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16/06/2022 | FRANCE | N°19/03846

France | France, Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 16 juin 2022, 19/03846


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



6e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 16 JUIN 2022



N° RG 19/03846 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TQRA



AFFAIRE :



[F] [B]





C/

E.U.R.L. [Localité 5]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 15 Octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 1

9/00037



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Jean- Christophe LEDUC



Me Oriane DONTOT





le : 17 Juin 2022





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 16 JUIN 2022

N° RG 19/03846 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TQRA

AFFAIRE :

[F] [B]

C/

E.U.R.L. [Localité 5]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 15 Octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section : C

N° RG : 19/00037

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Jean- Christophe LEDUC

Me Oriane DONTOT

le : 17 Juin 2022

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX ,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant,fixé au 09 Juin 2022,puis prorogé au 16 Juin 2022, les parties ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [F] [B]

né le 25 Octobre 1960 à [Localité 6] (Iran)

de nationalité Iranienne

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représenté par : Me Jean- Christophe LEDUC, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000045

APPELANT

****************

E.U.R.L. [Localité 5]

N° SIRET : 422 335 893

[Adresse 3]

[Localité 1]

Représentée par : Me Claire GINISTY MORIN de la SELARL GINISTY MORIN LOISEL JEANNOT, Plaidant, avocat au barreau de CHARTRES, vestiaire : 000057,substituée par Me LOISEL Céline,avocate au barreau de Chartres ; et Me Oriane DONTOT de la SELARL JRF & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617.

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Avril 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame [I]

DE LARMINAT, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Isabelle VENDRYES, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,

Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT,

Rappel des faits constants

La société EURL [Localité 5], dont le siège social est situé à [Localité 1] en Eure-et-Loir, est une entreprise commerciale dont l'unique associé est l'association diocésaine, présidée par l'évêque de [Localité 1], qui a pour objet social « l'accueil de toute personne se reconnaissant de religion chrétienne ou en recherche sur sa vie chrétienne dans le cadre du sanctuaire de la cathédrale de [Localité 1] ». Elle propose à ce titre l'hébergement, la restauration, l'enseignement et la mise à disposition de tous moyens spirituels et matériels.

M. [S] [B], né le 25 octobre 1960, a été engagé par cette société le 22 novembre 2013, selon contrat de travail à durée déterminée (CDD), en qualité de gardien.

M. [B] et la société EURL [Localité 5] ont conclu un second CDD le 1er février 2014.

M. [B] a par la suite été engagé par cette même société, selon contrat de travail à durée indéterminée le 1er mai 2014, moyennant une rémunération mensuelle de 1 573,27 euros.

Après un entretien préalable qui s'est déroulé le 1er septembre 2017, M. [B] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave par courrier du 7 septembre 2017.

M. [B] a saisi le conseil de prud'hommes de Chartres en contestation de son licenciement, par requête reçue au greffe le 22 septembre 2017.

La décision contestée

Par jugement contradictoire rendu le 15 octobre 2019, la formation de départage de la section commerce du conseil de prud'hommes de Chartres a :

- déclaré bien fondé le licenciement pour faute grave de M. [B],

- condamné l'EURL [Localité 5] au paiement d'une somme forfaitaire de 10 000 euros au titre des astreintes effectuées et non payées,

- débouté M. [B] du surplus de ses demandes,

- débouté l'EURL [Localité 5] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- dit que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.

M. [B] avait demandé au conseil de prud'hommes de :

- condamner l'EURL [Localité 5] sous le bénéfice de l'exécution provisoire, au paiement :

. d'une indemnité compensatrice de préavis de 9 768,64 euros

. des congés payés afférents de 976,86 euros

. d'une indemnité légale de licenciement de 3 866,75 euros

. d'une indemnité compensatrice de mise à pied de 792,17 euros

. des congés payés afférents : 79,22 euros

. de rappels de salaires au titre des heures supplémentaires : 98 444,70 euros

. d'une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 50 000 euros

. d'une indemnité pour absence de pause repos : 3 000 euros

. d'une indemnité pour travail dissimulé : 29 305,32 euros

. d'une indemnité de procédure de 2 500 euros

- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes

- ordonner sous astreinte de 100 euros par jour de retard la remise de l'attestation Pôle emploi, du certificat de travail et des bulletins de salaire.

La société EURL [Localité 5] avait, quant à elle, conclu au débouté du salarié et avait sollicité sa condamnation à lui verser une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

La procédure d'appel

M. [B] a interjeté appel du jugement par déclaration du 21 octobre 2019 enregistrée sous le numéro de procédure 19/03846.

Prétentions de M. [B], appelant

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 2 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, M. [B] conclut à l'infirmation en toutes ses dispositions du jugement entrepris et demande à la cour d'appel, statuant de nouveau, de :

- constater que la société EURL [Localité 5] ne l'a pas rempli de ses droits au titre du temps de travail effectué,

- dire de surcroît nul le licenciement notifié à la date du 7 septembre 2017,

- condamner en conséquence la société EURL [Localité 5] à lui verser les sommes de :

. 98 444,70 euros à titre de rappel de salaire au titre des heures supplémentaires non rémunérées,

. 9 844,47 euros au titre des congés payés afférents,

. 9 768,64 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

. 976,86 euros au titre des congés payés afférents,

. 792,17 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied,

. 79,22 euros au titre des congés payés afférents,

. 3 866,75 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

- dire et juger que ces sommes seront assorties des intérêts de droit au taux légal à compter de l'introduction de la demande et ordonner la capitalisation par application cumulée des dispositions des articles 1231-7 et 1343-2 du code civil,

- condamner en sus la société EURL [Localité 5] à verser à M. [B] les sommes de :

. 3 000 euros à titre d'indemnité pour absence de prise de repos,

. 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement nul,

. 29 305,32 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé.

L'appelant sollicite en outre les intérêts de retard au taux légal à compter de la saisine du bureau de conciliation et d'orientation, leur capitalisation, la remise d'certificat de travail, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'une fiche de paye conformes à la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard qui courra passé un délai de huitaine suivant la signification de l'arrêt à intervenir, une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le bénéfice de la distraction des dépens au profit de Me Jean-Christophe Leduc, avocat aux offres de droit, par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prétentions de la société EURL [Localité 5], intimée

Par dernières conclusions adressées par voie électronique le 7 mars 2022, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la société EURL [Localité 5] demande à la cour d'appel de :

- dire et juger l'existence d'une faute grave justifiant le licenciement immédiat de M. [B], par la société EURL [Localité 5],

- débouter M. [B] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- en conséquence, confirmer la décision entreprise en ce qu'il a jugé bien fondé le licenciement pour faute grave de M. [B] et en ce qu'il a débouté M. [B] de ses demandes à titre de rappel de salaire au titre de prétendues heures supplémentaires, ainsi que de ses demandes d'indemnité pour prétendu travail dissimulé et pour une prétendue non prise des pauses de repas,

- infirmer ladite décision en ce que le conseil de prud'hommes de [Localité 1] a condamné la société EURL [Localité 5] à verser à M. [B], la somme « forfaitaire de 10 000 euros au titre des astreintes effectuées et non payées ».

La société intimée sollicite une somme de 4 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et le bénéfice de la distraction des dépens qui seront recouvrés par Me Dontot, JRF & Associés, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 9 mars 2022, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l'instruction et a fixé la date des plaidoiries au 7 avril 2022.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur les heures supplémentaires

Il résulte des dispositions des articles L. 3171-2 et suivants qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

A l'appui de sa demande tendant à la condamnation de son employeur à lui verser une somme de 98 444,70 euros au titre des heures supplémentaires non rémunérées qu'il prétend avoir réalisées, outre congés payés afférents, M. [B] fait valoir qu'il prenait son service de gardien de nuit à 17h, préparant les salles tout en effectuant des travaux de nettoyage, que consécutivement au départ du réceptionniste à 20h, il demeurait seul interlocuteur de l'hôtel, se voyant dédié aux tâches d'accueil des clients de 20h à 8h, en répondant le cas échéant à leurs besoins, à la réalisation régulière de rondes, de réponse aux sollicitations téléphoniques pour toutes informations ou réservations et à l'ouverture du portail principal pour les clients arrivant entre 23h et 6h, qu'à partir de 6h, il devait dresser les tables dans la salle du petit-déjeuner, réchauffer les viennoiseries et aider au débarrassage des tables, qu'entre 8h et 10h, il était dépêché par son employeur afin d'effectuer d'éventuelles courses en magasin ou dédié au rangement des livraisons de denrées alimentaires, qu'il devait également donner des consignes ainsi qu'un compte-rendu à la réceptionniste des événements s'étant déroulés durant la nuit, qu'il assurait la fonction de réceptionniste si celle-ci se présentait avec retard. Le salarié soutient que son temps de travail était élastique.

M. [B] produit un décompte manuscrit des heures supplémentaires qu'il prétend avoir accomplies (sa pièce 8). Par exemple, il indique : « octobre 2014 : semaine 40 : 85h au total, soit 50 heures supplémentaires au taux horaire de 10,37 euros majoré ». Il prétend ainsi avoir travaillé sans interruption de 17h à 10h toutes les journées travaillées.

Il se prévaut des plannings établis par la société EURL [Localité 5] (sa pièce 24), lesquels mentionnent pour chaque salarié de l'entreprise qu'ils sont présents (P), d'astreinte de nuit (de 17h à 8h) (N), de repos hebdomadaire (RH) ou en congés payés (CP).

L'étude de ces tableaux permet de constater que M. [B] était essentiellement N, c'est à dire de nuit (de 17h à 8h) et que l'employeur lui demandait par ailleurs d'exécuter des tâches en journée, ainsi qu'il s'en prévaut lui-même.

Le contrat de travail stipule en effet que le salarié a été engagé sur la base d'un horaire mensuel de 151,67h, qu'il devra respecter l'horaire de travail fixé par le planning hebdomadaire en fonction de l'activité de l'hôtellerie [Localité 5] et que ce planning tiendra compte de deux plages fixes quotidiennes de 8h à 10h le matin et de 17h à 19h l'après-midi, ainsi que d''une présence d'au moins deux week-ends par mois avec les mêmes plages fixes.

Il est établi que le salarié, outre ses horaires de nuit, exécutait des tâches en journée, l'employeur lui reprochant d'ailleurs la mauvaise exécution des tâches correspondant à ces plages horaires de journée dans le cadre de son licenciement.

M. [B] présente ainsi des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.

Or, dans la mesure où le salarié s'appuie sur les propres plannings de l'employeur, ce dernier ne répond pas utilement à la revendication du salarié, de sorte qu'il y a lieu de retenir le principe d'heures supplémentaires devant bénéficier à M. [B].

Les heures supplémentaires effectuées seront évaluées, au vu des bulletins de salaire, compte tenu de la charge de travail induite par le poste occupé au regard de la durée de travail de référence fixée à 35h, à la somme de 44 533,20 euros, outre la somme de 4 453,32 euros au titre des congés payés afférents correspondant à la période allant du mois d'octobre 2014 jusqu'au mois d'août 2017 inclus.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a débouté M. [B] de sa demande à ce titre, ainsi qu'en ce qu'il a condamné l'employeur à verser au salarié une somme forfaitaire de 10 000 euros à titre d'astreintes effectuées non payées, cette condamnation ne répondant pas à une demande formulée par le salarié, ainsi qu'il l'indique lui-même.

Sur l'absence de prise de repos

M. [B] sollicite l'allocation d'une somme de 3 000 euros en réparation du préjudice né de l'absence de toute prise de repos.

Il se prévaut des dispositions l'article 16 de l'avenant du 13 juillet 2004 relatif à la durée et à l'aménagement du temps de travail, aux congés payés, au travail de nuit et à la prévoyance applicable dans la branche des hôtels, cafés et restaurants (HCR) qui instaurent une durée maximale journalière de 12 heures pour les veilleurs de nuit ainsi qu'un système de repos compensateur et de temps de pause tandis que la société EURL [Localité 5] conteste relever de cette convention collective.

En toute hypothèse, il sera retenu que la plage horaire de travail de nuit, de 17h à 8h, imposait un temps de pause obligatoire, en application des règles générales du code du travail, notamment l'article L. 3121-16 qui dispose : « Dès que le temps de travail quotidien atteint six heures, le salarié bénéficie d'un temps de pause d'une durée minimale de vingt minutes consécutives ».

Il n'est pas démontré ici que M. [B] a bénéficié de ces pauses, de sorte qu'il convient de faire droit à sa demande tendant à l'indemnisation du préjudice qu'il a subi du fait de l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de prendre des pauses, à hauteur de 3 000 euros, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le travail dissimulé

L'article L. 8221-5 du code du travail dispose : « Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales ».

Au regard des conditions dans lesquelles a été exécuté le contrat de travail, telles qu'elles ont été rappelées précédemment, l'employeur ne pouvait ignorer les horaires conséquents pratiqués par le salarié, d'autant plus que cette organisation s'est inscrite dans la durée, de sorte que l'élément intentionnel du travail dissimulé est ici caractérisé.

La société EURL [Localité 5] sera en conséquence condamnée à payer à M. [B], sur la base d'un salaire de référence tenant compte des heures supplémentaires retenues fixé à 2 894,14 euros, la somme de 17 364,84 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé, par infirmation du jugement entrepris.

Sur le licenciement pour faute grave

L'article L. 1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement pour motif personnel à l'existence d'une cause réelle et sérieuse.

La faute grave se définit comme la faute qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir d'une faute grave du salarié d'en apporter seul la preuve. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

Par courrier du 7 septembre 2017, la société EURL [Localité 5] a notifié à M. [B] son licenciement pour faute grave dans les termes suivants :

"Les motifs de cette sanction qui vous ont été énoncés lors de l'entretien et pour lesquels vous n'avez fourni aucune explication de nature à modifier notre projet sont les suivants :

Violente altercation devant témoin avec votre responsable, Mme [U], le jeudi 17 août 2017.

Vous avez contesté l'initiative de votre responsable de consigner par écrit les tâches que vous deviez effectuer en prétendant exécuter parfaitement votre travail de gardien.

Votre responsable vous a fait remarquer que ce n'était pas le cas, ce qui l'obligeait à rappeler les consignes par écrit.

Vous avez réagi de manière agressive et provocatrice en la mettant au défi de vous licencier.

Après être sorti de son bureau, vous y êtes entré à nouveau sans autorisation en utilisant votre pass gardien et vous avez hurlé en incriminant et en traitant de folle une collègue de travail qui, selon vous, aurait mis en cause vos prestations.

Apeurés, les témoins de la scène sont restés silencieux.

Vous êtes sorti du bureau, toujours en hurlant dans le cloître, vous en prenant à votre collègue et effrayant les clients qui sont allés demander des explications à la réception.

Le vendredi 18 août vous n'avez pas respecté les consignes de travail données la veille, vous avez refusé d'effectuer le tour de la maison avec votre responsable et vous l'avez appelé à 10 heures, fin de votre service, pour l'informer de votre départ.

Ce comportement inacceptable faisait suite à un grand nombre d'inexécutions ou de mauvaises exécutions de vos tâches qui justifiaient leur rappel par écrit.

En effet depuis plusieurs mois, nous avons constaté les manquements suivants :

- refus de basculer le standard sur le portable gardien pour ne pas être dérangé la nuit ;

- tâches non effectuées telles que : désherbage, désinfection des poubelles, poubelles et cendriers non vidés, shampouineuse non passée, parking non nettoyé, abords non entretenus ;

- non-respect des heures de présence impérative prévues à votre contrat de travail.

Il nous apparaît donc que non seulement vous n'exécutez pas vos obligations contractuelles mais qu'au surplus, vous adoptez une attitude agressive et insultante vis-à-vis de votre responsable et de vos collègues lors d'un simple rappel de vos obligations.

Un tel comportement rend impossible le maintien de votre contrat de travail même pour la durée limitée de votre préavis."

Avant de discuter les griefs qui lui sont reprochés, M. [B] soutient que son licenciement est nécessairement dénué de cause réelle et sérieuse dès lors que le compte-rendu de l'entretien préalable fait très clairement mention de la décision de l'employeur de mettre immédiatement fin à la relation contractuelle avant toute notification, nonobstant le délai de réflexion imposé par les dispositions de l'article L. 1232-6 du code du travail.

La société EURL [Localité 5] conteste avoir tenu de tels propos. Elle oppose que le compte-rendu d'entretien préalable n'est pas contradictoire et qu'elle ne l'a pas signé.

Il est rappelé que l'article L. 1232-6 du code du travail dispose : « Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article. Un arrêté du ministre chargé du travail fixe les modèles que l'employeur peut utiliser pour procéder à la notification du licenciement ».

Le compte-rendu de l'entretien préalable a été établi le 5 septembre 2017 par M. [Z], conseiller du salarié, et est signé par cette personne uniquement. Il y est mentionné en conclusion : « A la fin de l'entretien, la direction et M. [B] sont en désaccord. La direction par Mme [U] indique qu'elle va procéder à un recrutement de nouveaux gardiens ». (pièce 7 du salarié).

Ce seul élément, alors que le compte-rendu produit n'a pas été établi contradictoirement et que les propos sont niés, est insuffisant à caractériser le fait que le licenciement aurait été signifié au salarié, de façon irrévocable, au cours de l'entretien préalable, avant l'envoi la lettre de notification.

Cet argument sera écarté.

Concernant le premier grief tenant au comportement agressif et irrespectueux de M. [B] le jeudi 17 août 2017

La société EURL [Localité 5] produit une attestation rédigée par Mme [U] (sa pièce 2) en ces termes : « Le jeudi 17 août 2017, M. [F] [B] est entré dans mon bureau, fermé par une serrure sécurisée, en faisant usage du passe gardien et a demandé de façon abrupte, sans salutation particulière, à me parler en dehors de mon bureau.

Je lui ai indiqué qu'il pouvait parler librement dans mon bureau, en présence de l'assistante administrative et de l'apprenti qui partagent l'espace de travail et sont au fait des dossiers en cours.

M. [F] [B] s'est alors mis à hurler que ce n'était plus possible, qu'il faisait très bien son travail et n'avait pas besoin de consignes écrites dans le cahier dit des gardiens qui permet les transmissions (en PJ), que jamais je ne trouverai meilleur que lui, que si je n'étais pas contente de lui il fallait que je le vire. Il était debout, gesticulant et menaçant, devant moi, assise et stupéfaite. Son ton et ses propos étaient clairement agressifs et méprisants.

Je lui ai calmement répondu que justement son travail ne correspondait pas toujours à ce qui était demandé et c'est justement pour ça que le cahier de consignes existait ; pour lui donner une chance de bien exécuter sa tâche.

Il s'est remis à hurler de façon si violente et incohérente que je ne peux me souvenir de la teneur exacte de son propos mais, entre autres, il désignait comme « folle » une collègue qu'il tenait pour responsable des remarques qui lui étaient faites. Cette femme, moi et les femmes en général semblaient focaliser sa colère.

M. [F] [B] m'a fait peur, tant par la violence de ses propos que par son attitude physique : la moindre réponse ou le moindre geste de ma part semblaient susceptibles d'entraîner une réaction physique plus violente.

Puis il est sorti, toujours en hurlant : ses propos résonnaient dans le long couloir du rez-de-chaussée, faisant sortir de leurs salles nos clients en séminaires.

Nous avons rassuré les clients, M. [H] et M. [K] :

ce dernier est venu dans le bureau s'enquérir du problème »

Ce témoignage est corroboré par celui de Mme [R], prestataire présente dans le bureau au moment des faits, en ces termes : « Je suis prestataire de service administratif pour l'EURL [Localité 5]. Le jeudi 17 août, j'étais dans le bureau de la Direction où un bureau et un PC ont été mis à ma disposition, lorsque M. [B] [F] est entré dans le bureau et s'est exprimé envers Mme [U] [Y] de façon extrêmement violente avec des allocutions verbales virulentes envers la Direction et certaines de ses collègues sans pouvoir écouter Mme [U] tellement son comportement était vindicatif. Puis il est sorti du bureau furieux et a continué d'exprimer sa colère dans les couloirs devant les clients et le personnel. » (pièce 1 de l'employeur).

M. [B] se limite, de son côté à produire une attestation rédigée par Mme [V] faisant état du fait, qu'alors qu'elle le connaît depuis cinq ans, elle n'a jamais remarqué aucune sorte de violence, agressivité ou irrespect de sa part. (pièce 26 du salarié).

Au vu des éléments en présence, la matérialité du grief, au comportement agressif et irrespectueux de M. [B] le jeudi 17 août 2017, est établi.

Concernant le deuxième grief tenant à l'exécution défectueuse de ses tâches par le salarié

La société EURL [Localité 5] reproche à M. [B] de ne pas avoir rempli les tâches qui lui ont été assignées.

L'employeur indique, à titre d'exemple, qu'alors qu'il lui avait été laissé une consigne en ce sens dans le cahier de gardien, M. [B] n'est pas venu retrouver Mme [U] à 8h30 pour un tour d'inspection, que constatant qu'à l'heure dite, il réceptionnait une livraison, elle a demandé qu'on le prévienne qu'elle attendait dans son bureau que cette tâche soit terminée mais qu'il ne s'est pas présenté, ces faits étant attestés par Mme [U].

Mme [R], quant à elle, indique à ce sujet, avoir constaté à plusieurs reprises que M. [B] demeurait plus souvent dans son appartement que dans les locaux de l'hôtellerie [Localité 5].

L'employeur produit également de nombreux messages échangés entre M. [B] et Mme [U], laquelle rappelle au salarié les tâches à accomplir, notamment de nettoyer l'évier ou de ramasser les ordures, cela n'ayant pas été fait, ainsi que les photos jointes aux messages le prouvent (pièce 11 de l'employeur).

L'employeur produit encore un tableau détaillé des tâches à effectuer (sa pièce 12). Figure sur ce document une mention manuscrite ainsi rédigée : « Merci d'effectuer ces tâches en plus des tâches « évidentes » et quotidiennes (rondes + (') + accueil client + vérifications). Attention, le mois dernier, l'entretien du jardin a été fait 1/3 et celui de la loge 1/2 ».

La nécessité pour Mme [U] de rappeler sans cesse ses obligations au salarié, sans amélioration constatée, établit la réalité du grief.

L'exécution défectueuse persistante de ses tâches par le salarié, outre ses propos irrespectueux et violents, constituent une violation des obligations résultant du contrat de travail.

Pour autant, au regard du contexte dans lequel les propos reprochés à . [B] ont été tenus, alors que le salarié travaillait jour et nuit, sans que son employeur ne reconnaisse cette situation,malgré ses réclamations, ceux-ci n'apparaissent pas d'une gravité telle, qu'ils justifiaient, à eux seuls, une sanction aussi définitive que le licenciement du salarié.

Quant à l'exécution défectueuse de ses tâches par le salarié, elle n'était pas d'une importance telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.

Le licenciement prononcé par société EURL [Localité 5] à l'égard de M. [B] est dès lors fondé sur une faute simple et non sur une faute grave.

Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point.

Sur l'indemnisation du salarié

Au regard des heures supplémentaires retenues, le salaire de M. [B] doit être fixé à la somme de 2 894,14 euros et son ancienneté intégrant le préavis arrêtée à 3 ans, 11 mois et 15 jours.

Conséquence d'un licenciement pour faute simple, M. [B] peut prétendre à différentes indemnités.

Indemnité compensatrice de préavis : correspondant à deux mois de salaire, il est dû à ce titre la somme de 5 788,28 euros outre les congés payés afférents.

Indemnité compensatrice de mise à pied : au vu du bulletin de paie du mois d'août 2017, il est dû à ce titre la somme de 792,17 euros outre les congés payés afférents, correspondant au salaire retranché, du 26 août 2017 au 31 août 2017, M. [B] ayant été en arrêt maladie du 1er au 7 septembre 2017.

Indemnité de licenciement : conformément aux dispositions des articles L. 1234-9 et R. 1234-2 du code du travail, il est dû à ce titre la somme de 2 556,49 euros.

Sur les intérêts moratoires et leur capitalisation

Le créancier peut prétendre aux intérêts de retard calculés au taux légal, en réparation du préjudice subi en raison du retard de paiement de sa créance par le débiteur. Les condamnations prononcées produisent intérêts au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation pour les créances contractuelles et à compter de l'arrêt, qui en fixe ici le principe et le montant, pour les créances indemnitaires.

En application des dispositions de l'article 1343-2 du code civil, il y a lieu de préciser que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt.

Sur la remise des documents de fin de contrat de travail conformes au présent arrêt

M. [B] apparaît bien fondé à solliciter la remise par la société EURL [Localité 5] d'un certificat de travail, d'une attestation destinée à Pôle emploi et d'un bulletin de paie récapitulatif, l'ensemble de ces documents devant être conformes au présent arrêt.

Il n'y a pas lieu, en l'état des informations fournies par les parties, d'assortir cette obligation d'une astreinte comminatoire. Il n'est en effet pas démontré qu'il existe des risques que la société EURL [Localité 5] puisse se soustraire à ses obligations.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de procédure

La société EURL [Localité 5], qui succombe pour partie dans ses prétentions, supportera les dépens de première instance et d'appel, dont distraction pour ceux d'appel au profit de M. Leduc, avocat, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La société EURL [Localité 5] sera en outre condamnée à payer à M. [B] une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, que l'équité et la situation économique respective des parties conduisent à arbitrer à la somme de 4 000 euros.

La société EURL [Localité 5] sera déboutée de sa demande présentée sur le même fondement.

Le jugement de première instance sera infirmé en ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La COUR, statuant publiquement, en dernier ressort et par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de [Localité 1] le 15 octobre 2019, excepté en ce qu'il a débouté M. [S] [B] de sa demande à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

CONDAMNE la société EURL [Localité 5] à payer à M. [S] [B] les sommes suivantes :

- 44 533,20 euros à titre d'heures supplémentaires,

- 4 453,32 euros au titre des congés payés afférents,

- 3 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence de prise de repos,

- 29 305,32 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

DIT le licenciement prononcé par la société EURL [Localité 5] à l'égard de M. [S] [B] fondé sur une faute simple,

CONDAMNE en conséquence la société EURL [Localité 5] à payer à M. [S] [B] les sommes suivantes :

- 5 788,28 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

- 578,82 euros au titre des congés payés afférents,

- 792,17 euros à titre d'indemnité compensatrice de mise à pied,

- 79,21 euros au titre des congés payés afférents,

- 2 556,49 euros à titre d'indemnité légale de licenciement,

CONDAMNE la société EURL [Localité 5] à payer à M. [S] [B] les intérêts de retard au taux légal à compter de la date de réception par l'employeur de la convocation devant le Bureau de Conciliation et d'Orientation pour les créances contractuelles et à compter de l'arrêt pour les créances indemnitaires,

DIT que les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produiront intérêt,

ORDONNE à la société EURL [Localité 5] de remettre à M. [S] [B] un certificat de travail, une attestation destinée à Pôle emploi et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt,

DÉBOUTE M. [S] [B] de sa demande d'astreinte,

CONDAMNE la société EURL [Localité 5] à payer à M. [S] [B] une somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société EURL [Localité 5] de sa demande présentée sur le même fondement,

CONDAMNE la société EURL [Localité 5] au paiement des entiers dépens, dont distraction, pour ceux d'appel, au profit de Me Leduc, avocat.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 6e chambre
Numéro d'arrêt : 19/03846
Date de la décision : 16/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-16;19.03846 ?
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