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09/06/2022 | FRANCE | N°20/05378

France | France, Cour d'appel de Versailles, 12e chambre, 09 juin 2022, 20/05378


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63C



12e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 9 JUIN 2022



N° RG 20/05378 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UEGU







AFFAIRE :



S.A.R.L. COURS PRIVE VALIN



C/



S.A. FIDEXPERTISE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 5

N° RG : 2019F01248

>
Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Dan ZERHAT



Me Olivier AMANN







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant d...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63C

12e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 9 JUIN 2022

N° RG 20/05378 - N° Portalis DBV3-V-B7E-UEGU

AFFAIRE :

S.A.R.L. COURS PRIVE VALIN

C/

S.A. FIDEXPERTISE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Septembre 2020 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° Chambre : 5

N° RG : 2019F01248

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Dan ZERHAT

Me Olivier AMANN

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. COURS PRIVE VALIN

N° SIRET : 342 227 972

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Dan ZERHAT de l'AARPI OHANA ZERHAT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 731 - N° du dossier 20078104

Représentants : Me Frédérique VAN GINNEKEN et Me Hervé OLIEL, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : E1042

APPELANTE

****************

S.A. FIDEXPERTISE anciennement dénommée SOCIETE FIDUCIAIRE NATIONALE D'EXPERTISE COMPTABLE - FIDUCIAL EXPERTISE

N° SIRET : 552 108 722

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Olivier AMANN, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 116 - N° du dossier 20-1248

Représentant : Me Nathalie SIU BILLOT de l'AARPI PARDALIS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R094 substitué par Me LEMIERE

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur François THOMAS, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur François THOMAS, Président,

Madame Véronique MULLER, Conseiller,

Monsieur Patrice DUSAUSOY, Magistrat honoraire,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

EXPOSE DU LITIGE

La société Cours privé Valin (ci-dessous, société Cours Valin) indique avoir pour activité la scolarisation à distance pour des élèves du cours préparatoire à la terminale, et la correction de copie d'examens blancs et d'examen oraux blancs, pour des collèges et lycées privés.

Elle a conclu le 8 octobre 1997 avec la société fiduciaire nationale d'expertise comptable Fiducial expertise, aux droits de laquelle est venue la société Fidexpertise (ci-dessous, la société Fidexpertise) une lettre de mission aux termes de laquelle le cabinet comptable s'est vu confier l'établissement et la présentation des comptes annuels.

En octobre 2017, la société Cours Valin a pris connaissance de la possibilité de ne pas assujettir son activité de correction d'examens écrits et oraux blancs à la TVA en invoquant le régime exonératoire prévu par le code général des impôts.

Le 30 octobre 2018, elle a saisi l'administration fiscale pour obtenir la restitution de la TVA, reversée au Trésor public au titre des années 2016 et 2017 ; puis, le 23 novembre 2018, elle a mis en demeure la société Fiducial expertise de lui payer la somme de 821.987 euros.

Le 26 mars 2018, la Direction générale des finances publiques a accordé à la société Cours Valin un dégrèvement à hauteur de 161.427 euros au titre des deux années considérées.

Par acte du 19 juillet 2019, la société Cours Valin a assigné la société Fiducial expertise devant le tribunal de commerce de Nanterre en manquement à l'obligation de conseil et en réparation du préjudice en résultant.

Par jugement du 15 septembre 2020, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- Condamné la société Fiducial expertise à payer à la société Cours Valin la somme de 8.500 euros au titre de sa demande de paiement de la TVA versée pour les années 2013 à 2017;

- Débouté la société Cours Valin de sa demande en paiement de la somme de 125.000 euros au titre de l'appauvrissement patrimonial ;

- Débouté la société Cours Valin de sa demande de paiement de la somme de 283.000 euros au titre du préjudice d'image ;

- Condamné la société Fiducial expertise à la société Cours Valin la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Dit n'y avoir lieu exécution provisoire ;

- Condamné la société Fiducial expertise aux dépens.

Par déclaration du 3 novembre 2020, la société Cours Valin a interjeté appel du jugement.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par dernières conclusions notifiées le 7 juillet 2021, la société Cours Valin demande à la cour de :

- Infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

/ Partiellement débouté la société Cours Valin de sa demande tendant à voir intégralement réparer son préjudice constitué notamment de l'ensemble des paiements de TVA réalisés entre 2013 et 2017, sous réserve du dégrèvement accordé par l'Administration dans la limite du droit de reprise (années 2016 et 2017);

/ Condamné la société Fiducial expertise au paiement d'une somme de 8.500 euros au titre des paiements de TVA indus pour les années 2013 à 2017 au lieu des 242.560 euros sollicités par la société Cours privé Valin ;

/ Débouté la société Cours Valin de sa demande tendant à voir la société Fiducial expertise condamnée au paiement d'une somme de 125.000 euros au titre de l'appauvrissement patrimonial causé par l'assujettissement à la TVA à tort ;

/ Débouté la société Cours Valin de sa demande tendant à voir la société Fiducial expertise condamnée au paiement d'une somme de 283.000 euros au titre de son préjudice d'image ;

/ Condamné la société Fiducial expertise au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile au lieu des 10.000 euros sollicités par la société Cours Valin ;

Et, statuant à nouveau,

- Débouter la société Fiducial expertise de l'ensemble de ses demandes incidentes, fins et prétentions dirigées à l'encontre de la société Cours Valin ;

- Dire et juger que la société Fiducial expertise doit, dans les limites de la prescription applicable, intégralement réparer le préjudice résultant pour la société Cours Valin du manquement à son obligation de conseil au titre de ses obligations et droits en matière de TVA ;

- Condamner la société Fiducial expertise au paiement des sommes suivantes :

- A titre principal :

- 242.560 euros au titre des paiements de TVA indus pour les années 2013 à 2015;

- 47.500 euros au titre de l'appauvrissement patrimonial causé par l'assujettissement à la TVA à tort pour l'activité considérée ;

- 20.000 euros au titre du préjudice d'image ;

- A titre subsidiaire (sic) :

- 330.419 euros au titre des paiements de TVA indus pour les années 2012 à 2015;

- 47.500 euros au titre de l'appauvrissement patrimonial causé par l'assujettissement à la TVA à tort pour l'activité considérée ;

- 20.000 euros au titre du préjudice d'image ;

- Condamner la société Fiducial expertise au paiement d'une somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Fiducial expertise aux entiers dépens au titre de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 9 avril 2021, la société Fidexpertise, anciennement dénommée Fiducial expertise, demande à la cour de :

- Infirmer le jugement du 15 décembre 2020 en ce qu'il a :

/ Condamné la société Fiducial expertise à payer à la société Cours Valin la somme de 8.500 euros au titre de sa demande de paiement de la TVA versée pour les années 2013 à 2017 ;

/ Condamné la société Fiducial expertise à la société Cours Valin la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

/ Condamné la société Fiducial expertise aux dépens ;

Statuant à nouveau de ces seuls chefs,

- Débouter la société Cours Valin de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions dirigées à l'encontre de la société Fidexpertise ;

- Condamner la société Cours Valin à payer à la société Fidexpertise la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société Cours Valin aux entiers dépens de l'instance.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 13 janvier 2022.

Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIVATION

Sur la faute de la société Fidexpertise

Le jugement a retenu que la société Fidexpertise, au titre du devoir de conseil relevant de sa mission, devait informer dans un délai raisonnable la société Cours Valin d'un changement de régime de TVA qui lui est applicable, et qu'elle avait en l'espèce failli à son obligation de diligence et de conseil en se limitant, lorsqu'elle a été interrogée en 2017 par la société Cours Valin, à lui communiquer un document fiscal de 2012.

La société Cours Valin avance que la responsabilité de l'expert-comptable est engagée lorsqu'il laisse son client appliquer un taux de TVA supérieur à celui en vigueur. Elle ajoute que le jugement s'est trompé en considérant que l'activité de correction de copies n'était exonérée que depuis 2014, et que le manquement de la société Fidexpertise à son obligation de conseil n'est établi qu'à compter de cette date.

Elle affirme que l'activité de correction de copies d'examens blancs et de soutenance d'examens oraux est exonérée de plein droit de TVA en vertu de la loi elle-même et de la doctrine administrative. Elle considère que la décision de la cour administrative de Versailles du 15 mai 2014 ne fait que reprendre les dispositions existantes, et s'inscrit dans le prolongement d'un courant établi depuis de nombreuses années. Elle en déduit que les demandes sont fondées pour les exercices 2013, 2014 et 2015. Elle ajoute subsidiairement, s'il était considéré que cet arrêt a eu un effet clarifiant, que la société Fidexpertise l'ignorait jusqu'à la demande qu'elle a elle-même formulée, alors que la société Fidexpertise aurait dû se renseigner et l'informer au titre de son devoir de conseil, sur le caractère équivoque de l'application de la TVA aux activités de prestations accessoires à celle d'enseignement. Elle en déduit avoir été privée de toute possibilité de solliciter un remboursement à l'administration fiscale en temps opportun.

La société Fidexpertise rappelle que l'expert-comptable est tenu par une obligation de moyen, qu'il n'a vocation à répondre de fautes que dans l'exécution de la mission qui lui est confiée, et qu'il appartient à la société Cours Valin d'établir la réalité de sa faute. Elle indique que la question porte sur le traitement fiscal des recettes de la société Cours Valin liées à son activité de correction de copies d'examens et d'oraux blancs, question tranchée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 mai 2014 en retenant que ces prestations pouvaient bénéficier du régime dérogatoire de TVA si elles étaient étroitement liées à la prestation d'enseignement. Elle en déduit que ce n'est qu'à compter de cet arrêt que les prestations accessoires à l'enseignement pouvaient bénéficier de ce régime dérogatoire, sous réserve de remplir les conditions, et que l'administration fiscale a fondé sa réponse à la société Cours Valin sur cette décision. Elle avance que l'expert-comptable est tenu par une obligation de prudence, ce qui ne peut lui être reproché. Elle ajoute que même pour la période postérieure à 2015, sa faute n'est pas démontrée, que ce sont les clients de la société Cours Valin qui assument le coût de la TVA, la société Cours Valin n'ayant fait que la collecter pour le compte du Trésor Public.

Elle conclut qu'il n'est pas justifié qu'elle ait manqué à son devoir de conseil dans sa mission.

***

La demande de la société Cours Valin est notamment fondée sur l'article 1147 du code civil, dont la rédaction applicable aux faits prévoit que le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

L'expert comptable est tenu d'une obligation de moyens.

Ne peut être imputé de faute à l'expert-comptable qu'en cas de manquement de ce dernier à son obligation de conseil dans le cadre de la mission qui lui est confiée.

Lorsqu'une société d'expertise comptable est en charge de l'établissement de toutes les déclarations de TVA et des comptes annuels d'une société, les contrôles -mêmes élémentaires- qu'elles doit réaliser à ce titre sont de nature à lui permettre d'éviter l'application d'un taux de TVA erroné sur certaines prestations, et le devoir de conseil et d'information lui incombant devrait l'amener à aviser sa cliente des changements de taux survenus sur la période considérée.

La mission conclue le 8 octobre 1997 entre les sociétés Cours Valin et Fiduciaire Européenne était une mission de présentation des comptes annuels et, concernant la TVA, il revenait à la société d'expertise comptable d'établir la déclaration récapitulative annuelle (CA12).

Il apparaît, au vu notamment des échanges de courriels produits, que la société Fidexpertise effectuait aussi les déclarations mensuelles de TVA de la société Cours Valin.

L'article 261-4-4° du code général des impôts, dans sa version applicable aux faits, prévoit que

'Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée :...

a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre :

de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés régis par les articles L. 151-3, L. 212-2, L. 424-1 à L. 424-4, L. 441-1, L. 443-1 à L. 443-5 et L. 731-1 à L. 731-17 du code de l'éducation ;

de l'enseignement universitaire dispensé dans les établissements publics et dans les établissements privés visés aux articles L. 613-7, L. 714-2 et L. 718-16 du code de l'éducation;

de l'enseignement et de la formation professionnelle agricoles réglementés par la loi n° 60-791 du 2 août 1960 relative à l'enseignement et la formation professionnelle agricole ;

de la formation professionnelle continue, telle qu'elle est définie par les dispositions législatives et réglementaires qui la régissent, assurée soit par des personnes morales de droit public, soit par des personnes de droit privé titulaires d'une attestation délivrée par l'autorité administrative compétente reconnaissant qu'elles remplissent les conditions fixées pour exercer leur activité dans le cadre de la formation professionnelle continue.

Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application de ces dispositions, notamment pour ce qui concerne les conditions de délivrance et de validité de l'attestation ;

de l'enseignement primaire, secondaire, supérieur ou technique à distance, dispensé par les organismes publics ou les organismes privés régis par les articles L. 444-1 à L. 444-11 du code de l'éducation, et les textes subséquents ;'...

Dans son courrier du 18 décembre 2018 adressé à la société Cours Valin, la direction générale des finances publiques indique, selon le BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50-20180607, que 'les activités d'enseignement entrent dans le champ d'application de la TVA dès lors qu'il s'agit d'une prestation de services relevant d'une activité économique effectuée à titre onéreux'.

Toutefois, sont exonérés de TVA, sous certaines conditions :

'- les établissements régis de l'article L. 444-1 du code de l'éducation à l'article L. 444-11 du code de l'éducation et les textes subséquents qui dispensent, à distance, un enseignement primaire, secondaire, technique ou supérieur (enseignement par correspondance). Ces établissements sont soumis à la taxe au titre des autres catégories d'enseignement qu'ils dispensent (cours de langue, d'arts d'agrément, de graphologie, d'astrologie, de yoga, etc.)...

L'exonération s'applique aux prestations d'enseignement proprement dites ainsi qu'aux prestations de services ou livraisons de biens qui sont étroitement liées à cet enseignement. ... Ce courrier de réponse fait état d'un arrêt de la CJUE du 14 juin 2007, et de la jurisprudence nationale en citant un arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 mai 2014, et en déduit que les prestations décrites par la société Cours Valin s'analysent en des prestations accessoires à des prestations d'enseignement, qui suivent les prestations principales.

La société Cours Valin soutient que la jurisprudence du 15 mai 2014 n'est qu'une confirmation qu'il existe depuis longtemps une exonération de TVA en faveur des prestations d'enseignement et des prestations qui y sont étroitement liées, ce qui est le cas de son activité de correction de copies d'examens blancs et d'oraux blancs.

Pour autant, la réponse ministérielle de 1979 dont elle fait état porte sur l'assujettissement à la TVA des établissements privés qui dispensent un enseignement scolaire ou universitaire, et non les activités 'accessoires' à ces prestations, de sorte qu'il ne pouvait en être déduit que les activités de correction de copies d'examens blancs et d'oraux blancs bénéficiaient de cette exonération.

La société Cours Valin fait aussi état d'une réponse ministérielle du 25 juillet 2002 indiquant que 'la mesure d'exonération de TVA s'applique... non seulement aux opérations d'enseignement à distance proprement dites mais encore aux prestations de services... qui leur sont étroitement liées'. Cependant, la cour observe que cette réponse est intervenue à l'occasion d'une question quant à la disparité du taux de TVA applicable à l'édition classique et à l'édition en ligne, et vise en particulier la vente aux élèves de supports pédagogiques.

L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 mai 2014, s'il indique que les dispositions de l'article 261 du code général des impôts doivent être interprétées à la lumière de la Directive du 17 mai 1977, dont la société Cours Valin déduit qu'il est ainsi établi depuis cette directive que l'exonération de TVA profite aux prestations de services étroitement liées à l'éducation l'enseignement et la formation, est expressément cité par le courrier de la direction générale des finances publiques du 18 décembre 2018 adressé à la société Cours Valin comme étayant la réponse apportée.

Le fait pour cette administration de se fonder sur cet arrêt pour indiquer que les activités accessoires de correction de copies et d'oraux d'examens blancs dispensées par la société Cours Valin pouvaient bénéficier de cette exonération permet d'en déduire que l'exonération pour ces activités n'était, avant cet arrêt et aux yeux de l'administration, pas acquise.

Par ailleurs, l'article 120-3 du plan comptable général prévoit que la comptabilité est établie sur la base d'appréciations prudentes, et l'obligation de conseil consiste notamment en un devoir de prudence.

En conséquence, l'assujettissement des prestations de la société Cours Valin à la TVA jusqu'à l'arrêt du 15 mai 2014 n'apparaît pas fautive.

Comme l'indique la société Fidexpertise dans ses conclusions, cet arrêt a établi avec certitude que les activités étroitement liées à l'enseignement pouvaient bénéficier du régime dérogatoire de TVA prévu par l'article 261-4-4° précité.

Dès lors, la société Fidexpertise devait se renseigner sur l'application du taux de TVA, et conseiller son client au mieux de ses intérêts sur l'application de cet article par l'administration fiscale aux activités étroitement liées aux activités d'enseignement, comme celle de correction de copies d'examens blancs et d'oraux blancs développée par la société Cours Valin.

Or, c'est la société Cours Valin qui a sollicité elle-même des éclaircissements à l'administration fiscale sur la possible dérogation à l'application de la TVA pour ces activités, et en a prévenu le 23 octobre 2017 la société Fidexpertise. Comme le jugement a relevé, celle-ci s'est, en réponse, limitée à lui communiquer un document fiscal de 2012.

Il n'est ainsi pas contestable que si la société Fidexpertise avait rempli son devoir d'information et de conseil, la société Cours Valin aurait pu profiter plus tôt de cette dérogation de TVA.

Si la société Fidexpertise soutient que l'assujettissement à l'impôt repose sur les clients de la société Cours Valin et est neutre pour celle-ci, l'application de la TVA entraîne mécaniquement une augmentation du prix de ses prestations qu'elle propose à ses clients, la rendant moins compétitive que la concurrence, et est de nature à lui faire perdre des marchés.

Au vu de ce qui précède, c'est à raison que le jugement a retenu que la société Fidexpertise avait manqué à son obligation de diligence et à son devoir de conseil, engageant ainsi sa responsabilité. Le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les préjudices de la société Cours Valin

Au titre de la perte de marge

Le jugement a retenu que seule devait être prise en compte la demande de la société Cours Valin au titre de l'année 2015, la jurisprudence permettant l'exonération de TVA étant acquise le 15 mai 2014 de sorte que la société Fidexpertise aurait dû en informer la société Cours Valin pour 2015, et l'administration fiscale ayant accepté la demande de restitution pour les années 2016 et 2017. Il a écarté la perte de marge qu'aurait subi la société Cours Valin, qui a souffert d'un manque de compétitivité illustré par l'augmentation de son chiffre d'affaires à partir de 2018 lorsqu'elle n'a plus facturé la TVA. Il a pris note de ce que la société Cours Valin n'invoquait pas la perte de chance de compétitivité, apprécié son manque de chiffre d'affaires en 2015 à 70.000 euros, dont il a déduit un manque de marge d'exploitation de 8.500 euros auquel il a condamné la société Fidexpertise.

Après avoir rappelé que tous ses clients sont des établissements exonérés de la TVA, et qu'en leur facturant une TVA qui n'était pas justifiée elle leur a prélevé plus que ce qui était dû et a minoré ainsi sa marge, la société Cours Valin fait état du quantum de son préjudice selon que l'arrêt de 2014 a un caractère novateur ou non. Dans ce dernier cas la société Cours Valin soutient qu'elle a perdu la chance de déposer une réclamation contentieuse au titre des années 2012 et 2013. Elle relève que le défaut de conseil de l'expert-comptable lui a fait perdre une chance de bénéficier d'un avantage fiscal, que dès qu'elle a eu connaissance de la mauvaise application de la TVA elle a déposé une réclamation contentieuse auprès de l'administration fiscale afin de solliciter un dégrèvement au titre des années non prescrites, de sorte qu'elle aurait ainsi procédé pour les années 2012 et 2013, et que la société Fidexpertise lui a fait perdre une chance à ce titre. Elle écarte l'argument de la forclusion avancée et souligne la forte probabilité de réussite de son action.

La société Fidexpertise écarte les demandes présentées au titre des années antérieures à l'arrêt de 2014 fixant le périmètre du régime exonératoire de la TVA, relève que la société Cours Valin a reçu un reversement pour les années 2016 et 2017 de l'administration fiscale, de sorte que seule l'année 2015 doit être retenue. Elle ajoute que seuls les clients de la société Cours Valin ont subi un préjudice en réglant une TVA indue, et que la TVA collectée ne peut être 'convertie' en une marge de la société Cours Valin. Elle rappelle que le préjudice doit être réparé dans son intégralité sans perte ni profit, souligne que la société Cours Valin a reconnu avoir conservé les sommes reversées par le Trésor Public pour les années 2016 et 2017 sans les reverser à ses clients, et a réalisé une économie au titre de la taxe sur les salaires. Elle demande subsidiairement la confirmation du jugement quant au préjudice, soit 8.500 euros.

***

Il a été constaté que la société Fidexpertise avait manqué à son devoir de conseil en laissant la société Cours Valin appliquer la TVA à ses activités qui en étaient exonérées, application entraînant un surcoût de ses prestations au regard de celles proposées par la concurrence, et affectant sa compétitivité.

La position de la direction des finances publiques quant au périmètre de l'exonération ayant été déterminée au vu de l'arrêt du 15 mai 2014, il sera considéré que l'assujettissement jusqu'alors de la société Cours Valin à la TVA ne révélait pas une faute de la société Fidexpertise, de sorte qu'il ne saurait être fait droit aux demandes relatives aux périodes antérieures (2012 et 2013), faute pour la société Cours Valin d'étabir que la position prise par les finances publiques au vu de l'arrêt du 15 Mai 2014 pouvait recevoir en application rétroactive.

La demande de dégrèvement présentée par la société Cours Valin au titre des années 2016 et 2017 ayant été accueillie par la direction des finances publiques pour un total de 161.427 euros (82.560 euros en 2016 et 78.867 euros en 2017), ces exercices ne peuvent donner lieu à indemnisation, ce que reconnaît la société Cours Valin.

Au vu de la date à laquelle a été prononcé l'arrêt du 15 mai 2014, du devoir de conseil reposant sur la société Fidexpertise, et les déclarations de TVA étant effectuées mensuellement, c'est à compter de cet arrêt que les déclarations fiscales auraient dû être renseignées en tenant compte de l'exonération de TVA.

L'article R196-1 du Livre des procédures fiscales indique que 'pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas :...

b) Du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ;' ...

Aussi, si la société Fidexpertise avait informé immédiatement de l'exonération de TVA de ses activités la société Cours Valin, celle-ci pouvait présenter une réclamation contentieuse à son centre des impôts pour obtenir un dégrèvement à compter du 16 mai 2014, comme elle l'a fait le 23 octobre 2018 soit une année après avoir appris la possibilité d'être dispensée de TVA (le 23 octobre 2017).

La société Cours Valin fait état, au titre des paiements de TVA de l'année 2014, de la somme de 79.648 euros, et la cour observe que ce montant, s'il n'est pas justifié par les pièces versées, n'est pas contesté par la société Fidexpertise qui disposait des éléments pour le contrôler.

Cette demande doit être ramenée à 49.780 euros (79.648 : 24 x 15), l'exercice allant du 15 mai au 31 décembre 2014.

Elle sollicite au titre des paiements de TVA de l'année 2015, la somme de 84.598 euros.

La réparation du préjudice doit replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit. Le préjudice résultant d'une faute civile doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit.

Si la société Cours Valin soutient que le montant de son préjudice du fait de la carence de la société Fidexpertise à son devoir de conseil est égal à l'écart entre la TVA collectée et l'exonération de TVA, le paiement de ce surplus de TVA a été supporté non par la société Cours Valin, mais par ses clients. La somme de 134.378 euros (soit 49.780 euros pour 2014 et 84.598 euros pour 2015) correspond au paiement d'un impôt non dû, dont les clients de la société Cours Valin se sont acquittés.

Au vu de ce seul élément, la société Cours Valin n'est pas recevable à solliciter la restitution de l'intégralité de la TVA qu'elle a trop-versée, en l'assimilant à une marge dont elle aurait été privée.

Pour autant, la société Cours Valin a été privée de la possibilité, si elle avait été informée de cette exonération de TVA, d'appliquer une marge plus importante que celle pratiquée, ce qui est la conséquence du manquement de la société Fidexpertise. Il ne fait pas doute qu'elle a été contrainte de réduire ses marges à raison de l'application d'une TVA indue, afin de s'aligner sur la concurrence.

Selon les documents comptables versés par la société Fidexpertise, le chiffre d'affaires de la société Cours Valin a considérablement augmenté entre 2017 (paiement de TVA) et 2018 (non paiement de TVA), passant de 546.395 euros à 663.949 euros, et son résultat d'exploitation est passé de 21.823 euros à 82.233 euros.

La cour observe à cet égard que la différence entre ces résultats d'exploitation est inférieure à la somme sollicitée par la société Cours Valin au titre de la marge de l'année 2015.

La société Cours Valin a reconnu qu'elle n'avait pas versé à ses clients le reversement obtenu du Trésor Public au titre des années 2016 et 2017, et ne soutient pas envisager de le faire pour les exercices 2014 et 2015. Il convient aussi de considérer que la société Cours Valin aurait dû s'acquitter d'une imposition sur ses revenus supplémentaires si elle avait fait application d'une marge supérieure à celle pratiquée entre le 16 mai 2014 et la fin de l'année 2015.

La cour, considérant que le chiffre d'affaires de la société Cours Valin aurait été augmenté en 2014 et 2015 si le paiement de la TVA n'avait pas été supporté, dans les mêmes proportions qu'entre 2017 et 2018 (soit 21,51%), retiendra que les chiffres d'affaires atteints auraient été de 662.447 euros en 2014 (chiffre atteint : 593.748 euros) et de 721.490 euros en 2015 (chiffre atteint : 545.159 euros).

Le manque de chiffre d'affaires aurait ainsi été 68.699 euros en 2014 et de 176.331 euros en 2015.

Appliquant le taux retenu par le jugement (manque de chiffre d'affaires en 2015 de 70.000 euros / manque de marge d'exploitation de 8.500 euros), la cour retiendra que la société Cours Valin a subi un manque de marge de 5.202 euros du 16 mai au 31 décembre 2014 et de 21.412 euros en 2015, soit la somme de 26.614 euros.

Le jugement sera réformé sur ce montant.

Au titre de l'appauvrissement patrimonial

Le jugement n'a pas fait droit à cette demande, retenant que la société Cours Valin n'établissait pas de façon certaine avoir perdu de la marge, ni que cette perte était de 25.000 euros par an, soit 125.000 euros.

La société Cours Valin sollicite aussi l'indemnisation de son préjudice au titre de son appauvrissement patrimonial en faisant état de sa marge moyenne (12,2%) et de celle qui aurait dû être (32,2%). Elle en déduit des pertes cumulées sur 5 années à hauteur de 71.238 euros, justifiant après imposition qu'elle sollicite à ce titre les 2/3, soit 47.500 euros.

La société Fidexpertise écarte tout appauvrissement patrimonial, ce préjudice n'étant selon elle pas établi, l'application ou non de la TVA n'ayant pas d'impact significatif sur la marge bénéficiaire de la société Cours Valin. Elle relève que la société Cours Valin, qui n'a pas produit ses comptes 2019 et 2020, ne rapporte pas la preuve de son appauvrissement patrimonial.

***

Il a été précédemment vu que le paiement d'un surplus de TVA, supporté par les clients de la société Cours Valin et non par elle-même, ne pouvait être assimilé à une marge dont elle aurait été privée.

La société Cours Valin ne peut davantage se fonder sur ces versements au profit du Trésor Public pour les assimiler à des pertes de résultat cumulé.

Par ailleurs, la société Fidexpertise observe que la marge pratiquée par la société Cours Valin au cours des années 2015 à 2018 évolue entre 7 et 10%, l'expliquant par le fait que le chiffre d'affaires réalisé et les charges d'exploitation dépendent surtout de l'emploi de personnels salariés employés à la correction des examens, et que l'application du régime exonératoire de TVA a privé la société Cours Valin de déduire la TVA sur les achats, et la société Cours Valin n'a pas présenté d'observation en réponse sur ces points.

De plus, elle ne justifie pas de ses comptes 2019 et 2020 qui auraient permis d'apprécier la réalité de l'appauvrissement patrimonial qu'elle invoque.

Aussi, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Cours Valin de cette demande.

Sur le préjudice d'image

La société Cours Valin indique qu'elle a appliqué pendant près de 20 ans sur les conseils de la société Fidexpertise un régime fiscal erroné qui lui était préjudiciable, et que ce sont ses propres clients qui l'ont informée que ses concurrents pratiquaient différemment.

La société Fidexpertise soutient que la société Cours Valin ne justifie pas d'un tel préjudice, ni une déperdition de son chiffre d'affaires. Elle ajoute que le montant de son préjudice n'est pas établi, et qu'il en est de même du détournement de ses clients.

***

Si l'image de la société Cours Valin auprès de ses clients a pu pâtir de l'application d'un régime de TVA alors que l'activité de correction de copies et d'oraux blancs en était exonérée, elle ne verse pas de pièce faisant état de la dégradation de son image, ou de plainte de clients.

Elle ne justifie pas davantage avoir perdu des clients à la suite de la révélation de cette application erronée de TVA et, si elle affirme que ce sont ses clients qui l'ont informée que ses activités n'étaient pas soumises à TVA, elle ne le démontre pas par la production de pièces.

En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté la société Cours Valin de sa demande à ce titre.

Sur les autres demandes

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné la société Fidexpertise au titre des dépens et frais irrépétibles.

La société Fidexpertise sera également condamnée au paiement des dépens d'appel, ainsi qu'au versement d'une somme de 5.000 euros à la société Cours Valin sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement, sauf en ce qu'il a condamné la société Fiducial expertise au paiement de 8500 euros à la société Cours privé Valin au titre de sa demande de paiement de TVA pour les années 2013 à 2017, et l'infirme sur ce point,

Statuant à nouveau,

Condamne la société Fidexpertise au paiement à la société Cours privé Valin de la somme de 26.614 euros, à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour un trop-versé de TVA entre le 15 mai 2014 et le 31 décembre 2015,

y ajoutant,

Déboute les parties de leurs autres demandes,

Condamne la société Fidexpertise au paiement d'une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Fidexpertise aux entiers dépens au titre de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur François THOMAS, Président et par Madame GERARD Patricia, Faisant Fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le f.f. greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 12e chambre
Numéro d'arrêt : 20/05378
Date de la décision : 09/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-09;20.05378 ?
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