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 58Z



3e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 JUIN 2022



N° RG 20/06321



N° Portalis DBV3-V-B7E-UGYO



AFFAIRE :



SA MMA IARD

...



C/



[E] [P]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Novembre 2020 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 14/09809



Expéditions exécutoires
>Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



-Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA,



-Me Rémi BAROUSSE,



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :


...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 58Z

3e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 JUIN 2022

N° RG 20/06321

N° Portalis DBV3-V-B7E-UGYO

AFFAIRE :

SA MMA IARD

...

C/

[E] [P]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Novembre 2020 par le TJ de NANTERRE

N° Chambre : 6

N° RG : 14/09809

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

-Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA,

-Me Rémi BAROUSSE,

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

1/ SA MMA IARD

RCS 440 048 882

[Adresse 1]

[Localité 3]

2/ MMA IARD Assurances Mutuelles

RCS 775 652 126

[Adresse 1]

[Localité 3]

venant aux droits de la société COVEA RISKS

Représentant : Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 021377

Représentant : Me Guillaume REGNAULT de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTES

****************

Monsieur [E] [P]

né le 18 Octobre 1948 à [Localité 4]

de nationalité Française

La Cerronerie

[Localité 2]

Représentant : Me Rémi BAROUSSE de la SELASU TISIAS, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2156

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Françoise BAZET, Conseiller chargé du rapport et Madame Caroline DERNIAUX, conseiller

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Marie-José BOU, Président,

Madame Françoise BAZET, Conseiller,

Madame Caroline DERNIAUX, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Claudine AUBERT,

FAITS ET PROCÉDURE

Le 3 mai 2011, M. [P] a souscrit à un produit de défiscalisation portant sur des investissements en outre-mer, en application des dispositions de l'article 199 undecies B du code général des impôts issu de la loi de programme pour l'outre-mer n°2003-660 du 21 juillet 2003, dite 'Girardin industriel'.

Ces investissements consistaient, par le biais de sociétés en nom collectif, à procéder à l'acquisition de matériels productifs neufs en vue de leur location aux entreprises exploitantes locales dans les DOM-TOM, et permettant une réduction d'impôt, proportionnelle au montant de ses souscriptions et imputable sur l'impôt dû au titre de l'année de réalisation de l'investissement, ou pouvant être reportée sur cinq ans. L'investisseur était tenu de conserver ses parts pendant cinq ans, à l'issue desquels l'exploitant des matériels s'engageait à les racheter à un prix déterminé, tenant compte d'une rétrocession partielle de l'avantage fiscal obtenu.

La loi n°2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011 a modifié l'article 199 undecies B du code général des impôts précité, en excluant de la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil, jusqu'alors proposés aux investisseurs.

La société Gesdom a alors proposé à des épargnants d'investir dans des stations autonomes d'éclairage (SAE) alimentées par des panneaux photovoltaïques, en créant un produit appelé Gir Réunion.

En vue de procéder à de tels investissements, M. [P] a versé à la société Gesdom la somme de 50 175 euros, outre 757 euros de frais de dossier.

L'attestation fiscale permettant la réduction d'impôt escomptée sur les revenus de l'année 2011 n'a jamais été remise à M. [P], la société Gesdom exposant en premier lieu que l'administration fiscale avait remis en cause les réductions d'impôts des montages des années précédentes faute de mise en service du matériel avant le 31 décembre de l'année concernée et, en second lieu, que l'éligibilité des stations autonomes d'éclairage à la réduction fiscale était également remise en cause.

Estimant avoir subi un préjudice du fait de la société Gesdom, M. [P] a saisi, par acte d'huissier du 23 juillet 2014, le tribunal de grande instance de Nanterre afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice financier et moral par la société Gesdom et par la société Covea Risks, assureur de cette société, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles (ci-après ensemble, les société MMA).

Le 26 avril 2017, la société Gesdom a été placée en redressement judiciaire.

Par jugement du 6 novembre 2020, le tribunal judiciaire de Nanterre a :

- reçu l'intervention volontaire des sociétés MMA,

- condamné in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 58932 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel :

sans limitation de plafond au titre de la police n°112 788 909, ni séquestre,

dans la limite du plafond annuel de garantie de 4 000 000 euros applicable de façon globale pour l'ensemble des réclamants de la société Gesdom pour des investissements réalisés en 2011, au titre de la police n°114 247 742, sans séquestre,

- dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter du jugement,

- dit que les intérêts échus pour une année entière produiront eux-mêmes intérêts,

- condamné in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné l'exécution provisoire,

- condamné in solidum les sociétés MMA aux dépens avec recouvrement direct,

- rejeté toutes demandes plus amples ou contraires.

Par acte du 17 décembre 2020, les sociétés MMA ont interjeté appel et demandent à la cour, par dernières écritures du 29 mars 2022 de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions défavorables aux sociétés MMA et, statuant à nouveau,

A titre principal,

- juger que le contrat souscrit par la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers (la CNCIF) auprès de la société Covéa Risks (police n°112 788 909) ne peut s'appliquer dans le cas présent,

- juger que le contrat d'assurance de responsabilité (souscrit par la société Gesdom et par la CNCIF) n'a pas vocation à couvrir les conséquences résultant de l'inexécution de ses obligations par l'assuré,

- juger que le litige résulte des conséquences de l'absence d'exécution de la prestation de la société Gesdom qui sont exclues de la garantie (des contrats souscrits par la société Gesdom et par la CNCIF),

A titre subsidiaire,

- juger que le litige résulte des conséquences de l'absence d'exécution de la prestation de la société Gesdom qui sont exclues de la garantie,

- juger que le litige résulte du non-respect d'une obligation de performance fiscale par laquelle la société Gesdom s'est engagée, qui est exclu de la garantie (des contrats souscrits par la société Gesdom et par la CNCIF),

- juger que la société Gesdom a commis une faute dolosive exclue de la garantie Responsabilité Civile professionnelle (des contrats souscrits par la société Gesdom et par la CNCIF),

- juger que le comportement de la société Gesdom a ôté au sinistre tout caractère aléatoire (des contrats souscrits par Gesdom et par la CNCIF),

- juger que les litiges afférents aux frais, honoraires et facturation de l'assuré sont encore exclus de cette garantie (des contrats souscrits par la société Gesdom et par la CNCIF),

A titre plus subsidiaire,

- juger que les préjudices allégués par M. [P] s'analysent en une demande de restitution des sommes versées et que la perte de chance alléguée est inexistante,

En conséquence,

- débouter M. [P] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre des sociétés MMA,

- débouter M. [P] de son appel incident,

- condamner M. [P] ou tout autre succombant à payer aux sociétés la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [P] ou tout autre succombant aux entiers dépens de la présente instance,

A titre infiniment subsidiaire,

- juger que ce litige s'inscrit dans le cadre d'un sinistre sériel,

- tenir compte du plafond de garantie de 2 000 000 euros (du contrat souscrit par la société Gesdom),

- désigner tel séquestre qu'il plaira à la cour avec pour mission de conserver les fonds dans l'attente des décisions définitives tranchant les différentes réclamations formées à l'encontre de la société Gesdom concernant le même sinistre et pour, le cas échéant, procéder à une répartition au marc le franc des fonds séquestrés,

A titre très infiniment subsidiaire,

- juger qu'en tout état de cause le plafond de garantie unique s'applique pour toutes les réclamations, dont celles de M. [P] formées pendant la période de garantie subséquente,

- juger que la franchise de 20 000 euros sera déduite de la condamnation prononcée au profit de M. [P] si la cour ne retient pas une globalisation des sinistres,

- juger que ce même montant serait déduit de chacune des condamnations prononcées au profit de chacun des investisseurs si la cour ne retenait pas une globalisation des sinistres dans le cas présent,

- faire application, dans les mêmes conditions, des limitations de garantie concernant le contrat souscrit par la CNCIF (plafond de 3 000 000 euros et franchise de 15 000 euros) si par impossible la cour retenait cette garantie.

Par dernières écritures du 16 mars 2022, M. [P] demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a reconnu que M. [P] dispose d'une créance de responsabilité à l'encontre de la société Gesdom,

- le réformer s'agissant du montant des réparations, et, statuant à nouveau, fixer les préjudices subis par M. [P] à la somme de 63 555 euros pour le préjudice matériel 2011 et à celle de 2000 euros pour le préjudice immatériel,

- le confirmer en ce qu'il a appliqué la police n°112 788 909 et en ce qu'il a jugé que son plafond était inopposable au souscripteur,

- le confirmer en ce qu'il a retenu l'application de la police n°114 247 742, et, en conséquence,

- condamner in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 63 555 euros pour le préjudice matériel 2011 et celle de 2000 euros pour le préjudice immatériel, en application de la police n°114 247 742 avec un plafond de 4 millions d'euros et de la police n°112 788 909 sans que le plafond de cette dernière lui soit opposable,

- le réformer s'agissant des intérêts de retard, et, statuant à nouveau, ordonner que les indemnités allouées portent intérêts au taux légal à compter de l'assignation, soit le 23 juillet 2014, avec capitalisation des intérêts par année entière,

- le confirmer en ce qu'il a globalisé les sinistres,

- le confirmer en ce qu'il a rejeté la demande de séquestre,

- le réformer en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, et, statuant à nouveau, condamner in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- condamner in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 2000 euros à titre de dommages et intérêts pour appel abusif,

- le confirmer en ce qu'il a mis à la charge de l'assureur une indemnité au titre des frais irrépétibles, et, pour la procédure d'appel, condamner in solidum les sociétés MMA à payer à M. [P] la somme de 5000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner in solidum les sociétés MMA aux entiers dépens.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 31 mars 2022.

SUR QUOI LA COUR

Le tribunal a jugé que Gesdom était chargée de l'audit et de la sélection de l'opération ainsi que de sa distribution en métropole, qu'il lui appartenait de s'assurer de la solidité du montage juridique qu'elle distribuait et donc de vérifier que la condition essentielle à l'avantage fiscal était présumée acquise, c'est-à-dire que le choix d'une SAE alimentée par l'énergie radiative du soleil était judicieux, avant de proposer cet investissement à M. [P]. Le tribunal a retenu qu'aucune pièce pertinente de nature à établir que Gesdom avait exécuté ses obligations n'était versée aux débats et en a conclu qu'elle avait manqué à ses obligations contractuelles, engageant ainsi sa responsabilité. Il a en revanche considéré que Gesdom n'était tenue à aucune obligation de substitution si l'investissement envisagé ne pouvait être réalisé de sorte que le grief tenant au non respect d'une telle obligation devait être rejeté.

Les premiers juges ont défini le préjudice subi par M. [P] comme comprenant le montant de l'investissement incluant les frais de dossier (50932 euros ) et une perte de chance d'obtenir une réduction d'impôt, évaluée à la somme de 8000 euros (sur un gain attendu de 12 623 euros) présentée par Gesdom comme certaine et sans risque.

Le tribunal a ensuite jugé que les sociétés MMA étaient tenues à garantie en exécution du contrat d'assurance n°112 788 909 souscrit par la chambre des indépendants du patrimoine ainsi qu'au titre de la police n° 114 247 742 souscrite par Gesdom. Il a rejeté les clauses d'exclusion de garantie communes aux deux polices et opposées par les assureurs, relatives à l'obligation de performance fiscale, aux conséquences du retard dans l'exécution de la prestation et celles liées au caractère intentionnel ou dolosif des fautes commises.

Les premiers juges ont considéré que le caractère sériel du sinistre était établi. Ils ont ensuite observé que s'agissant de la police n°112.788.909, un plafond annuel de garantie est fixé mais pour certaines activités limitativement énumérées, n'incluant pas l'activité d'ingénierie financière telle qu'exercée par la société Gesdom de sorte que les assureurs n'étaient pas fondés à se prévaloir d'un plafond de garantie au titre de cette police. S'agissant de la police n°114.247.742, ils ont constaté qu'elle comportait un plafond de garantie de 4 000 000 euros par sinistre et par année d'assurance, mais que les MMA ne justifiaient pas que les réclamations dont elles étaient saisies excédaient ce plafond. Le tribunal en a déduit que la demande de séquestre formée par les MMA devait être rejetée.

Les appelantes font valoir que le contrat souscrit par la CNCIF n'a pas vocation à s'appliquer au cas présent puisque Gesdom n'est pas intervenue en qualité de conseil en investissements financiers, quand bien même cette qualité de CIF serait mentionnée dans le cadre des dossiers de souscription, mais en qualité de conseiller en gestion de patrimoine.

Elles soutiennent ensuite que quel que soit le contrat, la garantie de l'assureur n'est pas due dès lors que l'objet de la garantie de responsabilité civile n'a pas pour effet de pallier le non-respect d'une obligation contractuelle par la société assurée.

Elles font par ailleurs valoir qu'ainsi que l'ont jugé de nombreuses juridictions, sa garantie est exclue dès lors que la faute commise par la société Gesdom est une faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, soit une faute d'une particulière gravité, qui tend à rendre inéluctable la survenance du dommage, ce qui exclut tout aléa.

A titre subsidiaire, les MMA soutiennent que si la cour devait considérer que leur garantie est due, elle devra tenir compte du fait que l'investisseur ne peut se prévaloir que d'une perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un gain fiscal et qu'il doit en outre démontrer que cette perte de chance est certaine.

A titre encore plus subsidiaire, les appelantes demandent à la cour d'infirmer le jugement en ce qu'il a écarté l'application du plafond de garantie de la police n° 112.788.909, et concluent à l'existence d'un sinistre sériel ainsi qu'à la nécessité d'ordonner le séquestre des sommes allouées.

M. [P] réplique que Gesdom a manqué à son obligation d'assurer la sécurité juridique du montage et, par suite, à son obligation subsidiaire de rembourser l'investissement, en faisant une mauvaise interprétation de l'éligibilité du matériel financé au dispositif fiscal.

S'agissant de ses préjudices, M. [P] fait valoir qu'il a subi une perte constituée par l'investissement effectué en vain et par les frais et commissions payés inutilement lors de la souscription. Selon le schéma initial du montage, l'investisseur ne récupérait pas son investissement mais il bénéficiait en contrepartie d'une réduction d'impôt d'un montant supérieur et l'intimé affirme qu'il a donc perdu à la fois son investissement et la réduction d'impôt escomptée. La détention des parts des SNC ne peut, pas plus que les déclarations de créance faites au passif de SFER, compenser les préjudices subis qui sont, selon l'intimé, certains et ne peuvent être indemnisés sous l'angle d'une perte de chance.

L'intimé soutient que les assureurs ne peuvent lui opposer aucune exclusion de garantie prévue par l'une et l'autre des polices dés lors que la clause portant sur l'absence d'exécution de la prestation ne peut être considérée comme valide, que la clause excluant l'engagement de performance fiscale n'est pas formelle et suffisamment limitée, que la clause excluant la garantie en cas de faute intentionnelle ou dolosive ne peut trouver application puisque la simple conscience pour Gesdom de faire courir un risque à l'investisseur est insuffisante à caractériser une telle faute, Gesdom ayant pu légitimement penser que les SAE étaient éligibles au dispositif et s'étant entourée des conseils nécessaires et enfin que la clause relative à l'absence d'aléa n'est pas davantage applicable puisque ce n'est que le 8 juillet 2015, date de la réponse de l'administration fiscale qu'il a pu être tenu pour certain que les SAE étaient, selon l'administration, inéligibles au dispositif en application de la loi de finances pour 2011.

* * *

Sur les manquements allégués

Le dispositif de défiscalisation institué à l'article 199 undecies B du code général des impôts, connu sous le nom du dispositif "Loi Girardin Industriel", autorise les contribuables à bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des "investissements productifs neufs" réalisés dans les départements d'outre-mer, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole, industrielle, commerciale ou artisanale, à charge pour l'investisseur de souscrire au capital de différentes sociétés transparentes fiscalement, investissant dans des matériels industriels, installés et exploités outre mer. Les investisseurs sont regroupés dans des sociétés de portage, le plus souvent des SNC, qui acquièrent des biens grâce à des prêts bancaires, donnés à bail à des entreprises locales. Les loyers qu'elles versent servent à rembourser les emprunts. Les investisseurs conservent les parts de SNC durant cinq ans et à l'issue de cette période, l'exploitant des matériels les rachète au prix d'un euro. Les investisseurs perdent le capital investi mais bénéficient, dès l'année de souscription, d'une réduction d'impôt.

Il ne saurait donc être contesté qu'en investissant dans le programme qui lui était présenté, M. [P] recherchait un avantage fiscal.

La loi 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour l'année 2011 a modifié l'article 199 undecies B du code général des impôts précité, en excluant de la défiscalisation les investissements portant sur des installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil qui étaient jusqu'alors proposés aux investisseurs.

La société Gesdom a alors proposé à des épargnants d'investir dans des stations autonomes d'éclairage (SAE) alimentées par des panneaux photovoltaïques.

Le 7 mai 2012, Gesdom informait M. [P] qu'elle ne pouvait lui délivrer l'attestation fiscale au titre de l'année 2011, préférant reporter, "par prudence", le bénéfice de cette réduction pour l'année 2012, exposant qu'à la fin de l'année 2011 l'administration fiscale avait pour la première fois et de manière massive remis en cause les réductions d'impôt dont avaient bénéficié jusqu'alors les investisseurs, en considérant que l'année de rattachement de cette réduction devait s'entendre de la mise en service effective des matériels et non de la date de leur livraison. Gesdom a confirmé cette information le 20 juin 2012. Elle a ultérieurement reconnu qu'en tout état de cause les SAE n'étaient pas éligibles au dispositif fiscal "Girardin Industriel".

La société Gesdom s'était spécialement engagée à ce que le souscripteur bénéficie d'ue réduction d'impôt à l'exclusion de tout autre gain, les conditions générales de souscription rappelant que l'objectif des SNC composant le portefeuille de la SNC Gir Réunion ne consiste pas à dégager une rentabilité globale mais à permettre aux souscripteurs de bénéficier des dispositions de l'article 199 undecies B et D du code général des impôts, les investissements devant à cet effet être réalisés avant le 31 décembre 2011.

Elle a affirmé contractuellement qu'elle supportait une véritable obligation de résultat, par la garantie de bonne fin qu'elle assurait, au titre du mandat qui lui était donné.

Il ne saurait être tiré argument d'un revirement de l'administration fiscale quant aux conditions d'éligibilité de l'avantage fiscal. L'article 199 undeciesB se réfère en effet expressément aux "investissements productifs neufs" et l'Instruction du 30 janvier 2007 vient préciser "que l'année de réalisation de l'investissement s'entend de l'année au cours de laquelle l'immobilisation est créée, c'est-à-dire achevée, par l'entreprise ou lui est livrée au sens de l'article 1604 du code civil, ou est mise à disposition dans le cadre d'un contrat de crédit-bail".

Il est constant que c'est à fonds perdus que M. [P] a versé le montant de sa souscription dés lors qu'il n'a obtenu aucune réduction d'impôt.

La société Gesdom, à laquelle il revenait de vérifier, préalablement aux souscriptions, l'éligibilité du matériel financé par les signataires de celles-ci, au dispositif de réduction fiscale de la loi Girardin, a manqué à son obligation de s'assurer de la persistance du contenu de la loi fiscale et a vendu un produit qui n'était plus éligible au dispositif susvisé. La faute de la société Gesdom a consisté à ne pas fournir à M. [P] un produit répondant aux conditions d'éligibilité au dispositif de défiscalisation présenté pour ses revenus 2011.

C'est donc exactement que le tribunal a retenu que la société Gesdom avait manqué à son obligation contractuelle de fournir le produit de défiscalisation convenu.

Sur les garanties dues par les MMA

Sur le fondement de l'article L.124-3 du code des assurances, M. [P] est fondé à engager l'action directe contre les sociétés MMA IARD et MMA Assurances Mutuelles, venant aux droits de la société Covea Risks, assureur de la société Gesdom.

C'est par de justes motifs que la cour adopte que le tribunal a jugé que cette police avait vocation à s'appliquer, étant relevé que la société Gesdom avait la qualité de conseiller en investissements financiers. La cour observe que la société Gesdom est membre de la Chambre nationale des conseillers en investissements financiers, qui a souscrit, pour le compte de ses membres, un contrat d'assurance responsabilité civile auprès de la société Covea Risks aux droits de laquelle viennent les MMA (la police n° 112 788 909) qui précise, au chapitre premier de ses conditions générales que sont assurées les activités de conseil financier et d'ingénierie financière. S'agissant du calcul des primes, les conditions générales mentionnent : 'les Opérations Industrielles et Immobilières de Défiscalisation dans les DOM-TOM" et que s'agissant des franchises il y est indiqué que la " franchise RCP est portée à 15.000 euros pour les opérations industrielles et immobilières de défiscalisation dans les DOM-TOM".

M. [P] est donc fondé à invoquer la mise en oeuvre de la police d'assurance n°112.788.909 souscrite par la CNIF ainsi que celle souscrite par Gesdom sous le numéro n°114247 742.

Le chapitre 2 de la police souscrite par Gesdom, dans son chapitre 2 A relatif aux garanties, prévoit que " le présent contrat garantit les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile que l'assuré peut encourir en raison notamment des négligences, inexactitudes, erreurs de faits, de droit, omission commis par lui, ses membres, ses agents, les préposés salariés ou non dans l'exercice de leurs activités normales et plus généralement par tout acte dommageable".

Il est constant que M. [P] ne sollicite pas des assureurs l'exécution de la prestation attendue mais des dommages et intérêts résultant des manquements de Gesdom à ses obligations contractuelles, le préjudice résidant dans la disparition des fonds investis et dans la perte de la chance de pouvoir bénéficier d'une déduction fiscale.

En application de l'article L 112-6 du code des assurances, l'assureur peut opposer au tiers qui invoque le bénéfice de la police les exceptions opposables au souscripteur originaire.

Il résulte de l'article L. 113-1 du code des assurances qu'une exclusion de garantie ne peut qu'être formelle et limitée et ne saurait aboutir, sans retirer son objet au contrat d'assurance, à annuler dans sa totalité la garantie stipulée.

Les deux polices d'assurances excluent notamment "les dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré", cette faute étant de nature à faire disparaître l'aléa qui est de l'essence même du contrat d'assurance. Cette clause est formelle, limitée et ne vide aucunement la garantie de sa substance.

La faute dolosive, autonome de la faute intentionnelle, justifiant l'exclusion de la garantie de l'assureur dès lors qu'elle fait perdre à l'opération d'assurance son caractère aléatoire, suppose un acte délibéré de l'assuré qui ne pouvait ignorer qu'il conduirait à la réalisation inéluctable du sinistre.

Il est constant que l'article 36-1 de la loi de finances pour l'année 2011 du 29 décembre 2010 a exclu du champ d'application de la loi dite "Girardin" les investissements portant "sur les installations de production d'électricité utilisant l'énergie radiative du soleil". Or, les SAE produisent de l'électricité au moyen de panneaux photovoltaïques soit par l'énergie radiative du soleil.

Il est certain que tous les professionnels du secteur ne pouvaient qu'en conclure à l'inéligibilité à la défiscalisation des SAE et ne pouvaient faire valoir aux investisseurs potentiels un avantage fiscal devenu manifestement exclu. A tout le moins, Gesdom devait-elle suspendre la commercialisation des produits concernés et interroger l'administration fiscale sur ce point, l'argument tiré du délai de réponse de l'administration fiscale étant à l'évidence inopérant au regard des enjeux et des risques que Gesdom faisait encourir aux investisseurs en poursuivant sa commercialisation.

Pour échapper à l'exclusion de garantie opposée par les assureurs, M. [P] fait valoir que Gesdom pouvait penser que les SAE étaient éligibles et qu'il ne peut être considéré qu'elle a pris un risque délibéré alors qu'elle s'est entourée de conseils sérieux, visant à cet égard la consultation sollicitée par Gesdom auprès du Cabinet Landwell, spécialisé en matière fiscale.

La cour observe que cette consultation n'est pas versée aux débats. Elle serait datée du 2 septembre 2011, alors que la loi précitée était applicable depuis plus de 8 mois et que le produit de défiscalisation a été proposé à M. [P] avant cette consultation. La cour note également que les appelantes ne sont pas contredites par M. [P] lorsqu'elles affirment que cette note n'est pas signée et n'était, en septembre 2011, qu'un projet. Les MMA font observer avec pertinence que demeure ignorée la date exacte à laquelle la note du fiscaliste a été adressée à la société Gesdom, qui a atttendu mai 2013 pour en faire état auprès des investisseurs.

Il est ainsi établi qu'au moment de la souscription du contrat en mai 2011, la société Gesdom avait pleinement conscience de l'exclusion résultant de la loi de finances 2011 et du risque qu'elle faisait courir aux investisseurs.

Bien que consciente du risque évident qu'elle faisait ainsi courir aux investisseurs, la société Gesdom n'en a pas moins volontairement décidé de commercialiser des SAE, ce manquement délibéré à ses obligations à l'égard des investisseurs ayant abouti à la réalisation inéluctable du dommage, faisant ainsi disparaître l'aléa attaché à la couverture du risque.

En tout état de cause, ce n'est qu'en avril 2013 que l'administration fiscale a enfin été interrogée sur ce point et qu'elle a répondu sans l'ombre d'une hésitation et sans surprise que l'exclusion définie par l'article 36 précité visait toutes les installations générant de l'électricité à partir du rayonnement solaire et que les SAE constituant des installations chargées de produire de l'électricité obtenue par conversion photovoltaïque de l'énergie solaire, elles étaient bien exclues du dispositif fiscal.

Il y a lieu de juger en conséquence qu'en vendant, en mai 2011, ce produit de défiscalisation dont l'avantage fiscal n'était plus garanti, Gesdom a commis une faute dolosive exclusive de tout aléa, de telle sorte que les assureurs sont fondés à opposer une exclusion de garantie, les demandes formées à leur encontre devant en conséquence être rejetées.

Le jugement sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions.

Pour des considérations tirées de l'équité, il n'y a pas lieu d'allouer aux appelantes une indemnisation au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [P], qui succombe, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

Infirme le jugement en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau

Rejette les demandes formées par M. [P]

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne M. [P] aux dépens de première instance et d'appel.

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-José BOU, Président et par Madame Claudine AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier,Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 3e chambre
Numéro d'arrêt : 20/06321
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;20.06321 ?
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