COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 MAI 2022
N° RG 19/02042 - N° Portalis DBV3-V-B7D-TFPC
AFFAIRE :
[W] [J] [Y]
C/
SAS MBDA FRANCE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 04 Avril 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE - BILLANCOURT
N° Section : Encadrement
N° RG : F16/00488
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Julie GOURION
la SCP FROMONT BRIENS
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [W] [J] [Y]
né le 18 Janvier 1953 à [Localité 5] (TUNISIE)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Julie GOURION,Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 51
Représentant : Me Elvis LEFEVRE, Plaidant, avocat au barreau de Versailles,
substitué à l'audience par Me Bénédicte DE GAUDRIC, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE
APPELANT
****************
SAS MBDA FRANCE
N° SIRET : 378 168 470
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627
Représentant : Me Jean-Sébastien CAPISANO de la SCP FROMONT BRIENS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0107 substitué à l'audience par Me Mohamed MATERI, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Isabelle MONTAGNE, Président, chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,
EXPOSE DU LITIGE
[W] [J] [Y] a été engagé par la société nationale industrielle aérospatiale, désormais la société Mbda France, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 6 octobre 1977 en qualité d'ingénieur.
En dernier lieu, il exerçait les fonctions d'ingénieur, catégorie cadre, position III B, indice 180, en référence aux dispositions de la convention collective nationale des ingénieurs et cadres de la métallurgie.
Par lettre datée du 13 mai 2013, l'employeur a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé et tenu le 21 mai suivant au cours duquel le salarié a été assisté par un délégué syndical, puis, par lettre datée du 27 mai 2013, l'employeur lui a notifié son licenciement pour cause réelle et sérieuse, en le dispensant d'exécution du préavis de six mois qui lui a été rémunéré.
Le 26 juillet 2013, les parties ont signé un protocole transactionnel.
Par lettre datée du 19 novembre 2013, le conseil du salarié a indiqué à l'employeur que sa famille venait de découvrir le licenciement et le protocole transactionnel le concernant et a invoqué l'état psychologique de celui-ci afin de rechercher une solution négociée.
Le 2 mars 2016, [W] [J] [Y] a saisi le conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt afin de faire prononcer la nullité de l'accord transactionnel et d'obtenir la condamnation de la société Mbda France à lui payer essentiellement diverses indemnités au titre du licenciement qu'il estime dénué de cause réelle et sérieuse et des heures supplémentaires.
Par jugement mis à disposition le 4 avril 2019, auquel il est renvoyé pour exposé de la procédure antérieure et des demandes des parties, les premiers juges ont :
- dit que l'accord transactionnel est valable,
- dit en conséquence que l'ensemble des demandes sont irrecevables et en a débouté [W] [J] [Y],
- débouté la société Mbda France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné [W] [J] [Y] aux dépens.
Le 2 mai 2019, [W] [J] [Y] a interjeté appel à l'encontre de ce jugement.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par le Réseau Privé Virtuel des Avocats (Rpva) le 16 janvier 2020, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, [W] [J] [Y] demande à la cour de réformer le jugement, et, statuant à nouveau, de :
- prononcer la nullité de l'accord transactionnel,
- juger que le licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Mbda France à lui verser les sommes suivantes :
* 235 584 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
* 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire,
* 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour nullité ou absence d'effet de la convention annuelle de forfait en jours,
* 39 264 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé,
* 73 844,64 euros au titre des heures supplémentaires,
* 7 384,46 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur heures supplémentaires,
* 29 382 euros à titre d'indemnité de repos compensateurs,
* 2 938,20 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés y afférents,
avec intérêts légaux à compter de l'acte introductif d'instance, et capitalisation,
* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure , et aux dépens qui pourront être recouvrés directement par maître Julie Gourion-Lévy, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- débouter la société Mbda France de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions remises au greffe et notifiées par le Rpva le18 octobre 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens, la société Mbda France demande à la cour de :
- à titre principal, juger que l'accord transactionnel est valable et que les demandes sont irrecevables,
- à titre subsidiaire, débouter l'appelant de l'intégralité de ses demandes,
- en tout état de cause, condamner celui-ci à 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux dépens recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Une ordonnance de clôture de la procédure est intervenue le 16 juin 2021.
Par arrêt du 13 octobre 2021, la présente cour a ordonné une médiation entre les parties.
Les parties n'étant pas parvenues à trouver un accord, l'affaire a été rappelée à l'audience de la cour du 29 mars 2022 au cours de laquelle les parties ont été informées de la mise en délibéré de la décision au 11 mai 2022.
MOTIVATION
Sur la validité de l'accord transactionnel
[W] [J] [Y] conclut à la nullité de l'accord transactionnel en faisant valoir que son consentement a été altéré au moment de la signature en raison de troubles psychologiques dont il est atteint et d'un 'état de choc émotionnel' qui ne lui permettait pas de prendre sa décision de manière consciente et éclairée, que l'accord transactionnel ne comporte pas de concessions réciproques et que la lettre de licenciement comporte une qualification du licenciement erronée.
La société Mbda France conclut à la validité de l'accord transactionnel et à l'irrecevabilité des demandes en relevant que l'appelant ne rapporte pas la preuve d'une altération de ses capacités mentales au jour de la signature de l'accord transactionnel, qu'il est prévu le versement d'une indemnité qui constitue une concession suffisante, que celui-ci a été signé plus de deux mois après le licenciement et que le licenciement ne présente pas de caractère manifestement abusif.
Il résulte des articles 2044 et suivants du code civil qu'une transaction qui est un contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître, a entre les parties l'autorité de la chose jugée en dernier ressort et ne peut être attaquée pour cause d'erreur de droit, ni pour cause de lésion mais qu'elle peut être annulée pour erreur dans la personne ou sur l'objet de la contestation et dans tous les cas où il y a dol ou violence.
En l'espèce, la lettre de licenciement notifiée au salarié le 27 mai 2013 mentionne une cause réelle et sérieuse de licenciement en invoquant la réitération de nombreuses absences en 2013 par demi-journées entières ou sur plusieurs heures en cours de journée pendant la plage commune de travail, ni prévenues, ni justifiées, ni régularisées, malgré une mise à pied disciplinaire notifiée le 20 juillet 2012 pour des faits similaires. Il s'ensuit que la lettre de licenciement est fondée sur un motif disciplinaire et non sur une insuffisance professionnelle comme le soutient le salarié, ce dont il s'ensuit que le motif de la lettre de licenciement n'est pas 'manifestement erroné'.
L'accord transactionnel signé le 26 juillet 2013 porte sur le différend lié à la rupture du contrat de travail du salarié et prévoit le versement d'une indemnité transactionnelle de 20 000 euros nets de côtisations et de contributions sociales au terme de son préavis le 30 novembre 2013 et que [W] [J] [Y] renonce en conséquence à toute demande, instance ou action à l'encontre de la société Mbda France. Il ne résulte pas de cet accord transactionnel qui comporte des concessions réciproques réelles entre les parties, un déséquilibre de nature à vicier la validité de l'accord.
Au soutien de son argumentation au titre de l'absence de consentement libre et éclairé à la signature de la transaction, le salarié produit :
- une lettre de [F] [Z], psychologue clinicienne chez Axis Mundi, responsable du programme d'aide aux employés de la société Mbda, intitulé 'espace bien-être au travail' non signée et datée du 26 novembre 2013 comportant une simple liste de rendez-vous tenus avec le salarié depuis 2010 ;
- un certificat établi par le docteur [N] [P], psychiatre, daté du 19 juin 2019, soit près de six ans après la signature de la transaction, indiquant que celui-ci 'présente un trouble Asperger avec altérations cognitives qui l'empêchent de gérer au quotidien ses affaires financières (entre autres)' ;
- un certificat établi par le docteur [E] [M], médecin généraliste, daté du 18 juillet 2016, soit trois ans après la signature de la transaction, mentionnant que le patient 'présente depuis l'année 2013, une fragilité psychique et émotionnelle', qu'il a été 'victime en décembre 2013 (sic) d'un licenciement qu'il estime injustifié et abusif, ce sentiment semble avoir provoqué chez lui un véritable séisme émotionnel et a abouti à des comportement aberrants et une désorganisation de sa personnalité, qui inquiètent le corps médical' ;
- un extrait du registre de main-courante des services de police dans le 16ème arrondissement de Paris du 16 juillet 2013 aux termes duquel [K] [Y] a indiqué que son mari est en déplacement professionnel et n'est pas disparu.
Les éléments et pièces produits par [W] [J] [Y] n'établissent pas qu'au moment de la signature de l'accord transactionnel le 26 juillet 2013, son consentement aurait été vicié.
[W] [J] [Y] sera par conséquent débouté de sa demande tendant à la nullité de l'accord transactionnel et consécutivement de ses demandes de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et licenciement vexatoire. Le jugement sera confirmé sur ces points.
Sur la validité et le bien-fondé de la convention annuelle de forfait en jours
Au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour nullité ou absence d'effet de la convention annuelle de forfait en jours, [W] [J] [Y] fait valoir que la société Mbda France n'a jamais établi de document de suivi, ni organisé d'entretien pour s'assurer que sa charge de travail était compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires et que l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle était respectée.
La société Mbda France réplique que le salarié ne s'est jamais plaint d'une charge de travail trop importante tout au long de l'exécution du contrat de travail et ne justifie d'aucun préjudice en lien avec l'absence prétendue d'entretiens annuels portant sur sa charge de travail et l'équilibre entre sa vie professionnelle et familiale et conclut au débouté de la demande de ce chef.
La société Mbda France ne justifiant pas de la tenue de l'entretien annuel individuel relatif à la charge de travail, prévu par les dispositions de l'article L. 3121-46 du code du travail, la convention de forfait est donc inopposable au salarié et non pas entachée de nullité.
Toutefois, s'agissant de la demande de dommages-intérêts formée à ce titre, [W] [J] [Y] ne fournit aucun élément permettant de justifier de l'existence d'un préjudice à ce titre.
Il convient donc de le débouter de sa demande de dommages et intérêts de ce chef et de confirmer le jugement sur ce point.
Sur les demandes au titre des heures supplémentaires et de l'indemnité de repos compensateur
Il résulte des dispositions combinées des articles L. 3171-4, L. 3171-2 alinéa 1er et L. 3171-3 du code du travail qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
Ne produisant aucune pièce au soutien de sa demande d'heures supplémentaires, [W] [J] [Y] allègue de manière générale avoir travaillé de manière régulière au-delà de 35 heures hebdomadaires, et au minimum 9 heures de travail effectif par jour et deux heures supplémentaires par jour et en conséquence 45 heures par semaine au minimum. Il ne produit en particulier aucun décompte journalier et hebdomadaire des heures de travail qu'il prétend avoir accomplies.
Ce faisant, le salarié ne produit pas des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments.
Il convient de débouter l'appelant de sa demande d'heures supplémentaires et de sa demande consécutive au titre de l'indemnité pour repos compensateur, et de confirmer le jugement sur ces points.
Sur l'indemnité au titre du travail dissimulé
L'appelant ne fournit aucune démonstration de ce que l'ensemble des heures travaillées n'auraient pas donné lieu à déclaration auprès des administrations.
La demande au titre du travail dissimulé n'est pas fondée. Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a débuté [W] [J] [Y] de sa demande de ce chef.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Le jugement sera confirmé en ce qu'il statue sur les dépens et les frais irrépétibles.
L'appelant sera condamné aux dépens d'appel.
La société Mbda France sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes,
CONDAMNE [W] [J] [Y] aux dépens d'appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,