COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
19e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 11 MAI 2022
N° RG 19/00487 - N° Portalis DBV3-V-B7D-S62H
AFFAIRE :
[Y] [R]
C/
SAS ETF
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 Janvier 2019 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
N° Chambre :
N° Section : Industrie
N° RG : 17/00759
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me Elisa FREDJ
la AARPI Calinaud David Avocats
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Y] [R]
né le 02 Novembre 1958 à [Localité 5] (PORTUGAL)
de nationalité portugaise
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Elisa FREDJ, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 603
APPELANT
****************
SAS ETF
N° SIRET : 383 252 608
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentant : Me Frédéric CALINAUD de l'AARPI Calinaud David Avocats, Plaidant/Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0888
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 16 Mars 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Isabelle MONTAGNE, Président,
Monsieur Stéphane BOUCHARD, Conseiller,
Monsieur Laurent BABY, Conseiller,
Greffier lors des débats : Madame Anne-Sophie CALLEDE,
M. [Y] [R] a été embauché à compter du 17 avril 1978 en qualité de conducteur d'engins (qualification d'ouvrier) par une société aux droits de laquelle est venue la société ETF, spécialisée dans les travaux de construction et de maintenance de voies ferrées.
La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des employés, techniciens et agents de maîtrise des travaux publics.
Par la suite, M. [R] a bénéficié des promotions suivantes :
- août 1986 : chef d'équipe, premier échelon ;
- novembre 1989 chef d'équipe, deuxième échelon ;
- janvier 1992 : contremaître de chantier (statut Etam) ;
- janvier 1996 : aide conducteur de travaux, premier échelon, P4 coefficient 600 ;
- mai 1999 : aide conducteur de travaux, deuxième échelon, P4 coefficient 600 ;
- juin 2000 : aide conducteur de travaux, deuxième échelon, P5 coefficient 655 ;
- juin 2003 : aide conducteur de travaux, deuxième échelon, Niveau G ;
- janvier 2004 : aide conducteur de travaux, deuxième échelon, Niveau H ;
- février 2010 : conducteur de travaux (statut Etam niveau H).
Le 18 mai 2015, M. [R] a donné sa démission sans réserve à la société ETF.
Le 10 juin 2015, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency pour demander la requalification de sa démission en prise d'acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société ETF produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de cette dernière à lui payer une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et diverses sommes à titre de rappel de salaire et de dommages-intérêts.
Par un jugement du 8 janvier 2019, le conseil de prud'hommes (section industrie) a :
- dit que la démission de M. [R] est claire et non équivoque ;
- débouté M. [R] de l'ensemble de ses demandes ;
- débouté la société ETF de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- mis les dépens la charge de M. [R].
Le 17 février 2019, M. [R] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions du 14 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, M. [R] demande à la cour d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :
- dire équivoque sa démission et dire qu'en conséquence elle doit être requalifiée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner la société ETF à lui payer les sommes suivantes :
* 41 250 euros brut à titre d'indemnité de requalification de sa démission équivoque en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
* 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour absence d'entretien annuel ;
* 61 089,48 euros à titre de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation ;
* 91 216,80 euros brut à titre de rappel de salaire en conséquence de la violation de l'obligation de décompter la durée du travail ;
* 11 300 euros brut à titre de rappel de salaire du mois de mars 2014 au 22 juillet 2015 ;
* 79'182 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
* 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- assortir les sommes allouées de l'intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision à intervenir ;
- condamner la société ETF aux dépens de première instance et d'appel.
Aux termes de ses conclusions du 4 juin 2021, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé des moyens, la société ETF demande à la cour de :
- à titre principal, confirmer le jugement attaqué et débouter M. [R] de ses demandes ;
- à titre subsidiaire, réduire à de plus justes proportions l'indemnisation à accorder à M. [R];
- en tout état de cause, condamner M. [R] lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Une ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 15 février 2022.
SUR CE :
Sur les dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation :
Considérant que M. [R] soutient que la société ETF n'a pas respecté son engagement de lui dispenser une formation pour la qualification supérieure de conducteur de travaux en 1994 et que, par la suite, elle ne lui a dispensé que des 'formations de mise à jour des connaissances' qui 'n'ont rien avoir avec cet engagement' ; qu'il ajoute que ces manquements aux dispositions de l'article L. 6321-1 du code du travail lui causent un préjudice salarial et de retraite en ce qu'il n'a pu être promu au poste de conducteur de travaux dès 1995, ou au plus tard dès 1997, mais seulement en février 2010 ;
Que la société ETF conclut au débouté ;
Considérant qu'en l'espèce, il ressort seulement des pièces versées aux débats que M. [R] a été inscrit par l'employeur à une formation de conducteur de travaux en 1994 laquelle a été annulée par l'organisme de formation faute de crédits et qu'il a ensuite demandé en 2004 à bénéficier de cette formation laquelle lui a été alors refusée ; qu'aucun élément ne démontre toutefois un engagement de la société ETF de le faire bénéficier de cette formation à une qualification qui relevait d'un niveau supérieur ; que le manquement allégué n'est donc pas établi ; qu'il y a donc lieu de débouter M. [R] de cette demande de dommages-intérêts ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur l'absence 'd'entretien annuel' :
Considérant qu'aux termes d'une argumentation confuse, M. [R] reproche en réalité à son employeur de ne pas lui avoir fait bénéficier, hormis en décembre 2003, de l'entretien professionnel prévu par l'accord national interprofessionnel du 5 décembre 2003 et son avenant du 20 juillet 2005 ainsi que par l'accord national interprofessionnel du 5 octobre 2009, ni de 'l'entretien de deuxième partie de carrière pour les salariés de 45 ans et plus', ni du 'bilan d'étape professionnelle ouverte aux salariés ayant au moins deux ans d'ancienneté dans l'entreprise' ; qu'il invoque également l'absence de tenue de l'entretien individuel au moins biennal destinée à examiner les possibilités d'évolution professionnelle du salarié prévu par l'article trois de l'annexe V de la convention collective ; qu'il soutient que ces manquements ont entraîné une perte de chance d'être augmenté ou promu dans l'emploi de conducteur de travaux avant février 2010 ; qu'il réclame en conséquence une somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour la perte de chance subie ;
Considérant que la société ETF conclut au débouté ;
Considérant en l'espèce que s'agissant de l'entretien professionnel et de l'entretien de deuxième partie de carrière, alors que ces mesures ont été prévues par des accords n'ayant pas fait l'objet d'un arrêté d'extension, M. [R] n'allègue pas que son employeur était adhérent à un syndicat professionnel lui-même adhérent à l'une des organisations signataires de ces textes ;
Que s'agissant du bilan d'étape professionnelle, il résulte des dispositions de l'article L. 6315-1 du code du travail, dans sa version applicable au litige, que l'organisation de ce bilan n'est réalisée que sur demande du salarié ; que M. [R] n'allègue pas avoir formulé une telle demande ;
Que s'agissant de l'entretien au moins biennal prévu par l'article 3 de l'annexe V de la convention collective, cet entretien a lieu, selon ces stipulations à l'initiative de l'employeur ou du salarié ; que la société ETF a organisé un tel entretien à la demande du salarié en décembre 2003 ; que la société ETF justifie par ailleurs, par l'attestation du supérieur de M. [R], avoir organisé de tels entretiens pendant le restant de la relation de travail ;
Que par ailleurs et en toutes hypothèses, M. [R] n'établit en rien que les manquements allégués ont entraîné une perte de chance d'être promu plus tôt à la qualification supérieure de conducteur de travaux, ni ne fournit aucun élément permettant d'évaluer la perte de chance alléguée ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le débouté de cette demande ;
Sur le 'rappel de salaire en conséquence de la violation de l'obligation de décompter la durée du travail' :
Considérant que M. [R] soutient à ce titre qu'il travaillait 'de 9 à 10 heures par jour' ou qu'il accomplissait 'trois heures supplémentaires par jour de travail', soit '720 heures supplémentaires par an' en étant seulement rémunéré sur la base d'un temps complet ; qu'il réclame en conséquence un rappel de salaire pour heures supplémentaires et une somme au titre des 'repos compensateurs' non pris pour les heures supplémentaires accomplies au-delà du contingent annuel ;
Que la société ETF conclut au débouté ;
Considérant qu'en application notamment de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées ; qu'après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant ;
Qu'en l'espèce, M. [R] se borne à estimer de manière imprécise et contradictoire qu'il 'travaillait de 9 à 10 heures par jour' et qu'il accomplissait ainsi 'trois heures supplémentaires par jour de travail' ; qu'il ne fournit aucun décompte des heures revendiquées, étant rappelé de surcroît que les heures supplémentaires se comptent par semaine civile et non par jour ;
Que dans ces conditions, il ne présente pas d'éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies pour permettre à l'employeur de répondre en produisant ses propres éléments ;
Qu'il y a donc lieu de débouter M. [R] de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de sa demande subséquente relative aux 'repos compensateurs' non pris ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ces points ;
Sur le rappel de salaire de mars 2014 au 22 juillet 2015 :
Considérant que M. [R] soutient que la société ETF lui a supprimé en mars 2014 le bénéfice de l'indemnité de grand déplacement d'un montant de 1 000 euros mensuels alors qu'il la percevait depuis 1981 et qu'elle était ainsi devenue un élément de son salaire mensuel de base ;
Mais considérant qu'il est constant que le paiement de la prime de grand déplacement n'était pas prévue par le contrat de travail de M. [R] et résulte de l'application de la convention collective ; que M. [R] ne conteste pas qu'il ne remplissait plus dès 1994 la condition de paiement de cette prime, liée à la situation de son domicile, prévue par la convention collective ; qu'il n'établit pas l'existence d'un engagement unilatéral de l'employeur de continuer à le faire bénéficier de cette prime alors qu'il n'en remplissait plus les conditions ; que la société ETF justifie quant à elle que le maintien de cette prime de 1994 à 2014 résulte d'une erreur de sa part ; qu'il y a donc lieu de débouter M. [R] de sa demande de rappel de prime pour la période en cause ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail :
Considérant que M. [R] soutient que la société ETF a manqué à son obligation d'exécuter loyalement le contrat de travail à raison des manquements mentionnés ci-dessus et de son 'attitude consistant à le priver de toute évolution professionnelle ou à tout le moins à la ralentir autant que possible' ; qu'il en déduit que ces manquements ont entraîné une perte de salaire et de revenus ainsi qu'un 'préjudice moral au titre de la perte des droits à la retraite '; qu'il réclame en conséquence des dommages-intérêts à ce titre ;
Mais considérant que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les manquements en matière d'entretien professionnel et de formation ainsi qu'en matière salariale ne sont pas établis ;
Qu'en tout état de cause, aucun élément ne vient démontrer une privation ou un ralentissement d'évolution professionnelle ;
Qu'il y a donc lieu de débouter M. [R] de sa demande de dommages-intérêts à ce titre ; que le jugement attaqué sera confirmé sur ce point ;
Sur la requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Considérant que la démission ne se présume pas et qu'elle ne peut résulter que d'une manifestation de volonté claire et non équivoque du salarié de mettre un terme à la relation de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués rendaient impossible la poursuite du contrat de travail ou dans le cas contraire d'une démission ;
Qu'en l'espèce, M. [R] fait tout d'abord justement valoir que sa démission sans réserve était équivoque puisqu'il a adressé à son employeur le 7 octobre 2014, quelques mois avant la rupture, un courriel dans lequel il lui reproche les divers manquements qu'il invoque dans la procédure prud'homale au soutien de cette demande de requalification de sa démission en prise d'acte produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à savoir le manquement à l'obligation de formation, l'absence d'entretien professionnel, le non-paiement d'heures supplémentaires et l'arrêt du paiement de l'indemnité de grand déplacement ;
Que toutefois, il se borne à soutenir que le simple caractère équivoque de la démission entraîne à elle-seule sa requalification en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, sans même alléguer que les manquements invoqués ont rendu impossible la poursuite du contrat de travail ;
Qu'au surplus, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, ces manquements ne sont pas établis ;
Qu'il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu'il dit que le contrat de travail a été rompu par la démission de M. [R] et en ce qu'il le déboute de sa demande d'indemnité à ce titre ;
Sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens :
Considérant qu'eu égard à la solution du litige et aux demandes des parties, il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il statue sur ces deux points ; qu'en outre, M. [R], qui succombe en son appel, sera débouté de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel et sera condamné à payer à la société ETF une somme de 1 500 euros à ce titre ainsi qu'aux dépens d'appel ;
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement attaqué,
Y ajoutant,
Condamne M. [Y] [R] à payer à la société ETF une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure suivie en appel,
Déboute les parties du surplus de leurs demandes,
Condamne M. [Y] [R] aux dépens d'appel,
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Isabelle MONTAGNE, Président, et par Madame Anne-Sophie CALLEDE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,