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15/06/2022 | FRANCE | N°19/04473

France | France, Cour d'appel de Versailles, 19e chambre, 15 juin 2022, 19/04473


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80B



19e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 JUIN 2022



N° RG 19/04473 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TT2C



AFFAIRE :



[H] [X]





C/

SARL SERVIER FRANCE











Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/02881



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



la SCP LBBA



la SELARL CAPSTAN LMS







le :



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suiva...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80B

19e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JUIN 2022

N° RG 19/04473 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TT2C

AFFAIRE :

[H] [X]

C/

SARL SERVIER FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 31 Octobre 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

N° Section : E

N° RG : 17/02881

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

la SCP LBBA

la SELARL CAPSTAN LMS

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [H] [X]

née le 16 Septembre 1968 à [Localité 5]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Thomas HOLLANDE de la SCP LBBA, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P469

APPELANT

****************

SARL SERVIER FRANCE

N° SIRET : 402 23 2 1 69

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Sandrine LOSI de la SELARL CAPSTAN LMS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

Représentant : Me Thomas SALOME de la SELARL CAPSTAN LMS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0020

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 9 Novembre 2021, Madame Isabelle MONTAGNE, présidente, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Isabelle MONTAGNE, Président,

Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,

Madame Marie-Laure BOUBAS, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier lors des débats : Monsieur Mame NDIAYE

FAITS ET PROCEDURE,

Filiale du groupe Servier qui exerce des activités de recherche et développement, de production chimique et pharmaceutique, de promotion et de commercialisation de médicaments, la société Servier France exerce une activité de promotion, principalement, de médicaments protégés par des brevets, dits princeps, et de délivrance d'informations médicales et scientifiques en France métropolitaine.

[H] [X] a été engagée par la société Surval, désormais la société Servier France, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er octobre 2001 en qualité d'attachée à l'information.

En dernier lieu, la salariée occupait le poste de déléguée médicale, en référence aux dispositions de la convention collective nationale de l'industrie pharmaceutique.

Le 3 décembre 2015, la société Servier France a informé les salariés d'un projet de réorganisation afin de sauvegarder sa compétitivité et celle du groupe, impliquant la suppression de 615 emplois.

A l'issue des négociations, ont été signés entre la société Servier France et des organisations syndicales, le 28 janvier 2016 un accord de départs anticipés de salariés et le 31 mars 2016, un Plan de Sauvegarde de l'Emploi (Pse) comportant des mesures d'accompagnement des salariés.

Par lettre datée du 1er octobre 2016, la société Servier France a notifié à la salariée son licenciement pour motif économique.

La salariée a adhéré au congé de reclassement économique.

En septembre 2017, la salariée a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin d'obtenir la condamnation de la société Servier France à lui payer diverses indemnités et notamment une indemnité au titre du licenciement qu'elle estime dénué de cause réelle et sérieuse.

Par jugement mis à disposition le 31 octobre 2019, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes initiales des parties, cette juridiction a dit que le licenciement pour motif économique est fondé, a débouté la salariée de toutes ses demandes, a débouté la société Servier de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné la salariée aux dépens.

Le 11 décembre 2019, la salariée a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 21 juillet 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la salariée demande à la cour d'infirmer le jugement, de juger que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse, en conséquence, de condamner la société Servier France à lui verser les sommes suivantes :

* 105 771,60 euros nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale,

* 3 732,80 euros bruts à titre de rappel de salaire à titre d'indemnités de congés payés,

* 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

avec intérêts au taux légal, et aux dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le 26 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Servier France demande à la cour de débouter la salariée de ses demandes et de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, de condamner celle-ci au paiement de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

MOTIFS

Après avoir constaté l'accord des parties à l'audience, la cour a ordonné la clôture de la procédure.

Sur le bien fondé du licenciement

La lettre de licenciement pour motif économique notifiée à la salariée le 1er octobre 2016 expose que la société Servier France a été contrainte d'envisager une profonde réorganisation de ses activités afin de sauvegarder la compétitivité du groupe et de l'entreprise.

Elle indique en premier lieu que l'environnement du segment des médicaments princeps se durcit fortement, sous l'effet combiné du ralentissement continu de la croissance du marché, de l'expiration de nombreux brevets, des politiques des autorités publiques de baisses récurrentes des prix et niveaux de remboursements des médicaments, du renforcement des contraintes pesant sur le cycle de vie des médicaments, de l'intensification de la concurrence des génériques, et que l'environnement de marché du segment des médicaments génériques et biosimilaires se complexifie.

Elle fait état de lourdes menaces sur la compétitivité du groupe, liées à un portefeuille de médicaments princeps vieillissant, exposé aux baisses de prix, avec des attentes déçues sur les lancements de médicaments récents, ainsi qu'à la taille modeste du groupe et de ses moyens financiers limités par rapport à ceux des leaders mondiaux du marché, au regard du coût de développement moyen d'une nouvelle molécule.

Elle indique que dans ce contexte, les performances du groupe sur le marché mondial du médicament et en France se sont fortement dégradées, avec, au niveau mondial, une érosion du chiffre d'affaires de 5 % entre 2012/2013 et 2014/2015 et une prévision de diminution du résultat opérationnel entre 2014/2015 et 2015/2016 et, en France métropolitaine, une baisse du chiffre d'affaires.

Elle ajoute que la situation du groupe est d'autant plus inquiétante que de fortes incertitudes pèsent sur ses relais de croissance que sont les marchés jusqu'alors porteurs de la Chine, de la Russie et du Brésil, qu'il existe de fortes pressions sur les prix du segment des génériques et des biosimilaires, et qu'en France, entre 2015/2016 et 2018/2019, il est à prévoir la diminution du nombre de médicaments contribuant au chiffre d'affaires soutenu par la visite et la chute du chiffre d'affaires provenant de médicaments nécessitant un soutien de la visite médicale.

Elle conclut à la nécessité pour le groupe de recentrer son activité sur des aires thérapeutiques de spécialité en cardiologie, diabétologie et sur l'activité biosimilaire, et de se développer en oncologie, et donc d'investir massivement en R&D, ce qui rend indispensable le passage d'une organisation de la société Servier France par grand type de métiers, dont la visite médicale, à une nouvelle organisation en 'Business Unit' par aire thérapeutique de médecine interne et oncologie, et par conséquent la suppression de postes de travail, dont celui occupé par la salariée.

Sur la réalité du motif économique

La salariée conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse de licenciement en l'absence de motif économique valable de rupture ; elle fait valoir en premier lieu qu'il n'existait aucune menace sur la sauvegarde de la compétitivité du groupe Servier dans la mesure où :

- les considérations sur le marché du médicament développées par la société relèvent de la rhétorique classique des industries pharmaceutiques alors que le marché du médicament était en pleine croissance ;

- le vieillissement du portefeuille de médicaments princeps du groupe, qui constitue une circonstance structurelle inhérente au marché du médicament, et l'absence prévisible de commercialisation d'un médicament princeps issu de la R&D Servier d'ici 2020/2021 n'étaient pas susceptibles d'affecter les performances économiques du groupe ;

- la situation économique du groupe au moment des licenciements n'était pas dégradée alors que le chiffre d'affaires était en constante augmentation sur les deux exercices précédents les licenciements, que le résultat d'exploitation, par nature variable en fonction des investissements en R&D, était globalement en hausse et important, et que le résultat net était en hausse ;

- la société ne justifiait d'aucune difficulté économique à venir en l'absence de réorganisation puisqu'elle présentait elle-même des perspectives économiques très favorables ;

- le groupe disposait d'une situation financière très solide qui lui permettait de réaliser les investissements projetés ;

elle fait valoir en second lieu qu'il n'existait pas d'adéquation entre la réorganisation mise en oeuvre et la prétendue menace sur la compétitivité du groupe dans la mesure où la nécessité de réduire les coûts de promotion n'est pas démontrée et où les économies espérées par les suppressions de postes étaient sans commune mesure avec le montant des investissements qu'elles étaient censées financer.

La société réplique que la sauvegarde de la compétitivité du groupe et de la société motivant la réorganisation intervenue est justifiée ; qu'il existe des contraintes spécifiques à l'industrie pharmaceutique, à savoir la nécessité de lourds et longs investissements en R&D aux perspectives de succès aléatoires, pour constamment renouveler son portefeuille de médicaments, et générer un chiffre d'affaires suffisant pendant que la molécule est temporairement protégée par les brevets pour rentabiliser ces investissements, et la remise en cause constante par les politiques publiques des modèles de développement du secteur pharmaceutique au niveau mondial et en France ; que le groupe Servier présentait une vulnérabilité au regard de son portefeuille de médicaments limité et vieillissant, son chiffre d'affaires ne reposant que sur quelques médicaments pour la plupart non protégés, la quasi-totalité de son portefeuille ne devant bientôt plus être protégée et ses moyens en R&D étant limités par rapport aux autres laboratoires et que le groupe ne pouvait compter que sur ses propres ressources, et n'ayant pour seule réserve financière, à la différence de ses concurrents, que sa trésorerie ; que ses ressources étaient insuffisantes ; que la R&D est en panne sèche depuis 2010 ; que les derniers lancements de médicaments étaient décevants ; que le groupe connaissait une dégradation de sa situation économique, de même que la société, sans perspective d'amélioration à court terme ; que les effort mis en oeuvre par le passé s'étaient avérés insuffisants ; que le groupe a dû investir massivement en R&D sur la recherche de molécules et en oncologie ; que le chiffre d'affaires de la visite médicale en France était inférieur au coût de la promotion, ce qui rendait indispensable la réorganisation de la société qui devait dégager une économie cumulée de plus de 215 millions d'euros sur trois ans nécessaire au financement des projets stratégiques du groupe destinés à renouveler ses médicaments et assurer ainsi sa survie sur ses marchés.

Aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige : 'Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques'.

Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou du secteur d'activité du groupe auquel elle appartient.

En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que le secteur d'activité de la société Servier France coïncidant avec celui du groupe Servier auquel elle appartient, la réalité du motif économique du licenciement doit être appréciée au niveau du groupe.

S'agissant des données de contexte, il ressort des documents produits par la société, intitulés notamment 'Evaluate pharma June 2015- World preview 2015, Outlook to 2020", 'Xerfi March 2014- Pharmaceutical groups - World', 'Résumé de l'étude annuelle Deloitte 2017 sur l'innovation pharmaceutique' et des bilans économiques annuels des entreprises du médicament de 2014 et 2016, que la mise au point d'une nouvelle molécule qui représentait en 2012 un investissement de 1 200 millions d'euros, avoisinait en 2017 un coût de près de 2 000 millions d'euros, que seules une à deux molécules sur 10 000 molécules criblées par les laboratoires pharmaceutiques passent les étapes de développement jusqu'à la mise sur le marché, environ 12 ans plus tard, que le marché pharmaceutique qui a connu une croissance continue toutes aires thérapeutiques confondues dans les années 2000, a connu une baisse de croissance entre 2009 et 2015 avec un taux de croissance de 1,8 %, que si le marché mondial des médicaments princeps affichait des perspectives de croissance au moment de la réorganisation contestée, cette croissance était tournée vers des thérapies innovantes et spécialisées, comme l'oncologie, l'immunologie et les biotechnologies et vers des zones géographiques spécifiques, principalement les Etats-Unis.

Il ressort des pièces produites par la société, à savoir notamment les documents remis aux instances représentatives du personnel lors de la procédure d'information-consultation sur le projet de réorganisation de la société, les rapports annuels de gestion de la société de 2013 à 2016 et les comptes annuels de la société de l'année 2016, comprenant les résultat consolidés au niveau du groupe, un document relatif au marché pharmaceutique mondial du médicament en 2015 et un tableau récapitulatif reprenant les données contenues dans l'ensemble de ces documents, produit en cause d'appel en pièce A91, les éléments qui suivent.

Le chiffre d'affaires net consolidé du groupe Servier, qui avait évolué positivement de manière continue depuis l'exercice 2008/2009 jusqu'à celui 2012/2013, était de 4 189 millions d'euros en 2012/2013 mais n'a été que de 3 998 millions d'euros pour l'exercice 2014/2015, ce qui représente une diminution de 7 %. Si le chiffre d'affaires était de 4 004 millions d'euros pour l'exercice 2015/2016, cette stabilisation entre les deux derniers exercices est expliquée de manière objective par la société par la perception d'une redevance exceptionnelle d'un montant de 106 millions d'euros par la filiale Egis et ce chiffre d'affaires présentait malgré tout une diminution de 4,5 % par rapport à celui de l'exercice 2012/2013.

Le résultat net du groupe (correspondant à la différence constatée entre les produits et les charges auxquelles s'ajoute l'impôt sur les sociétés) a fluctué de 324 millions pour l'exercice 2012/2013, à 77 millions pour l'exercice 2013/2014, 352 millions pour l'exercice 2014/2015 et 189 millions pour l'exercice 2015/2016.

La marge brute d'auto-financement du groupe, déjà inférieure à la moyenne des autres laboratoires pharmaceutiques qui est en moyenne de 30 %, est passée de 14,2 % pour l'exercice 2014/2015 à 13,9 % pour l'exercice 2015/2016.

La part de marché du groupe qui était de 0,58 % en 2011, représentant le 29ème rang mondial, s'est établie à 0,45 % en 2015, représentant le 33ème rang mondial.

Le chiffre d'affaires du groupe Servier en France, qui représentait une part de 23 % du chiffre d'affaires du groupe au moment de l'engagement de la réorganisation, est passé de 1 038 millions d'euros pour l'exercice 2012/2013 à 900 millions d'euros pour l'exercice 2015/2016, ce qui représente une chute de plus de 13 % du chiffre d'affaires, étant précisé que cette chute du chiffre d'affaires concernait tant le marché des médicaments princeps (passé de 484 millions pour l'exercice 2009/2010 à 241,6 millions pour l'exercice 2014/2015, soit une chute de 50 % en cinq ans, et à 210 millions pour l'exercice 2015/2016), que le marché des médicaments génériques (qui est passé de 750 millions pour l'exercice 2012/2013 à 651 millions pour l'exercice 2014/2015, soit une chute de près de 15 %). Le résultat d'exploitation de la société Servier France est passé de 13 608 774 euros pour l'exercice 2013/2014 à 13 490 978 euros au terme de l'exercice 2014/2015 et a chuté à 7 198 521 euros pour l'exercice 2015/2016.

Au moment de l'engagement de la réorganisation contestée, les paramètres financiers du groupe et de la société, relevés ci-dessus, présentaient ainsi une tendance dégradée.

La dégradation de ces paramètres financiers est à mettre en corrélation avec les éléments qui suivent, issus de documents produits par la société (notamment les documents sus-cités, le rapport du cabinet Syndex, expert-comptable du comité d'entreprise mis à jour le 31 mars 2016 et les bilans économiques annuels dressés par les entreprises du médicament en 2014, 2015 et 2016), et constatés au moment de la réorganisation contestée.

D'une part, alors que le groupe Servier détenait seulement 0,5 % du marché mondial des médicaments et que le chiffre d'affaires des médicaments princeps représentait 73,5 % du chiffre d'affaires du groupe, le groupe n'était présent ni dans le domaine de l'oncologie, qui présentait des perspectives de croissance importantes, ni aux Etats-Unis, marché moteur dans le marché du médicament mondial, et le marché historique français du groupe était en décroissance, ce que les salariés élus de la société ont d'ailleurs reconnu, exprimant même des signes d'inquiétudes lors de la réunion du comité d'entreprise du 28 septembre 2015, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de cette réunion.

D'autre part, alors qu'en 2015-2016, 15 médicaments représentaient 99 % du chiffre d'affaires du segment princeps du groupe, 12 de ces médicaments n'étaient plus protégés au 1er octobre 2016 et les 3 autres ne devaient plus l'être à partir de 2019, ce qui a été reconnu par l'expert-comptable du comité d'entreprise dans son rapport mis à jour au 31 mars 2016. Il s'ensuit qu'aux dates sus-mentionnées, les concurrents du groupe étaient éligibles au lancement de médicaments génériques sur les médicaments princeps du groupe Servier, au regard de la perte d'exclusivité commerciale de ces médicaments, ce qui mécaniquement devait générer la baisse des prix et des volumes des produits princeps et donc une baisse du chiffre d'affaires du groupe Servier. Le groupe ne consacrant qu'environ 25 % de son chiffre d'affaires princeps (soit entre 600 et 800 millions d'euros) à sa R&D, ces montants étaient très insuffisants pour renouveler le portefeuille de médicaments, au regard du coût de développement d'une molécule de près de 2 000 millions d'euros, comme relevé plus haut, à comparer aux coûts annuels de R&D de ses concurrents, variant entre 1 000 et 4 000 millions d'euros. Alors que la part de chiffre d'affaires générée par les trois derniers lancements de molécules issus de la recherche du groupe Servier à la fin des années 2000 s'était établie à moins de 20 % du chiffre d'affaires attendu et que les ventes cumulées de ceux-ci étaient insuffisantes pour rentabiliser les investissements effectués alors qu'arrivait l'expiration de leurs brevets, dans le même temps, dix programmes de développement avaient été arrêtés entre 2010 et 2015 représentant un coût total de 1 100 millions d'euros.

En outre, les perspectives des marchés russe, chinois et brésilien, jusqu'alors vecteurs de croissance du groupe Servier, s'étaient dégradées, les économies de ces pays connaissant un ralentissement de leur croissance économique.

Le chiffre d'affaires du groupe sur les biosimilaires restait de surcroît très limité, s'agissant de médicaments de niche.

Enfin, contrairement aux autres laboratoires pharmaceutiques, le groupe ne peut compter que sur ses seules ressources, la direction du groupe étant assurée par une fondation, structure sans capital et incessible, ce qui lui assure une indépendance financière par rapport aux marchés financiers, n'ayant pas à distribuer de dividendes à des actionnaires, mais le contraint à réinvestir ses ressources disponibles au sein du groupe afin de financer son développement. A cet égard, si sa trésorerie représentait 2 000 millions d'euros au moment de la réorganisation contestée, ce niveau est à relativiser au regard du coût de développement d'une molécule, se situant à près de 2 000 millions d'euros comme sus-relevé, et des coûts d'acquisition d'une molécule, encore plus élevés, et alors que cette trésorerie était déjà utilisée essentiellement pour le fonctionnement du groupe et les investissements industriels et incorporels, étant précisé que le niveau de trésorerie de ses concurrents était sans commune mesure avec le sien (plus de 10 000 millions d'euros s'agissant du groupe Sanofi et plus de 33 000 millions d'euros s'agissant du groupe Pfizer).

Il résulte de ce qui précède qu'au moment de l'engagement de la réorganisation contestée, le groupe ne pouvait compter sur des relais de croissance qui lui auraient permis de surmonter l'affaiblissement des paramètres financiers sus-constatés afin de sauvegarder sa compétitivité.

La combinaison de paramètres financiers dégradés et de la perte des relais de croissance attendus, associée à l'insuffisance des mesures d'économies et d'investissements déjà mises en place au niveau du groupe, notamment l'acquisition à hauteur de 2 400 millions de dollars de la branche oncologie des laboratoires Shire financée pour moitié par le recours à des emprunts, établit la réalité de la menace pesant sur la compétitivité du groupe et de l'entreprise et consécutivement la nécessaire réorganisation de l'entreprise ayant justifié le licenciement en cause afin de sauvegarder cette compétitivité, étant précisé ici que les choix de gestion en matière d'investissement et de recherche expressément critiqués par la salariée, laquelle n'allègue par ailleurs aucune faute ou légèreté blâmable de l'employeur, ne peuvent être contrôlés par le juge prud'homal.

S'agissant de l'inadéquation alléguée par la salariée entre la réorganisation mise en oeuvre et la menace sur la compétitivité du groupe, la société justifie que le coût de promotion des médicaments princeps du groupe Servier en France était supérieur au chiffre d'affaires rapporté (par exemple sur l'association fixe Natrixam® lancée en 2013/2014, le coût de promotion a représenté 13 millions d'euros fin 2015 pour un chiffre d'affaires annuel d'à peine 0,7 million d'euros) et que les coûts prévisibles de distribution, de promotion et d'administration des médicaments soutenus par la visite médicale devaient bientôt être supérieurs au chiffre d'affaires des médicaments soutenus par la visite médicale, que le groupe ne devait plus posséder aucun médicament princeps protégé en 2019 et que dans le contexte économique sus-analysé, la réorganisation telle que retenue, à savoir l'arrêt de la promotion du portefeuille de la société Servier France auprès des médecins généralistes, l'arrêt de la promotion du Dafon® 500 auprès des médecins libéraux, l'arrêt de la visite médicale du biosimilaire Remsina® auprès des médecins prescripteurs, la spécialisation des équipes selon les compétences et les nécessités opérationnelles pour deux 'Business Unit', à savoir la médecine interne et l'oncologie, était nécessaire pour rétablir une contribution opérationnelle positive de la société au groupe. Il s'ensuit que l'inadéquation entre la réorganisation de la société mise en oeuvre et la menace sur la compétitivité du groupe n'est pas démontrée.

Sur l'obligation de reclassement

La salariée soutient que la société a manqué à son obligation de reclassement en, notamment, ne lui proposant pas les postes de 'Medical Sciences Liaisons' (Msl) et de 'Manager Msl' qui étaient, selon ses dires, à pourvoir au sein de la société Biogaran, filiale du groupe, en juillet 2016, alors que ces postes correspondaient à sa qualification et à ses compétences.

La société réplique qu'elle a satisfait à son obligation de reclassement en lui proposant un repositionnement sur un des postes de délégué médical créés, appartenant à son groupe d'emploi, ainsi que sur des postes disponibles dans l'entreprise et le groupe, compatibles avec son profil de compétence, sa qualification et son expérience et qu'aucun autre poste n'était disponible.

Il ressort de l'article L. 1233-4 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige, que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie ; que le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente ; qu'à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure ; que les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.

L'employeur est tenu de rechercher et de proposer aux salariés les postes disponibles, dans l'entreprise mais aussi dans les entreprises du groupe dont les activités, l'organisation ou le lieu de travail ou d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel.

Il incombe à l'employeur de prouver qu'il n'a pu reclasser le salarié.

Il n'y a pas de manquement à l'obligation de reclassement si l'employeur justifie de l'absence de poste disponible, à l'époque du licenciement, dans l'entreprise, ou s'il y a lieu, dans le groupe auquel elle appartient.

Par courrier du 9 mai 2016, la société a proposé à la salariée d'être repositionnée sur un des 20 postes de délégué médical spécialiste créés dans le cadre de la réorganisation et sur un des 14 postes de délégué médical hospitaliser oncologie, qui appartenaient à son groupe d'emploi, sans que celle-ci y donne suite.

Par courrier distinct du 9 mai 2016, la société a interrogé la salariée sur son souhait de recevoir des propositions de postes de reclassement au sein du groupe à l'étranger, sans que celle-ci y donne suite.

Par courrier du 24 juin 2016, la société a par ailleurs interrogé la salariée sur son souhait de recevoir des propositions de reclassement sur des postes de catégorie inférieure, sans que celle-ci y donne suite.

Par courriers des 10 juin et 26 juillet 2016, la société a adressé à la salariée des propositions fermes et personnalisées de reclassement sur 27 postes disponibles en son sein et celui du groupe, compatibles avec ses compétences, sa qualification et son expérience. Celle-ci n'y a pas donné suite.

En cause d'appel, la salariée allègue que des postes de 'Medical Science Liaison' et de 'ManagerEquipe Msl' auraient été disponibles au sein de la filiale Biogaran du groupe et ne lui auraient pas été proposés. Force est cependant de constater que les offres d'emplois relatives à ces postes produites par la salariée ne comportent aucune identification d'une quelconque société à l'origine de la diffusion de ces postes. En outre, la société produit d'une part, un organigramme nominatif de la société Biogaran ne faisant apparaître aucun des intitulés de postes de 'Msl' et 'Manager Equipe Msl' et d'autre part, un procès-verbal établi le 12 octobre 2021 par maître [P] [M], huissier de justice, qui a constaté, après avoir pris connaissance du registre du personnel de la société Biogaran, pour la période du 1er novembre 2015 au 31 décembre 2016, qu'aucun biffage, ni rayure ou noircissement, ni aucune mention de 'Medical Science Liaison', 'Msl' ou 'Manager Equipe Msl' ne figurent dans la rubrique emploi/qualification des pages de ce registre. Il s'ensuit que la société justifie qu'aucun des postes allégués par la salariée n'était disponible au sein de la société filiale Biogaran au moment du licenciement.

Il résulte des constatations qui précèdent que la salariée n'est pas fondée à soutenir que la société n'a pas rempli son obligation de reclassement de manière loyale, complète et sérieuse.

Il s'ensuit que le licenciement est justifié par une cause réelle et sérieuse.

La salariée sera déboutée de sa demande d'indemnité au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera confirmé sur ces dispositions.

Sur l'exécution déloyale du contrat de travail

La salariée soutient que la société a manqué à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail en n'accompagnant pas les salariés notamment sur un plan psychologique à la suite du scandale du médicament Médiator ayant entraîné la mort de plus de mille patients, en annonçant de façon brutale et inique la suppression de la visite médicale en ville après avoir fait croire à la pérennité de l'emploi des visiteurs médicaux et en ne mettant pas en place une politique de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, ce qui a entravé les possibilités de reconversion des salariés.

La société réplique qu'elle n'a pas manqué à son obligation d'exécution loyale du contrat de travail des salariés ; qu'elle a déployé un accompagnement spécifique, prévoyant notamment l'assistance d'un cabinet spécialisé dans la prévention des risques psycho-sociaux, présenté aux salariés le 15 mars 2011 ; que la situation du groupe et de la société a évolué depuis les précédentes réorganisations de la société en 2011 et 2014 ; qu'elle a développé un plan de formation ambitieux pour les salariés, avec des mesures qui ont été reprises et amplifiées dans le cadre du Pse, prévoyant des actions de formations, d'adaptation ou de reconversion dont la salariée a bénéficié.

L'article L. 1222-1 du code du travail dispose que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

La société justifie avoir mis en oeuvre des mesures d'accompagnement des salariés à la suite de la découverte du scandale du Médiator, passant par la mise en place d'un espace d'écoute et d'expression pour les salariés par le cabinet Alter Ego, et d'un site intranet 'infomédiator' dédié, et avoir informé les salariés de leur possibilité d'échanger avec leur supérieur hiérarchique et leurs responsables Rh, l'assistante sociale, le service de santé au travail ou les représentants du personnel, ainsi qu'avoir veillé à la formation des salariés, ce qui résulte du bilan de la formation professionnelle 2014-2015 transmis à l'expert-comptable du comité d'entreprise de la société relevant que les salariés de la société ont suivi plus de 800 formations entre le 1er octobre 2014 et le 31 mars 2015 et plus de 350 entre le 1er avril et le 1er octobre 2015, et du procès-verbal de la réunion du comité d'entreprise du 13 janvier 2016 faisant ressortir que dix projets de validation des acquis et de l'expérience ont été initiés par des salariés de la société.

L'évolution de la situation économique du groupe et de la société depuis les derniers plans de réorganisation en 2011 et 2014, qui a conduit à la modification des orientations stratégiques et la mise en oeuvre de la réorganisation en cause, n'établit pas la déloyauté alléguée, le caractère 'brutal' et 'inique' de cette réorganisation ressortant d'une appréciation de la salariée qui n'est étayée par aucun élément concret et précis.

Alors qu'il incombe à la salariée qui l'invoque de rapporter la preuve que la société a exécuté de manière déloyale le contrat de travail, force est de constater que cette preuve n'est pas rapportée.

En tout état de cause, la salariée ne justifie pas d'un préjudice causé par les manquements allégués de l'employeur à son obligation d'exécution de bonne foi du contrat de travail.

Celle-ci sera par conséquent déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur le rappel de salaire à titre d'indemnités de congés payés

Faisant valoir que la société aurait dû inclure la prime bimestrielle dans l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés, la salariée forme une demande de rappel de salaire calculé sur la base du dixième de la rémunération variable versée au cours des trois années précédant la rupture du contrat de travail.

La société réplique que la demande n'est pas fondée au motif que la prime bimestrielle ne rétribue pas un travail individuel du salarié et n'est pas affectée par la prise des congés ; qu'elle est par conséquent exclue de l'assiette de calcul de l'indemnité de congés payés.

Au-delà du salaire de base, les primes, commissions et rémunérations variables sont incluses dans l'assiette de calcul du salaire de référence annuel pris en compte pour la détermination de l'indemnité de congés payés dès lors que d'une part, leur versement est lié à l'activité personnelle du salarié et que d'autre part, elles sont susceptibles d'être affectées par le départ du salarié en congé.

Il ressort du document intitulé 'systèmes de primes 2015-2016" produit par la société en cause d'appel que les primes bimestrielles sont calculées selon les volumes de ventes dépendant de prescriptions médicales, du seul ressort des médecins, que les résultats sont appréciés au niveau d'un secteur géographique couvert par plusieurs délégués médicaux et que les ventes de médicaments dans les pharmacies ne sont pas impactées par les absences des délégués médicaux, ce dont il s'ensuit que la société démontre que le versement de ces primes n'est pas lié à l'activité personnelle du salarié et que ces primes ne sont pas affectées par le départ du salarié en congé.

C'est par conséquent à bon droit que la société n'a pas inclus les primes bimestrielles dans l'assiette de calcul du salaire de référence annuel pris en compte pour la détermination de l'indemnité de congés payés.

La salariée sera déboutée de sa demande de ce chef et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.

La salariée sera condamnée aux dépens exposés en appel et à payer à la société la somme de 100 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Après clôture de la procédure, la cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition des parties au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

CONDAMNE [H] [X] à payer à la société Servier France la somme de 100 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE [H] [X] aux dépens d'appel,

- prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 19e chambre
Numéro d'arrêt : 19/04473
Date de la décision : 15/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-15;19.04473 ?
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