COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 89A
5e Chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 02 JUIN 2022
N° RG 21/02665 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UW4R
AFFAIRE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'AISNE
C/
S.A.S.U. [7]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 15 Juillet 2021 par le Pole social du TJ de NANTERRE
N° RG : 16/01750
Copies exécutoires délivrées à :
Me Mylène BARRERE
la SELARL [8]
Copies certifiées conformes délivrées à :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'AISNE
S.A.S.U. [7]
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DEUX JUIN DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE L'AISNE
[Adresse 3]
[Adresse 5]
[Localité 1]
représentée par Me Mylène BARRERE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D2104
APPELANTE
****************
S.A.S.U. [7]
[Adresse 2]
[Adresse 6]
[Localité 4]
représentée par Me Geneviève PIAT de la SELARL VAUBAN AVOCATS BEAUVAIS, avocat au barreau de BEAUVAIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 Mars 2022, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvia LE FISCHER, Président,
Madame Marie-Bénédicte JACQUET, Conseiller,
Madame Rose-May SPAZZOLA, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Dévi POUNIANDY,
EXPOSE DU LITIGE
Salarié de la société [7] (la société) en qualité de technicien de maintenance industrielle, M. [I] [B] (le salarié) a souscrit une déclaration de maladie professionnelle auprès de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne (la caisse) au titre du tableau 65 des maladies professionnelles accompagnée d'un certificat médical initial faisant état de 'lésions eczématiformes de mécanisme allergique'.
Par décision du 23 mars 2015, la caisse a refusé de prendre en charge la pathologie déclarée par le salarié au titre du risque professionnel pour un motif d'ordre administratif.
Le 24 juin 2015, le salarié a souscrit une nouvelle déclaration de maladie professionnelle sur la base d'un certificat médical initial du même jour, faisant état d'un 'eczéma de contact des mains rythmé par le travail. Test épi-cutanés positifs avec le produit 'OMYACARB 2-AV' contenant du propylène glycol et le dentifrice fabriqué (Dr [K]) allergologue'.
Par décision du 22 décembre 2015, la caisse a pris en charge la maladie déclarée par le salarié (lésions eczématiformes) inscrite au tableau 84 'affections engendrées par les solvants organiques liquides à usage professionnel '.
Après échec de sa contestation amiable, la société a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Hauts-de-Seine, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre.
Par jugement du 15 juillet 2021 (RG n°16/01750), le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre a :
- dit inopposable à la société la décision de la caisse du 22 décembre 2015 de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie professionnelle déclarée par le salarié le 24 juin 2015 ;
- a condamné la caisse aux dépens.
La caisse a interjeté appel du jugement et les parties ont été convoquées à l'audience du 23 mars 2022, date à laquelle elles ont comparu, représentées par leur avocat.
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la caisse demande à la cour :
- de constater que la pathologie du salarié remplit la condition du tableau n°84 tenant au délai de prise en charge;
- de confirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre le 15 juillet 2021 sur ce point ;
- de dire que le salarié était, dans le cadre de son activité professionnelle, exposé au risque prévu par le tableau n°84 des maladies professionnelles ;
- de dire que la présomption d'imputabilité s'applique pleinement ;
- de constater que l'employeur ne rapporte pas la preuve d'un état pathologique antérieur ou d'une cause totalement étrangère au travail ;
- par conséquent, d'infirmer le jugement rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre le 15 juillet 2021;
Et rejugeant,
- de déclarer opposable à l'employeur la décision de prise en charge de la maladie professionnelle du 24 juin 2015 déclarée par le salarié.
Pour l'essentiel, la caisse expose que les conditions du tableau 84 des maladies professionnelles relatives au délai de prise en charge de 15 jours et à l'exposition au risque sont remplies. Elle fait valoir que le port d'équipement de protection ne saurait remettre en cause la présomption d'imputabilité et qu'il appartient à l'employeur de rapporter la preuve d'un état pathologique antérieur ce qui n'est pas le cas.
Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, auxquelles il est renvoyé pour l'exposé complet des moyens et prétentions, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société demande à la cour :
- de dire la caisse recevable mais mal fondée en son appel ;
- de confirmer le jugement rendu le 15 juillet 2021 en ce qu'il a déclaré inopposable à son égard la décision de la caisse du 22 décembre 2015 de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels de la maladie professionnelle déclarée par le salarié le 24 juin 2015;
- de condamner la caisse aux entiers dépens.
Pour l'essentiel, la société fait valoir que les conditions du tableau 84 des maladies professionnelles afférentes au délai de prise en charge de 15 jours et à la liste limitative des travaux susceptibles de provoquer la maladie ne sont pas remplies. Elle soutient également que le salarié ne manipulait pas de solvants, la caisse ayant fondé sa décision de prise en charge sur la fiche de données sécurité, transmis par erreur par la société, d'un produit non utilisé dans l'atelier dentaire, l'OMYACARB, alors qu'elle utilise le produit OMYACARE S 100-AV qui n'est pas un solvant. Elle rappelle que le salarié portait des gants dans le cadre de ses fonctions.
Concernant les demandes formulées au titre de l'article 700 du code de procédure civile, la caisse demande le versement de la somme de 800 euros. L'employeur, quant à lui, demande le versement de la somme de 1 500 euros.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les conditions du tableau 84 des maladies professionnelles
Sur le délai de prise en charge
Selon l'article L. 461-1 aliénas 1 et 2 du code de la sécurité sociale, dans sa version applicable à la date de la déclaration de la maladie professionnelle, les dispositions du présent livre sont applicables aux maladies d'origine professionnelle sous réserve des dispositions du présent titre. En ce qui concerne les maladies professionnelles, la date à laquelle la victime est informée par un certificat médical du lien possible entre sa maladie et une activité professionnelle est assimilée à la date de l'accident.
Est présumée d'origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.
L'article D. 461-1-1 du même code dispose que pour l'application du dernier alinéa de l'article L. 461-2, la date de la première constatation médicale est la date à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi. Elle est fixée par le médecin conseil.
Enfin, aux termes de l'article L. 461-2, dernier alinéa, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2005-804 du 18 juillet 2005, à partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d'être exposé à l'action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.
Il résulte de ces textes, d'une part, que la première constatation médicale s'entend de toute manifestation de nature à révéler l'existence de la maladie, même si son identification n'est intervenue que postérieurement, d'autre part, que la première constatation médicale n'est pas soumise aux mêmes exigences de forme que le certificat médical initial accompagnant la déclaration et peut lui être antérieure.
Le tableau n°84 des maladies professionnelles : Affections engendrées par les solvants organiques liquides à usage professionnel : hydrocarbures liquides aliphatiques ou cycliques saturés ou insaturés et leurs mélanges ; hydrocarbures halogénés liquides ; dérivés nitrés des hydrocarbures aliphatiques ; alcools ; glycols, éthers de glycol ; cétones ; aldéhydes ; éthers aliphatiques et cycliques, dont le tétrahydrofurane ; esters ; diméthylformamide et dimétylacétamine ; acétonitrile et propionitrile ; pyridine ; diméthylsulfone et diméthylsulfoxyde vise, notamment, la maladie suivante en sa section A :
Désignation des maladies
Délai
de prise en charge
Liste limitative des travaux
susceptibles de provoquer ces maladies
- A -
Lésions eczématiformes récidivant en cas de nouvelle exposition au risque ou confirmées par un test épicutané.
15 jours
- A -
préparation, emploi, manipulation des solvants
En l'espèce, le salarié a déclaré deux maladies professionnelles, dont seule la deuxième 'eczéma de contact des mains rythmé par le travail', selon certificat médical initial du 24 juin 2015, est discutée comme ayant fait l'objet d'une décision de prise en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle.
La caisse a estimé, après enquête, que les conditions relatives à la désignation de la maladie 'lésions eczématiformes des mains' et aux travaux susceptibles de provoquer la maladie figurant dans le tableau n°84 A étaient remplies.
Il ressort de la fiche du colloque médico-administratif que le médecin-conseil de la caisse a fixé la date de première constatation médicale au 18 septembre 2014 sur la base du premier certificat médical initial.
L'avis favorable du médecin-conseil, fixé dans ces conditions, vaut justification de la date de première constatation médicale au 18 septembre 2014, étant précisé qu'il n'est pas contesté que cette date coïncide avec le début de l'arrêt de travail du salarié, étant rappelé que le délai de prise en charge est le délai maximal entre la constatation de la maladie et la date à laquelle le travailleur a cessé d'être exposé.
Par conséquent, la condition relative au délai de prise en charge de 15 jours, prescrite par le tableau n°84A des maladies professionnelles, est remplie et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur l'exposition au risque
Le tableau 84, en sa section A, énumère limitativement les travaux susceptibles de provoquer les lésions eczématiformes comme étant la 'préparation, emploi, manipulation des solvants' avec la liste des solvants concernés.
La société conteste l'exposition au risque considérant que la nature des travaux confiés au salarié ne correspond pas à la liste limitative des travaux énumérés dans le tableau 84.
Elle conteste également que le salarié ait été en contact avec des solvants.
L'enquête diligentée par la caisse a permis d'établir que le salarié, en sa qualité de technicien de maintenance intervient en préventif et en curatif sur un site qui fabrique et conditionne du shampooing et du dentifrice. Il est amené à démonter des tuyauteries 'bouchées', démonter et réparer des vannes acheminant les produits utilisés dans la fabrication du dentifrice et/ ou du shampooing, intervenir sur les installations en cas de panne.
Si la société met en avant une erreur dans la transmission de la fiche de données de sécurité du produit utilisé (OMYACARE S100-AV et non pas OMYACARB 2-AV), elle reconnaît dans ses conclusions que le salarié était exposé, à de faibles quantités selon elle, à du propylène glycol, contenu dans le produit OMYACARE S100-AV.
Il résulte des pièces soumises à la cour que le propylène glycol, figurant dans la liste des solvants du tableau 84 des maladies professionnelles, est utilisé comme agent d'aide au broyage dans la production de l'OMYACARE S100-AV, dans des proportions identiques à celles de l'OMYACARB 2-AV. Par conséquent l'erreur dans la transmission de la fiche de données de sécurité du produit n'a pas de conséquence sur la décision de prise en charge de la pathologie déclarée par le salarié.
En outre, le courrier du docteur [S] [Z] du 29 juin 2015 précise que le propylène glycol est 'connu comme sensibilisant et pouvant donner des eczémas allergiques (...). Cet eczéma chronique des mains nous parait donc pouvoir être rattaché au propane 1.2 diol devant le rythme professionnel clairement établi, le caractère à la fois irritatif et allergisant de cette substance'.
La cour relève que la liste limitative des travaux vise la 'préparation, emploi, manutention des solvants ' sans exiger une fréquence déterminée à cette exposition, ni de concentration spécifique des composants nocifs dans le produit.
L'employeur décrit bien l'emploi par son salarié de produits pouvant déclencher un eczéma que le port de gants, certes nécessaire et répondant à son obligation de sécurité, n'est pas à même d'éviter dans tous les cas. La société ne saurait donc mettre en avant le port de gant pour considérer que le salarié n'était pas exposé au risque.
Il résulte de tout ce qui précède que les conditions prescrites par le tableau n°84 susvisé sont remplies, de sorte que la caisse peut se prévaloir à juste titre du bénéfice de la présomption d'imputabilité prévue à l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.
La société ne démontre donc pas que la pathologie déclarée par le salarié trouve son origine dans une cause totalement étrangère au travail, de sorte que la décision de prise en charge de sa pathologie par la caisse au titre de la législation professionnelle lui est opposable.
Le jugement déféré sera dès lors infirmé sur ce point.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile
La société, qui succombe, sera condamnée aux dépens éventuellement exposés à compter du 1er janvier 2019 tant devant le tribunal judiciaire de Nanterre que devant la cour d'appel de céans.
Elle sera par ailleurs déboutée de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à la caisse la somme de 800 euros sur ce fondement.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe :
Infirme le jugement rendu le 15 juillet 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre sauf en ce qu'il a considéré que la condition relative au délai de prise en charge prévu au tableau 84 des maladies professionnelles était remplie ;
Statuant à nouveau
Dit que les conditions du tableau 84 des maladies professionnelles sont remplies ;
Déclare opposable à la société [7], la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne de prise en charge de la maladie professionnelle du 24 juin 2015 déclarée par M. [I] [B] ;
Condamne la société [7] aux dépens éventuellement exposés à compter du 1er janvier 2019 tant devant le tribunal judiciaire de Nanterre que devant la cour d'appel de céans ;
La déboute de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société [7] à payer à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Aisne une indemnité de 800 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvia LE FISCHER, Président, et par Madame Dévi POUNIANDY, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,