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08/06/2022 | FRANCE | N°19/03789

France | France, Cour d'appel de Versailles, 17e chambre, 08 juin 2022, 19/03789


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 80A



17e chambre



ARRÊT N°



CONTRADICTOIRE



DU 8 JUIN 2022



N° RG 19/03789

N° Portalis DBV3-V-B7D-TQFQ



AFFAIRE :



[H] [M]



C/



SASU COGENT COMMUNICATIONS FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 15/01993



Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Xavier VAN GEIT



Me Sophie CAUBEL



Copie numérique adressée à :



Pôle Emploi







le :





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 8 JUIN 2022

N° RG 19/03789

N° Portalis DBV3-V-B7D-TQFQ

AFFAIRE :

[H] [M]

C/

SASU COGENT COMMUNICATIONS FRANCE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 juillet 2019 par le Conseil de Prud'hommes Formation paritaire de NANTERRE

Section : E

N° RG : F 15/01993

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Xavier VAN GEIT

Me Sophie CAUBEL

Copie numérique adressée à :

Pôle Emploi

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE HUIT JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [H] [M]

né le 28 juin 1964 à [Localité 5] (Cameroun)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Xavier VAN GEIT, Plaidant/ Constitué avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0377

APPELANT

****************

SASU COGENT COMMUNICATIONS FRANCE

N° SIRET : 429 165 541

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentant : Me Sophie CAUBEL, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE, vestiaire : 472

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 10 juillet 2019, le conseil de prud'hommes de Nanterre (section encadrement) a :

- dit que l'avertissement notifié à M. [H] [M] le 10 février 2015 est valable,

- dit que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [M] de sa demande de dommages et intérêts pour perte de chance de lever les stocks options,

- condamné la société Cogent à rembourser à M. [M] la somme de 540 euros, correspondant aux frais de visa,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté M. [M] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] aux entiers dépens.

Par déclaration adressée au greffe le 16 octobre 2019, M. [M] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 25 janvier 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 9 janvier 2020, M. [M] demande à la cour de :

- le recevoir en appel,

- le dire bien fondé,

y faisant droit,

- confirmer le jugement rendu le 10 juillet 2019 par le conseil de prud'hommes de Nanterre en ce qu'il a condamné la société Cogent Communications France à lui payer la somme de 540 euros à titre de remboursement des frais de visa engagés par lui,

- l'infirmer pour le surplus,

statuant à nouveau,

- dire nul et de nul effet l'avertissement notifié le 15 juillet 2014,

- dire sans cause réelle et sérieuse le licenciement notifié le 10 février 2015,

en conséquence,

- condamner la société Cogent Communications France à lui payer les sommes suivantes :

.127 282,32 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 4 836,43 euros à titre de dommages et intérêts pour perte de chance de lever les stocks options,

- assortir les condamnations de l'intérêt au taux légal à compter de la date de réception par la société défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation,

- condamner la société Cogent Communications France à lui payer la somme 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Cogent Communications France aux entiers dépens.

Par dernières conclusions remises au greffe le 8 avril 2020, la société Cogent Communications France demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

- débouter en conséquence M. [M] de l'intégralité de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner M. [M] à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [M] aux entiers dépens.

LA COUR,

M. [H] [M] a été engagé par la société Cogent Communications France, en qualité d'ingénieur commercial avant-vente, par contrat de travail à durée indéterminée du 3 janvier 2013.

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective des télécommunications.

M. [M] percevait une rémunération brute mensuelle de base de 5 000 euros, outre une rémunération variable.

L'effectif de la société était de plus de 10 salariés.

Par lettre du 15 juillet 2014, M. [M] a reçu un avertissement sanctionnant une altercation survenue avec une collègue commerciale le 20 mai 2014, alors qu'il lui avait été signalé à plusieurs reprises que son comportement à l'égard du service commercial n'était pas adapté.

Par lettre du 26 janvier 2015, M. [M] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un éventuel licenciement, fixé le 4 février 2015.

Il a été licencié par lettre du 10 février 2015 pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants:

« 

(')

Vous occupez, depuis le 3 Janvier 2012, le poste d'ingénieur des ventes en France en charge des demandes clients et des prospects qui vous sont adressées par l'équipe des ventes.

Dans le cadre de vos fonctions, vous devez travailler en étroite collaboration avec l'ensemble de l'équipe commerciale et votre supérieur hiérarchique direct, M. [P] [J].

Or, nous avons malheureusement constaté et déploré la persistance d'un comportement incompatible avec un travail d'équipe serein et ne nous permettant pas la poursuite de notre relation contractuelle.

Ainsi, chaque fois qu'une critique ou reproche est faite vous montrez le mépris et l'ennui, entrez dans des explications curieuses ou des excuses inappropriées.

Lorsqu'une demande explicite vous est adressée soit vous l'ignorer soit vous l'amoindrissez.

Votre comportement est tel que les commerciaux de l'équipe expriment les plus grandes difficultés à travailler avec vous.

Vous avez eu l'air étonné d'un tel fait expliquant que dans les 6 mois de votre arrivée vous aviez fait le tour des commerciaux pour voir comment fonctionner avec eux, opération réitérée en 2013 sans que la moindre remarque ne vous ai été faite. Fin 2014, vous admettez ne pas avoir pu faire à nouveau le point avec eux.

Pourtant la difficulté à travailler avec l'équipe est un fait et s'est révélée sur plusieurs dossiers.

S'agissant des règles élémentaires de discipline, vous prenez des libertés quant à vos horaires de travail, en particulier s'agissant de vos arrivées tardives au bureau sans même en informer et en justifier auprès de votre supérieur hiérarchique.

Ne serait-ce que pour la deuxième partie de l'année 2014 vous êtes arrivé avec plusieurs heures de retard notamment les 5 août, 12 décembre, 17 décembre, 22 décembre et le 24 décembre et le 8 janvier 2015.

Le 11 décembre vous informez par courriel votre superviseur de votre décision de travailler de votre domicile le 12 décembre matin afin de vous rendre directement au repas de fin d'année de la société qui se tient à [Localité 6]. Vous n'avez pas jugé nécessaire de recueillir le consentement de votre supérieur au préalable.

Ces retards et aléas quant à votre présence au bureau ont des répercussions sur le reste de l'équipe. En effet, le planning de travail et les projets en cours auxquels vous participez en est perturbé et bien souvent en dernière minute.

Lorsque le reproche vous est fait vous adoptez une réaction inadaptée et semblez à chaque fois outré par le contrôle ainsi exercé par votre supérieur hiérarchique.

Pour seule réponse, face à ce grief, vous ne contestez pas les faits mais rétorquez que vous travaillez quand vous le souhaitez et si l'activité le commande sans compter votre temps, par ailleurs vous considérez que vous n'êtes pas soumis contractuellement à des horaires. Vous ne voyez par conséquent pas le problème.

Pourtant, le travail en équipe requis par vos fonctions exige néanmoins de la discipline dans la gestion de vos horaires de travail qui ne peut se limiter à la simple information à posteriori ou concomitante de vos absences ou retards mais suppose à tout le moins l'accord préalable de votre hiérarchie.

Un incident est encore survenu le 17 décembre dernier. Ce jour-là, non seulement vous étiez encore en retard, mais pire encore, votre comportement à votre arrivée dans le bureau était des plus inappropriés puisque vous avez sur un ton agressif demandé individuellement à vos collègues de l'équipe des ventes les pressant instamment de vous dire lequel d'entre eux avait contacté votre supérieur hiérarchique pour savoir où vous étiez. Vous avez été menaçant à leur encontre.

Sur cet incident vous ne contestez pas avoir contacté vos collègues mais prétendez que, dans la mesure où vous aviez fait le point et aucun dossier n'était en suspend, vous n'y voyiez encore pas de problème.

Il est évident qu'un tel comportement n'est plus acceptable outre le fait qu'à l'évidence vous n'entendez pas vous soumettre aux règles collectives en vigueur dans l'entreprise.

S'agissant ensuite de la gestion de vos comptes, il n'est pas contesté que vous avez les compétences techniques et commerciales que requiert votre poste. Cependant, l'état d'esprit dans lequel vous travaillez n'est là aussi pas acceptable. En effet, vous montrez fréquemment dédain et mépris, et refusez d'exécuter des instructions précises et spécifiques de votre direction, comme ce fut le cas avec le projet du client Odigeo.

Vous avez le plus grand mal à accepter les instructions de votre superviseur. Vos réponses à ses demandes sont sèches, péremptoires et révèent votre refus de vous soumettre à son autorité.

Ainsi, lorsque votre superviseur vous a demandé de recontacter le client Odigeo avec des éclaircissements sur certains points techniques, vous lui avez répondu que puisqu'il avait les coordonnées du client il n'avait qu'à le faire lui-même.

Cet incident a nécessité l'intervention du directeur de l'ingénierie des ventes, M. [V] [X] pour vous ramener à la raison et vous demander d'effectuer le travail demandé.

En Octobre dernier, dans le cadre de la commande pour le client Skylink, votre collègue allemand, [L] [A] a été chargé d'aider ce client en urgence car vous étiez vous-mêmes occupé par un autre projet. Lorsque que votre collègue vous a demandé de reprendre et terminer ce dossier lui-même étant pris par ces propres projets, vous avez refusé et lui avez dit que puisqu'il avait commencé il n'avait qu'à terminer.

Chaque ingénieur a en charge une équipe de vente particulière, votre responsabilité était donc de reprendre ce dossier ce que vous n'avez pas fait mettant votre collègue dans une situation difficile.

Plus récemment, avec le client Arthium, vous avez placé votre collègue de travail Mme [R] (Account Manager) dans une position difficile en émettant des doutes devant le client sur les compétences techniques de cette dernière. Arthium envisageait de signer un contrat avec Cogent, qui nécessitait au préalable que de paramètres techniques soient analysés et approuvés.

Votre collègue a été mise dans une situation qu'elle a pu vivre comme humiliante.

Sur ce reproche, vous vous êtes contenté d'indiquer qu'il y avait eu méprise et incompréhension de la part de votre collègue ; que le problème venait en réalité de la Société qui avait déjà facturé au client un service non opérationnel.

Votre explication ne peut nous satisfaire dans la mesure où quel que soit les difficultés techniques sur les dossiers dont vous avez la charge, vous devez rester professionnel courtois et respectueux avec vos collègues.

Par ailleurs, d'une manière générale, vous rechignez à aller jusqu'au bout des investigations techniques nécessaires à l'établissement de nos propositions commerciales aux clients et il nous faut vous demandez plusieurs fois avant que vous ne daigniez finalement appeler un client afin de clarifier les détails techniques pertinents.

A titre d'illustration nous pouvons revenir sur votre façon de travailler avec l'équipe des ventes constatée dans le traitement du compte de Djibouti Telecom. Il a fallu deux jours et un total de cinq demandes par courriel du directeur des ventes, M. [E], avant que vous ne consentiez à téléphoner au client. Votre agressivité et grossièreté s'exprime également à l'égard de certains clients comme avec Djibouti Telecom, au téléphone le 14 décembre dernier.

Sur ces griefs vous indiquez ne pas partager le point de vue de la société et considérez que tout est normal.

Vous ne semblez pas comprendre que votre mission consiste précisément à préparer, dans le détail, le travail de l'équipe des ventes en leur apportant toutes les informations techniques détaillées nécessaires à toute proposition commerciale.

Dans le fond, vous refusez systématiquement toute instruction avec laquelle vous n'êtes pas d'accord.

L'ensemble caractérise une insubordination incompatible avec la poursuite des relations contractuelles.

S'agissant de vos relations avec vos collègues force est de constater que vous êtes peu coopératif, grossier, et belliqueux, attitude totalement incompatible avec le bon fonctionnement de l'équipe.

La conséquence de votre absence de coopération en bonne intelligence est que les responsables de compte qui ne parviennent pas à travailler en partenariat avec vous en sont venus à se tourner vers d'autres ingénieurs de vente dans d'autres pays lesquels se montrent plus disponibles pour répondre à leurs questions.

Ainsi par exemple, le 23 Décembre, M. [E] a dû solliciter la participation de Mr [L]

[A] pour une conférence téléphonique le même jour dans le cadre d'une opportunité commerciale en Turquie pour le client Médianova, vous avez mis en cause le sérieux du client de Madame [U]. Une telle attitude décourage les responsables de compte, de travailler avec vous. De plus, cela entraîne une désorganisation au sein de votre propre groupe et place Mr [A] et Mr. [J] dans une position délicate

Vous prétendez ne pas être un « consultant » alors que précisément votre rôle est d'intervenir entre le client et le responsable de compte en particulier sur des questions techniques pour faire émerger la solution technique adéquate et permettre l'établissement des propositions commerciales. En cela vous agissez bien en qualité de « consultant interne » devant apporter un support technique d'aide à la vente.

Vous ne semblez manifestement pas vouloir comprendre cette dimension de vos fonctions ce qui est inquiétant.

S'agissant de votre agressivité et grossièreté à l'égard de vos collègues, déjà en Juillet, nous vous avions notifié un avertissement consécutivement à une altercation verbale avec un de vos collègues; la violence était telle que deux de vos collègues avaient dû intervenir pour vous ramener à la raison.

En cette occasion déjà, nous observions que votre comportement envers vos collègues n'était pas nouveau et vous demandions de revenir à la raison.

Depuis il est clair que vous continuez dans cette direction et agissez toujours avec dédain et mépris pour ces derniers, ce qui est vécu comme humiliant.

Récemment vos discussions avec votre collègue Madame [U] en attestent. Dans le cas du dossier [T], le ton de votre e-mail et faussement irriter visait à la faire passer pour une «idiote» et de la rabaisser aux yeux de ses supérieurs en mettant en copie d'autres membres de l'équipe.

En tant que ingénieur des ventes, il est attendu de vous que vous fassiez preuve de pédagogie dans vos explications ce qui en l'espèce était loin d'être le cas ; vos explications n'ayant pas été des plus limpides.

Vos entretiens d'évaluation ont souligné cet aspect et clairement vous ne considérez pas ce point comme un impératif d'amélioration.

Votre attitude et comportement sont ingérables et vous agissez paradoxalement comme si vous étiez employé comme un « prestataire technique externe » alors que vous êtes lié par les règles de la vie en entreprise et à la discipline, dimension que vous ne souhaitez pas intégrer.

Pour preuve récente de ce comportement, alors que vous deviez vous rendre à Orlando pour la réunion annuelle des ventes les 8 et 9 Janvier dernier, vous avez entamé vos démarches de demande de visa trop tard pour l'obtenir dans les temps ce qui a entrainé l'annulation de votre déplacement à Orlando. Dans un même temps, vous avez contacté l'agence de voyage afin de demander un changement de billet voire son annulation et ce sans passer par la personne en charge au sein de la société, ce qui a causé un surcoût pour la société. Cet exemple est emblématique de la grande liberté avec la vie de l'entreprise. Cette réunion à Orlando était prévue de longue date, elle est annuelle si bien qu'elle n'avait aucun caractère exceptionnel pour vous, il vous appartenait en conséquence de vous organiser pour vous permettre d'y participer.

Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous notifions par la présente votre licenciement. Votre préavis de 3 mois commencera à courir à première présentation de la présente. Nous vous en dispensons expressément d'exécution vous serez néanmoins rémunéré aux échéances habituelles de paie. ».

Le 3 juillet 2015, M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre aux fins d'annuler l'avertissement du 15 juillet 2014, dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse, et obtenir le paiement de diverses sommes de nature indemnitaire.

Sur l'avertissement du 15 juillet 2014 :

La société ne conteste pas qu'en l'état du droit alors en vigueur, employant entre 20 et 49 salariés elle était soumise à l'obligation d'établissement d'un règlement intérieur et qu'elle n'en avait pas établi.

A juste titre, le salarié fait valoir qu'une sanction disciplinaire autre que le licenciement ne peut être prononcée contre un salarié par un employeur employant au moins vingt salariés que si elle est prévue par un règlement intérieur.

Il convient donc, infirmant le jugement, d'annuler l'avertissement du 15 juillet 2014.

Sur le licenciement :

Le salarié conteste l'ensemble des faits qui lui sont reprochés, souligne qu'il s'agit de griefs subjectifs et ajoute que les attestations versées au débat, qui n'émanent d'ailleurs pas des personnes prétendument concernées, ne font référence à aucun fait précis ou daté ce qui ne permet pas de s'assurer qu'ils ne sont pas prescrits.

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, énonce des reproches qui peuvent être regroupés ainsi :

- comportement incompatible avec un travail d'équipe serein, peu coopératif et méprisant,

- non-respect des horaires de travail et des règles internes à l'entreprise,

- refus d'accepter les instructions et d'aller au bout des investigations techniques.

Sur le comportement du salarié

M. [B], ingénieur, témoigne (pièce E n°23) que son poste de travail est installé à proximité de celui du salarié. Il relate en détail l'incident qui a opposé le salarié à sa collègue

Mme [Y] le 20 mai 2014 au cours duquel M. [M] debout à côté de sa collègue qui était assise lui parlait de manière très brutale. Il précise qu'il travaillait très peu avec M. [M] mais a été cependant témoin d'autres altercations, moins violentes, mais pour autant perturbantes.

M. [E], directeur commercial, (E n°24) relate que le salarié était compétent mais avait une attitude hautaine, voire même agressive, que son comportement était différent selon que son interlocuteur était un homme ou une femme et qu'en conséquence les requêtes des femmes ne lui étaient pas adressées. Il ajoute que lors des échanges le salarié pouvait être agressif, qu'il avait besoin d'une reconnaissance permanente de son travail, qu'il ne prenait jamais de note et était très rigide, qu'il n'aimait pas répondre à chaud à des appels des clients par téléphone alors que c'est le quotidien de la société.

M. [F], directeur du développement, (E n°25) indique qu'il occupe un bureau fermé et vitré au milieu du plateau ouvert open space à proximité de celui du salarié. Il atteste avoir été témoin de multiples altercations verbales entre le salarié et des membres de l'équipe commerciale, surtout avec des femmes. Lui aussi décrit l'incident du 20 mai 2014. Il précise que ce n'était pas la première fois que le salarié manquait de « maturité dans ses relations avec ses collègues et que cela rendait sa présence dans l'entreprise difficile ». Il ajoute qu'après cet incident le comportement hautain et méprisant du salarié vis-à-vis de ses collègues, notamment féminines du salarié ne s'est pas amélioré.

Il doit tout d'abord être constaté que le comportement agressif et arrogant en particulier avec ses collègues féminines n'est pas mentionné dans la lettre de licenciement, seul son comportement à l'égard de ses collègues lui étant reproché.

Ensuite, l'avertissement du 15 juillet 2014 ayant sanctionné l'incident du 20 mai 2014, l'employeur a épuisé son pouvoir disciplinaire à l'égard de ces faits.

Enfin, les trois témoignages soumis au débat sont trop imprécis pour établir que le comportement reproché s'est poursuivi après le 20 mai 2014 et en tous les cas pendant la période non prescrite laquelle s'étendait du 26 novembre 2014 au 26 janvier 2015.

Ces faits ne sont pas établis.

Sur le non-respect des horaires et des règles internes à l'entreprise

S'agissant des cinq arrivées tardives le matin qui lui sont reprochées, le salarié est bien fondé à soutenir que le caractère tardif n'est pas précisé et est subjectif, et que, bénéficiaire d'une convention de forfait jours en qualité de cadre autonome, il n'était pas soumis à des horaires collectifs. Ce fait n'est pas établi.

S'agissant de la réunion à Orlando prévu les 8 et 9 janvier 2015, alors que le salarié ne démontre pas avoir sollicité l'employeur avant cette date, le courrier rédigé par la société Cogent le 24 décembre pour appuyer la demande de visa (S n°41) établit que ce n'est qu'à cette date que le salarié s'en est préoccupé.

Quand bien même le décès du frère du salarié survenu le 27 décembre 2014 a finalement perturbé l'organisation du voyage, l'employeur est fondé à reprocher au salarié de ne s'être préoccupé, pour un voyage prévu de longue date, de l'obtention d'un visa que le 24 décembre 2014. Ce fait est établi.

Sur le refus d'accepter les instructions et d'aller au bout des investigations techniques

Il n'est pas discuté que le salarié en sa qualité d'ingénieur avant-vente avait pour mission de soutenir l'équipe commerciale en répondant aux questions techniques des commerciaux et aux besoins des clients auxquels il devait proposer toute solution technique.

A l'issue de l'entretien d'évaluation (E n°15) finalisé le 4 décembre 2014 le supérieur hiérarchique a conclu «  [H] joue un rôle très important dans l'organisation des ventes grâce à sa connaissance des produits/ technologies convaincants. Il a un grand potentiel de croissance. Il doit faire preuve de plus de diplomatie envers l'équipe de ventes et dans l'amélioration de la coordination et des relations internes, ce qui l'aidera à améliorer son rôle et à libérer son grand potentiel ».

Cette conclusion, quoiqu'en dise le salarié, met certes en valeur ses capacités techniques mais attire aussi son attention sur l'existence de difficultés relationnelles.

D'ailleurs, dans le détail de son évaluation le notateur a mentionné qu'il devait améliorer ses relations avec l'ensemble de l'équipe de vente et travailler sur les commentaires qu'il fait aux autres.

A titre d'exemple, l'employeur fait état des dossiers Skylink et Odigeo, traités au mois d'octobre 2014 et qui sont donc atteints par la prescription.

Le dossier Djibouti Télécom a été traité au mois de décembre 2014. Les échanges de mails démontrent que le directeur de développement a demandé le 4 décembre au salarié d'appeler le client, que celui-ci lui a répondu le 5 décembre qu'il venait de le faire et qu'il avait été convenu d'un processus avec le client.

L'employeur se prévaut aussi d'un mail émanant de M. [M] (E n°21) du 11 décembre 2014 adressé, avec les collègues en copie, à Mme [Z], commerciale, qui lui transmettait une question d'un client. Le mail était ainsi rédigé : « Si ce client recherche une solution pour ses infrastructures contre les attaques DDOS, encore et encore comme tu le sais déjà, tout ce que nous pouvons offrir est notre BHS et cela n'est pas prêt de changer. Je t'ai déjà répondu à une demande similaire aussi bien en français et en anglais t'expliquant comment BHS fonctionne ».

Ces mails envoyés par le salarié au mois de décembre 2014, que l'employeur qualifie d'agacés, étant sortis de leur contexte, s'ils ne sont pas cordiaux ne caractérisent pas un manque de diligence ou de respect de la part du salarié.

Ces faits ne sont pas établis.

Finalement le seul retard du salarié à solliciter l'obtention d'un visa pour aller aux Etats Unis ne justifie pas la mesure extrême que constitue un licenciement.

Il convient, infirmant le jugement, de dire le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

M. [M] qui, à la date du licenciement, comptait au moins deux ans d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés a droit, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, à une indemnité qui ne saurait être inférieure aux salaires bruts perçus au cours des six derniers mois précédant son licenciement.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 50 ans, de son ancienneté de 2 ans dans l'entreprise, du montant de la rémunération moyenne mensuelle d'environ 7 000 euros qui lui était versée, de son aptitude à retrouver un emploi eu égard à son expérience professionnelle, de ce qu'il justifie avoir perçu les allocations Pôle emploi jusqu'en février 2018 et ne donne aucune information sur sa situation professionnelle depuis cette date, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral subi, la somme de 50 000 euros.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il convient d'ordonner d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités.

Sur la perte de chance de lever des stocks-options :

Le salarié expose que lors de son embauche il s'est vu octroyer 192 stock-options dont la valeur d'achat proposée était de 25,03 $, qu'à la date de son licenciement il en avait acquis 110 et qu'il a perdu la chance d'acquérir les 82 restantes.

A juste titre l'employeur oppose que la perte de chance n'est pas établie, puisqu'en application du plan d'attribution des stock-options le salarié disposait d'un délai de 90 jours après la cessation de l'emploi pour exercer son option.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef.

Sur les intérêts :

La créance indemnitaire portera intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Sur la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile :

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [M] les frais par lui exposés non compris dans les dépens à hauteur de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

ANNULE l'avertissement du 15 juillet 2014,

DIT le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société Cogent Communications France à payer à M. [M] la somme de 50 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse avec intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,

ORDONNE d'office le remboursement par l'employeur, à l'organisme concerné, du montant des indemnités de chômage éventuellement servies au salarié du jour de son licenciement au jour du prononcé de l'arrêt dans la limite de 6 mois d'indemnités,

CONFIRME pour le surplus le jugement,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la société Cogent Communications France à payer à M. [M] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DÉBOUTE la société Cogent Communications France de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société Cogent Communications France aux dépens.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 17e chambre
Numéro d'arrêt : 19/03789
Date de la décision : 08/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-08;19.03789 ?
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